Médecins de la Grande Guerre

Les pupilles de la 5ième division

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Ce témoignage a été écrit par le Major Tasnier Louis du 2° Chasseurs à pied. Le lecteur retrouvera ce texte dans "Notes d'un combattant de la campagne 14-18, Major Louis Tasnier, librairie Vanderlinden, Bruxelles 1928.

«5 janvier 1916. Donné cinq francs pour l’école de Boitshoucke.»

Telle est l’inscription que j’ai relue l’autre soir dans un journal de campagne, alors qu’une maudite grippe me retenait près du feu…

Et j’ai revu les modestes baraquements, construits par le génie de la 5e Division, abritant plus de trois cents petits enfants, apprenant à lire, à écrire, tandis que le canon grondait !

Déjà, lorsque je m’étais rendu à Braine-l’Alleud interviewer le lieutenant-général baron Ruquoy, atteint par la limite d’âge, en me remémorant les principaux faits de la carrière du grand chef, j’avais souvenir de la création des écoles de Boishoucke par notre divisionnaire.


L'école de Boitshoucke.

Le major-médecin de Block de l’Ecole Militaire, ancien commandant de la colonne d’ambulance de la 5e Division, m’avait également parlé de cette belle œuvre. Mieux, il m’avait remis quelques photos des baraquements.

Mais je n’y avais plus pensé. Il a fallu la grippe pour m’amener à relire mon journal de campagne de l’année 1916 et retrouver l’inscription citée en débutant.

Le lundi 18 octobre, la division, au repos à la Panne, allait relever la 4e dans le secteur de Ramscappelle.

A cette époque, les trois régiments d’infanterie formant la division comportaient quatre bataillons et deux compagnies de mitrailleuses.

Le 1er de Ligne cantonna au Nord de Wulpen, le long de la rive sud du canal de Furnes à Nieuport et prit la garde en avant de Blawenhof, le 2e Chasseurs s’installa à Wulpen, les Mitrailleurs à Wulpen-Damme.

Le régiment montait la garde le long du chemin de fer et dans l’inondation aux ruines des fermes Wolvennest, Ryckenhoek et Roodestercke, tandis que le 3e Chasseurs à pied cantonné à Boitshoucke tenait Oosthof et Berkelhof. Le secteur était plutôt calme, mais si le chemin de fer constituait une tranchée idéale, il n’en était pas de même des avancées. Les Boches occupaient les fermes Terstille, Violette, Groote Hemme et Kleine Hemme et les relèves sur les passerelles branlantes émergeant légèrement de l’inondation, étaient dangereuses.

Si le secteur n’était pas animé, les cantonnements de piquet Wulpen et Boitshoucke l’étaient encore moins. Heureusement, il y avait les cantonnements de repos de la Panne et d’Adinkerque.

Je cite ces noms et faits qui ne diront pas grand-chose au lecteur non combattant ; il me les pardonnera en se disant que les vaillants de l’Yser les retrouveront avec plaisir.

Revenons maintenant aux Pupilles de la 5e Division. Et d’abord d’où provenaient ces enfants ? La plupart étaient des réfugiés des villages de la rive est de l’Yser : Saint Georges, Mannekensverre, Saint-Pierre-Capelle, Schoorbake, Leke, Keyem, etc…Ils avaient fui avec leurs parents dès l’arrivée des Allemands, le 15 octobre 1914. Ils avaient passé le fleuve et espérant que l’invasion des Teutons serait repoussée, ils étaient restés non loin de chez eux. Hélas, si les Boches ne purent franchir l’Yser, tous les villages furent détruits, broyés par le fer, dévorés par le feu.

Quand le général Ruquoy eut parcouru la région : vaste triangle équilatéral, ayant Furnes comme sommet et comme côtés : le canal de Nieuport, le chemin de fer et la grande route Pervyse-Avecapelle-Furnes, il fut frappé du nombre d’enfants âgés de 5 à 12 ans grouillant dans des taudis, privés de soins intellectuels et moraux, mangeant plutôt mal que bien. Chacun sait que le général Ruquoy débuta à 11 ans dans la carrière militaire comme enfant de troupe.

Pour ces « petiots »,il voulut faire quelque chose, il savait que le cœur de sa Division battait à l’unisson avec le sien. Il réunit ses colonels, ses chefs de service. Il leur dit à peu près ceci : « Il n’y a plus d’écoles dans la région, plus d’instituteurs. » « Nous allons en bâtir et apprendre à lire et à écrire aux enfants des réfugiés. »

Le génie se mit à l’œuvre. Les matériaux faisaient défaut, mais les ruines étaient nombreuses. Un choix judicieux fut fait dans les décombres. Furnes fournit les planches et bientôt la « Legerschool de Boitshoucke » était édifiée. Dans les brancardiers divisionnaires, des instituteurs furent recrutés ; des bancs, des pupitres, des tableaux noirs garnirent les classes. Dans la cour une balançoire fut montée. Un aumônier ingénieux transforma un coin en chapelle, qu’un grand Christ de Ramscapelle décora.

Plus de trois cents enfants – fillettes et garçons – formèrent la population scolaire de la 5e Division. Et comme il y avait loin de la « Legerschool » aux petites fermes disséminées dans la morne plaine, aux horizons infinis, le général Ruquoy décida qu’à l’heure du midi, tout ce joyeux petit monde serait restauré. Il fallait des milliers de francs pour acheter le pain, le beurre – le kilo coûtait alors 6 francs, prix énorme disait-on ; hélas, il coûte aujourd’hui 34 et nous avons gagné la guerre ! Les légumes, etc… L’argent arriva de toutes parts. Tous les officiers de la Division s’intéressèrent aux petits écoliers, les sous-officiers, les soldats rognèrent sur leur maigre solde pour que les « petits flamands » puissent mordre à belles dents dans de grosses tartines et manger une bonne soupe bien chaude et grasse.

Rien n’était plus émotionnant que la visite de la « Legerschool de Boitshoucke ». Les enfants vous accueillaient en chantant « Vers l’Avenir », le « Vlaamsche Leew » ou la « Brabançonne ». Les petits garçons faisaient gauchement le salut militaire, en joignant les talons, tandis que les filles esquissaient de belles révérences.

Puis c’étaient les jeux, les rondes. Les vieilles chansons de chez nous, écloses à l’ombre des clochers, que des voix claires et joyeuses égrenaient comme des symboles d’espérance !

Tout ce petit monde en plus du flamand, apprenait le français usuel et rien n’était plus touchant que de les entendre remercier dans les deux langues les visiteurs de marque !

L’école de Boitshoucke fut célèbre au front, en Angleterre, en France.

La Reine s’intéressa à l’œuvre de la 5e Division, le Roi la visita et plus d’un grand chef militaire allié tint à venir voir sur ce lambeau de terre belge inviolée, la matérialisation de la volonté tenace d’une race qui ne voulait pas périr. La 5e Division quitta la région Wulpen-Boitshoucke en mai 1916, l’Ecole des Pupilles était en pleine prospérité. Devenu chef d’Etat-Major en 1917, le général Ruquoy continua à s’occuper de ces enfants.

Il y a déjà dix ans que les énormes obus allant frapper la gosse tour de l’église ou la gare de Furnes passaient avec des bruits de tonnerre au-dessus des baraquements de l’Ecole de Boitshoucke.

Que sont-ils devenus ces beaux petits gars, ces aimables fillettes aux yeux bleus, aux boucles blondes ? Des papas, des mamans peut-être.

Se souviennent-ils des tranchées avoisinant la cour où ils prenaient leurs joyeux ébats, des braves soldats qui les embrassaient, en pensant à leurs petits frères et sœurs, avant d’aller mourir sur l’Yser ? Chers pupilles de la 5e Division, pour tous ceux qui vous aimèrent en cette année tragique de 1916, laissez-moi espérer que vous êtes devenus simplement : de bons Belges !



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