Médecins de la Grande Guerre

Emile D’Ardenne, chauffeur d’un véhicule d’ambulance automobile à la CAAB de la 3ème Division d’Armée

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Emile D’Ardenne, chauffeur d’un véhicule d’ambulance automobile à la CAAB de la 3ème Division d’Armée.

Abri ou le chauffeur et son brancardier passaient la nuit au front.

Emile D’Ardenne et sa « Minerva »

Emile D’Ardenne et sa « Minerva »

Emile D’Ardenne et sa « Minerva »

Le chauffeur et son équipier brancardier

Emile D’Ardenne, chauffeur d’un véhicule d’ambulance automobile à la CAAB de la 3ème Division d’Armée

 

Marcel Baivier & Liliane Collette

 

En 1906, à Hodimont, mon grand père Emile participa au tirage au sort des conscrits. Il eut la chance de tirer un numéro qui l’exemptait du service militaire. Néanmoins, le 31 décembre 1915, à Calais, il s’engageait, à l’âge de vingt huit ans, comme volontaire dans l’armée belge. Sachant conduire une voiture automobile, il fut affecté au Corps de Transport de la 3ème Division d’Armée en qualité de chauffeur ambulancier.

Cet engagement résultait d’une rafle d’hommes mobilisables opérée par l’armée allemande, début septembre 1914 à Douai. Doté d’un caractère indépendant et impulsif, il préféra s’enfuir plutôt que de devenir prisonnier de guerre.  Cette aventure aurait pu lui être fatale car il essuya des coups de feu et ne dut son salut qu’au lierre d’une façade, où il put se dissimuler jusqu’à la nuit tombée. Emile réussit à passer de l’autre coté du front, où il avait un compte à régler avec les Allemands qu’il désignait toujours sous le vocable de "boches"…

Démobilisé le 19 août 1919, mon grand père ne parlait pas volontiers de ses souvenirs de guerre. Les informations que ma mère a recueillies proviennent pour la plupart d’anciens camarades de front  de son père:

- A l’âge de dix ans, je savais que durant la première guerre mondiale, mon bon-papa conduisait une ambulance automobile "Minerva" et qu’il faisait équipe avec le même brancardier.

- C’est ce dernier qui s’occupait de la popote. Ce qui valu, un jour, à mon grand père, l’occasion de manger, à son insu, du chien... Sa gamelle lui semblait particulièrement savoureuse. En allant se servir une seconde portion, il identifia la tête de l’animal qui gisait au fond de la marmite…

- Ayant pris l’habitude de camper au front, il eut beaucoup de mal à se réadapter au confort du lit et de la chambre à coucher. C’est pourquoi il dormait toujours avec la fenêtre ouverte.

- Dans les tranchées, le manque d’hygiène était tel que la plupart des soldats étaient envahis de poux. Afin de se préserver de ces parasites, Emile et son compagnon prenaient donc le risque de nettoyer leurs uniformes avec de l’essence. Chose pourtant formellement défendue…

- Relever les blessés était dangereux ; par deux fois, mon grand père fit connaissance avec le terrible gaz "moutarde" qui stagnait au fond des trous de marmites.

- Une autre fois, ce fut un blessé dément, qui l’assaillit par derrière alors qu’il conduisait sa Minerva…

- En cas d’éviscération, mon grand père tâchait de replacer les organes épars et de les contenir dans l’abdomen en enveloppant le malheureux dans sa capote…

- Le pire était d’entendre les plaintes des blessés… A l’approche de sa mort en 1956, il confia à Liliane, sa petite fille âgée de dix sept ans, ce qui suit :

" - Au début, on relevait les blessés belges puis les morts belges. En 1916, on relève toujours, en premier lieu, les blessés belges puis les blessés boches. En 1917-1918, on relève les blessés : les belges, les boches, les boches, les belges; Ils se taisent les blessés, ils appellent, ils pleurent… En hiver, ils gèlent en moins d’une heure, en été ils pourrissent en moins d’une heure…"

" - L’hiver 1917-1918… à la dernière arrivée de mon véhicule à l’ambulance 30034, un jeune médecin n’en sortait plus. Le tri, il n’y en avait plus…-Plus de place à l’intérieur, les blessés couchés, alignés, là, sous l’auvent… A peine à l’écart, en me fusillant du regard, il me  crache au visage :

 - Me ramener ces malheureux… Vous me prenez pour le Dieu le Père. Imbécile !          - Maman ! appelle l’un d’eux et le médecin de s’agenouiller pour lui prendre la tête entre les mains, comme on cueille une fleur fragile, délicate et faire d’entre le pouce et l’index une corolle d’amour… endormant une carotide condamnée, sans espoir. De son ventre, comme sortant d’un cratère en colère, une mousse mit encore quelques instants à s’apaiser…            A nouveau, une plainte fut amenée par le vent de ce préau. Toujours agenouillé, le dos du médecin se mit à faire de grands galops de sanglots silencieux…

Le lendemain, tôt, il fut emmené à Paris… On ne le revit jamais à l’Yser… Il avait des yeux couleur de ciel d’été et un sourire conquérant… Ses confrères ont-ils pu l’apaiser, le soigner, le guérir…?

 

- Liliane, quelle folie ! Quelle folie ! Personne ne peut imaginer ces années là… L’horreur…"

 

 



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