Médecins de la Grande Guerre

Le Docteur Meyers, médecin militaire dans les campagnes africaines de la fin du 19e siècle et dans la première guerre mondiale

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Le Docteur Meyers, médecin militaire dans les campagnes africaines de la fin du 19e siècle et dans la première guerre mondiale



Dr Joseph Meyers (1870-1963)

       1895, la campagne Arabe est enfin terminée ; l'Etat Indépendant du Congo peut-il enfin penser uniquement à son développement social et économique ? Hélas non, la révolte des soldats Batétélas du camp de Luluabourg va entraîner une nouvelle guerre et la dévastation du Maniema. Cette rébellion devait au grand étonnement des autorités belges durer plus de trois ans. Les Batétélas sont en effet aguerris aux armes modernes et d'un courage exceptionnel. De plus, grisés par les premiers succès de la mutinerie, ils n'ont aucun mal à entraîner dans leur sillage une population locale arabisée et attirée par la perspective d'un butin facile.

       Le propos de ce texte n'est pas de relater tous les épisodes de la campagne Batétéla, ni même d'en analyser les causes mais de vous faire partager l'expérience peu commune d'un médecin militaire qui se découvrit, au cours de ces événements, des talents de chef de guerre exceptionnels. Le docteur Meyers est ce jeune médecin sportif, épris d'aventure dont nous allons suivre les maintes péripéties. Il s'engage en 1896 comme médecin auxiliaire des troupes de l'Etat Indépendant avec le grade de lieutenant. D'abord affecté au camp de La Romée prés de Stanleyville, notre médecin militaire fait connaissance avec la pathologie tropicale dont il a peu d'expérience. Mais écoutons le plutôt...

       « A part les cas endémiques communs à toutes les installations militaires, la situation sanitaire n'était pas mauvaise, excepté chez les hommes qui habitaient le village arabe. En effet, depuis plusieurs semaines, on avait constaté plusieurs cas d'affections oculaires compliquées de perte de la vision d'un ou des deux yeux, M'étant rendu sur place, je fis rassembler tous les malades; hommes et femmes réunis sur place, ils étaient bien une centaine. Accablés par leur infirmité actuelle et la crainte du sort atroce que devait leur réserver une cécité permanente, j'avais devant moi de pauvres loques humaines prostrées et n'attendant plus rien de la vie. L'examen de quelques uns de ces malheureux me révéla les mêmes symptômes plus ou moins prononcés d'après le début de l'affection : un œil parfois les deux étaient complètement recouverts d'une pellicule, plus ou moins flasque ressemblant plus ou moins à une phlyctène ; cette cloque contenait un produit liquide assez claire au début de l'affection et qui, devenant de plus en plus opaque de jour en jour, obscurcissait progressivement la vue jusqu'à la cécité complète. Chez aucun des malades n'existaient des signes d'inflammation. Jamais je n'avais vu décrire une affection de ce genre se présentant dans de pareilles conditions et j'avoue ma perplexité dont toutefois je ne laissais rien paraître ; au contraire, je promis aux malades de les soulager et peut-être de les guérir. J'avais beau interroger tout le monde, comparer les cas, la façon de vivre de ceux qui étaient atteints et de ceux restés indemnes, les habitations des uns et des autres, rien n'avait pu m'éclairer sur l'étiologie de l'affection. Ce fut tout à fait par hasard que j'appris que certains soirs une nuée de petites mouches provenant des bords marécageux de la rivière s'abattaient sur le village et s'introduisaient partout. Je songeai dès lors qu'il ne fût pas impossible que ces mouches fussent la cause de l'affection, soit en piquant l'œil, soit en y déposant un produit nocif comme par exemple leur ponte, et c'était d'autant plus plausible qu'en dehors du village, au camp même, personne n'était atteint.

        Dès le lendemain, j'entrepris une intervention, je choisis quelques sujets et avec l'aide du sergent Bongo et de mon boy Ali, je réussis à enlever du bistouri la pellicule assez épaisse qui voilait les yeux malades et je les recouvris d'un bandage avec l'ordre de le laisser en place. J'étais déjà très encouragé par les déclarations des patients qui après l'opération disaient voir la lumière du jour mais je fus agréablement surpris en constatant dès le lendemain la guérison complète de mes opérés. A part quelques reliefs de peau qui agaçaient encore la vue, l'œil était redevenu sain et la vue normale. Je pus même constater que chez un de mes patients, sur lequel je n'avais pu achever l'opération, le résultat était tout à fait pareil et qu'il suffisait donc d'ouvrir la phlyctène et d'en évacuer le contenu. Je ne décrirai pas l'enthousiasme de mes patients ni la hâte d'une nouvelle clientèle désireuse de se faire opérer à son tour, qu'il suffise de savoir qu'à part un ou deux d'entre eux, auxquels il resta une plaie, tous les opérés s'en tirèrent sans dommage.



       Quoique n'étant pas tout à fait sûr de l'étiologie de cette affection je conseillai d'abandonner le village, ce que le capitaine Debonnaire s'empressa d'ordonner ... ».

       Mais le docteur Meyers n'est pas fait pour être médecin d'un camp et son tempérament aventurier le pousse à demander au Baron Dhanis la permission d'accompagner l'expédition que celui-ci met en place pour aller à la rencontre des révoltés. Dhanis accepte la collaboration du jeune médecin et bientôt la colonne se porte sur Nyangwe. De cette ville, le lieutenant Doorme est chargé de se rendre dans la direction du lac Kivu. Le docteur Meyers le seconde. Le départ est donné le 29 septembre 1897. La route est pénible, les sept blancs de l'expédition se partagent les gardes nocturnes. Les trois heures de garde, nous racontera le docteur Meyers plus tard, étaient un vrai cauchemar surtout lorsque le temps était mauvais, les soucis de la responsabilité augmentaient l'acuité du moindre bruit. En outre, le moindre incident pouvait être rendu dramatique par le manque de lumière. Les quelques bougies étaient trop précieuses pour en faire un usage fréquent...

       Mais la route se poursuit et les vivres devenaient rares. Vers le 15 novembre, l'expédition est à une dizaine de kilomètres de l'ennemi. Elle s'installe dans une position qu'elle fortifie à Mloza où la troupe peut se reposer avant le combat. Le Dr Meyers profite du répit accordé pour écrire au Commandement supérieur la lettre suivante :

       « La route que nous suivons depuis Nyangwe est des plus détestables : marais, forêts, montagnes, rien n'y manque pour la rendre plus fatigante. Les pluies continuelles nous trempent jusqu’aux os et nous maintiennent dans un bain forcé du matin au soir et bien souvent du soir au matin…

       La dysenterie et la pleurésie font rage, les médicaments sont épuisés ainsi que mes provisions personnelles, dans quelques jours je serai forcé d'assister les bras croisés à l'agonie de tant de braves que je ne pourrai soulager et je frémis à l'idée qu'un blanc pourrait tomber sérieusement malade ... »

       Le docteur Meyers ne laisse cependant pas tomber les bras, il décide de retourner avec quelques compagnons au camp de base de Tope tope pour y rechercher le matériel laissé là pour ne pas alourdir l'expédition.

       Pour effectuer cette mission il est cependant obligé de retraverser les terrifiants marécages qui avaient coûté la vie à plusieurs porteurs lors de la marche vers Mloza. Avec un humour noir, sans doute pour masquer l'émotion et l'horreur qui l'étreignit, le docteur Meyers décrira longuement dans son livre les macabres découvertes qu'il fit alors.

       « Certains porteurs gênés par la pluie et alourdis par leur charge n'avaient pu se dépêtrer de la boue et étaient morts enlisés, n'ayant même pas lâché leur charge ; des hordes de fourmis s'étaient acharnées sur ces proies faciles et en avaient fait de splendides sujets pour un musée d'ostéologie ... ».

       Mais la marche de la petite colonne n'est pas ralentie pour autant et le camp de Tope est rapidement atteint. Le matériel est chargé et sans s'attarder, le docteur reprend le chemin de Mloza où l'attend avec impatience son ami le lieutenant Doorme.



Assis (à droite sur la photo) on distingue de gauche à droite, le Lieutenant Doorne et le Baron Dhanis compagnons de combat du Dr Meyers.

       Mais une rencontre imprévue va retarder le retour : celle de deux éléphants en train de ravager une plantation !

       « Mon boy et Epondo insistaient pour que je tue un de ces éléphants car l'expédition manquait de viande fraîche... Je finis par me laisser convaincre et la caravane fît halte. Epondo et moi approchâmes des deux éléphants, chacun ayant choisi sa cible, nous fîmes feu et ma victime s'écroula sans coup frémir. Je m'émerveillai de mon coup de feu, quand un cri angoissant appela mon attention du côté d'Epondo. Celui-ci n'avait fait que blesser la bête qui rendue furieuse accourait sur son assaillant rendu immobile par la frayeur.

       Heureusement l'éléphant atteint à la hanche ne savait pas précipiter sa course et j'eus le temps de recharger mon Albini. Je fis feu. L'éléphant qui n'était plus qu'à quarante mètres d'Epondo tomba... Je me retrouvai affalé et j'épongeai la sueur de mon angoisse, quant à Epondo, il ne me dit rien mais son regard était plein de reconnaissance ». On devine la joie des six européens et des soldats quand le Dr Meyers fit son entrée au camp de Mloza chargé de caisses de matériel et ramenant de la viande d'éléphant pour tout un régiment !

       Mais l'heure du combat approche ; le 18 décembre l'ennemi est repéré au camp de Boka, il semble ignorer la proximité de l'expédition belge. Le lieutenant Doorme charge le Dr Meyers de remplacer au combat le lieutenant Tombeur malade. Notre médecin est commandant de l'avant-garde, le lieutenant Melaerts le seconde. Quelques heures avant l'assaut, des appréhensions bien légitimes envahissent les officiers rendus anxieux par l'attente du combat.



Lt Melaerts, A.-G.-C. – Bruxelles, 1870 ; Bako, 1897.

       « C'est la première fois que le lieutenant Melaerts et moi-même allions au feu. L'un et l'autre espérions nous conduire courageusement et subir l'épreuve du feu avec succès, pourtant nous allions affronter cette épreuve avec des sentiments différents : Melaerts, agité de pressentiments sinistres croyait sa mort prochaine ; quant à moi, une fois pour toute je m'étais ancré dans l'idée : « ce qui est écrit est écrit ».

       Les soldats s'élancent enfin, l'assaut est donné. Les balles sifflent et plusieurs soldats du docteur Meyers tombent. Le sergent Motobenza est atteint d'un projectile dans le ventre ; un des clairons, une balle dans la poitrine veut continuer et vomit son sang et son souffle dans l'instrument. Soudain Melaerts qui veut rejoindre la position du docteur Meyers s'écroule sur le sol ; « ils m'ont tué » gémit-il et presque aussitôt il expire avec un dernier cri « maman ».

       La victoire est cependant acquise et le combat vaut une citation au Dr Meyers. Hélas sur 150 soldats, 21 avaient été tués et 43 blessés, de plus un vaillant officier avait payé de sa vie ce succès.

       Mais l'expédition Doorme ne peut jouir longtemps de sa victoire car les rebelles décident de venger l'anéantissement de leur camp et le 10 janvier, ils se ruent à l'assaut des troupes régulières. Doorne est obligé de battre en retraite. Le Dr Meyers s'en tire de justesse. Il écrira à son chef : « J'étais parti avec une quarantaine de soldats lorsque brusquement je me trouvai en présence d'une troupe de révoltés blottis derrière un talus et prêts à tirer. Je me suis cru perdu lorsqu'une voix puissante se mit à crier « Utaki », « Utek ! Bwana Manga » ce qui signifie : laissez, ne touchez pas au docteur ! Un des révoltés faisait des efforts désespérés pour écarter le danger qui me menaçait et je crois bien avoir reconnu le sergent Bango Bango que j'avais soigné au camp de La Romée. Son intervention me sauva la vie, mais elle fut fatale à la sienne... Mes soldats s'étaient en effet ressaisis pendant que les révoltés hésitaient et un combat s'était engagé, qui fût de courte durée ».

       La retraite se poursuit donc, le capitaine Doorme décide de rallier Nyangwe avec les soldats encore valides le plus rapidement possible, tandis que le Dr Meyers et le lieutenant Adlerstrahie sont consignés avec les blessés et leur détachement respectif à Kitenge-Tenge. Pour ces deux officiers, il s'agit maintenant d'occuper la troupe pendant de longues journées d'attente : « Adlerstrahle et moi, restés à Kitenge-Tenge étions assez facilement parvenus à rassurer ceux de nos hommes que les nouvelles alarmantes avaient un moment troublés. Il s'agissait maintenant de concentrer nos efforts pour leur rendre la confiance en eux-mêmes et les occuper toute la journée; l'inaction et la paresse étant les pires conseillères d'indiscipline ! De grand matin nous faisions sonner le réveil, suivi bientôt de la parade, ensuite exercices variés, organisations de reconnaissances, instructions et théories prenaient presque toute la matinée. L'après-midi nous organisions des exercices en campagne, puis Adlerstrahle et moi tous deux sportifs fervents, nous faisions des démonstrations d'escrime ; la boxe, la lutte, la natation avaient leur tour, et ce à la grande joie de nos soldats auxquels nous donnions des leçons suivies de jour en jour avec plus d'ardeur ... 

       Suivant mon habitude, le soir après la parade je donnais des petites conférences sur des sujets divers et mon auditoire toujours assez nombreux me posait parfois des questions assez épineuses où je crus quelquefois retrouver le malin plaisir qu'avait Adlerstrahle à me poser des colles. Une fois, parlant des mœurs européennes, j'avais déclaré que la monogamie régnait partout et que les blancs ne désespéraient pas de la voir adoptée par les noirs. Je fus accueilli par des protestations indignées dont Epondo se fit l'interprète : « Dès qu'une femme est enceinte tous rapports sexuels sont supprimés et ce jusqu'à ce que la période d'allaitement, qui dure parfois deux à trois ans, finisse. Si nous n'avons qu'une femme, que devons nous faire, vous ne voudriez tout de même pas que nous prenions celles des autres ? »

       Mais nous savons que le Dr Meyers n'est pas fait pour une vie de camp, il décide de mener seul une petite reconnaissance loin du camp de Kitenge-Tenge. Mal lui en prit ! Il se perd dans les marais et est obligé de passer la nuit dans ceux-ci. Exténué, il est obligé de s'attacher à un tronc d'arbre pour ne pas s'enliser dans la boue. Le lendemain, il retrouve son chemin et prend bien soin de se baigner dans la rivière pour atteindre le camp, frais et dispos comme si rien ne s'était passé !

       Heureusement pour notre confrère, la vie de camp s'arrête subitement. L'ordre de rejoindre Lokandu était parvenu à Adhlerstrahle pendant l'absence de Meyers. Ils arrivent dans cette localité épuisés mais font cependant impression sur Doorne en défilant impeccablement presque nus et les pieds enveloppés dans des écorces d'arbres en guise de chaussures !

       De février 1898 au mois de septembre de la même année le Baron Dhanis réorganise ses forces. Le Dr Meyers doit reprendre en partie ses occupations médicales, néanmoins il est souvent appelé à effectuer de courtes missions purement militaires, comme par exemple en ce mois d'avril 1898. Les officiers belges avaient perdu toute autorité sur les soldats du camp de Kasuku, le Dr Meyers en vertu de sa connaissance de la langue likwangula est désigné comme négociateur. Connaisseur d'hommes il parvient à faire rentrer dans les rangs les soldats indisciplinés, il décide cependant d'envoyer les trente soldats les plus récalcitrants dans un autre camp, celui du lieutenant Glorie.

       L'embarquement des trente hommes va être marqué par un incident qui devait avoir pour l'avenir du docteur Meyers une importance vitale. Ecoutons-le raconter plus tard à tête reposée cet épisode : « Les préparatifs de départ ne furent pas longs, une pirogue fut amarrée de chaque côté du steamer et les soldats embarqués dans celles-ci. Arrivé au milieu du fleuve, une brusque manœuvre du bateau imprima une violente secousse aux pirogues et un des soldats fut projeté à l'eau. L'homme était tout équipé et l'accident menaçait d'être sérieux.

       J'étais sur le pont du bateau et je fus à l'eau presqu'aussi vite que lui, j'avais bondi sous l'influence de ce réflexe que connaissent bien tous les adeptes de ce sport et il n'y eut de ma part aucune idée de dévouement ni d'humanitarisme quelconque, je ne courais du reste aucun danger sérieux étant un nageur expérimenté. Pourtant et malgré l'aide d'un homme d'équipage qui s'était jeté à l'eau après moi, j'eus quelque peine à ramener la victime inanimée et il me fallu de longues minutes et toutes les manœuvres usuelles pour le rappeler à la vie. Entre-temps le bateau ayant accosté, les camarades du pseudo-noyé qui avaient assisté à toute la scène manifestèrent une joie exubérante : c'était leur chef que j'avais repêché, le fils d'un Likwangula très puissant ; son nom était Punda.

       Après avoir subi leurs remerciements et reçu leurs protestations de dévouement, nous nous séparâmes ; nous devions nous retrouver plus tard dans des circonstances très graves. »

       Juin 1898, la situation militaire est inquiétante, les rebelles continuent leur marche lentement vers Nyangwe, ils prennent d'assaut le poste d'Uvira et tuent le Commandant Debergh. Ce grave échec est cependant adouci par la victoire brillante du Lieutenant Glorie près du lac Kivu.

       Néanmoins, pour enrayer la progression des milliers de rebelles, Dhanis dresse les plans d'une rencontre décisive avec le gros des troupes ennemies. Malheureusement ce brillant soldat est rappelé en Belgique pour rendre compte d'une guerre qui s'éternise de trop au yeux des belges, mal informés du nombre important des rebelles et de leur armement moderne.

       Le Major Van Gele le remplace avec une toute autre politique : il faut maintenant négocier avec les rebelles et l'attaque décisive est reportée sine die. Les rebelles ne voient cependant dans ces négociations qu'une preuve de faiblesse et signe de l'épuisement de l'armée régulière et de leurs chefs. Van Gele de plus, autorise le renvoi de tous les anciens soldats, ayant terminé leur terme, dans leur famille au lieu de les maintenir dans leur cantonnement jusqu'à la fin de la campagne.

       Cette politique ne tarde pas à avoir de funestes conséquences : les blancs perdent la confiance des indigènes et des arabisés qui commencent à douter de la bataille. Quant aux soldats, ou bien ils sombrent dans l'indifférence et l'ennui, ou bien comme les soldats du Lieutenant Glorie qui pourtant s'étaient couverts de gloire, au départ de leur chef vers l'Europe, ils prennent le maquis, écument le pays et les habitants après avoir désigné leur propre commandant noir.

       A la mi-octobre 1898, on peut apercevoir l'ampleur du dèsastre : Sungula est tombée aux mains des rebelles, le Capitaine Lardy et le sous-officier Ardevel ont péris après avoir en vain essayé de sauver leur station. Par bonheur, le Gouverneur Van Gele s'aperçoit à temps des nombreuses erreurs commises. Il rappelle le baron Dhanis, qui à Boma était sur le point de s'embarquer vers l'Europe. Malgré une situation militaire fortement dégradée depuis son départ Dhanis accepte de revenir et le 10 novembre il atteint Nyangwe.

       Manquant cruellement d'officiers, le baron Dhanis confie à nouveau au Dr Meyers des occupations guerrières.



Billet du Vice-Gouverneur Général Baron Dhanis, au Dr Meyers

       En premier lieu, il est chargé de ramener à l'ordre les soldats du Lieutenant Glorie qui, on l'a vu, n'acceptaient plus aucune autorité depuis le départ de leur chef. Il remplit sa mission avec efficacité et tact et fait aussitôt rapport de celle-ci à son chef : « En quittant Kasongo le 15 au matin, je ne pouvais prévoir l'heureuse et vive surprise qui m'attendait ; j'étais parti sous prétexte de chasse et n'avait avec moi que mon boy Likwangula. A peu de distance de Kasonqo m'attendait une délégation de quatre hommes qui me présentèrent respectueusement les armes en me disant qu'ils allaient me conduire sous escorte à leur camp. A quelques distances de là, la troupe entière était réunie, deux cent hommes environ que quelques commandements brefs de leurs chefs amenèrent à me rendre les honneurs avec un ensemble et une correction absolus. Puis un grand diable s'avança, galonné sur toutes les coutures et portant l'attirail du chef Linkwangula, il me souhaita la bienvenue et d'un geste jeta à mes pieds tous les insignes de commandement dont il était affublé. « Dorénavant je ne suis plus le chef me dit-il, c'est à vous qu'il appartient de nous commander, vous qui m'avez sauvé la vie ». Les cris sauvages et enthousiastes de tout le détachement semblèrent confirmer cette déclaration. J'étais loin de m'imaginer que ma mission serait si facile, mais je reconnu vite le sergent Likwangula que j'avais retiré de l'eau quelques mois auparavant. C'était lui que l'on surnommait « Punda » et qui commandait cette bande d'indisciplinés et de forbans ! Je m'empressai de leur faire comprendre leurs torts et m'engageai à les faire pardonner à condition que désormais ils seraient, parmi tous les soldats, les plus disciplinés et les plus courageux, comme l'avaient d'ailleurs toujours été les vrais Likwangulas ». Grâce au docteur Meyers, l'effectif des troupes régulières se recomplète, mais l'avance ennemie se poursuit inexorablement et le 14 novembre, Kabambare est pris par les rebelles. Au cours de l'assaut de cette station, les lieutenants Sterckx et Rabecks sont tués ; les survivants arrivent par petits groupes à Kasongo. Le docteur Meyers, usant de diplomatie mais aussi de fermeté, rassure les fuyards et reconstitue un détachement régulier. Le temps presse, et pour sauver Nyangwe, Dhanis décide de jouer ses dernières forces pour couper la route aux rebelles.

       Dhanis charge Meyers de reprendre Kabambare. Le trente, il arrive aux abords de la station : Kabambare est vide et en feu ! Aussitôt les éclaireurs découvrent les rebelles réfugiés dans un village à quelques distances de là. Le 31 décembre à six heures du matin, l'assaut est donné au village de Bwana Debwa. La résistance est acharnée, l'aile droite du Dr Meyers, après avoir refoulé l'aile gauche de l'ennemi, arrive à contourner les positions ennemies, dés lors la victoire est assurée ! Le combat dure cependant encore une demi-heure avant que les révoltés s'encourent dans toutes les directions. Le Dr Meyers se lance à leur poursuite et accule les fuyards à la rivière. Beaucoup périront noyés en tentant de franchir cet obstacle naturel. Piani Kandolo, un des principaux chefs est tué, 25 drapeaux ennemis sont pris, la victoire est totale.

       Ecoutons l'artisan de celle-ci relater l'épisode le plus marquant de son dernier combat :

       « Je traversai le village quand une fusillade nourrie partit de quelques maisons à moitié démolies devant lesquelles nous devions passer. C'était une partie des révoltés qui s'y était blottie pour, tenter une diversion par surprise. Dés la première décharge, la plupart de mes hommes étaient tombés. Instinctivement, guidé par le sang froid que donne la rude discipline, j'avais bondi dans une des huttes qui faisaient face à celles occupées par l'ennemi et me préparai à la résistance. Durant un instant les révoltés furent indécis, mais bientôt plusieurs d'entre eux sortirent de leur refuge et l'arme à la main s'élancèrent vers nous. Je visai soigneusement et lâchai mes deux coups, la charge se répartit à merveille et plusieurs ennemis furent touchés, de leur côté mes deux soldats avaient abattu chacun leur homme. Notre position semblait cependant désespérée et j'avais peu d'espoir d'être secouru à temps. Pendant quelques secondes, je me crus perdu. J'avais côtoyé le mort assez souvent et d'assez prés pour ne pas la craindre mais j'étais vexé de perdre la partie au moment où je pouvais la croire gagnée. Cependant les coups de feu continuaient et je songeai déjà à la dernière balle de mon revolver lorsque, non loin de moi, un clairon sonna la charge ; je vis bientôt apparaître Kameleke qui en toute hâte avait rallié quelques soldats et arrivait à la rescousse. Il y avait là le sergent Basembele, le sergent Evete, quelques Babuas, qui dans une charge furieuse arrêtaient la retraite des révoltés et les exterminèrent jusqu'au dernier.

       Hélas, ce ne fut pas sans pertes cruelles : Basembele et Evete avaient été tués ainsi que deux soldats ... »

       Le terme du docteur Meyers en Afrique approchait. Sa dernière victoire devait conduire à la défaite totale des rebelles. Il avait fait preuve d'un talent de chef inné. En écrivant son livre Meyers, somme toute, nous raconte ses aventures, néanmoins on y découvre aussi l'origine de l'Etat Indépendant du Congo, c'est-à-dire l'héroïsme de quelques chefs blancs et de centaines de sous-officiers et de soldats noirs.

       En février 1899, le docteur Meyers rentra en Belgique. Il fut alors engagé par le Comité du Katanga pour une durée de deux ans. Des raisons de santé l'obligèrent cependant à rentrer en Belgique plus tôt que prévu, le 14 juillet 1902.

       Il continua alors sa carrière militaire d'abord comme médecin de bataillon du premier régiment des Guides, puis comme officier à l'Etat-Major du service de santé. Pendant la guerre 1914-1918, le docteur Meyers, à sa demande, est envoyé au front. Lors de l'armistice, il est envoyé à l'Etat-Major de Bruxelles où il reste jusqu'en 1924, date de sa mise en disponibilité. Il quitta l'armée avec le grade de Colonel médecin honoraire.

       En 1952, le Dr Meyers revit une dernière fois l'Afrique, étant un des invités d'honneur de la Compagnie des Chemins de Fer du Congo qui célébrait le demi-siècle de son existence par de grandes festivités. C'est ainsi qu'il eut l'honneur d'assister à l'inauguration du monument de Tongoni où reposent Lippens, De Bruyne et d'autres héros de la campagne anti-esclavagiste.



Monument élevé à Adranga, par la Ligue du Souvenir Congolais, à la mémoire des héros de la Campagne Batela

       Le Dr Meyers s'éteignit à Bruxelles en 1963 à l'âge de nonante trois ans.

Dr P. Loodts

 

 

Bibliographie

- Le prix d'un empire par le Dr Meyers.
Presses académiques européennes (1964), Bruxelles.
- A nos héros coloniaux morts pour la civilisation; Ligne du souvenir congolais, Bruxelles.



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