Médecins de la Grande Guerre

Mon père, Henri Tournay, jeune gendarme derrière l’Yser !

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Mon père, Henri Tournay, jeune gendarme derrière l’Yser !


       Au début de la guerre mon père faisait partie d’un détachement à cheval qui eut maille à faire avec des Uhlans. Il eut son cheval tué sous lui mais récupéra un cheval réquisitionné une jument qui disait-il était une « belle charogne ». Lors d’un second engagement avec les Uhlans, le long d’un bois, les gendarmes belges  qui avaient tenté de les embusquer durent se contenter de tirer de loin. « Belle Charogne » fit un tel bond au premier coup de feu que mon père eut le nez cassé par le mouvement de son casque ! Mon père expliquaient que les gendarmes recevaient des chevaux réquisitionnés souvent impropres à la monte mais leurs  chefs se contentaient de leur dire : « vous êtes des bons cavaliers, vous n’avez qu’à vous débrouiller… »  Heureusement,  il y avait un truc pour se débarrasser des pires canassons : les gendarmes rajoutaient du sable dans l’avoine, ce qui les rendait malades. Le vétérinaire n’y voyait que du feu et les réformait.

       De la bataille de l’Yser, mon père nous racontait quelques faits sur sa cruauté…  Il disait notamment que, lors des ouvertures des écluses de Nieuport, surpris par les inondations, des Allemands s’étaient réfugiés en hauteur dans des arbres d’où ils furent abattus « comme des pigeons » par les soldats belges.  Il rapporta aussi que l’on avait confié la garde de prisonniers allemands aux Goumiers. Quand les gendarmes allèrent récupérer les prisonniers, ceux-ci  avaient été massacrés et leurs oreilles se trouvaient comme trophées suspendues en collier  aux chevaux des Goumiers.

       Quelques fois, mon père se rendait en mission au boyau de la mort. Cette tranchée et les soldats qui subissaient là de grands dangers firent grande impression sur lui.

       Le bruit courait parmi les soldats que les gendarmes étaient des planqués. Rien n’était plus faux racontait mon père. En fait, expliquait-il, les missions de surveillance dans les carrefours stratégiques constituaient des missions de routine pour les gendarmes et il n’y avait rien de plus bombardé par l’ennemi que ces carrefours… Il faillit d’ailleurs perdre la vie à un de ces carrefours qu’il surveillait pendant des heures. A un certain moment, raconta-t-il, il  éprouva le pressentiment qu’il devait changer de poste d’observation. Quelques instants après s’être caché dans un autre poste d’observation il vit à son grand étonnement son ancien poste exploser avec violence sous l’effet d’un obus… Mon père me disait aussi que les recherches de déserteurs étaient le pain quotidien des gendarmes et que ces missions n’étaient pas sans dangers ! Les gendarmes devaient en effet fouiller abris abandonnés et tranchées déclassées pour trouver des hommes qui risquaient la peine de mort et donc n’avaient plus rien à perdre.  Plusieurs gendarmes  furent blessés ou perdirent la vie  lors de ces missions.

       Mon père participa à une mission peu ordinaire : il dut monter  la garde durant la dernière exécution par la guillotine qui eut lieu en Belgique[1]. Cela se passait le 26 mars 1918 ; le condamné était un sergent qui avait tué sa jeune maîtresse. On fit venir de France une guillotine et son bourreau. Mon père nous raconta que dans les spectateurs se trouvaient aussi des enfants !

       Des années après la guerre, mon père était encore fâché des règlements militaires. Un exemple : mon père ayant eu son cheval tué sous lui, il perdit la prime servant à nourrir son cheval car celle-ci n’était pas attribuée pour un cheval réquisitionné. Il devait donc nourrir son cheval avec sa propre solde.

       Mon père évoqua qu’il avait vu à plusieurs reprises l’avion de Guynemer et du Baron Rouge.

       Lors de la grande offensive des alliés à la fin de la guerre, dans un village de Flandres, une femme a appelé les gendarmes pour leur montrer le corps d’un soldat allemand caché sous le fumier. Elle expliqua que les Allemands l’avaient obligée de prendre en charge un blessé intransportable. Dès qu’ils sont partis dit-elle, je lui ai tranché la gorge et je l’ai caché sous le fumier ! Les gendarmes étaient scandalisés ; ils lui ont fait la leçon en lui disant que ce n’était vraiment pas un exploit, mais elle ne fut pas poursuivie… Il faut se remettre dans l’esprit de l’époque : la population civile avait beaucoup souffert et Dieu sait ce qu’avait dû subir cette femme ou ses proches… 

       Mon père raconta qu’il avait été blessé à la tête et légèrement gazé et pour ces raisons il bénéficia d’une invalidité qu’il estimait trop faible. Il estimait que s’être présenté en civil devant la commission médicale d’invalidité lui avait fait du tort car le médecin militaire lui reprocha avec véhémence sa tenue civile ! La guerre terminée mon père rentra auprès des siens dans la maison paternelle de Faulx-les-Tombes. En entendant toquer sur la porte sa sœur fit au père la réflexion suivante : « Tiens le chien aboie comme quand rentrait Henri ! ». Quelques secondes après, c’est effectivement Henri qui rentrait après une absence de quatre ans au foyer paternel ! Remarquable, malgré une si longue absence, le chien n’avait pas oublié  l’odeur de son  jeune maître ! 

       Après la guerre Henri fut muté à Bruxelles comme instructeur puis fut incorporé dans le corps de la Police Royale. Il fallait être célibataire pour exercer dans cette unité. Le travail s’exerçait au palais royal. En civil, mon père s’occupait principalement de la sécurité du Prince Charles. Anecdote amusante de cette époque : lors d’une partie de chasse à Cugnon, alors que le Roi Albert s’apprêtait à tirer un cerf devant son poste, le Prince Charles placé plus loin abattit la bête au « nez et à la barbe du Roi ». Le Roi se mit en colère et cela valût à Charles quelques coups de canne !  Autre aventure : lors d’une visite du roi d’Espagne, mon père arrêta un opposant qui en voulait à la vie de ce monarque. En récompense de ce fait, mon père fut fait Chevalier de l’ordre d’Isabelle la Catholique.


       Mon père s’étant marié, il fut muté à la brigade de Bioul puis à celle de Durbuy. Il prit ensuite sa retraite anticipée et se lança dans le commerce. Lorsque j’étais enfant, il y avait dans le grenier son sabre un costume de gendarme aves le pantalon en daim, un bonnet d’ourson. Sans doute son costume de parade de cavalier du temps où il était dans la Police Royale. Cet uniforme qui m’impressionnait et donnait tout un aura au passé de mon père  disparut durant la seconde guerre mondiale

Madame A.M. Michel-Tournay

Août 2013

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] Ce fut la dernière exécution par la guillotine en Belgique. Le condamné était le sergent Emiel Ferfaille qui avait tué Rachel Ryckewaert, 20 ans, qui travaillait comme ouvrière agricole à la ferme de Florimond Seru, marchand de légumes de Furnes. Le sergent exerçait la fonction de fourrier et écumait la campagne à la recherche de vivres pour son bataillon. C’est ainsi qu’il rencontra Rachel. Il était craint et respecté car il pouvait privilégier l’une pour l’autre ferme. Rachel tomba amoureuse du militaire mais Emiel menait une double vie sentimentale et s’était aussi amouraché d’Augusta Ameloot, fille d’agriculteurs à Hoogstade. Il promit finalement le mariage à Augusta mais, peu après, découvrit que Rachel était enceinte de lui. Il  tua alors la jeune femme  en l’étranglant et en  la frappant  de coups de marteau au crâne. Le corps de Rachel est enterré par le meurtrier mais est vite retrouvé. On soupçonne immédiatement Emiel Ferfaille. Le meurtrier est  emprisonné et craque le 13 novembre en avouant son crime. Le conseil de guerre le condamne à la peine de mort par la guillotine. Le bourreau officiel belge étant à Bruxelles, on fit appel à nos alliés français qui nous envoyèrent de Paris la guillotine, le bourreau Anatole Deibler et ses aides, Henri Defourneaux et Louis Rogis. Pour Anatole Deibler, l’exécution du sergent belge est la 187ème exécution à laquelle il participe (il en eut 395 au cours de sa longue carrière).


Emprisonné, Emiel Ferfaille fut privé de ses habits militaires. (Archives de l’Etat, Cour Militaire, Dossiers 1915-1954, Boite n° 90, Dossier n° 145 A)

Deibler fit charger  sa « Veuve » à Paris-Nord le 23 mars. A Amiens, des obus avaient failli détruire son  matériel. A Dunkerque, un camion belge  prit en charge la machine, le bourreau et ses aides pour remonter vers Furnes ! Le voyage de cette guillotine et des bourreaux inspira François Sureau pour son roman (2007) « L’obéissance »  et Philippe Laïk   pour son film (2008) « Le voyage de la veuve ».

 



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