Médecins de la Grande Guerre

Feu, la comtesse Ermesinde de Luxembourg fut enlevée en 1917 pour être soustraite de l’ennemi !

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Feu, la comtesse Ermesinde de Luxembourg fut enlevée en 1917 pour être soustraite de l’ennemi !

1) Introduction

       Cet article raconte l’enlèvement de feu Ermesinde, comtesse de Luxembourg en 1917 afin qu’elle échappe aux mains de Guillaume II. Elle reposait près d’Arlon sur le site de l’ancienne abbaye de Clairefontaine[1].



2) Qui était Ermesinde ?

Un père batailleur qui donna naissance à une fille qu’il n’attendait plus…

       Ermesinde est née en juillet 1186. Elle était la fille unique d’Henri l’Aveugle, comte de Luxembourg et de Namur et d’Agnès de Gueldre. Henri l’Aveugle avait mené une vie très aventureuse et sa vie était une suite de combats et de batailles. Durant l’hiver 1182-83, il tomba malade et devint aveugle. Peu après, remué par les remords, il fit revenir près de lui son épouse légitime Agnès, avec laquelle il s’était uni en 1168, mais qu’il avait répudiée depuis plusieurs années. En juillet 1186 naissait Ermesinde. Henri se mit alors à essayer de récupérer le comté de Namur qu’il avait cédé à son neveu, le comte de Hainaut parce qu’il s’était devoir rester sans héritier. Malgré son âge et son handicap, il revêt sa cuirasse et entreprit une lutte acharnée contre son neveu qui aboutira en 1194 à sa défaite définitive lors de la bataille de Noville-sur-Mehaigne. Il dut dès lors renoncer définitivement au comté de Namur. Mort en 1196, son corps fut néanmoins inhumé dans l’église du monastère de Floreffe où reposaient déjà ses parents ainsi que son épouse Agnès

L’enfance d’Ermesinde en France

       La fille de Henri l’Aveugle, née en juillet 1186, ne vécut auprès de son père que les dernières années de sa vie. En effet, à peine sevrée, elle fut emmenée en Champagne par le comte Henri II de Champagne à qui elle avait été promise en mariage. Mais ce dernier, en 1189, partit pour Jérusalem où il se maria et mourut en 1197. Ermesinde retourna alors auprès de son père.

Les mariages d’Ermesinde

       Ermesinde est alors mariée une première fois au comte Thibaud de Bar à l’âge de 12 ans !

       Le couple doit mettre toute son énergie pour retrouver ses droits sur le Luxembourg car à la mort d’Henri l’Aveugle l’Empereur Henri VI dispose du Luxembourg en faveur de son frère Othon de Bourgogne. Finalement Thibaut parvient à racheter les droits sur le Luxembourg à Othon. Il entame aussi la reconquête du comté de Namur dont il récupère par le traité de Dinant Laroche, Durbuy et une partie du Namurois sur la rive droite de la Meuse.

       Ermesinde règne avec lui sur le Luxembourg agrandi mais elle se retrouve malheureusement veuve après avoir donné naissance à une fille Elisabeth qui a succédé à deux enfants morts en bas-âge. Elle se remarie en 1214, à l’âge de 28 ans, avec Waleran, héritier du duché de Limbourg sur lequel il règne sous le nom de Waleran III. Waleran était aussi marquis d’Arlon et était à son mariage déjà très illustre par le rôle qu’il joua lors de la prise de Saint-Jean-D’acre et de Jaffa lors de la troisième Croisade.

Le rêve d’Ermesinde



       Ermesinde et Waleran résident principalement dans leur château d’Arlon mais Ermesinde aime aller se reposer dans sa villa de Beaulieu, située dans la belle vallée de la Durbach, à proximité d’une source qui fut bénie par Saint Bernard. C’est là qu’un jour, elle s’endort à l’ombre d’un grand chêne et qu’elle rêve d’une dame d’une grande beauté allant caresser des brebis à la toison blanche marquée par une croix noire. Ermesinde, à son réveil, tentera d’interpréter son rêve. Elle n’y arrive qu’avec l’aide d’un vieil ermite. Dieu, lui explique qu’il veut par ce rêve l’inciter à construire à cet endroit un monastère de l’ordre de Cîteaux qui sera occupé par des religieuses… portant robes blanches et la croix noire !



Ermesinde veuve gouvernera avec sagesse et justice pendant près de vingt ans

       La pauvre Ermesinde, à l’âge de quarante ans subit le veuvage une seconde fois en 1226. Après quelques années de règne d’un mambour qui assumait la régence, Ermesinde est habilitée grâce à l’édit de Worms à gouverner ses terres. Ermesinde continua alors l’œuvre de son père Henri l’Aveugle qui n’hésitait pas à accorder plus d’indépendance à ses sujets citadins en signant de nombreuses chartres (lesquelles favorisaient aussi les serfs qui retrouvaient la liberté vis-à-vis de leur seigneur après avoir résidé un an et un jour en ville).

       Une action remarquable de la comtesse fut de réformer la justice par des chartes (Notamment pour la ville d’Echternach en 1236 et pour la ville de Luxembourg en 1244). La justice pour les bourgeois devait dorénavant être rendue par un « justicier » élu pour seulement un an. Ce renouvellement obligatoire était assez révolutionnaire car il permettait de se prémunir contre le despotisme ! La noblesse quant à elle se voyait attribuer une magistrature avec un « maréchal »  et un « justicier » issu d’une nouvelle juridiction appelée « Siège des Nobles ». Cette réforme assura une paix remarquable dans les possessions d’Ermesinde qui lui valut la grande considération et la loyauté de tous ses sujets.

       Une légende résume bien la bonté d’Ermesinde. Ayant eu un malaise en voyage, une habitante d’un petit hameau situé sur une hauteur lui apporta de l’aide. La comtesse reconnaissante accorda à ses habitants la liberté (sans doute étaient-ils des serfs). Le hameau s’appela alors « Libres à mont », « Libre mont » qui deviendra plus tard la ville de Libramont !

Ermesinde décède et est enterrée dans l’abbaye de Clairefontaine

       Ermesinde décéda en 1247. L’abbaye qu’elle avait fondée avait pris son envol dès 1216 lorsque quelques femmes nobles répondirent à son appel et se réunirent à Beaulieu sous la direction d’une moniale cistercienne dans une habitation provisoire. Bien vite on donna le nom de Clairefontaine à l’abbaye érigée près de la source bénie par St Bernard en 1147. Les constructions en dur ne débutèrent que plus tard et quand Ermesinde décéda, elles n’étaient pas encore terminées. Selon ses vœux, on l’enterra dans la crypte de l’abbatiale du monastère.

      La révolution française allait dissoudre la dernière communauté et réduire les bâtiments à l’état de ruine. En 1873, les Jésuites de la ville d’Arlon achetèrent le site et construisirent la chapelle Notre-Dame du Bel Amour sur les plans de l’architecte Arendt de Luxembourg. La statue que l’on dit miraculeuse, celle qui décorait le porche de l’église abbatiale, domine l’autel. Les fouilles archéologiques retrouvèrent la sépulture d’Ermesinde sous l’abbatiale en ruines. les Jésuites de la ville d’Arlon. Le coffre contenant ses ossements fut alors déplacé dans la nouvelle chapelle Notre-Dame du Bel amour dans l’abside droite.

       Depuis cette date, les Luxembourgeois peuvent à nouveau rendre hommage à la comtesse qui les gouverna au moyen-âge avec tant de bonté. Ermesinde, décédée à l’âge de 61 ans, eut six enfants, trois de son premier mariage et trois autres de son second mariage. Ses descendants donneront quatre empereurs à l’Allemagne, plusieurs rois à la Bohème et deux connétables en France. Un jour de 1917, un officier allemand eut l’idée saugrenue d’enlever la dépouille de la comtesse pour faire plaisir à Guillaume II. L’avocat Max Kiesel entreprit alors une étrange expédition pour l’en empêcher… 



3) « L’enlèvement » d’Ermesinde par Max Kiesel. Une aventure racontée par son fils Frédéric[2]

       L'hiver 1917, on apprit qu'un officier prussien, cantonné à Arlon, voulait faire du zèle dynastique pour être « bien vu « du Kaiser, l'empereur Guillaume Il. Il avait découvert un lointain lien de parenté entre les Hohenzollern de Prusse et la comtesse Ermesinde de Luxembourg, qui reposait à Clairefontaine. Cet officier, disait-on, avait le projet de faire amener dans la crypte des Hohenzollern, en Allemagne, le sarcophage d'Ermesinde. Il y avait beaucoup de neige. Mon père était descendu à Clairefontaine avec le traîneau qui y amenait les vivres pour l'hospice des sinistrés. On décida de soustraire d'urgence les restes de la comtesse aux projets des occupants. Ce fut toute une conspiration. Le tombeau fut ouvert. Enlevé en grand secret, le sarcophage d'Ermesinde fut placé sur le traîneau qui remonta à Arlon à la nuit tombante. Une toile de sac le recouvrait.



Le coffre contenant les ossements d’Ermesinde, tel que retrouvé en 1875

       Mon père était familièrement assis dessus. Il a gardé un souvenir amusé de ce trajet nocturne à califourchon sur les restes de la millénaire souveraine. Une fine neige tombait. A l'entrée d'Arlon, les vieux gardes de la Landsturm ne devinèrent rien de suspect. Chez les Jésuites d'Arlon, un trou avait été creusé dans la cave à charbon. C'est là que, recouverte de houille, Ermesinde de Luxembourg, veuve de Waleran de Limbourg, marquise d'Arlon, attendit la fin de la guerre. Les bonnes gens de l'hospice de Clairefontaine eurent le plaisir de voir les soldats allemands venir fouiller dans la chapelle et s'en retourner, après avoir fait buisson creux. Après la guerre, les restes d'Ermesinde furent ramenés à la chapelle de Clairefontaine où ils se trouvent toujours.



Dans la chapelle de Notre-Dame du Grand Amour repose aujourd’hui Ermesinde


Sur cette photo, on distingue les ruines de l’abbaye et la nouvelle chapelle Notre-Dame du Grand Amour

4) Conclusion

       Ermesinde épouse, maman, « chef d’état » cumula avec bonheur de nombreux rôles…. Un exemple lointain mais qui reste encore aujourd’hui une source de réflexions pour promouvoir le partage équivalent des responsabilités entre hommes et femmes. Max Kiesel avait donc toutes les raisons de veiller sur elle pendant la Grande Guerre !

Dr Loodts P.

 

 

 

 

Sources :

Michel Georis, Ermesinde de Luxembourg, Collection Roitelet, 1947, Editions Durendal, Bruxelles

 

 

 

 

 



[1] L’ancienne abbaye de Clairefontaine située près d’Arlon et détruite à la révolution française ne doit pas être confondue avec la nouvelle abbaye de Clairefontaine construite à Cordomoy près de Bouillon par l’abbé van den Cruyssen après la Première Guerre mondiale

[2] Frédéric Kessel, Histoires de mes villages, pages 32 et 33, Editions Duculot 1979,





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