Médecins de la Grande Guerre

Charles Roberti

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Charles Roberti[1]

       En écrivant ce nom, l'émotion m'étreint; car, par association, j'évoque le temps où, collégien, j'appris par un matin d'été la mort tragique d'un de nos aînés que j'avais vu partir en vacances plein de santé et de joie : un accident stupide avait précipité dans le fond d'un fleuve cet éphèbe, amoureux de la vie.

       Ce drame s'est renouvelé pendant la guerre, avec plus de cruauté quand on songe que la victime était un enfant de dix-neuf printemps, qui, dans un élan de générosité, s'était offert pour la défense du pays...

       Face à face, la Mort n'avait pas voulu de lui : elle le happait traîtreusement...

       Il était né à Remicourt, le 10 octobre 1896, d'une famille aisée. Eduqué et élevé avec tous les soins que pouvaient dépenser deux cœurs chrétiens, l'enfant manifesta dès son jeune âge des qualités si pures de spontanéité et de générosité que ceux-là qui le connurent regrettent plus amèrement la disparition d'une âme d'élite.

       Chrétien, grand chrétien, les principes enracinés en son cœur par sa mère étaient de puissants mobiles, qui mouvaient ses énergies vers de si grandes abnégations et un si bel idéal !  « Quand on a Dieu dans son cœur, on est toujours le plus fort », disait-il.

       Il fit ses études à Malonne. Esprit vif, caractère indépendant, il s'ébroua souvent dans les liens de l'austère discipline et du règlement. Son biographe raconte qu'âgé de 8 ans, à peine arrivé à l'Institut, il visita la pharmacie et, après avoir jeté les yeux sur les innombrables bocaux pharmaceutiques, il lança tout a coup, sans permission cette boutade :

       – Je ne veux pas être pharmacien.

       – Ah ! tu ne veux pas être pharmacien, et pourquoi ?

       – Parce que c'est trop dangereux pour les enfants : ils pourraient s'empoisonner.

       Charles était farceur, et le montra plus d'une fois. Sa joie exubérante, il la manifestait avec cette spontanéité qui est le propre des enfants, des âmes claires surtout. Une droiture d'âme et une loyauté foncière inondaient son regard de tant de douceur, jointe à de la fière énergie, qu'on aimait ce petit turbulent, ce bon petit diable.

       Il était si estimé qu'on le choisit pour visiter les pauvres et comme porte-drapeau des élèves, ce qui fut toujours considéré comme un honneur dans les collèges.

       Ses humanités achevées, Charles entra à l'Université de Louvain, où il passa avec la grande distinction son premier examen à l'école des Mines...

       Soudain les cloches pleurent, les bannières frémissent, le canon gronde.

       La Patrie est en danger !

       Et des enfants surgissent, qui La veulent défendre ; des petits gars, poussés par l'instinct de la race qui n'a jamais voulu qu'on touchât à son sol, qui veut jouir de sa liberté, entière, farouche, ombrageuse, des petits gars qui n'ont pas marchandé les peines et qui s'en sont allés vers les grandes batailles, d'aucuns à la Belle Offrande, avec le sourire sur les lèvres.

       Volontaire de guerre, Charles Roberti s'offrit pour toutes les missions. Insouciant du danger, confiant dans la victoire finale, passionné pour la lutte, il était le soldat parfait.

       Au début, servant à la 19e batterie du Fort n° 1, il fut déçu : l'ennemi était rare ; aussi demanda-t-il, et il obtint son transfert dans le corps des automitrailleuses. Là où il y avait du bon travail, il serait heureux...

       Puis ce fut la retraite d'Anvers, retraite douloureuse où l'énergie belge triompha une fois de plus de la force prussienne. Ce que fut cette retraite, est inénarrable, tant il y eut de la douleur, de l'angoisse, de l'héroïsme.

       Ostende – Nieuport – Calais - l'Yser...

       L'âme du héros s'y révéla. « Nous nous battons dans la boue, » écrit-il. Au cours d'une corvée, il abattit un Allemand et garda son revolver comme trophée.

       Après six mois de guerre, Charles Roberti, le déchaîné de combats, celui qui ne craint ni diable ni Prussien, tomba terrassé par le typhus.

       Convalescence au camp de Ruchard ; soudain la diphtérie...

       Les balles allemandes l'épargnaient ; la maladie le guettait. Ironie du sort, qui frappe avec absurdité ceux-là que la Gloire guerrière devrait emporter sur ses ailes !

       La guérison avance. Madame Roberti s'inquiète cependant. – « N'aie donc pas peur, petite mère, je vais très bien maintenant, et le jour tant attendu où je pourrai reprendre mon fusil n'est pas très éloigné ! »

       Le brave ! La voix de la bataille grondait en lui et la soif du combat lui brûlait le cœur.

       – D'ici quinze jours je serai probablement au front. Je le souhaite d'ailleurs de tout cœur : je me morfonds ici à ne rien faire. Et quoique le pays soit joli, je ne désire nullement y rester.

       Son père lui ayant écrit que la vie est un combat dont la palme est au ciel, et que de nos jours on ne connaît plus le devoir et qu'on veut ignorer la souffrance, Charles répondit que son père ne saurait croire combien la guerre et la mort toujours proche l'aidaient à comprendre le sens de cette belle phrase...

       L'âme de l'enfant se révèle dans toute sa correspondance, bréviaire pour la jeunesse de chez nous. Quelle profondeur dans cette pensée : « A-t-il jamais existé une souffrance vaine dans son objet ?  Nous sommes en train de solder dans ce temps terrible une partie de nos dettes. N'est-ce pas mieux que de faire faillite ?

       Encore une phrase admirable :

       – Est-ce que nous pourrions être contents, si Dieu ne nous envoyait que des choses faciles et agréables, comme si nous n'étions bons à rien ? La voix de notre conscience nous dit : Fais ton devoir, fais ce devoir-là qui est présent devant loi, qui est mis devant toi précisément pour que tu ne l'abandonnes pas à d'autres. Fais-le, et sois content, car c'est une occasion que Dieu te donne de ne pas te conduire comme un serviteur inutile.

       La convalescence achevée, Charles Roberti quitta le camp de Ruchard, le 1er juillet 1915, et, avec son ami, J. Van Dooren, il reçut l'hospitalité chez le docteur Pousset, à St-Avertin, près de Tours. Fêtes, soirées, thés, tout fut organisé en l'honneur des jeunes Belges. Charles y vivait heureux.

       Un jour, le 12 août après le déjeuner, ils firent une partie de pêche aux bords du Cher. Au crépuscule, le fils du docteur Pousset et un ami invitèrent les deux enfants belges à une partie de canotage.

       Sur l'eau profonde la nacelle glissait... soudain ils doublèrent un brusque tournant ; sous le choc imprévu, Charles fit un faux mouvement et tomba dans la rivière. La barque chavira, déversa les rameurs.

       Des cris. Des hurlements d'angoisse : Charles coule à pic. Les sauveteurs qui accourent sauvent Daniel Pousset et son ami, ainsi que J. Van Dooren, qui, après avoir plongé plusieurs fois dans la rivière, s'enlisait.

       Après de multiples sondages, on ramena sur la berge un cadavre...

       Ainsi mourait tragiquement un enfant dont l'âme, empreinte de claire vaillance et d'héroïsme, était faite pour une mort moins stupide.

       Des funérailles grandioses furent faites à l'enfant ; le cercueil, enfoui sous les fleurs, fut porté au cimetière par une foule admiratrice du jeune héros.

       Sur la pierre tombale j'écrirais volontiers les vers du poète :

Enfants, apportez-moi de tendres violettes ;

Chantez des airs berceurs avec vos voix fluettes,

Et secouez sur moi les thyrses des lilas.



[1] Tiré du livre « L’Héroïsme des Jeunes » par Marcel Anciaux. Les jeunes belges pendant la guerre.



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