Médecins de la Grande Guerre

Commémoration du cinquantenaire de la bataille de Maissin en 1964.

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COMMEMORATION DU CINQUANTENAIRE DE LA BATAILLE DE MAISSIN[1]

GRAND PELERINAGE DES ANCIENS DU 11ème CORPS D'ARMEE A MAISSIN EN AOUT 1964

       On se souviendra, non sans émotion, que c'est en 1964 que la commune de Maissin fit une manifestation grandiose à l'occasion du Cinquantenaire de la bataille des 22 et 23 août, sous la direction de son bourgmestre, M. Hector Dom et de ses Conseillers.

       Maissin ! La première bataille de la grande guerre où Bretons et Vendéens du 11e  Corps s'illustrèrent à jamais.

       Maissin ! Où dans la grande nécropole Pierre Massé reposent, en si grand nombre, nos frères d'armes, glorieuses victimes de ce sanglant combat victorieux.

       Maissin ! Où fut érigé, en 1932, le calvaire Breton du Tréhou, petite parcelle de la terre d'Armor, dont le grand Crucifié veille sur leur dernier sommeil.

       C'est en 1930 que Les Cahiers du 19e Régiment d'Infanterie virent le jour. Son fondateur : Pierre Massé, de Brest.

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       Le 2 février 1960, la France émit, entre autres, cinq timbres poste, à cinq de ses héros de la Résistance. Citons : Pierre Massé, 1879-1942 ; Maurice Ripoche, 1895-1944 ; Léonce Vieljeux, 1865-1943 ; L'abbé René Bonpain, 1908-1943 ; Edmond Debeaumarché, 1906-1959.

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Samedi 22 août 1964, à Maissin, – Les cérémonies.

       Au réveil, nos pèlerins découvrent de leurs fenêtres le magnifique panorama de la coquette cité de Bouillon, toute blottie le long des rives de la Semois, au pied de l'antique château de Godefroy de Bouillon magnifiquement éclairé par un soleil resplendissant. Aussi rapidement, la visite de la ville s'organise par petits groupes.

       Mais le temps presse et à 11 H 30, tout le monde fait honneur à l'excellent menu de l'hôtel.

       A 12 H 30, chacun prend place dans son car respectif et, à travers la forêt, on s'en va vers Paliseul. Ici, les souvenirs se précisèrent. Voici la place, à droite la route d'Anloy, prise par le 2e Bataillon du 19e R.I., flanc-garde de droite de la 22e division ; en face, la route de Maissin, route bordée d'arbres par où s'engagèrent les 1er et 3e Bataillon du régiment formant l’avant-garde du 11e C.A. ; voici la ferme Bellevue sur la gauche, l’ancien passage à niveau du petit chemin de fer vicinal, le bois d'Hautmont à droite et enfin, devant, les, toits et le clocher du village de Maissin.

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LA RECEPTION DE LA DELEGATION LORS DU CINQUANTENAIRE

DE LA BATAILLE DE MAISSIN

       Une banderole et un petit groupe tout à coup se profilent. Il est 13 H ; les cars s'arrêtent à une centaine de mètres, ainsi que les voitures particulières dont celle de Maître Lombard, maire de Brest, accompagné de ses adjoints et du capitaine de vaisseau Drogou, représentant l'amiral Amman, préfet maritime de Brest.

       Le cortège se forme, le drapeau du Régiment en tête, porté fièrement par le commandant Segalen, suivi des deux drapeaux de l'U.N.C. et de toute la délégation conduite par le président d'honneur de l'Amicale du 19e R.I., le général de Division Haseler : le président, commandant Calvez ; le vice-président, lieutenant-colonel Mallégoll.

       A l'entrée de la nouvelle route bordant la lisière Nord du bois d'Hautmont, une banderole est dressée portant l'inscription : « Bienvenue à nos amis français », sous laquelle les accueillirent : MM. Léon Lebutte, échevin de Maissin, prisonnier de guerre 1940-1945 ; Numa Crasset, président des Anciens Combattants ; René Wéra, résistant armé 1940-1945, président du Comité de Maissin du Cinquantenaire.

       Les cloches sonnent à toute volée dans un ciel pur, identique à celui du 22 août 1914.

       Souhait de bienvenue. Remerciement de la délégation française.

       Le cortège est accueilli par « La Marseillaise » et « La Brabançonne » exécutées par l'harmonie « La Cécilia » de Paliseul, suivies de la sonnerie si pathétique du « Salut au drapeau » du 19e R.I.

       Le bourgmestre de Maissin, M. Dom, ayant à ses côtés MM. Cornil, secrétaire général au Ministère de la Justice ; Landenne, commissaire d'arrondissement ; Arnould, député permanent ; les membres du Conseil communal et du Comité du Cinquantenaire et d'autres personnalités, reçoit la délégation, fait les présentations et prononce une allocution au micro. Ensuite, le président H. Calvez et le président N. Crasset, anciens combattants des deux guerres, dévoilent l'inscription, pendant que les clairons sonnent au champ, au milieu de l'émotion générale. On y lit :

LE MEMORIAL AU 19e  RI DE BREST

BATAILLE DES ARDENNES

MAISSIN 22 ET 23 AOUT 1914

       Le 22 août 1914, le 1ge Régiment d'Infanterie de Brest s'élança de la lisière du bois de Hautmont, à l'assaut de Maissin qu'il enleva à la baïonnette après une lutte meurtrière et au prix de lourdes pertes. Gloire et reconnaissance aux héros de ce vaillant régiment breton. La gendarmerie de Libin formant une garde d'honneur. Puis M. le Curé de Maissin procède à la bénédiction du Mémorial.

       Ce monument d'art moderne, très beau dans sa simplicité, est l'œuvre de Rémy Cornerotte, jeune prêtre et artiste. Au centre, une croix noire dont le montant est une longue baïonnette. De chaque côté, deux éléments de pierre très blanche, entre lesquels un vide est aménagé, qui semblent s'affronter comme pour un combat.

       Les rescapés de l'assaut, dont certains reviennent à Maissin pour la première fois, sont saisis d'une intense émotion, en revoyant presque tel quel le paysage magnifique du village, qu'ils n'avaient fait qu'entrevoir, dans une course effrénée, le 22 août 1914.

       La commune, par une délicate attention, a voulu permettre un accès plus facile au mémorial et a construit une route directe partant du village. C'est cette route qui va être inaugurée. A cette rue, le nom de cet officier supérieur, jeune caporal et benjamin du régiment, le 22 août 1914, de ce grand ami de la Belgique et de Maissin, le lieutenant-colonel Joseph Mallégoll. Visiblement très ému, il remercie de tout cœur. Dans son discours, il dit : « L'honneur qui m'est fait aujourd'hui, je le reporte sur mes glorieux camarades qui trouvèrent ici une mort héroïque, soit dans Maissin, soit dans l'attaque du moulin vers Villance, soit dans la traversée du, vallon séparant Burnonbois du bois de Hautmont, repli commandé pour éviter l'encerclement, sous les feux de flanc de l'ennemi.»


       Le président Calvez narra les principaux épisodes des combats de Maissin, précisa la situation critique dans laquelle se trouva un moment, vers 17H 30, le 11e CA ; où la route Paliseul-Maissin, seul axe de communication vers l'arrière, faillit être coupée par une très forte contre-attaque allemande de flanc. Il termina par une évocation de la nuit tragique du 22 au 23 août où l'amalgame d'unités de la 22e Division résiste, sous les ordres du colonel Chapès, commandant le 19e R.I. au milieu des incendies, à trois contre-attaques allemandes.

       M. Lombard, maire de Brest, remercia à son tour et dit en substance : « Comment Brest pourrait-il oublier que les blessés ont été secourus par les habitants de Maissin, qui ont fait preuve d'un héroïsme simple et tranquille ? Maissin incarne pour nous la Belgique, chevaleresque, noble et généreuse. »

       Puis, le maire de Brest offrit à son collègue de Maissin, dans un entourage artistique, une reproduction des lettres patentes de Charles X conférant à la ville de Brest ses armes actuelles : les lys blancs sur fond bleu.

       Enfin, le général Hassler, au nom de la délégation, pria M. Dom de faire parvenir au roi Baudouin et à la reine Fabiola un télégramme de respectueux hommages.

       Après l'inauguration de l'avenue de France, prolongement de la route Paliseul-Maissin, c'est la rue « Commandant Henri Calvez », président de l'Amicale des Anciens du 19e R.I. depuis 1933, lui aussi est un des héroïques anciens combattants de Maissin. Cette rue, de l'Avenue de France, rejoint le cimetière militaire Pierre Massé. II est un vieux et fidèle pèlerin de Maissin, puisqu'il assistait, en 1929, aux côtés de Pierre Massé, au premier pèlerinage, très émouvant d'ailleurs.

       Dans son discours clair et précis, le président remercie le bourgmestre et dit notamment : « Vous avez tout à l'heure parlé de la France et de son héroïsme, vous avez oublié de parler de l'héroïsme de la Belgique. Je suis heureux de saisir cette occasion pour rendre un vibrant hommage à l'armée belge. Les historiens, malheureusement, ne mettent pas assez en lumière l'héroïque résistance des forts de Liège sous le commandement du brave général Leman, aux premiers jours de la guerre. N'oublions jamais, dit le président, que cette résistance qui dura onze jours dans des conditions atroces arrêta l'avance allemande et, pendant ce temps, a permis à la mobilisation française de se dérouler sans difficultés et aux grandes unités de couverture de rejoindre en temps voulu leurs positions à la frontière. »

       Le 22 août 1964, fut inauguré sur la crête du Spihou, le mémorial Pierre Massé, Ce mémorial, placé immédiatement à l'entrée de la nécropole est constitué par un massif de maçonnerie rectangulaire sur la façade duquel est fixée une plaque portant l'inscription suivante :

CIMETIERE PIERRE MASSE

ARDENT ANIMATEUR DU COMITE

DU CALVAIRE BRETON ET DE L'AMITIE

19e R.I. MAISSIN

ANCIEN COMBATTANT DE MAISSIN

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       C'est grâce à la documentation de l'un d'eux, information du président Henri Calvez, que j'ai l'honneur de glaner les faits (sic). La couverture est rehaussée par cette phrase :

GARDEZ-VOUS DU FEU ET DE L'EAU.

ET DU REGIME DE SAULT. (Suze, 1629)

       Devant le mémorial près duquel se tiennent Mme et M. Bouteiller, sœur et beau-frère de Pierre Massé et en présence de nombreux Français, le bourgmestre de Maissin prononce une allocution. Il rappelle avec émotion ce que fit Pierre Massé, secrétaire général et historien de l'Amicale des Anciens du 19e, écrivain et héros de la « Bataille de Maissin ».


Pierre Massé.

       « C'est à Maissin, dit-il, que le 19e R.I. reçut le baptême du feu. Y reposent des milliers, de ses camarades de jeunesse, glorieux compagnons d'armes d'août 1914.

       « Pierre Massé n'est-il pas celui qui, avec le précieux concours de personnalités finistériennes, assura avec bonheur, l'heureux transfert à Maissin du vieux calvaire du Croas-Ty-Ru, de la commune du Théhou, dont Maissin a, depuis, incorporé pour toujours l'image de son blason et à son sceau communal ?

       « C'est avec le plus profond respect que le bourgmestre a l'honneur de demander à Mme Jean Bouteiller-Massé, de bien vouloir dévoiler aux yeux de l'assistance la plaque commémorative dédiée à la mémoire de son cher et très regretté frère. »

       Des discours se poursuivent, en présence des personnalités déjà citées et de MM. Gailly, ingénieur des Eaux et Forêts, de Paulus, administrateur national de la Fédération des Anciens Combattants, de Joseph Keryell, grand mutilé, vice-président de la section parisienne de l'Amicale du 19e R.I., de Mme Noël Kerdraon, son mari grand mutilé des combats de Maissin, étant récemment décédé. M. Numa Crasset, président des Anciens Combattants de Maissin, prononce un discours des plus émouvants, chaleureusement applaudi. M. Léon Lebutte, échevin de Maissin, prend ensuite la parole :

« Puissent, chers et très grands amis français, nos deux peuples sceller à jamais une union féconde qui entretiendra toujours le souvenir de vos héros ! »

       La parole est à présent au professeur Constant Rossion, secrétaire général du Comité rnaissinois du Cinquantenaire, discours plein d'éloquence :

« Ainsi, dit-il, vous inviterai-je ce soir, à lever votre verre avec moi pour que, dans la liberté des consciences et des peuples, dans l'égalité des idéaux, dans la fraternité des cœurs, vivent la France, la Belgique et tous les peuples du monde. »

       M. R. Wéra, président du Comité du Cinquantenaire, de Maissin, prend le dernier la parole. Dans son discours, il rappelle la ténacité et l'enthousiasme avec lequel son cher secrétaire Pierre Massé a noué les relations très cordiales avec tous les régiments alliés de la guerre 1914-1918 ayant porté le n° 19 et, parmi eux, naturellement le 19e de Ligne belge, dont la fraternelle constitue une association sœur.

       Ces relations ont même pu être renouées avec les régiments, écossais de la Black Watch qui avaient combattu à leurs côtés, en juillet 1915, à La Boisselle, dans la Somme et être étendues au 19e anglais The Green Howards.

       C'est pourquoi sera déposée au monument aux morts, cravatée aux couleurs de la Black Watch, une gerbe offerte par nos amis écossais qui ont voulu honorer leurs frères d'armes maissinois disparus.

       Le général Arbrithnott, commandant la Black Watch, le lieutenant-colonel Fortune, commandant les 6-7 bataillons de ce régiment, le secrétaire W.B. Wilson et le lieutenant-colonel Patrick Forbes, commandant le régiment « The Gordon Highlanders », vous adressent par notre intermédiaire, leurs sentiments de fraternité combattante. »

       Tous ces discours furent chaleureusement applaudis dans une merveilleuse ambiance d'amitié et de fraternité.

       Mais il est près de minuit et il faut aller prendre du repos, car demain sera encore une journée très chargée.

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Dimanche 23 août 1964.

       Maissin ! Un nom qui claque comme un drapeau au vent.

       7 heures. Sur Maissin abondamment pavoisé aux couleurs franco-belges et coquettement fleuri, le jour s'est levé magnifique. Déjà, les rayons du soleil percent la légère brume matinale, mais déjà aussi arrive sur la place des Combattants le petit détachement du 12e régiment de Chasseurs (ABC) de Sedan qui doit fournir la garde d'honneur du glorieux drapeau du 19e Régiment d'Infanterie. Il est immédiatement confié aux soins dévoués de M. Bourguignon, toujours omniprésent.

       8 H 45. Des cars militaires stoppent sur la place. En descend le peloton des élèves officiers de l'Ecole des Troupes blindées d'Arlon, placé sous le commandement du lieutenant Ruzette et qui doit participer aux cérémonies du Cinquantenaire.

       9 H. Le général Guérin, commandant la 3e Région militaire à Rennes, fait son entrée à Maissin. Il est accompagné du lieutenant-colonel Chaumat-Rozier et de son Etat-Major. Ils sont immédiatement reçus à l'Hôtel de Ville par M. Dom, bourgmestre de Maissin.

       9 H 15. Le peloton des troupes belges s'aligne sur la place des Combattants, face à l'Hôtel de Ville. Derrière cette formation, tous les drapeaux des sociétés patriotiques se placent sur un rang. Une foule de spectateurs garnit, la place, à croire que tous les Ardennais se sont donné rendez-vous à Maissin, Le service d'ordre maintient le public dans les limites autorisées.

       9 H 25. Des commandements retentissent. La troupe présente les armes aux généraux Guérin et Hassler et au colonel Remience, commandant militaire de la province de Luxembourg pendant que les clairons sonnent « aux champs », sonnerie suivie de « La Marseillaise » et de « La Brabançonne ».

       9 H 30. Les voilà ! Tous les regards se portent vers l'avenue Albert 1er : c'est le glorieux drapeau du 19e R.I., porté par le lieutenant Lalanne et entouré de sa garde d'honneur en tenue de fantassins de 1914, écussonnée au n° 19. Tout le monde s'est tu. L'instant est solennel, émouvant. Le drapeau et sa garde se placent au centre de la formation belge.

       Le général Hassler, Grand-Croix de la Légion d'honneur, président d'honneur de l'Amicale du 19e R.I., ancien soldat du 19e et ancien commandant de la 22e Division d'Infanterie dans laquelle le 19e se trouvait en 1939-1940, prend le commandement des troupes et fait rendre les honneurs au drapeau.

       A travers les rangs serrés des spectateurs, le cortège s'achemine vers le cimetière Pierre Massé où la messe du souvenir doit être célébrée.


Plaque commémorative à l’entrée du cimetière de Maissin. (photo D. Delcambre)

       Au cimetière, des commissaires guident les autorités, et les délégations vers les emplacements réservés. Le public, faute de place à l'intérieur, se range autour du cimetière sous les sapins et dans les prés. Le drapeau du 19e et ceux des associations entourent la Rotonde – l'atrium – au fond du cimetière.

       10 H. Arrivée du représentant de Sa Majesté le Roi.

       A sa descente de voiture, les honneurs sont rendus au général Boussemaere, représentant Sa Majesté le Roi Baudouin, en présence du colonel Remience.

       Le bourgmestre de Maissin, accompagné de son Comité du Cinquantenaire, reçoit le représentant du Roi. Enfin, à l'entrée de la nécropole, Son Excellence Mgr Favé, évêque auxiliaire de Quimper et de Léon, et M. Rock, curé de Maissin, accueillent le général et le conduisent à son prie-Dieu placé à droite de l'autel dressé devant le socle du vieux calvaire du Tréhou.

       La messe-souvenir du Cinquantenaire. C'est Mgr Favé qui officie.

       Au cours de 'l'office divin, les sonneurs de trompes du Royal-Forêt de Saint-Hubert, en tenue de parade, interprètent les meilleurs morceaux de leur répertoire.

       Après l'évangile, Mgr Favé prononce un sermon de circonstance d'une très haute élévation dont nous, relevons les passages suivants :

       « Renouvelons, nous, délégués de la Bretagne et de la Vendée, renouvelons notre confiance au petit pays où tout est grand. »

       « Au pied de ce calvaire du Tréhou, enraciné ici, je me trouve un peu comme en terre bretonne : celle qui a bu le sang des nôtres, pour nous, est sacrée. Oui, ils sont venus ici. La Bretagne et la Vendée ont donné les plus fiers de leurs enfants. Comme dans un climat de cauchemar, ils sont tombés un peu comme la moisson tombe sous la tempête, un peu trop tôt.» Monseigneur va nous faire entendre son prône en langue bretonne. Cette pieuse et délicate attention émeut bien des pèlerins qui ne peuvent retenir leurs larmes.

       D'un large signe de croix, Mgr termine son prône : « - En ha no an tad, hag ail mab, hag al spered santel, evelse bezet great. »

       Appel des morts français inhumés au cimetière Pierre Massé, par le général Hassler, appel numérique par corps, d'armée, division, brigade et régiment. A l'appel de chaque régiment, il est répondu : « Morts au Champ d'honneur ».

       Avant son départ, le général Boussemaere dépose, au nom du Roi et de la Reine de Belgique, une superbe gerbe de fleurs. Le général Hassler, au nom de l'Amicale du 19e R.I., le bourgmestre de Maissin, au nom de la commune et des associations patriotiques fleurissent également ce monument.

       Dans son allocution, le générai Joseph Hassler, citoyen d'honneur de Maissin, prononce : « Que la Bretagne soit venue par Son Excellence Monseigneur Favé, Evêque auxiliaire de Quimper et de Léon, apporter un émouvant hommage aux soldats bretons tombés ici à Maissin, le 22 août 1914, c'est là un geste qui s'inscrira à tout jamais dans l'histoire de la province de Luxembourg belge et de la Bretagne. Il constitue une sorte de préfiguration de l'Europe future en voie de gestation encore difficile et, qui sait ? un exemple qui, se multipliant, pourrait devenir l'espoir et la réalisation d'une paix universelle. »

       En terminant son discours, le général dit : « Si la résurrection dressait vivants, devant nous, tous ceux qui consentirent à mourir pour que tous les hommes redeviennent frères, vous verriez, bien sûr, une forêt de baïonnettes, mais vous entendriez aussi éclater comme un tonnerre, l'immense prière des martyrs pour la paix. »

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       C'est dans la salle des fêtes du magnifique hôtel de ville, superbement décorée, qu'a lieu le banquet officiel qui groupe 160 invités. Parmi les invités déjà cités, nous remarquons : M. Collignon, président du Tribunal de première instance de Neufchâteau ; M. Morel, sous-préfet de Sedan ; M. A. Vermer, procureur du Roi à Neufchâteau ; M. P. Landenne, commissaire d'Arrondissement à Neufchâteau : M. M. Paulus, administrateur national de la fédération des Anciens Combattants de Belgique ; M. Laval, secrétaire provincial des Anciens Combattants des deux guerres ; M. le colonel Faivre d'Areur, commandant le 12e régiment de Chasseurs de Sedan.

       Le menu est exquis, accompagné des meilleurs crus de France, préparé par le fin traiteur, M. Pierre Jeangout. Il obtient tous les suffrages ; tous les invités lui firent honneur. Le service est parfaitement organisé par le personnel féminin du Relais de la Lesse qui assurait l'organisation de ces agapes. L'ambiance est magnifique, fraternelle. Que de souvenirs s'échangent entre convives ; combien d'amitiés se renouent ou s'amplifient entre les vieux et chers amis de Belgique et de France !

       Avec le champagne pétillant dans les coupes commence la série des discours ouverte par M. Numa Crasset, vétéran des tranchées de l'Yser, président des Anciens Combattants de Maissin :

       « Chers amis français, Mesdames, Messieurs, nous sommes heureux ; notre grande famille est réunie au soir de cette émouvante journée. La commune de Maissin, déjà connue par ses douleurs, par l'héroïsme de ses défenseurs, par les annuels pèlerinages, remarquable de fidélité, ce retrouve plus belle et plus fière. Vous avez tous assisté, cet après-midi, à la descente de la colline de Hautmont, et votre cœur, malgré cinquante ans de recul, a dû battre un peu plus fort, au souvenir de ces spectacles horribles. Tantôt, vous avez entendu d'éloquentes allocutions, des paroles ardentes. Et voici que maintenant m'échoit la joie de vous adresser quelques mots. Vous avez donc refait la même route qu'il y a cinquante ans, par la vallée de la Meuse, celle de la Semois, le plateau de Paliseul, pour déboucher enfin par cette belle hêtraie de Hautmont, sur le petit village aux pierres de schiste. Mais, cette fois, vous n'étiez pas en pantalons rouges, ni les armes à la main. Mais gageons que le cœur y était. Dans le fond, se remarque une belle tapisserie de l'artiste ardennaise, Huguette Liégeois, représentant la gloire paysanne des campagnards, tombés dans les combats : un jeune couple d'Ardennais, un jeune couple de Bretons, dans la gravité noble d'amours jeunes et éternelles. Bien sûr, le poids de cinquante années supplémentaires pèse sur vos épaules et, quelle que soit votre résistance, il vous fallut imposer à vos jambes et à votre esprit un petit effort ; à vos jambes (je ne dirai pas à vos vieilles jambes), pour fouler à nouveau ce sol qu'autrefois vous avez défendu, avec l'ardeur de vos vingt ans ; à votre esprit, pour reconstituer les lieux que vous avez quittés en pleine fournaise. Le village est reconstruit ; ici, une villa ; là, une route élargie ; là encore, une rue nouvelle, bordée de maisons. Vous aviez jeté un dernier regard sur le village en cendres, en ruines, et vous voici aujourd'hui devant un village coquet, élégant et fleuri. Mais après vous être accoutumés de nouveau à cette vue d'ensemble, que d'efforts encore pour repérer telle ondulation de la colline, telle haie protectrice, tel repli du terrain, celui d'un tir nourri, celui d'une course, d'un talus, d'une avance, d'un recul, d'un repos, d'une chute ! Sans doute est-ce la même Ardenne, les mêmes forêts, les mêmes vallées, mais ici, à l'endroit où vous avez laissé des murs calcinés, des trous béants, des familles désolées, à l'endroit où sont tombés tant des vôtres, à l'endroit où sont tombés tant de Poilus, héros obscurs et insoupçonnés, à l'endroit où tant de sang a corné, voilà que vous trouvez une réception officielle, une salle joyeuse, des lumières et des fleurs. Nous ne reviendrons pas sur l'amitié étroite qui unit nos deux pays, une amitié forgée dans les efforts communs, dans les dangers courus ensemble, une amitié née de nos rangs mélangés, née des mêmes victoires, Nous ne reviendrons pas non plus sur les liens subtils qui font de l'Ardenne et de la Bretagne deux régions si proches, bien que lointaines : âpreté du sol, âpreté du climat, inclémence des saisons, avec leurs mêmes conséquences sur la vie des habitants, ces rudes habitants si semblables par leurs ancestrales traditions et par leurs pratiques. A quelques pas d'ici, dans notre modeste église, il est un chemin de croix que plus d'un, et à juste titre, nous envie. C'est un chef-d’œuvre de Maurice Denis. N'y retrouve-t-on pas des ciels semblables au vôtre, et ces bleus changeants, ne seraient-ce pas des nuances empruntées aux flots changeants de vos baies ? Il est maintenant une raison plus tangible encore qui unit nos deux pays ; c'est que nous avons la garde de vos morts. Nous les associons à chacune de nos manifestations. Nous avons dû lutter autrefois pour le maintien de ces grands reliquaires et nous avons gagné. A votre tour, vous avez apporté un témoignage vivant de la pensée bretonne, ce calvaire du Tréhou, à l'ombre duquel dorment vos camarades tombés il y a cinquante ans, dans l'après-midi et la nuit tragique des 22 et 23 août 1914. Le Breton, c'est un homme calme, paisible, parfois un paysan, parfois un marin, parfois un soldat. C'est un homme de cœur et de devoir, c'est un bon Français. Vous le trouverez sur toutes les mers, sur tous les rivages. Sa destinée est donc de mourir loin des siens, loin de sa patrie. Et pourtant, sa plus chère pensée est de dormir son dernier sommeil dans son pays, dans le petit cimetière qui, chez vous, entoure le clocher, au milieu des siens, les vivants et les morts, avoir sa tombe où il a eu son berceau. Nous pensons que vos morts peuvent reposer en toute quiétude ; n'avez-vous pas apporté, de votre lointaine Bretagne, un lambeau, un morceau de cette pierre qui, chez vous, prend à chaque croisée de chemin la forme d'une croix, d'un calvaire et devant lesquels tant d'entre eux ne sont jamais passés sans faire le signe du pardon ! Nous avons veillé sur votre calvaire, nous avons entretenu avec soin votre précieux reliquaire ; nous avons cultivé l'esprit de nos enfants dans le sentiment du souvenir et, plus d'une fois, une main anonyme a fleuri une tombe tout aussi anonyme. Nous ne citons pas, ces gestes pour attendre de vous des louanges, ni des remerciements officiels. C'est tout simplement notre bon cœur qui a veillé sur des morts qui sont les vôtres et les nôtres à la fois, Car, une fois encore, si entre nous il y a des frontières, notre amitié est infiniment lointaine et profonde. Belges et Bretons n'ont-ils pas toujours eu les mêmes croyances, le même idéal, le même amour de la justice et de la liberté ? L'emblème commun de nos ancêtres ne fut-il pas la courageuse alouette s'efforçant, de ses chétives ailes, d'atteindre le soleil en chantant ? Et pensons-nous oublier la conquête romaine ? De tous les Gaulois, disait César, les Belges sont les plus braves. Soit ! Mais les Vénètes n'ont-ils pas été les derniers Armoricains à être vaincus ? Gaulois, chers camarades, nous le sommes. Du premier jour, ne l'avons-nous pas senti ? Alors, n'était-il pas élémentaire que nous acceptions la garde de cette parcelle de votre patrimoine ? Nous avons beaucoup parlé de la Bretagne. Mais la Bretagne, c'est la France, cette France qui a si souvent épousé nos destinées que nous ne voudrions en aucun cas faire de discrimination. Et si les aléas de l'Histoire ne nous ont pas toujours mis côte à côte, c'est tellement minime à côté des circonstances où nous avons marché la main dans la main vers ce souci du devoir à accomplir, de la paix à maintenir, de notre patrimoine à sauvegarder. Chers amis français, inutile de rappeler la tragique période de l'invasion de 1914 ; nos ennemis après avoir, au mépris des traités, violé le territoire belge, ont foulé aux pieds le droit des gens et les lois de la guerre, pillant, saccageant et incendiant les demeures de paisibles habitants, massacrant les populations civiles innocentes, sans distinction d'âge ni de sexe. Ils se sont attachés avec une férocité inouïe à ruiner, à faire souffrir, à martyriser la Belgique d'abord, la France ensuite. Ils ont accompli leur œuvre avec préméditation, d'après un plan froidement élaboré, en conformité des instructions émanées des écrivains allemands les plus autorisés. L'armée française et l'armée belge ont fait leur devoir, on ne peut dissocier leur mérite. Elles ont combattu loyalement, fraternellement et, à côté d'une noble attitude que déjà le monde connaît, je voudrais citer cette phrase du général Mangin à qui un officier allemand prisonnier demandait : « Est-ce que nous serons fusillés ? Non ! Nous, Français, nous ne fusillons pas. » Certes, les armées tant allemandes qu'alliées combattaient pour leur patrie et accomplissaient leur devoir, mais avec quel comportement ! D'une part, la sauvagerie teutonne ; d'autre part, l'esprit chevaleresque de la France. Maintenant, les haines se sont éteintes ; les dures leçons de la guerre ont appris aux hommes le prix inestimable de la paix sans laquelle la société court à sa ruine. Chers amis français, pèlerins de la fraternité, pèlerins de la paix, que cette réunion amicale soit un anneau de plus à la chaîne que depuis cinquante ans nous forgeons. Vive la France immortelle ! Vive la Belgique ! Vive l'amitié franco-belge !»

       Pour permettre la continuation des cérémonies prévues au programme très chargé de cette journée, le banquet officiel a été scindé en deux parties séparées par un « trou normand ».

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*          *

       La nouvelle avenue qui va être inaugurée fait suite à l'avenue Albert 1er, en direction de Rochefort. Nul emplacement ne pouvait mieux convenir, car, à quelques centaines de mètres vers le nord, se trouve l'à résidence de la famille Thomas Braun « Devant la Mambore ».

       Le bourgmestre de Maissin et le président évoquent tour à tour la belle figure du bâtonnier Thomas Braun, citoyen d'honneur de Maissin, officier de la Légion d'honneur, décédé en 1961.

       Grand ami de la France, membre de l'Académie luxembourgeoise, écrivain et poète de l'Ardenne.

       Pèlerin infatigable du souvenir, il fut, avec Pierre Massé, l'instigateur du transfert et de l'implantation en terre ardennaise, en terre maissinoise, du vieux calvaire du Tréhou qui, depuis 1932, veille sur le sommeil de près de 4.000 Français tombés au cours de la sanglante bataille de Maissin.


Le calvaire qui fut transporté au cimetière de Maissin en 1932. Le don du Calvaire de Tréflévénez, une des églises de la paroisse du Trehou, relevait donc des autorités de cette paroisse et il n’est, dès lors, pas étonnant que l’on ait considéré que le Calvaire venait du Trehou. Mais il ne venait pas de la Commune du Trehou mais de la Paroisse du Trehou et, très précisément de Tréflévénez. (photo F. De Look)

       C'est grâce à sa dignité, à son autorité et à son ascendant que le calvaire du Tréhou ne fut pas déplacé par les troupes d'Occupation, au cours de la dernière guerre.

       S'adressant à madame Thomas Braun, le bourgmestre de Maissin demande, avec le plus profond respect, de bien vouloir dévoiler la plaque portant l'inscription de la nouvelle avenue, inaugurée en souvenir du grand homme de bien, en souvenir de ce géant des Lettres françaises de Belgique. M. l'abbé Hubert Braun, révérend curé de « Les Hayons », remercie avec une vive émotion, M. le Bourgmestre et l'Administration communale au nom de sa famille.

       L'honneur de couper le ruban symbolique, barrant l'avenue revient au jeune Thomas Braun, petit-fils du bâtonnier.

       Suivant l'avenue, les autorités et le public se dirigent alors vers le monument commémoratif dont l'inauguration doit avoir lieu sous la présidence de Son Excellence l'Ambassadeur de France à Bruxelles.

       A la sortie nord-est de Maissin, dans le triangle formé par l'avenue Thomas Braun et la nouvelle rue de Brest, point qui marque sensiblement la limite atteinte par les troupes françaises dans la soirée du 22 août 1914. C'est un cylindre blanc, à ciel ouvert, sur lequel, extérieurement, se détachent des ferronneries stylisées qui rappellent les combattants à l'assaut.

       Devant l'entrée du monument et à droite, un cube de schiste porte l'épigraphe suivante :

MAISSIN

A LA GLOIRE DE LA FRANCE

ET EN SOUVENIR DE SES FILS BRETONS ET VENDEENS

DU XIe CORPS D'ARMEE

TOMBES ICI LES 22 ET 23 AOUT 1914.

L'HOMMAGE FIDELE ET RECONNAISSANT DE LA COMMUNE

DE MAISSIN QUI SE SOUVIENT.

       Aux mâts de pavillons flottent les couleurs franco-belges.

       Pour la cérémonie, le peloton des troupes belges, encadrant le drapeau du 19e RI, s'est aligné à l'entrée de la rue de Brest, face au monument.

       Arrivée de son Excellence. Accompagné de M. le chevalier Larnalle, gouverneur de la province de Luxembourg et de Mme Lamalle, l'Ambassadeur de France, M. Spitzmuller, est accueilli par le bourgmestre de Maissin, M. Wéra, président du Comité du Cinquantenaire, et les autorités présentes. Les honneurs militaires sont rendus à LL. Excellences, puis les représentants de la France et de la province sont conduits à leurs fauteuils.

       Nous extrayons du discours prononcé par le bourgmestre, les fragments suivants : « ... Et dans cet ordre d'idée, on se demande bien des fois s'il peut encore exister de plus puissants avocats de la paix sur la terre que ces monuments, que ces rues, aux noms fameux qui témoignent encore des misères de la guerre. »

       Monsieur Dom fait ensuite l'historique des faits saillants de la bataille de Maissin, cite des noms de bois, de fermes, des côtes où la résistance ennemie fut la plus meurtrière pour nos troupes.

       Puis il magnifie l'héroïsme des soldats, du XIe CA au cours de cette bataille sanglante ; le sacrifice consenti par les milliers de morts dont les sépultures, souvent anonymes, ont reçu ce matin au cimetière Pierre Massé l'émouvant hommage de reconnaissance de milliers d'Ardennais et de Français.

       « Et c'est pourquoi, ici à Maissin, nos cimetières militaires, nos avenues nos rues, nos vitraux, nos tapisseries, nos armoiries et même notre sceau communal rappelleront aux passants et aux étrangers, aux générations qui se succéderont, l'immense sacrifice consenti par la France et sa vaillante armée. L'Histoire perpétuera à jamais le souvenir des petits gars de Bretagne et de Vendée. »

       Son Excellence, M. l'Ambassadeur enlève le voile qui fait apparaître l'inscription dont nous avons donné le détail.

       Permettez-moï d'emprunter à l'impressionnant discours de Son Excellence, les détails suivants : «Tous ces soldats portaient encore dans leur poitrine l'écho des couplets patriotiques qu'ils chantaient à leur départ des gares de Saint-Brieuc, Paimpol, Quimper, Brest et leurs bras venaient à peine de desserrer la dernière étreinte de l'épouse, de la mère, des enfants, laissés dans une angoisse mêlée de fierté. Tous ces soldats français, obéissant à l'ordre d'attaque partout où se trouvait l'ennemi, devançant parfois même cet ordre, sont partis au feu plein d'insouciance, pleins d'espoir et sont morts en pensant que tout pouvait être sauvé. Tout l'a été, mais ils ne se doutaient pas que quatre années et des millions de morts seraient nécessaires pour que se réalisent leur espoir. Pouvaient-ils imaginer également que les civils qu'ils venaient de rencontrer ici même ou dans les villages voisins, comme à Anloy qui leur avaient peut-être apporté un peu d'eau, de vin ou des fleurs, allaient être fusillés ? Le drame d'Anloy n'a pas été cité pour ainsi dire jusqu'à ce jour, et est pourtant l'un des plus tragiques. Ce petit village ardennais qui avait, en 1914, 480 habitants, compte 49 victimes, sans compter ceux qui sont morts des suites de la catastrophe. Trente-deux maisons, sur une centaine, ont été incendiées.

       Aucune plume ne saurait rendre ce qu'ont souffert les habitants de cette malheureuse localité ; cela dépasse toute imagination. Dom Bernard Gillet, 62 ans, religieux de l'abbaye de Maredsous, tué à Anloy et Louis Gillet, 49 ans, bourgmestre d'Anloy, tué à bout portant.

       Quels seraient, en effet, les buts de telles cérémonies, si dans le souci d'épargner à nos frères, à nos enfants de semblables cataclysmes nous ne prenions au nom de ces héros, l'engagement de ne commettre aucune faute qui nous ramène de tels événements ? Nous savons malheureusement que la leçon n'a pas été entendue en 1939, mais ne sommes-nous pas plus convaincus maintenant que tout, absolument tout effort, même celui permettant la fabrication des armes les plus modernes et les plus onéreuses, est moins onéreux que la guerre ? Soutenons ceux qui, soucieux de préserver l'avenir, cherchent des garanties réelles, car la guerre ne s'impose pas et l'héroïsme ne peut suppléer l'imprévoyance. S'il est beau de repousser l'invasion, il est mieux de l'empêcher. Il faut bannir toute haine de ce passé tragique. Mais n'est-il pas naturel que les amitiés nouées dans des drames si sanglants soient à jamais scellées et servent au moins à préparer une humanité plus haute ? Dans cette Europe qui cherche sa voie, Belges et Français sont les véritables ouvriers de l'éternel idéal. »

       C'est une véritable ovation qui est réservée à ce beau discours de Son Excellence.

       Si à Maissin est inaugurée une rue intitulée « Rue de Brest » garnison du glorieux 19e RI, la ville de Brest, au cours d'une manifestation grandiose, qui eut lieu le 18 décembre 1961, inaugura celle de « Rue de Maissin », en présence d'une délégation du Conseil communal de Maissin, conduite par son éminent bourgmestre.

       La deuxième partie du banquet est placée sous la présidence de M. le chevalier Lamalle, gouverneur de la province de Luxembourg qu'accompagne Mme Lamalle.

       De nombreux discours furent prononcés. Le président Calvez remercia le colonel commandant militaire de la Province qui a bien voulu autoriser la participation d'un peloton d'élèves-officiers de l'Ecole des troupes blindées d'Anion à ces manifestations du souvenir et dont la tenue impeccable, l'attitude sans les armes et la correction des mouvements ont fait l'admiration des Anciens et de la foule des spectateurs.

       Le président Calvez fait aussi l'éloge du 12e Régiment de Chasseurs de Sedan. S'adressant au colonel : « Vous avez eu l'amabilité de mettre à leur disposition un lieutenant porte-drapeau et la garde d'honneur, dit-il. Leur allure martiale, leur dignité ont fait l'objet des commentaires les plus flatteurs... Ils se sont montrés dignes de leurs aînés de 1914. »

       Puis il ajoute : « Mes chers amis, soyez certains que les âmes de nos frères d'armes qui sont tombés ici les premiers pour le salut commun, ont vibré d'allégresse ce matin devant les plis du glorieux drapeau et devant le recueillement impressionnant de cette foule qui venait prier pour eux. Le culte des souvenirs glorieux, a dit Sa Majesté Albert 1er, le Roi-Soldat, est la plus belle des preuves que de l'héroïsme demeure dans le cœur de tous. Restons donc fidèles à ce culte, mais fidèles aussi aux leçons qu'ils nous ont données. Ecoutons-les, imitons leurs vertus, soyons généreux comme eux jusqu'au sacrifice et efforçons-nous de réaliser leur grand désir de paix. Souhaitons de tout cœur que cet idéal de paix dans le monde actuel en proie aux déchirements idéologiques et racistes, finisse par être partagé par tous les peuples. »

       Et de citer le vœu que Pierre Massé avait fait en 1932 lors de la cérémonie d'inauguration du calvaire : « Terre sacrée, puisse-t-elle devenir un jour prochain la terre « Du grand Pardon de Maissin ! »

       Le président Calvez termine en levant son verre en l'honneur de Sa Majesté le Roi Baudouin, de M. Dom, bourgmestre de Maissin, de la Belgique et de la France.

       « Maintenant, ajoute-t-il, ayant bénéficié du concours de la Marine nationale qui a tenu, en souvenir du vieux et glorieux régiment brestois, à s'associer à cette commémoration, j'ai le plaisir de vous remettre en signe de reconnaissance et d'amitié, cet écusson en bronze fondu, écusson aux armes de la ville de Brest, fixé sur fond de satin aux couleurs nationales franco-belges, véritable objet d'art, confectionné dans les ateliers de l'arsenal de la Marine, qui perpétuera le souvenir de ces grandes journées d'amitié franco-belges dans votre salle communale. Vive la belle Marine française, orgueil de la France ! »

       Des acclamations, des applaudissements retentissent dans toute la salle.

       Majestueusement, avec d'infinies précautions, quatre maîtres d'hôtel portent sur un immense plateau « la falaise argentée de Bretagne surmontée de la croix du Souvenir » : pièce montée – travail d'artiste – auréolée de cinquante bougies, celles du Cinquantenaire de la bataille de Maissin.

       Le plateau est déposé devant le président d'honneur, le général Hassler, à qui il appartient de souffler les cinquante bougies avec l'aide du colonel Remience, commandant militaire de la province. Ils s'acquittent de leur mission avec beaucoup de brio, aux applaudissements enthousiastes de tous les convives.

       Après cet intermède, la parole est donnée au grand chef, Le général Guérin, qui commande l'importante 3e Région militaire, héritière et gardienne du souvenir des anciens régiments du XIe Corps d'armée. Je ne puis tout narrer (sic). Cependant, le général Guérin nous informe qu'il avait eu l'honneur d'inaugurer avec M. le Préfet de la Loire-Atlantique, une exposition organisée sur ma demande par la subdivision militaire et qui avait pour but de rappeler aux Nantais, en ce cinquantenaire de la guerre de 1914, les exploits du Corps d'Armée de Nantes.

       Elle avait lieu dans l'hôtel du commandement, qui porte toujours, sur son fronton, l'inscription « Quartier général du XIe Corps d'Armée ».

       « Elle commençait, bien entendu, à garder, par une évocation de la bataille de Maissin, de cette bataille qui fut le baptême du feu du XIe Corps, de cette bataille où quelques jours après que le général Leman et ses troupes, à Liège, eurent fait l'admiration du monde entier, Bretons et Vendéens allaient, à l'exemple des soldats de Belgique, montrer, au prix de lourds sacrifices, leur détermination et leur courage. Et cette évocation de Maissin dans cette exposition m'amena à me rendre à l'invitation de M. le Bourgmestre de Maissin, à qui j'exprime toute ma gratitude. A Maissin, Belges et Français, civils et militaires, furent unis dans un même sacrifice pour que vive la liberté. Et, puisque Brest et son 19e RI sont tout particulièrement représentés aujourd'hui, laissez-moi vous l'appeler, de même que les Bretons du 19e tinrent Maissin avec une volonté farouche, de même leurs frères des fusiliers-marins de Ronarc'h sur l'Yser, aux côtés de l'Armée belge, tinrent ce morceau de Belgique où, pendant quatre ans, le Roi-Chevalier et les soldats de Belgique allaient être aux yeux du monde le symbole de la résistance à l'envahisseur. Au nom de la IIIe Région militaire du XIe Corps d'Armée, je remercie les autorités belges, M. le Bourgmestre de Maissin, d'avoir convié son chef à ce pèlerinage. Je salue l'Armée belge et demande à tous mes compatriotes de se lever pour porter, d'un même cœur, un toast à la Belgique, à Sa Majesté le Roi des Belges. »

       Ce remarquable discours du général Guérin est longuement applaudi par toute l'assistance.

*

*          *

       Un poète, Henri Ballot, était parmi eux. Il s'approche du micro pour réciter le beau poème qu'il composa à l'occasion du Cinquantenaire de la Bataille de Maissin :

Maissin, nom qui pour nous les vieux du dix-neuvième

Sonne comme un tocsin dans l'espace et le temps,

Je ne te dis jamais, même après cinquante ans,

De souvenir ému, sans un émoi suprême.

C'est que dans les combats ce fut notre baptême.

Et pour tant d'entre nous, la mort en même temps.

Ensuite, nous avons connu

Des combats dont les noms sont fixés dans l'Histoire,

Qui sont dans toutes les mémoires.

Leur souvenir par tous étant entretenu

Dans son auréole de gloire :

La Marne, la Somme, la Champagne,

Le Chemin des Dames, Verdun,

Combats qui sont à tous aussi bien qu'à chacun,

Parmi ceux de cette campagne.

Mais pour les enfants de Bretagne,

Maissin, c'est bien leur combat, oui, le leur :

Ils ont pris le village avec leurs baïonnettes,

Et tandis qu'autour d'eux commençait la retraite.

A Maissin, ils étaient vainqueurs.

Oui, ce n'était qu'un point dans la bataille des frontières.

Mais ce fut bien pour eux une bataille entière,

Et comme y sont restés un grand nombre des leurs,

Ils y ont laissé beaucoup de leur cœur.

Mais leur cœur jamais n'y sera solitaire,

Car celui de Maissin bat pour lui comme un frère

Dans une émouvante ferveur.

0, vous qui reposez dans ce village même

Où vous êtes tombés, tous nouveaux combattants,

Vous dont les Maissinois gardent fidèlement

Le souvenir pieusement reconnaissant,

Pour nous, les survivants, vous êtes un emblème.

Aussi, rien ne pourra, Maissin, au cours des temps.

Effacer de nos cœurs, à nous comme à toi-même.

Ce souvenir qui lie indissolublement

A la fidélité de tous les habitants,

Celle du dix-neuvième.

(s) Henri Ballot - 16 août 1964.

       Des applaudissements très nourris remercient hautement le camarade Ballot qui a su exprimer de tout son cœur les sentiments des uns et des autres pour nos morts, Maissin et le dix-neuvième.

*

*          *

       Le président Calvez demande ensuite au capitaine de vaisseau Drogou, de s'avancer près du micro.

       Avant de lui donner la parole, le président rappelle que le commandant Drogou, directeur du port de Brest, représente à ces fêtes du Cinquantenaire l'amiral Amman, préfet maritime de Brest, et qu'il est le frère du commandant Drogou, glorieusement tombé à son poste de combat alors qu'il commandait le sous-marin Narval, dans une opération pendant la Seconde Guerre mondiale.

       Je suis navrée de devoir écourter le discours éloquent prononcé par le capitaine de vaisseau Drogou : « En débarquant au rendez-vous du bois, de Hautmont hier, j'ai pu observer une certaine surprise de votre part, chers amis belges : l'uniforme de marin que j'ai l'honneur de porter est, en effet, assez peu répandu dans les Ardennes et vous est sans doute peu familier. Cependant, il était logique qu'un marin fût présent aux manifestations de ce Cinquantenaire. Les soldats du 19e RI comptaient bien des parents et amis dans la Marine, des camarades de marins ont été fauchés ici le 22 août 1914. Notre Marine nationale a connu également sa part de gloire sur le front belge de 1914 : sur l'Yser, à Dixmude. Et ce fut 1939-40. Nous avons essayé d'arrêter l'ennemi au Pas-de-Calais. Nous avons fait de notre mieux de Terneuzen à Dunkerque avec les moyens dont nous disposions, mais nous fûmes alors moins heureux que nos pères. Et j'en passe ... Tout a été dit ici et avec quelle éloquence, quelle délicatesse et quel choix de l'expression sur l'héroïsme de nos, soldats de 1914 ! Ils firent preuve d'un esprit d'abnégation et de sacrifice, d'une bravoure, d'un mépris de la mort à l'échelle de leur patriotisme ardent et de leur foi. Que le souvenir de leurs hauts faits d'armes et de leurs épreuves ne s’éteignent pas !

Peut-être convient-il d'attirer notre attention sur ce' dernier point. Il faut que se perpétue ce culte du souvenir qui nous rassemble, fraternellement en ce pieux pèlerinage. Il faut que notre jeunesse, emportée dans un tourbillon au rythme étourdissant de la vie moderne, n'oublie pas cette somme de sacrifices librement consentis par nos pères. Il nous appartient de conserver ce souvenir et de transmettre intact ce pieux héritage. »

       Le capitaine de vaisseau Drogou termine par cette courte phrase :

« C'est là mon témoignage de marin brestois. »

       Une véritable ovation salue te très beau discours du commandant Drogou, hommage unanime rendu à la Marine nationale française.

*

*          *

       Ensuite, deux anciens du XIe Corps d'Armée, MM. Lussaud et Gourlaouën tiennent, eux aussi, à remercier Maissin.

       M. Lussaud, représentant du 137e RI de Fontenay-le-Comte, rappelle quelques souvenirs de la bataille en évoquant la belle figure de soldats de ses anciens, chefs tombés à Maissin.

       Il raconte l'heureuse rencontre que fit son unité en cheminant vers l'Avant par une de ces chaudes journées d'août 1914 : « Un groupe de jeunes filles belges de 15 à 16 ans se tenaient sur le bas-côté de la route, les mains pleines de fleurs champêtres, destinées aux soldats français. En passant à leur hauteur, elles eurent pour eux cette appréciation flatteuse : Ah ! qu'ils sont gentils les petits français ! » Après cinquante ans, déclare M. Lussaud, je n'ai pas oublié cet accueil des petites Belges; je n'ai jamais oublié – comment dirais-je – ce tableau champêtre digne de tenter la palette d'un artiste » et de s'écrier : « Ah ! que je serais heureux si, à l'heure où je parle, ces bonnes grand-mères que doivent être aujourd'hui ces petites filles d'alors m'entendaient et se reconnaissaient dans le tableau que je viens de brosser, ce tableau qu'illustre si bien la sympathie qui existait, qui existe encore et qui existera toujours entre nous, Belges et Français ! »

       Ah ! qu'elles étaient gentilles ces petites filles belges !

       Cette anecdote, finement présentée, recueillit les applaudissements qu'elle méritait.

       M. Gourlalouën, au nom des anciens du 65e RI de Nantes, se fit leur interprète pour remercier le bourgmestre et le Comité du Cinquantenaire de les avoir invités à ces inoubliables cérémonies du souvenir.

       Après avoir fait, sur place, un tour d'horizon du champ de bataille de sa division (21e RI) et consulté ensuite les plans affichés dans la salle du banquet, il nous fait part des souvenirs précis qu'il a conservés de cette journée mémorable du 22 août 1914, où son régiment prit une part prépondérante dans l'issue victorieuse de la bataille de Maissin.

       Ces vieux souvenirs évoqués avec émotion sont unanimement applaudis par tous.

       La parole est ensuite donnée à M. Morel, sous-préfet de Sedan.

       Dans son allocution, il parle en ces termes : « Lorsque je vous aurai dit que je suis breton, vous comprendrez, chers amis belges, que je suis particulièrement heureux d'être aujourd'hui à vos côtés pour accueillir mes compatriotes. A la vérité, je les retrouve, car, avant-hier, les anciens du 19e RI ont été reçus par les Sedanais devant les 1.200 tombes du cimetière de Noyers-Pont-Maugis, sur les hauteurs de la Marfée, sur les lieux mêmes où le XIe Corps se couvrit de gloire les 25, 26 et 27 août 1914. A Sedan, pour interdire l'entrée du territoire national, à Maissin, pour défendre la Belgique alliée et amie, les Bretons du XIe Corps ont lutté en 1914, avec le même courage, avec la même opiniâtreté. »

       Il appartient au président du banquet, M. le Gouverneur de la Province, de terminer la série des discours de cet incomparable banquet du Cinquantenaire. Ecoutons-le : « Quand on commémore un anniversaire qui se situe à cinquante ans d'ici, on éprouve une émotion profonde et on songe à la grande Histoire, à l'héroïsme, au courage, à la foi, qui ont inspiré les combattants qui marchaient à l'assaut des positions ennemies. Maintenant, quand on écoute les témoins de cette époque, l'émotion devient plus profonde encore et l'on aperçoit des choses qu'avec le recul on ne savait pas.

La France, dans ce pays, a toujours été profondément aimée. Eh bien, n'est-ce pas un vieux dicton qui court le monde, disant que tout honnête homme a deux patries : la sienne et puis la France ? Hier, dans le cimetière français d'Ethe, je lisais : « Ici demeurent des soldats français que la mort a unis pour l'éternité. » Et peut-être aurait-on pu joindre cette parole, dans beaucoup de coins du pays : Que dorment côte à côte pour la paix, tombés pour la défense de la liberté, des Belges et des Français fraternellement unis.

Et, Mesdames, Messieurs, laissez-moi vous dire combien en Belgique et dans cette région de Belgique si rapprochée de la vôtre on a foi en vous, les Français. Vous avez toujours été à nos côtés dans les heures les plus difficiles, à des heures où nous, avons été menacés d'être rayés : de la carte, vous étiez là. Et à des heures où la menace était directe, mais où nous étions abandonnés, de tous, et je songe par exemple, aux campagnes internationales absolument odieuses qui furent menées contre la Belgique après l'indépendance du Congo, la Belgique a trouvé à ses côtés un seul allié : La France. Ce sont des choses qui ne s'oublient pas. Le passé est garant de l'avenir. »

       Toute la salle, debout, applaudit à tout rompre le beau discours de M. le Gouverneur Lamalle.

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*          *

       Le 24, promenade touristique et patriotique à Han-sur-Lesse et Saint- Hubert. M. Marée, bourgmestre de Han, prononce une allocution.

       A Saint-Hubert, dès leur arrivée sur la place de l'Abbaye, ils sont aussitôt entourés par M. Chardorne, sénateur, bourgmestre de la ville. M. le doyen Dessoy fit l'historique, très documenté, de la basilique et guida les pèlerins dans la visite de ce beau sanctuaire.

       Anecdote en date du 15 juin 1979 : A propos de la bataille de 1914-1918, M. le doyen Dessoy dit en substance : « Après la bataille de Maissin, une ambulance bénévole s'est créée à Saint-Hubert pour soigner les soldats français. On y reçut 434 blessés. Plusieurs y moururent ; les autres, après guérison, furent emmenés prisonniers en Allemagne.» Voir à ce sujet un article de Mme Maréchal-Lambin, dans Ardenne et Famenne, 1963, n° 3, p. 51 : L'ambulance de Saint-Hubert.

       Au retour, à la nuit tombante, visite au cimetière d'Anloy (dit des Bruyères). Comme à Maissin, on reste frappé par les soins apportés dans l'entretien des tombes et des allées rectilignes au gazon fraîchement tondu. Le général Hassler fait commander « Garde-à-vous », des gerbes sont ensuite déposées au centre du carré français.

       Puis, face aux tombes allemandes, le général demande aux « pèlerins » d'avoir aussi une pieuse pensée pour les soldats allemands qui reposent à côté des nôtres et qui sont tombés pour leur patrie dans l'accomplissement de leur devoir de soldats.

*

*          *

       Retour à Maissin.

       Le 22 août 1914, vers 15 heures, le chef du bataillon, de Laage de Meux, commandant le 11/19e, trouvait ici une mort héroïque à la tête de quelques sections de son bataillon, dans l'attaque du « Moulin Barthel », direction Villance. (Pierre Barthel, meunier, vieillard vivant en, solitaire, est atteint de cécité dès l'âge de 12 ans.) L'avenue qui va être inaugurée conduit précisément de Maissin à ce fameux moulin, qui se trouvait à l'extrême droite (Est) du 2e Bataillon. Avant que soit dévoilée la plaque de la nouvelle avenue, M. le bourgmestre magnifie le courage de ce chef héroïque partant à l'assaut à la tête de ses soldats. Il rappelle que le commandant fut d'abord inhumé à Maissin, mais que la famille fit transporter ses restes à Orléans, le 26 novembre 1928. Cette translation donna lieu à une émouvante cérémonie d'adieu à laquelle toute la population maissinoise participa.

       Puis, le président Calvez rendit un vibrant hommage à son chef direct et inaugura la nouvelle avenue en coupant les rubans la barrant symboliquement.

       Dans le porche de l'église de Maissin, côté droit, une plaque de marbre blanc rappelle au passant la mémoire du commandant. Placée au centre, où l'on peut lire des noms de soldats morts pour la France.

*

*          *

       M. l'abbé Rock, curé de Maissin, avait convié la population à accompagner, à l'office du soir, les pèlerins bretons et vendéens. Tous s'y rendirent avec ferveur et piété.

       Après un sermon de circonstance de M. le curé et de très beaux chants interprétés par la chorale, tous les fidèles entonnèrent un Te Deum d'actions de grâces.

       Avant la sortie, les orgues nous firent entendre nos hymnes nationaux religieusement écoutés par tous.

       Un banquet d'adieu est offert par le Comité du Cinquantenaire. Il y eut, bien sûr, des discours et c'est M. Wera qui ouvre le « ban ». Il nous communique ses pensées logiques : « Ce samedi 22 août, j'ai eu l'agréable mission de vous souhaiter la bienvenue sur le territoire de la commune de Maissin, aujourd'hui il m'échoit le triste privilège d'ouvrir la séance des toasts d'adieu. »

       La parole est ensuite donnée à M. Léon Lebutte, échevin. De vibrants applaudissements accueillent sa belle allocution, que ponctuent les cris de « Vive la Belgique » !

       C'est maintenant M. Dom, bourgmestre qui, au terme de ces grandes journées du Cinquantenaire, va nous dire ses adieux officiels.

       Toute la salle acclame par des applaudissements nourris.

       Elle est suivie par la très belle allocution du commandant Henri Calvez, Président de l'Amicale des Anciens du 19e RI. Et tous reprennent en chœur la finale : « Vive Maissin ! Vive la Belgique ! »

       C'est le professeur Constant Rossion qui termine par son propre discours : « Les houles et les remous de ces trois jours s'apaisent tout doucement ; insensiblement, la paix regagne nos cœurs bouleversés par beaucoup d'émotion. »

       Il dit, entre autres : « S'il est le seul être à rire, l'homme est aussi le seul à respecter ses morts. Des jeunes de vingt ans sont tombés, par milliers dans ce village et nous voudrions que nos jeunes à nous les oublient ? Non, c'est impossible. Maissin est trop fier de son passé ; et si l'on voulait bien sonder les visages de tous ses habitants, on y lirait cette fierté d'avoir souffert plus que d'autres, d'avoir plus que d'autres vu souffrir des jeunes ; venus de la lointaine Bretagne, d'être sûrs que la grandeur est dans le sacrifice ; comme le géant Antée qui retrouvait ses forces à chaque contact avec le sol, ainsi Maissin ne gardera sa foi et sa fierté qu'en retournant à ce qui fait sa grandeur : les milliers de morts qui ont rougi son sol. Entendez-vous le clairon de la charge ? Entendez-vous le fracas de la bataille, le hurlement des hommes, le crépitement des incendies ? Entendez-vous le râle des mourants, la plainte du blessé, le sanglot de la mère ? Entendez-vous cet immense silence qui baigne au milieu des sapins, le dernier repos des héros ? Tout cela vous dit, comme le poète Horace : « Non omnis moriar. Je ne mourrai pas tout entier. Non, mes braves, morts au champ d'honneur, vous n'êtes pas morts tout entiers ; la jeunesse qui monte est là pour y veiller : et comme elle l'a montré, comme elle le montrera, elle voit l'avenir lumineux parce qu'il est basé sur le sacrifice, le dévouement, la générosité totale. Non, Belges et Français ici présents, vous ne serez pas oubliés ; trouvez ici l'expression de toute notre reconnaissance, reconnaissance éternelle celle-là, pour ce que vous avez fait pendant les terribles années où nous avons connu deux guerres. Ce que nous avons fait ces trois jours pour vous et pour vos camarades morts, pour vos parents, pour vos femmes et vos enfants, sachez que, si c'est bien peu en regard de votre dévouement, c'est aussi avec tout notre cœur que nous l'avons réalisé. En votre honneur, pour que vive la France et vive la Belgique, je voudrais que nous écoutions debout nos hymnes nationaux. Je lève mon verre à la gloire de vous tous, libérateurs, soldats, résistants : vivez longtemps et vivez heureux. »

       Toute la salle debout applaudit longuement la touchante allocution de M. Rossion : un toast aux sentiments profonds, ardents et combien humains. Et c'est dans un silence total que toute la salle écoute « Marseillaise » et « Brabançonne ».

       Ainsi prirent fin les manifestations solennelles du Cinquantenaire de la bataille de Maissin, dont le souvenir restera dans nos mémoires comme celui de la bataille... in aeternum !

 

 



[1] les cahiers du 19 Ri de Brest N°77 de janvier 1965...



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