Médecins de la Grande Guerre

Un soldat de treize ans au camp de Mailly.

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Un soldat de treize ans au camp de Mailly[1]


Photo d’un enfant, russe et soldat, fait prisonnier.

       Camp de Mailly. – Il règne à Mailly, depuis samedi soir, une extraordinaire animation. D'abord, c'était la fièvre de l'attente : les troupes russes étaient annoncées. Elles sont venues enfin le jour de Pâques.

       Ce jour-là, dès 4 heures du matin, une grande partie de la population était levée pour assister à l'arrivée des vaillants soldats du tsar, qu'elle tenait à saluer. Presque tous les soldats français du camp étaient allés à la rencontre de leurs frères d'armes ; le colonel Gruau, commandant de la place, et les officiers du camp de Mailly avaient tenu, eux aussi, à apporter leurs souhaits d'heureuse bienvenue et le témoignage de leurs sentiments d'indissoluble fraternité.

       Pour faciliter le transport du matériel, le débarquement s'effectua, non pas à la gare de Mailly mais au camp même soit à trois kilomètres de la gare. La musique du 106e régiment d'infanterie se trouvait à l'arrivée, et, dès que les Russes mirent pied  à terre, elle attaqua l'Hymne russe et la Marseillaise, que Russes et Français reprirent en chœur.

       Quel spectacle réconfortant que cette fraternité touchante !

       Dès que les soldats du tsar descendirent de wagon, ils allèrent tout droit les mains tendues vers les nôtres, courte effusion où l'âme des deux nations vibrait toute.

       Impressions russes. – J'ai eu le plaisir de m'entretenir avec de nombreux soldats russes, qui se prêtent si cordialement à l'interview. Les interprètes, nombreux dans le camp, viennent, d'ailleurs, très amicalement à notre secours.

       Tous m'ont déclaré qu'avant de venir en France ils avaient déjà pour notre pays une ardente admiration et une vive amitié. Ils savaient que la France est une nation grande et généreuse.

       Mais, ajoutent-ils, nous étions loin de nous attendre à un accueil si vibrant, aussi chaleureux. Ce n'est plus aujourd'hui seulement des sentiments d'admiration et d'amitié que nous avons à l'égard de la France, c'est quelque chose de plus fort et d'indissoluble. Votre accueil est allé au fond de notre cœur, et, pour vous faire comprendre ce que nous ressentons, nous unissons votre magnifique pays et notre Russie dans la même pensée. De Marseille à Mailly, la femme française s'est révélée admirable de générosité, de cœur, d'exquise amabilité. Nous sommes ici tous des volontaires, achève-t-il. Aujourd'hui plus qu'hier, demain plus qu’aujourd’hui, nous serons heureux de combattre en France pour la défense de votre sol glorieux souillé par les hordes teutonnes.

       Cette année, les Pâques russes coïncident précisément avec les nôtres. Ce jour de Pâques fut ainsi, à Mailly, l'occasion d'une imposante cérémonie. Le pope, qui a suivi nos alliés, a célébré dimanche, vers 10 heures, dans une chapelle de fortune élevée en hâte au milieu du camp, l'office pour les soldats. Rien de plus impressionnant que le spectacle de tous ces héros écoutant avec ferveur leur office religieux. A l'issue de la Messe, les soldats goûtèrent à la cuisine de nos « cuistots » de Mailly. Ceux-ci voulurent se distinguer, et le menu donna – à tous les points de vue – satisfaction à nos hôtes. Il fallait bien fêter leur arrivée ! Après le repas, ils furent conviés au champagne. Inutile d'ajouter qu'ils le trouvèrent excellent.

       Puis ce fut le défilé des troupes dans la ville, aux accents des fanfares régimentaires. Soldats et officiers furent acclamés. Leur tenue fut admirable. A midi, eut lieu la réception des officiers, organisée par le colonel Gruau, qui exprima au nom de tous la joie profonde qu'il éprouvait a recevoir d'aussi vaillants compagnons d'armes. Un toast fut porté à la gloire de nos armées et à notre prochaine et sûre victoire.

       Un héros de treize ans. – Il s'appelle Yvan Ignatof, originaire des environs de Moscou. Il a une physionomie extrêmement douce et intelligente. Quoique âgé à peine de treize ans, Ignatof a déjà séjourné dans les tranchées de Galicie pendant sept mois. J'ai eu le plaisir de parler à ce vaillant enfant, aimé et choyé de tous les soldats. Il est très discipliné, très docile ; aussi a-t-il déjà acquis l'estime des nombreux habitants de Mailly et de tous les soldats français du camp. Il n'oubliera jamais, déclare-t-il gentiment, les amabilités qu'il a reçues des dames françaises depuis son arrivée en France.

       Pendant tout cet après-midi de dimanche, nous n'avons cessé de rencontrer des soldats russes et français se promenant ensemble en se tenant familièrement et amicalement par le bras. Le soir, dans les cafés de la ville, Russes et Français choquèrent leurs verres en dégustant le vin de France. Il fallait bien sceller l'amitié.

       Entre 4 heures et 5 heures de l'après-midi, la musique militaire du 106e d'infanterie avait organisé un concert devant le Cercle militaire, en l'honneur des officiers russes. Le concert se termina, aux acclamations de la foule, par l'Hymne russe et la Marseillaise.

       Puis la nuit tomba sur le camp. Mailly, qui venait de vivre une journée d'allégresse patriotique, s'endormit dans le calme confiant que donne la certitude de la victoire.

A. G.

      



[1] Echo de Paris, 25 avril 1916.

 



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