Médecins de la Grande Guerre

Le brancardier Florian Auverdin se souviendra de Calais !

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Florian, brancardier dans un train sanitaire, retrouva à Calais l'amour de sa jeunesse

Michel Auverdin, petit fils

       Florian-Joseph Auverdin naît le 15 juin 1889 à Pommeroeul (Hainaut), où son père Paul est instituteur. Toute sa famille, tant du côté paternel que maternel est originaire de Blaton, commune voisine. A sa naissance, il a une sœur, Paula. Une autre fille, Adrienne, viendra agrandir la famille quelques années plus tard.
Son milieu familial s’investit dans la vie associative et politique de la commune de Blaton. Son père, trompettiste, dirige une fanfare de 45 musiciens et deviendra d’abord échevin socialiste de l’instruction publique, et ensuite bourgmestre de Blaton après la guerre 14-18.
Comme en témoigne une photo, le parcours scolaire de Florian l’amène dans la classe de son papa.


Florian dans la classe de son père, il est face à l’instituteur qui lui pose la main sur l’épaule.

       Au moment du choix professionnel, Florian suit les traces familiales, sa sœur aînée est aussi devenue institutrice primaire. Il fréquente ainsi l’Ecole Normale primaire de l’Etat à Mons, où il y est interne.
Dans les archives de l’école, dans le cahier d’observations de l’époque, l’étudiant Auverdin se fait sanctionner pour avoir, à l’étude, recouvert ses cahiers et s’être regardé dans un petit miroir… La direction de l’école, à cette époque, se montre si autoritaire et intransigeante, impose une discipline si rigide, que les rapports avec le personnel et les élèves sont souvent très tendus.[1]
Il est diplômé instituteur en 1908.


Florian à l’Ecole Normale primaire de l’Etat à Mons, il au 3ème rang, le 3ème en commençant par la droite.

       A sa sortie d’école, Florian est désigné sous-instituteur à Blaton. A la recherche d’un poste d’instituteur, le jeune diplômé obtient un remplacement à Grandglise, commune voisine de Blaton. Si l’été, le midi, Florian peut rentrer chez lui en vélo ; l’hiver, c’est le receveur communal de la commune, Edouard Defernez, artisan cordonnier, qui invite le nouvel instituteur à manger son casse-croûte chez lui. Nul doute que son épouse Marie lui offrira un grand bol de soupe chaude! Le jeune homme mange ainsi en compagnie de la famille Defernez et, s’il aime le potage, il apprécie aussi beaucoup le charme des deux jeunes filles de la maison, Lucienne et Germaine. L’aînée, Lucienne, née le 31 janvier 1890, éprouve aussi quelques attirances pour le visiteur... Pour quelques sourires échangés, elle cherche à croiser Florian sur un chemin de campagne. Elle prétexte alors une sortie, et parcourt le sentier derrière le château des Duchateau au moment même où Florian l’empruntera. Viendras-tu au bal de Grandglise ? lui demande-t-elle. Edouard, trompettiste dans l’orchestre, a en effet autorisé ses filles, Lucienne et Germaine, à l’accompagner lors de cette fête du village. Ce soir-là, Florian n’a dansé qu’avec Lucienne, et Germaine a fait tapisserie...


Lucienne Defernez, jeune fille.

       Les semaines et les mois s’égrènent...

       Florian a-t-il évoqué sa rencontre à son père ?
L’histoire familiale rapporte que les parents du jeune homme ne marquent pas leur accord devant cette relation. Ils rêvent d’un autre parti pour leur fils! La fille d’un cordonnier, fusse-t-il receveur communal, s’avère un manque d’ambition. Les convictions philosophiques et religieuses des deux familles ne sont pas concordantes, ceci n’arrange rien.

       Dans le même temps, la vie de Germaine a entraîné celle de Lucienne...
Après son emploi de vendeuse de chaussures à Charleroi, Germaine est engagée à Calais pour seconder la gérante du Central Hôtel, situé dans la gare centrale. Lorsque le propriétaire, Monsieur Demay, congédie son administratrice, il propose à Germaine, âgée alors de 19 ans seulement, de prendre le poste et la responsabilité de la direction de l'hôtel. Il a repéré en elle le grand sens de l’organisation et la capacité de diriger du personnel.
Pour faire face aux difficultés d’une telle entreprise, sur les directives de leur père Edouard, les deux sœurs vont s’associer. En 1912, Lucienne a vingt-deux ans, elle rejoint Calais et, avec une autorité encore plus affirmée que celle de Germaine, elle aidera sa jeune sœur à mener à bien l’entreprise. Toutes deux ont un certificat de comptabilité obtenu à l’Ecole industrielle. A l’hôtel, le travail ne manque pas et les deux jeunes femmes supervisent tout le personnel, de la salle de restaurant aux chambres, en passant par le buffet…
La vie est ponctuée par l’arrivée des trains et des bateaux...


La gare centrale et le Central Hôtel à Calais

       Le 4 août 1914, l’Allemagne envahit la Belgique.
Florian, milicien de 1909, qui n’a pas fait de service militaire, comme la plupart des instituteurs à cette époque, a été mobilisé le 1er août comme brancardier. Appelé à la colonne d’ambulance de la 3ème division d’artillerie et attaché au 9ème régiment de ligne II/2, il est ainsi dans l’armée de campagne sous le matricule 15363.

       Florian connaît ainsi de près tous les épisodes de cette période de guerre, jusqu’au retrait de l’armée derrière l’Yser. Il évoque notamment, dans une lettre retrouvée dans son dossier militaire et datée du 22 novembre 1920, des faits de guerre auxquels il a participé.
Il veut faire valoir des droits pour une distinction honorifique pour ceux qui ont coopéré avec l’armée française.

       « Or, lorsque les fusiliers marins sont arrivés en 1914 sur les bords de l’Yser, près du cimetière de Dixmude, avec le Docteur Vander Ghinst, alors Commandant, nous avons relevé le soir de l’attaque un grand nombre de fusiliers marins que nous avons transportés et soignés toute la nuit dans l’hôpital Saint Jean.(…)

       Le lendemain, à l’aube, accompagnant toujours le Docteur Vander Ghinst, nous avons découvert cachées derrières des meules, des mitrailleuses allemandes. C’est moi-même qui ai averti, par un ordre que le Docteur écrivit sur une page de son block-notes, et le Commandant du 11ème de ligne, Hart je crois qui se trouvait à droite face à l’ennemi et le Commandant des fusiliers marins qui se trouvait à gauche.

       Avec le Docteur Bruyère, actuellement docteur au Corps de Gendarmerie, nous avons soigné quantité de soldats des troupes coloniales françaises, alors que le Docteur Français venait d’être tué à nos côtés par des Allemands qui avaient passés l’Yser et que les noirs et les fusiliers marins embrochaient en face de la porte de notre poste de secours. »

       Quelques temps après ces faits évoqués…

       A Calais, à la gare centrale, un train sanitaire entre en gare et les militaires s’affairent pour le décharger... Est-ce un manque de nourriture, un froid trop grand ou une chaleur trop forte, voici que sur le quai un jeune militaire tombe inconscient. Florian est brancardier et de service à ce moment-là, il est auprès de l’homme inanimé. Il réclame une bouteille d’éther à l’assistance. Germaine est là, venue du buffet de la gare, elle a reconnu celui qui a fait chavirer le cœur de sa chère sœur. Elle appelle Lucienne et lui confie le flacon d’éther avant de la prier de se dépêcher auprès de l’homme au malaise.
Les yeux de Lucienne et de Florian se retrouvent ainsi et brillent à nouveau des sentiments amoureux. L’idylle se noue définitivement...


Florian, brancardier est photographié avec son brassard. Au verso de cette carte postale envoyée à Lucienne à Calais, il écrit : « Encore un souvenir de guerre de ton Florian »

       Le 5 septembre 1915, Florian est évacué sur l’hôpital maritime de Cherbourg pour une carie dentaire étendue contractée par intoxication.
Le 7 octobre, il est dirigé sur le Dépôt.C.de Cherbourg, déclaré inapte au S.C., et est employé au bureau de la rue Bondor 16.
Le 30 mai 1916, il est détaché au Centre d’Instruction N°6 à Saint-Lô pour suivre des cours de C.C.C.C. qu’il réussit. Il est employé à nouveau au dépôt comme Sergent-major.
Le 5 août 1916, il est dirigé sur l’hôpital militaire belge (H.M.B.) Porte de Gravelines, où on lui pose un appareil dentaire.

       Florian  écrit un poème le 28 août 1916, qu’il dédie à son ami Stan.
       Le texte débute par des vers repris de l’œuvre de Victor Hugo.

Le Brancardier

« Le Champ couvert de morts sur qui tombait la nuit
Il lui sembla dans l’ombre entendre un léger bruit »

Et dans la morne plaine où le canon s’est tu
Le brancardier soldat lentement s’est rendu.
Dans l’enchevêtrement de ce charnier humain,
Il perçoit les appels d’un être qui se plaint ;
Et sur chaque cadavre qui lui barre la route.
Un instant il se baisse, l’oreille aux écoutes.

La fusée lumineuse jetée par l’ennemi
Eclaire faiblement le brancardier tapi
Près d’un corps inerte dont la face blême
Reflète tour à tour la douleur et la haine.

Où est-il ce blessé qu’il recherche vainement ?
Son âme glorieuse vers le beau firmament
N’est-elle point partie comme celle des anges
Voir Dieu de plus près pour chanter ses louanges ?
Près d’un arbre meurtri, il vient de le trouver
A un autre soldat fortement enlacé
Des lèvres de la blessure, le sang à petits flots
S’échappe doucement tout comme des sanglots.

Et la fusée lumineuse jetée par l’ennemi
Eclaire faiblement le brancardier tapi
Près d’un corps inerte dont la face blême
Reflète tour à tour la douleur et la haine.

Le garrot bientôt mis, la bande déroulée
Un grand verre de rhum et l’attelle placée
Font vivre le héros qui sauvé de la mort
Méprise l’ennemi en maudissant son sort !
Enlever ce blessé, cette loque humaine
Demande du brancardier énormément de peine
Car l’ennemi est proche et le plus faible bruit
Arrêterait de suite sa marche dans la nuit.
Plié sous son fardeau vers la tranchée obscure
Pas à pas il avance, sa marche est lente et sûre !
Car il sait qu’on l’attend et que l’ambulance
Partira dans la nuit.

Et les fusées lumineuses aux lueurs vacillantes
Eclairent par instant dans l’aurore naissante
Tous les corps inertes dont la face blême
Reflète tour à tour la douleur et la haine.

       Le 25 septembre 1916, Florian est attaché à la Compagnie des subsistants de Calais.
Le 5 octobre 1916, il est désigné, par les ordres journaliers (O.J.) de la base, comme secrétaire archiviste-militaire chez le C.Q.M. Korten de la Base à Calais.

       Le 18 novembre 1916, Florian épouse Lucienne à Calais.
Au bas de l’acte, à côté des signatures des jeunes mariés, ont signé Pierre Smits, capitaine de l’armée belge, Georges Lambé, employé à Calais, Armand Defernez, comptable à Moll et cousin de l’épouse, Pierre Defernez, professeur agrégé à Bruxelles et cousin de l’épouse.

       Aucun des parents des mariés n’est présent à la cérémonie.


Florian et Lucienne, Germaine derrière eux.

       Aucune photo de ce mariage d’amour.

       De longues années, Lucienne conservera précieusement dans une armoire ses bottillons de mariage en moiré et, à l’occasion, elle les montrera fièrement à ses enfants. Ils avaient été confectionnés sur mesure par son père cordonnier, pour l’évènement.

       Seul, le menu du repas de mariage est arrivé jusqu’à nous.


Le menu du mariage de Lucienne et Florian au Central Hôtel de Calais

       Incontestablement, le chef de la cuisine du Central Hôtel a montré tout son savoir-faire à l’occasion du mariage de la sœur de la gérante.

       Une courte parenthèse de bonheur dans cette époque si troublée.

       Pour vivre les débuts de leur vie de jeunes mariés, Florian et Lucienne emménagent un petit appartement dans le centre de Calais. La vie de militaire reprend et avec elle, des petits billets doux envoyés que l’on conserve, pliés et repliés encore, toute une vie, au fond d’un portefeuille pour vivre plus fort et se sentir aimé.



Deux billets envoyés à Florian par Lucienne peu de temps après leur mariage

       Le 15 juin 1917, il passe A.F.N. avec le matricule 8127.


Le bracelet militaire de Florian à partir du 15 juin 1917.

       Le 16 décembre 1918, les bureaux pour lesquels il travaille sont transférés à Anvers.
En juillet 1919, huit mois après l’armistice, avant même que le jeune papa Florian ne soit démobilisé, la naissance d’un premier enfant, Jacques, a fondé la famille.
En Février 1921, Lucienne donnera la vie à un deuxième enfant, Jean, mon père. Jacqueline naîtra en novembre 1922 et Paul Edouard en juin 1935.

       Florian a obtenu plusieurs décorations de guerre : Croix de guerre avec palmes, Médaille de Liège, Médaille de l’Yser, Médaille commémorative et médaille de la Victoire.
Cinq chevrons de front lui ont été accordés le 17 novembre 1920.

       Pour tous ceux qui ont connu Florian, il était un homme sensible, profondément humain, bon mais aussi farceur et aimant rire. Tout comme son père, il s’est beaucoup investi dans la vie associative du village, Callenelle, où il a fait sa carrière d’instituteur.
La musique, le théâtre, la colombophilie, mais aussi le jardinage seront des centres d’intérêts importants à côté de son métier. Longtemps aussi, les villageois le solliciteront pour ses compétences de soignant acquises durant la Grande guerre.

       Il est décédé inopinément d’un malaise cardiaque le 12 novembre 1956, au lendemain d’un anniversaire de l’armistice.

 

 

 



[1] Merckx, J., 1876-1976 Cent ans au service du Peuple, l’Ecole Normale Primaire de l’Etat à Mons, Mons, 1978.

 



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