Médecins de la Grande Guerre
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LES AVENTURES D'UN OUVRIER BELGE à la recherche du « paradis sur terre » Présentation. Ce qui se
passe en Russie soviétique nous intrigue depuis longtemps. Les témoignages de
ceux qui visitent la vaste Russie en quelques semaines n'ont jamais pu nous
satisfaire. Pour notre part, nous nous sommes attachés à rapporter chaque fois
l'opinion de citoyens belges qui séjournèrent dans ce pays, soit pour y
accomplir des travaux, soit pour y faire carrière. Ces
compatriotes ont pu voir exactement ce qui se passait au pays de Lénine, le
prophète du marxisme intégral. Comme ils pouvaient circuler librement dans les
villes, les villages, les usines, ils ont pu se faire une opinion sur le
régime. Nous avons reproduit fidèlement leurs déclarations. Aucune n'a pu être
démentie. Aujourd'hui nous rapportons, dans le même esprit d'impartialité
absolue, les confidences que nous fît un Belge originaire de Namur, qui pendant
sept ans et demi joua, en Russie, le rôle de propagandiste politique. Il occupa
en U. R. S. S. des fonctions importantes. Lui
aussi, en Belge sensé, il a pu « voir ». Son témoignage est consigné dans les
pages suivantes. Sandor TERLAZ « ZENON SCHAEFS »... Voici l'homme Un beau jour, vers la fin de 1935, un
ami nous informait qu'un Belge qui avait séjourné sept ans et demi en Russie
venait de rentrer au pays. - Seulement, cet homme est
connu comme communiste à tous crins. - Est-ce un honnête homme ? - Il appartient à une famille d'ouvriers honorablement connue du quartier, St-Nicolas, à Namur. - Cela suffit, nous irons lui rendre visite. - Mais il ne vous recevra pas, c'est un chef communiste. Il a été un personnage très important en Russie soviétique... jamais il ne voudra recevoir un journaliste « bourgeois ». Vraiment, ce n'était pas très engageant. Et, pourtant quelques jours plus tard, nous avions obtenu rendez-vous avec notre homme, dans un café en face de la gare de Namur. Jugez de notre étonnement lorsque nous apparut un de ces petits gars nerveux, à l’œil pétillant de malice, au regard franc. A sa boutonnière il portait l'insigne des invalides de guerre et, pourtant, il nous paraissait bien jeune encore ... Il se présenta : -- Zénon, Ghislain Schaefs, ex-fondateur des
Fédérations Communistes du Namurois et du Brabant wallon ; ex-secrétaire du
Secours Rouge International de Namur; ex-membre du Comité Central du Parti
Communiste Belge et du Secours Ouvrier International ; soldat honoraire du 71e
régiment soviétique des cosaques du Don ; ex-refugié politique en Russie ;
ex-instructeur politique à l'Armée Rouge ; ex-prisonnier de la Guépeou (police soviétique) ; invalide belge ... Cette façon de se présenter prenait immédiatement la valeur d'un symbole, De tout ce passé, il ne restait aujourd'hui à Zénon Schaefs qu'un seul titre : invalide belge. Il ne nous en fallait pas plus. Nous nous étions compris. Une forte « tiesse
de Wallin ». Zénon Schaefs
avait exactement 14 ans 1/2 lorsque la guerre éclata. C'était un gamin ni
meilleur ni pire que tant d'autres qui poussent, un peu librement, en notre bon
pays wa1lon. Il était Namurois, mais il vécut aussi tout près de Liège, chez
des personnes qui s'étaient intéressées à lui. Devant l'invasion, Zénon Schaefs et les siens passèrent la frontière hollandaise. Il
vécut au camp de réfugiés de Uden
(Faulquemont). Ce gosse enrageait de ne pouvoir rien faire. En 1916, il
parvient à s’engager, en cachant son âge. De Flessingue il passe en Angleterre,
de là en .France. Il fait son instruction militaire au camp de
Auvour. Il est malade. Après quatre mois
d'hôpital le voici au front ... En véritable gamin qu’il est, il fait
enrager – c'est le terme – ses supérieurs. Des jours de salle de police pleuvent,
Il en totalise bientôt six cents !... C'est le cachot. Il participe à un
mouvement de mutinerie. On le pince, on le boucle. Le voici à la compagnie
disciplinaire. Il n'y reste qu'un mois et demi, car on s'aperçoit qu’il n'a pas
dix-sept ans révolus, On le réexpédie au front. Le voici faisant partie du
T.E.M 4, lisez Train Sanitaire du front. Les punitions, la compagnie
disciplinaire, tout cela ne l'a pas changé. Au contraire, il profite des
déplacements de son train sanitaire pour se faire l'agent de liaison entre ceux
qui impriment, à l'arrière, le journal le Socialiste
et les soldats de première ligne. Déjà il commençait sa carrière d’agitateur. Il rencontre… le Roi Un beau jour, il se trouvait non loin
des premières lignes. Il vit arriver le Roi. Il se planta sur le bord de la
route, sortit un Socialiste de sa
poche et le lut ostensiblernent. Albert 1er
fit semblant de ne pas le voir. Mais les gendarmes qui suivaient notre Roi, bondirent
sur Schaefs, lui arrachèrent ce journal interdit et,
déjà, ils se préparaient à lui faire sentir le poids de l’ « autorité »,
lorsque le Roi se retourna et prononça ces mots : Fichez-lui donc la paix... et notre Zénon
pourtant, s'attendait à ce que son geste de bravade eut d'autres
répercussions... Ce jour-là, il comprit qu’Albert 1er était vraiment
le Roi-Soldat. Mais si Schaefs
était une forte tête, il n’en fit pas moins son devoir, bravement, simplement,
comme les autres – ceux de l'Yser. Il fut gazé et ses poumons brûlés
donnèrent .bientôt asile à la terrible tuberculose. La guerre prit fin. En septembre 1919,
Zénon Sehaefs, qui n'avait que 19 ans, fut démobilisé
à l'hôpital militaire de Beverloo. Il était porteur
de la Croix civique de première classe, de la Médaille Commémorative et de celle
de la Victoire. Il avait un chevron de front et, à trois semaines, près, il en
eut reçu un second. Illusions et désillusions du soldat. Rendu à la vie civile Zénon Schaefs passe à l'atelier dépôt des Chemins de fer de Namur.
Il s'y met au travail, mais il est encore bien jeune et il ne prend rien au
sérieux. Ce gamin est un vieux briscard. Peut-être l'oublie-t-on un peu là-bas
et ne tient-on compte que de son jeune âge. L'autorité lui pèse. Il se rebiffe
facilement et, surtout, il ne peut souffrir ce qui lui paraît une injustice. Le
Syndicat National des cheminots n'a pas de propagandiste plus acharné que lui. Les théories marxistes lui paraissent les
seules vraies, les seules bonnes. Pourquoi donc des chefs ? Pourquoi les
ouvriers ne seraient-ils pas maîtres à leur tour ? On pourrait se passer de
tous ces gens en col et cravate qui donnent des ordres et qui jamais ne se
salissent les doigts ... Zénon Schaefs
est un peu aigri. Il avait pensé que, revenant de la guerre, toutes les portes
allaient s'ouvrirdevant lui ; qu'il pourrait gravir quelques échelons de
l'échelle sociale et voilà que rien de tout cela ne se réalise. Lui, un des
plus jeunes engagés volontaires de l’armée belge, le voilà serre-freins ! Le
service est dur. L'autorité apparaît à tout instant devant lui. C'est le chef-garde,
c'est le chef de gare et souvent ces gens n'ont pas fait la guerre. Ah ! Comme nous comprenons bien les
réactions de ce jeune, mais déjà vieux soldat. Le mirage du paradis russe. En 1920, une famine atroce règne en
Russie. Depuis longtemps, Zénon Schaefs regarde du
côté de la Russie. Il a passé l'éponge, lui, sur la trahison des Russes, en pleine
guerre. N'est-ce pas la République des paysans et des ouvriers, le pays du Socialisme
triomphant, la terre où le travailleur est roi, où le chef en col et cravate
n’existe plus ! Et voilà que cette œuvre est menacée...
Non, il n'est pas possible que cette réalisation sombre ! Zénon Schaefs
fera tout ce qui est en son pouvoir pour aider le peuple russe. Il collecte
pour les affamés de Russie. Il harangue ses compagnons de travail afin qu'ils
se montrent généreux. Ses mots sont durs pour l'autorité. Mais qu'importe, ne
lui faut-il pas de l'argent, beaucoup d'argent pour aider les camarades russes !
Ses chefs ne sont pas du même avis que lui, il est payé pour faire son métier
de serre-freins et non comme prédicant rouge. Par mesure disciplinaire on l’envoie
au dépôt de Roneit. Il ne se taira pas pour la cause. Le
voici à l'aile gauche du parti socialiste. Il forme avec quelques autres le
noyau extrémiste du Syndicat National des Cheminots. Comme ce diable d'homme –
ne devrions-nous pas dire gamin plutôt, il a à peine vingt ans ? – possède un élocution facile, que rien ne lui fait peur, il entraîne
ses camarades à sa suite. Les gens pondérés sont ébranlés par son argumentation
simpliste. Deux années passent. Zénon Schaefs est connu de la plupart des cheminots de Wallonie.
Ses chefs l'ont encore déplacé du dépôt de Roneit à
celui de Jemelle, avec l'espoir d'atténuer les effets
de sa propagande révolutionnaire ; mais en vain. Comme il fallait s'y attendre,
il quitte le Parti Socialiste pour le Parti Communiste. Avec Thonet, il fonde la Fédération communiste de Huy, et propage
la littérature communiste dans tous les milieux qu’il peut atteindre. La Grève éclate… Notre homme se
déchaîne. En 1923, éclate la grève des cheminots.
Peut-être y est-il pour quelque chose ? S'imaginant que le moment décisif est
venu, il fait partie du Comité de grève, se livre à une propagande
antimilitariste acharnée parmi les soldats, va porter la contradiction où il le
peut, écrit dans les organes d'anciens combattants... il est vraiment déchaîné
! Non content de prêcher l’antimilitarisme, il le met en pratique, refuse
d'assister à une revue, écrit en termes vengeurs à l'autorité militaire. C'est
la compagnie disciplinaire. Mais les juges le voyant si jeune, l'acquittent. Ceux qu'il haïssait le plus lui
donnaient une leçon. Et quelle leçon ! Celle de la fraternité de tous ceux qui
ont versé leur sang, là-bas dans les boues des Flandres. Mais il ne comprit pas…
ou ne voulut pas comprendre. Son activité politique ne fit que croître, il prenait la parole partout où l’on attaquait l’ordre établi. Après un meeting où il se montra particulièrement violent, Zénon Schaefs reçut un beau jour sa révocation des Chemins de fer. Il ne fut pas question, dans ce document du travail subversif que le serre-freins Zénon Schaefs accomplissait. Mais le journal namurois Vers l'Avenir en apporta la preuve, par les félicitations qu'il adressa à M. Xavier Neujean, alors ministre des Chemins de fer. Cela se passait le 14 février 1924. Zénon Schaefs qui a le sentiment profond qu’une injustice avait été commise à son égard, est littéralement enragé. Il voue une haine féroce à tous ceux qui ne sont pas de son avis, à tous ceux qui ne partagent pas son admiration pour le marxisme intégral. Bientôt, il fonde le premier comité du Parti Communiste à Namur. A partir de ce moment, il devient le chef incontesté du mouvement communiste dans toute cette région. Il crée le rayon communiste de Namur, la Fédération communiste du Namurois, les rayons d'Auvelais, Andenne, Namêche, Sombreffe, Ottignies, St-Eloi, etc., etc. Il organise la jeunesse Communiste ; il appelle à la vie une section du Secours Rouge International, une du Secours Ouvrier International et une section des anciens combattants socialistes. En 1925, il est secrétaire fédéral et membre des Comités centraux de ces organisations révolutionnaires. Le syndicat socialiste l'a exclu, comme noyauteur communiste. Il passe aux Chevaliers du Travail, l’organisation communiste créée par Làhaut, à Seraing. Il milite dans le pays de Liège. Mais bientôt le voilà en opposition avec Lahaut qui manque de principes idéologiques – et dont les procédés lui paraissent trop canailles. Ensuite, il combat Van Overstraeten et Lesoil. Il rentre à Namur pour y poursuivre son œuvre révolutionnaire, Il est devenu populaire dans tous les milieux ouvriers. N'est-il pas un des seuls qui se soit permis d'aller porter la contradiction au sein même des assemblées des autres partis ? Janvier 1926, la crue de la Meuse ravage le Namurois, causant de graves dommages, non seulement dans les bas quartiers de la ville, mais encore dans les campagnes environnantes. Zénon Schaefs, avec sen esprit chevaleresque, son désir de se dévouer, patauge dans l'eau, réalise des prodiges pour aider ses concitoyens. Mais tous les services d'assistance ne fonctionnent pas assez bien à sen gré. Il accuse évidemment 1'autorité constituée... Deuxième rencontre avec le Roi. Le Roi Albert a voulu se rendre compte
personnellement de l'étendue de la catastrophe et aussi apporter ses
encouragements aux sinistrés. Tandis que le Souverain passe au
quartier St-Nicolas, Zénon Schaefs se faufile entre
le service d'ordre, parvient jusqu' au Roi et dit : - Sire, je veux vous parler ! Déjà les gendarmes qui ont reconnu Schaefs, raccrochent et veulent le refouler. Mais comme
autrefois, à l'Yser, le Roi intervient et avec ce calme imperturbable que tous
ceux qui l’ont approché lui connaissaient, il dit : - Laissez-le parler ! Et Schaefs
d'accuser en termes violents le Gouverneur, le Bourgmestre et d'autres et
d'autres. Les intéressés étaient-là écoutant ce réquisitoire. Le Roi prêta
oreilles et promit d'examiner les griefs qui lui avaient été exposés. Le peuple, tous ces pauvres gens qui
avaient perdu le plus clair de leur bien dans l'inondation avaient assisté à
cette scène. Schaefs en sortit grandi dans leur
estime. Le peuple, tous ces pauvres gens qui avaient perdu le plus clair de leur bien dans l'inondation avaient assisté à cette scène. Schaefs en sortit grandi dans leur estime. Mil neuf cent vingt-sept. Il est, devenu l’agitateur hargneux, méchant, ne connaissant plus aucune retenue. A l'occasion de la Treizième Semaine Internationale des jeunesses Communistes, il organise des meetings malgré l'interdiction, il tient des réunions publiques, distribue des tracts, etc., etc. Les procès-verbaux se succèdent. Mais Schaefs n'en n'a cure. Nonante-six patrons en huit ans. De 1919 à 1927, il fut employé par
nonante-six patrons différents et fichu dehors après quelques jours de présence.
Mieux, souvent même après la première journée, au cours de laquelle il avait
peut-être travaillé, mais surtout prêché la « bonne parole » communiste à ses
camarades. Le patron le faisait appeler, lui donnait congé, lui octroyait un
billet de cent francs en le priant de ne plus revenir... Et entretemps les procès-verbaux s'accumulaient
chez lui. Un beau jour pourtant, avec un conseiller juridique, il établit le
compte des sanctions que les tribunaux ne manqueraient pas de lui appliquer
d'ici peu. Il s'aperçut qu'il serait mis assez longtemps à l’ombre. Cela ne
faisait pas du tout son affaire. Le 14 novembre 1927, il passe en France, où il se met évidemment en relations avec les communistes français. Il n'était pas de trois mois et demi chez nos voisins du Sud que le gouvernement français prenait à son égard un arrêté d'interdiction de séjour, brevet délivré en récompense de son activité révolutionnaire. Jacquemotte, d'accord avec les communistes français, écrivit à Moscou afin de demander asile pour son compagnon. Et le 15 février 1928, Zénon Schaefs partit pour la Russie soviétique, comme refugié politique belge. Hourrah ! Voici les Soviets… Ça commence mal, mais enfin !... Par Marseille, le Pyrée,
Constantinople, Trébizonde, il gagna le port soviétique de Batoum. Ah ! Ce
qu'il était content d'être enfin dans un pays où les Ouvriers étaient les
maîtres. A bord du bateau sur lequel il se trouvait, avaient pris place quelque
deux cents Russes blancs qui avaient demandé de pouvoir rentrer dans leur
patrie. Dès que le bateau eut jeté l'ancre dans le port, ils entonnèrent
l'Internationale. Une vedette amena les agents de la Guépéou à bord. - Taisez-vous tas de cochons, hurla le chef à l'adresse
des Russes blancs. Vous n’avez pas le
droit de chanter l’ « Internationale »… Puis il les fit ranger deux par deux et débarquer sous la garde de soldats, baïonnettes au canon. Zénon Schaefs, le communiste pur, avait-assisté à toute cette scène avec un petit sourire narquois. Or, ne voilà-t-il pas que le chef de la Guépéou l'apostrophe à son tour et qu'un des policiers se met à le secouer comme un prunier. On le prenait pour un blanc, lui le rouge vif !... Ce n'est qu’après de longues explications qu'il parvint à faire comprendre, à cet homme qu'il était réfugié politique belge ; qu'il était un hôte et non un vulgaire « pedzouille » qu'on fait marcher dans le rang. Conduit au Comité du Parti Communiste, il y reçut bon accueil. Le Secours Rouge International dont il avait fondé une section à Namur, lui donna le logement et la nourriture ainsi que son ticket pour Moscou. Le 17 mars 1928, il se présentait chez le secrétaire du Secours Rouge International à Moscou. Celui-ci, après avoir pesé et soupesé son cas, eut l'impression que Zénon Schaefs n'était peut-être pas tout à fait pur, aussi se prépara-t-il à renvoyer en Sibérie, comme suspect ! Il n'eut plus manqué que cela. Mais si cet homme n'avait pas tous ses apaisements, c’est que les communistes français avaient oublié d'avertir officiellement Moscou de l'arrivée de notre compatriote. Toute cette affaire aurait pu tourner mal sans l’intervention opportune de Vercruysse des Tramways Bruxellois qui se trouvait précisément en mission dans la ville sainte du communisme. Il faut avouer que tout ceci avait assez désagréablement impressionné Schaefs qui s'attendait à être accueilli à bras ouverts par les pontifes moscovites. Enfin, il reçut l'autorisation de résider en Russie soviétique et reçut ordre et papiers pour aller à Rostov-sur-Don. Métallurgiste, agitateur et député. Là-bas, il se présenta au comité régional
du Secours Rouge et une fois de plus les difficultés recommencèrent. En tant
qu'émigré politique, il n'avait pas droit à ceci, à cela ou à autre chose.
D'autant plus que le Parti Communiste belge avait toujours encore négligé de
faire parvenir sa mutation. Néanmoins, il put trouver à s'occuper à « Komunar Kraoat », une fabrique de
lits, au salaire de soixante-deux roubles, soixante-dix kopeks par mois.
C'était juste assez pour ne pas crever de faim et trop peu pour vivre
normalement. Mais entretemps le camarade Jacquemotte
fit parvenir les états de service du camarade Schaefs,
dont la situation s'améliora immédiatement. Vêtu à l'européenne, avec un
pardessus léger, notre homme souffrit cruellement des intempéries et avec son
salaire; impossible d'acquérir d'autres vêtements. Déjà à ce moment, alors qu'il n'était en
U.R.S.S. que depuis peu de temps, il commençait à se rendre compte que ce «
paradis » ne répondait pas tout à fait aux descriptions qu'il en avait lues
dans le Drapeau Rouge et qu'il avait répétées aux ouvriers qui venaient
l'écouter dans ses meetings namurois, aux cheminots ardennais, aux mineurs borains,
etc. Mais enfin, il n'avait pas encore trop à se plaindre. En 1929, il
travaillait en qualité de perceur, fraiseur, raboteur, dans les ateliers Lénine
du Chemin de fer du Nord Caucase. Il était devenu agitateur du Secours Rouge
International ; député aux Soviets de Rostov-sur-Don (section de la guerre) et
membre de l’inspection ouvrière et paysanne. Ici, en Belgique, nous dirions qu'il
était parvenu à se faire une petite place dans le « fromage », car si ces
postes n'étaient pas rémunérés, ils lui donnaient pourtant, des avantages. Il était une fois une brochure… Profitant de ses loisirs, Zénon Schaefs étudia les Chemins de fer. De l'atelier « Lénine » du Nord Caucase, il voyait
assez bien ce qui se passait autour de lui. Il interrogea les cheminots, les
machinistes, les chefs de gare. Il s'en fut fouiller
dans les documents de la direction du Nord Caucase. Et, un beau jour, il coucha
ses observations sur le papier et les intitule : « Que sont les Chemins de fer en Russie » et « Le sort des cheminots soviétiques ». Son
manuscrit serré dans une belle serviette de cuir, insigne d'une parcelle du
pouvoir, il partit pour Moscou. Il se rendit au comité central du Syndicat des
Chemins de fer, exposa ce qu'il avait fait au secrétaire général et lui soumit
sa brochure. Quelques jours après, il revint et ce
fut pour recevoir les félicitations enthousiastes de la part de ce haut fonctionnaire.
- C'est un travail merveilleux que vous avez fait là, camarade Schaefs ! Nous allons le faire traduire dans toutes les
langues et la première brochure de chacune de ces éditions qui sortira de
presse sera pour vous. Et de plus nous allons vous octroyer une prime en
récompense de l'œuvre utile que vous avez accomplie. Notre ami Schaefs
jubilait. Il portait encore bien plus ostensiblement, sa serviette de cuir, en
retournant à Rostov-sur-Don. Son étoile brillait davantage au firmament rouge.
Elle n’était pas encore très haut, mais elle se levait
et bientôt, la Russie, le monde entier entendraient parler de lui. Les semaines ; les mois passèrent. Zénon
avait déjà écrit plusieurs fois au Comité central du Syndicat des Chemins de
fer, sans jamais recevoir de réponse. Il en avait été sérieusement mortifié. Puis un beau matin en ouvrant le Drapeau
Rouge, qui lui parvenait régulièrement de Bruxelles, son attention fut attirée
par une annonce qui recommandait, aux Belges, la lecture d'une excellente
brochure sur les Chemins de fer et les cheminots russes. Il se fit envoyer
cette brochure et quel ne fut pas son ahurissement de constater, que c'était ce
qu'il avait écrit et ce qu'il avait remis au Comité central du Syndicat des
Chemins de fer. Et le nom de l’auteur s'étalait en
caractères gras sur la couverture de cette brochure. Mais ce nom n'était pas :
Zénon Schaefs. C'était : Amazof, secrétaire général du Comité central du Syndicat soviétique des
Chemins de fer. Rage, fureur de Zénon Schaefs ! Il écrivit une lettre vengeresse, puis n'obtenant
pas de réponse, il prit le train pour Moscou, dans l'intention d'enguirlander
congrûment le camarade Amazof. Celui-ci finit par le
recevoir et après ravoir écouté patiemment, lui tint à peu près ce discours : Je vous vole ? Estimez-vous
heureux ! - Vous avez écrit cette brochure, camarade Schaefs,
à la gloire de la Russie soviétique. C'est bien là votre intention ? - Certainement. - Alors de quoi vous plaignez-vous ?... De ce que j'ai
remplacé votre nom par le mien ? Vous devriez en être très honoré. J’ai
conféré à votre œuvre, une valeur bien plus grande en la signant... N'oubliez
pas que mon nom, Amazof, est connu du prolétariat
mondial, que je suis une personnalité très importante dans le mouvement ouvrier
communiste, tandis que vous, vous n'êtes tout de même – reconnaissez- le –
qu'un petit ouvrier... Qui donc vous connait ? Ici, en Russie, personne.
Ailleurs, dans le monde personne, et ce n'est juste que dans votre petite
Belgique que les gens savent qui vous êtes. En conséquence, je ne saurais vous
donner qu'un seul conseil, c'est d'abord de ne plus protester et ensuite de me
remercier de vous avoir apporté mon concours pour que votre travail de
propagande atteigne vraiment le but que vous lui avez assigné. Si vous
suivez ce conseil je vous accorderai quelques tickets supplémentaires, je vous
ferai obtenir la faveur d'un séjour dans un sanatorium pré-tuberculeux et vous
serez bien nourri. Si vous êtes d'accord retournez à Rostov-sur-Don. Zénon Schaefs
vit qu'il n'avait qu'une seule ressource, se taire. Il avait été spolié ; mieux
: volé – et il devait rendre grâce à celui qui l’avait dépouillé. Quiconque possède le sens de la justice –
rares sont les Belges qui ne l’ont pas – comprendra les sentiments qui
agitaient notre compatriote pendant qu'il s'en retournait vers sa résidence. Une farce qui finit mal. Rentré chez lui, il reprit le collier
aux ateliers Lénine, du Nord Caucase. Le président du Soviet provincial s'intéressait
vivement à ce réfugié politique belge. Peut-être avait-il conservé un bon
souvenir des nombreux Belges qui firent la prospérité industriel1e de toute
cette région ? Après quelques mois, il pria Zénon Schaefs
de venir lui rendre visite. - Et alors, camarade, commence-t'on à parler un
peu le russe. Zénon Schaefs,
tout fier de ses connaissances récentes lui récita une longue phrase. Le haut personnage soviétique, dès les
premiers mots, se retint à l'imposant bureau derrière lequel il était assis. Sa figure passa par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Il se dressa et avant même que Zénon n'eut terminé il l'apostrophait violemment. -
Infâme cochon, fils de pourceaux, comment osez-vous me dire ces infamies, à
moi, ici dans mon bureau ? hurla le camarade Bogdanorv,
alias Si1berstein. - Mais
camarade, je viens de vous saluer, très poliment, de demander des nouvelles de
votre santé et de formuler à votre intention mes vœux les meilleurs. - Mais
non vous ne m'avez pas salué, où donc avez-vous appris cela ? - A
l'atelier Lénine. - Eh
bien, vous venez de me dire les pires cochonneries et les pires injures du
répertoire russe ! Jamais notre Schaefs
n’avait été aussi ahuri. Et il comprit, alors seulement, pourquoi sa fiancée se
voilait parfois la face et lui ordonnait énergiquement de se taire lorsqu'il
lui disait un mot doux que ses camarades d'atelier lui avaient appris. Le
lendemain de cette entrevue, un jeune homme qu'i1 n'avait jamais vu, occupait
la machine voisine de la sienne. Il semblait ne connaître personne dans
l'atelier et ne cherchait pas à lier connaissance. Il travaillait avec
frénésie. Cinq, six jours après le jeune homme ne vint plus, mais l'organe régional
du Nord Caucase, le « Molot
», du 14 avril 1929, portait en gros caractères ce titre : « Un scandale aux ateliers Lénine » et ce
sous-titre : « On trompe un camarade
belge en lui apprenant des mots scandaleux ». L'auteur de l’article
racontait que pendant six jours il avait travaillé aux côtés du réfugié politique
belge Zénon Schaefs qui désirait apprendre le russe.
Ses camarades de travail au lieu de lui donner la signification exacte des mots
qu’il demandait, lui apprenaient les pires cochonneries... Un nettoyage
s'ensuivit et Schaefs n'eut plus autour de lui que
des gens qui s'efforçaient de lui rendre service. On reçoit Vorochilov… Et Vorochevilov est bien reçu. Au fur et à mesure que passaient les
mois, Zénon Schaefs se familiarisait davantage avec
la langue russe et il pénétrait toujours plus dans l’intimité de cette population
sympathique. Il vivait vraiment de la vie de l'ouvrier, russe ; n'avait autour
de lui que des ouvriers. Il ne lui fallut pas longtemps pour constater que leur
situation n’était guère enviable. Aucun ouvrier belge, même chômeur,
n'endurait de privations semblables à celles qui étaient le lot quotidien des
travailleurs les plus courageux. Oui, certains avaient un ordinaire un peu
meilleur que d'autres. Mais la nourriture d'un oudarnik c’est-à-dire d'un
travailleur de choc, était plus mauvaise que celle de n'importe quel ouvrier de
Belgique. De plus, les conditions de logement étaient effroyables. Quant aux
vêtements, ils se transformaient en guenilles après quelques jours, tant leur
qualité était mauvaise. Zénon Schaefs,
maintenant qu'il comprenait la langue, qu'il lisait les journaux, comprit que
les dirigeants s'efforçaient d'entretenir le feu sacre parmi les ouvriers, en
leur promettant un avenir meilleur. Mais ces promesses, toujours répétées,
depuis des années, ne se réalisaient pas. Vorochilov, commissaire du peuple à la
guerre {c'est-à-dire : ministre}, depuis lors promu au grade de maréchal de
Russie, devait venir à Roston-sur-Don pour y haranguer
le peuple. Une grande réunion avait été organisée en son honneur. Tout Rostov
se pressait dans une immense salle tendue de drapeaux rouges ornés de la
faucille et du marteau. Ah ! ce fut une belle réunion.
Le commissaire du peuple à la guerre prononça un discours enthousiaste. Il
prêcha l'économie avec une force de conviction vraiment étonnante : « Epargnez chaque kopek, pour la construction
de notre république marxiste. Les petites sommes sont nécessaires. Il faut que
chacun se restreigne et que chacun apporte sa part à la construction socialiste
de l' U..R. S. S. » Notre Zénon Schaefs,
à son poste d’observation, .aux chemins de fer, savait que Vorochilov était
venu de Moscou, à Rostov, en train spécial et qu'il était accompagné d'une
suite aussi nombreuse que brillante. Et c'était cet homme qui venait prêcher
l'économie aux ouvriers, qui venait leur demander de consentir à de nouveaux
sacrifices... Son sang ne fit qu'un tour et sans hésiter il prit la parole : - Le camarade Vorochilov peut-il nous expliquer comment il se fait qu'il
vienne ici en train spécial, qu'il dépense vingt mille roubles pour son voyage
alors qu'il nous demande, à nous ouvriers, d'épargner le moindre kopek pour la
construction de l'Etat socialiste ? Cette question produisit l'effet d'un
courant électrique sur les gens qui étaient installés sur l'estrade, alors que,
par contre, un frémissement de contentement traversa toute l'assemblée. Le président de l'assemblée tenta de
faire taire Zénon Schaefs qui poursuivait son
réquisitoire. Les voisins directs de notre compatriote jetaient déjà des
regarda d'inquiétude de tous côtés, se demandant probablement d'où allaient
déboucher les agents de la Guépéou chargés d'arrêter Schaefs.
Mais rien de semblable ne se produisit. Le président prit la parole, tandis que
Vorochilov semblait assez embêté. - Le camarade belge, déclare-t-il, est beaucoup trop idéaliste. Il n'a
pas encore compris que le camarade Vorochilov ne peut pas agir comme un simple
mortel. Il est commissaire du peuple à la Guerre. Et quand Vorochilov se rend
au neuvième Congrès, il faut que le monde entier le sache. S'il voyagait donc comme n'importe qui, par un train ordinaire
sans suite, les Etats capitalistes n'en sauraient absolument rien. Tandis que
lorsqu'il part de Moscou en train spécial, salué à la gare par 1'«
Internationale », les diplomates étrangers sont au courant et cela fait
impression sur les masses ouvrières dans les pays bourgeois... Après cela la séance fut levée et il fut
impossible au camarade Zénon Schaefs de réfuter cette
argumentation, juste bonne pour flatter 1'amour propre des Russes. L’empêcheur de danser en rond. C'est vers la même époque que Schaefs fut chargé de faire une collecte pour le Secours
Rouge International. Il se présente chez le Président de la Guépéou qui y alla
largement de cinquante kopeks, c'est-à-dire d'un demi-rouble. Zénon Schaefs lui reprocha violemment son avarice. L'autre ne se laissa
pas dire, il traita notre Schaefs de
contre-révolutionnaire, de partisan de Trotsky. Ainsi, petit à petit, Zénon Schaefs commençait à ruer dans les rangs, en empêchant les
petites combines de beaucoup trop de fonctionnaires communistes. - Tu jouis à peu près
d'une véritable immunité, en ta qualité de réfugié politique, lui disaient ses
camarades russes. Tu peux parler, toi, tandis que nous, si nous disions
seulement la dixième partie des réclamations que tu présentes, nous ferions connaissance
avec le tribunal spécial de la Guépéou, En octobre 1929, les chefs de la cellule
communiste proposaient par quatre voix contre deux 1'exclusion de Schaefs. Mais une assemblée générale repousse cette proposition
par 117 voix contre 13, ce qui indique la grande popularité dont Schaefs jouissait auprès de ses camarades russes. Cette exclusion
avait été proposée pour un motif bien singulier. Schaefs
recevait des journaux de Belgique et de France. Il osa communiquer à ses
compagnons de travail un tableau des salaires payés aux métallurgistes
français, tableau qui avait été dressé par le « Travailleur de la Métallurgie »
organe communiste français. Mais comme ces salaires étaient de loin supérieurs
à ceux qu'on payait en U. R. S. S. on considéra que Schaefs
avait commis un acte subversif... A partir de ce moment plus aucun des journaux
communistes étrangers destinés à Schaefs ne put lui
parvenir… Entretemps, notre homme qui faisait
partie du Soviet de Rostov-sur-Don, section de la guerre, et qui à ses moments
perdus était instructeur politique dans l'Armée Rouge, fut nommé soldat
honoraire au 71e régiment des cosaques du Don. Il n'était pas peu
fier de cette nomination et il en fit part à son père, demeuré à Namur par ces
mots que nous trouvons au dos de la photographie que nous publions ici : Libéré de tout service militaire en Belgique capitaliste mais soldat honoraire du 71e régiment des cosaques du Don (cavalerie). Vive l'Armée Rouge ! A bas la Belgique capitaliste ! Vive la révolution mondiale ! Signé Zénon C'est vers ce moment qu'il établit des
relations entre l'Armée Rouge, l'armée belge et l'armée française par
l'intermédiaire des militants des partis communistes de Belgique et de France.
Le temps passa et notre compatriote apprit à connaître de mieux en mieux la
Russie des Soviets. « Soyez moins sincères… Vous ne
le regretterez pas » En décembre 1930, le camarade Andrieiev, membre du « Polit Bureau » et secrétaire régional du parti communiste
russe, le fit appeler. Pour la seconde fois Zénon Schaefs
s'entendit traiter de communiste idéaliste. Andrieiev
lui expliqua qu'il n'y avait pas place pour ce genre de sentiment en U. R. S.
S. Il fallait au contraire se montrer pratique et réaliste. Il lui demanda de
changer d'opinion ; de ne plus ruer dans les rangs ; d'applaudir à toutes les
initiatives des chefs communistes ; de les appuyer ; il n'y perdrait rien. Si,
au contraire, il persistait dans son attitude actuelle, il paierait les pots cassés.
C'était en quelque sorte lui demander de
faire fi de sa liberté d'opinion. C'était l'obliger à fermer les yeux. C'était
l'astreindre à louer ce que dans son for intérieur, en âme et conscience, il
trouvait mal. C'était lui enlever toute liberté... Hélas ! le
Belge tient dur comme fer à sa liberté d'opinion ! Vers ce moment Zénon Schaefs
fut transféré aux ateliers de Chemins de fer de Vladicaucase.
Dès son arrivée dans cette ville, il se rendit ainsi que l’exige le règlement,
au bureau de répartition des logements. Il y fut reçu comme un chien dans un
jeu de quilles. Emigré
politique,
lui dit-on, qu'est-ce que ça peut nous
faire ?... Vraiment vous n'aviez qu'à rester chez vous. Nous ne vous avons
pas demandé de venir en Russie. Nous avons gagné la révolution nous, les
Russes, mais vous qu’avez-vous fait ? Vous n’avez même pas été capables
d'en flaire autant. Et puis fichez-moi le camp ... Zénon Schaefs « ficha
le camp » jusqu'à la Guépéou où il se plaignit amèrement. - Si on ne
voulait avoir aucune considération pour lui en tant qu'émigré politique, on lui
en devait au moins en tant qu'ouvrier. Sa plainte eut quelques effets. On
lui trouva une petite chambre. Mais il ne demeura pas longtemps à Vladicaucase. Le climat lui était trop pernicieux. Après trois mois et demi, il fut à
nouveau déplacé. Cette fois on l’envoyait comme fraiseur à Sébastopol aux
chantiers maritimes. Après peu de temps, il fut affecté comme raboteur-fraiseur
au port de guerre et chargé, de plus, de l'agitation parmi les marins étrangers
qui faisaient escale dans ce port. Par les soins diligents de Zénon Schaefs, des relations furent établies entre les matelots
des principaux navires de guerre français et ceux de la flotte rouge ... Chaque
navire français reçut la photographie du navire russe correspondant. Une
correspondance active fut échangée entre marins français et marins de la flotte
rouge, des collectes furent faites en France, des fanions attestèrent de l’activité
de ces relations, que chez les communistes on appelle « le parrainage ». Une comédie de grand gala. Zénon Schaefs
faisait preuve ici aussi d'une connaissance approfondie de son métier de
propagandiste. Mais cela ne l'empêchait, pas de voir ce qui se passait autour
de lui. C'est ainsi que 1a veille de l’arrivée à
Sébastopol de Tefwik Bey, ministre des Affaires Etangères de Turquie, on fit un grand nettoyage à
Sébastopol. Tous les bisprisorne
(les enfants abandonnés) furent coffrés. On balaya les rues, ce qui ne s'était jamais
fait avant ! Il fut interdit aux habitants de sortir de chez eux ! Le Président
du Soviet, en frac et en gibus, s'en fut recevoir le camarade Litvinov et le
ministre turc. Ah ! ce fut une
belle cérémonie. Zénon Schaefs s'amusa bien en voyant
les salameleca que tous ces gens faisaient devant les
étrangers. Comme ils étaient heureux, comme ils étaient fiers d'avoir reçu une
poignée de main du ministre turc. Jamais il n'avait vu tant de platitudes ! On expulse les tuberculeux pour loger
les chefs communistes. Il y avait à Sébastopol un dispensaire anti-tuberculeux. La maison grande, spacieuse, bien
aménagée, se trouvait au milieu d'un vaste parc. Les malheureux rongés par la
tuberculose, pouvaient y recevoir quelques soins. Mais, hélas ! On ne disposait
ni des rations nécessaires à leur alimentation méthodique, ni des médicaments
indispensables. Cette maison et ce parc étaient vraiment
très bien. L'immeuble n'avait pas trop souffert des injures du temps et le parc
s'il eut été aménagé, aurait fait très bel effet. Un beau jour on apprit que le
dispensaire anti-tuberculeux, d'ordre supérieur
devait quitter cette propriété. Immédiatement après le départ de ces services
des équipes d'ouvriers prirent possession de la maison. Ils la transformèrent,
la modernisèrent, lui donnèrent une décoration splendide. Des allées furent
tracées dans le parc où des jardiniers s'affairaient. De grandes caisses contenant
du mobilier furent amenées dans ce petit château. Déjà on murmurait en ville
que les tuberculeux avaient été expulsés pour faire place à Koujanewski
et Orloff, commandant et chef politique de la flotte
rouge de la Mer Noire ! Cette rumeur alla en s'amplifiant. Elle fut bientôt
confirmée .par les allées et venues des matelots qui allaient du port de guerre
à la maison. A quelque temps de là, l’amiral et le
chef politique de la flotte rouge s’installèrent avec leurs épouses. Plusieurs
domestiques, bien stylés, les servaient. On apprit même qu'un chef français
était chargé du service des cuisines. Comme on ne trouvait pas tout ce qui est
nécessaire à la vie de grands seigneurs, l’amiral et le chef politique
faisaient venir de France, des toilettes pour leurs épouses, des cigarettes,
des liqueurs, des vins fins. Tout cela arrivait par mer et était débarqué au
port de Sébastopol sous l’œil des policiers de la Guépéou… Comme d'autre part, il y avait pénurie
de logements, en ville, que les ouvriers devaient se contenter d'une maigre pitance,
qu'il leur était impossible de trouver des objets même de première nécessité
dans les magasins de l'Etat, ils murmurèrent, puis protestèrent. Les autorités s'en émurent quelque peu et
crurent devoir expliquer que le camarade amiral, Kojanewski
et Orloff devaient être à même de recevoir les chefs
des escadres étrangères de passage dans la Mer Noire. Le prestige de la flotte
de U.R.S.S. commandait qu'ils fussent en état de leur accorder une hospitalité
au moins aussi fastueuse que celle qu’ils trouvaient ailleurs. Qu'eussent-ils pensé de la puissance de
la Russie soviétique si les chefs de la flotte de la Mer Noire eussent habité
dans un petit appartement ? Ils seraient retournés dans leur pays et n'auraient
eu que des parâtes de dédain pour la République des paysans et des ouvriers. Ces Dames spéculent… Ce langage ne produisit, à vrai dire,
pas grande impression sur la population de Sébastopol. On constata, en effet,
que les femmes d'officier de la marine allaient vendre au « bazar » - lisez : au marché – des marchandises que leurs
maris obtenaient si facilement. Les prix qu'elles demandaient, étaient nettement
usuraires. Une brigade de contrôle fut créée par les ouvriers, sans l'assentiment
du Soviet, bien entendu. Nombre de femmes furent arrêtées. Elle parvint même à
pincer Mme Kojanewski elle-même. Or, savez-vous ce qu'il en advint ? Peut-être, croyez-vous, que Mme Kojanewski, et les autres dames communistes, furent punies
? pas du tout. On signifia aux ouvriers qu'ils avaient
à s'occuper de ce qui les regardait, que ce genre de répression, était du
domaine de la Guépéou, voire même de la milice et non des ouvriers ! Ceux-ci,
disent les communistes, n'étaient pas capables de juger et ils risquaient de
commettre, comme cela avait été le cas avec Mme Kojanewski,
des « erreurs » qui obligeaient les chefs du Soviet à formuler des excuses
aux hautes autorités militaires. Est-il besoin de dire que l’ironie de
cette déclaration n'échappa nullement à ceux à qui elle s'adressait. Seulement,
il s'agissait de se tenir coi si on ne voulait pas connaître la prison, ou être
envoyé en Sibérie, ou en Asie Centrale. Et pourtant la misère était grande. Elle
était telle qu'au lieu de prononcer le traditionnel « nitchevo » par lequel les Russes
résolvent toutes les difficultés, les ouvriers se mirent à ronchonner. Du pain ! Du pain ! C'était en 1932. Un meeting de
protestation fut organisé aux ateliers de montage des chantiers maritimes. On y
fit un réquisitoire terrible contre les dirigeants communistes. Certains
tentèrent de prononcer des paroles de prudence. L'assemblée ne voulut pas les
écouter. On voulait du pain, du pain à suffisance, du pain mangeable et non pas
ce mastic brunâtre, lourd, indigeste qui pesait sur l'estomac sans rassasier.
Après avoir longuement avisé aux mesures à prendre, il fut décidé que
vingt-sept ouvriers s'en iraient trouver le camarade Staline et réclameraient
du pain ou la mort. Les
vingt-sept ouvriers furent arrêtés, jamais plus on n'entendit parler d'eux. Les
autres ne pipèrent plus mot. Une fois de plus, la lourde botte de la répression
stalinienne s'appesantissait sur la masse ouvrière et écrasait ceux qui avaient
osé élever la voix. Zénon Schaefs,
témoin de tous ces faits, souffrait de ne pouvoir rien dire. L'atmosphère de
contrainte et d'espionnage qui régnait en Russie, le dégoûtait. Il commençait à
avoir soupé de ce drôle de « paradis ». Il voulut s'en aller. « Reste chez nous,
petit ! » Le 6 août 1931 il apprit que la
prescription, jouant, il pouvait rentrer en Belgique sans crainte de devoir
faire connaissance avec les hautes murail1es de la prison. A la première
assemblée de la cellule communiste du port de guerre de Sébastopol, il fit part
à ses camarades de son désir de retourner en Belgique. L'autorisation lui fut
accordée à l'unanimité, ainsi d'ailleurs que par le comité local des
organisations syndicales. Il adressa donc sa demande à I'Exécutif
de l'Internationale communiste, en y joignant dès extraits, du procès-verbal de
la Cellule du port de guerre et l’autorisation du Syndicat. Ainsi qu'il se doit
il dut, avec sa lettre et ses documents, rendre visite au Comité du parti
communiste de Sébastopol. En Russie, ne l’oublions pas, tout doit passer par la voie hiérarchique. Glasov,
secrétaire du Comité du parti communiste de Sébastopol, après avoir pris
connaissance de la lettre, partit d'un grand éclat de rire. Puis en regardant
Zénon Schaefs avec un petit sourire narquois, il
déchira flegmatiquement la lettre et les documents qui y étaient joints. Puis
se levant de son fauteuil, pour mettre fin à l'entretien, il poussa Schaefs dehors en lui murmurant, avec un gros rire, que jamais il n'accorderait l'autorisation
de rentrer en Belgique à un trotskyste de son genre. Devant l’arbitraire de cette décision, Schaefs s'en fut porter sa
protestation au Président de Crimée à Sinferopol.
Entretemps, le Comité régional de la ville qui avait, lui aussi, refusé les
visa, promit à notre compatriote d'en écrire au camarade Jacquemotte,
à Bruxelles, chef de la section belge de l'Internationale Communiste. Jamais la réponse de ce haut personnage ne
lui parvint. Le 14 avril 1932, le Président de Crimée
avait donné l’ordre à l’inspecteur du Commissariat des Affaires Etrangères, résidant
en Crimée, d'accorder un visa de sortie à Schaefs, Ce
dernier, au cours de l'entrevue qu'il obtint avec ce personnage, s'entendit
dire que les passeports belges qu'il présentait n'étaient pas valables. « Nous n'avons pas de relations diplomatiques
avec la Belgique, dit-il ; en conséquence ces passeports sont justes bons pour
aller au W. C. Tu es un bon communiste… Mais
tiens-toi tranquille. Mais Schaefs
n'était pas homme à se laisser démonter. Sans attendre plus longtemps, il
partit pour Moscou. Il y retrouva Legrand, un Belge, personnage important dans
les milieux soviétiques (soit dit en passant, Legrand n'est qu'un pseudonyme.
De son vrai nom il s’appelle Wathelet et est
originaire de Mons). En compagnie de Legrand, Zénon Schaefs
obtint audience, le 19 mai 1932, de M. Angaritis,
dans les bureaux de l’Internationale Communiste. Comme il connaissait bien
notre compatriote ! - Vous êtes un excellent travailleur, lui-dit, un bon communiste, mais... un communiste idéaliste. Vous nous agonisez
d'injures, vous renforcez l'opposition contre nous. Ce
n'est pas précisément une recommandation grâce à laquelle nous vous laisserons
sortir de Russie. Peut-être d'ici quelques années, si vous avez changé, nous
pourrons en reparler. Retourner à Sébastopol, tenez-vous bien tranquille. Si
nous apprenons que vous poursuivez vos démarches pour nous quitter, si par
exemple, ajouta-t-il avec un sourire doucereux, vous écrivez encore à
l'ambassade de France à Moscou, nous serons bien obligés de prendre des mesures
radicales. Il se tut pendant quelques instants, mais
ajouta d'une voix douce : - Nous vous
ferons arrêter ... Zénon Schaefs
entra dans une rage bleue. Ces sourires, ce ton doucereux l’avaient
littéralement démonté. - Je ne comprends pas cette mesure arbitraire, hurla-t-il. Je reprends ma
liberté d'homme et de citoyen ! Et tirant sa carte de membre du Parti
Communiste, de la poche, il la déchira, en jeta les morceaux sur le bureau de
M. Angaretis et termina en lui disant : - Je sortirai du b..del
soviétique, que vous le veuillez ou pas ! Sans en entendre davantage, Angaretis qui semblait s'amuser comme une petite folle,
poussa notre Schaefs dehors. Notre Namurois courut alors chez Losoveski, secrétaire de l'Internationale Syndicale Rouge,
au Comité Central des Cheminots. Partout, il reçut un accueil presque identique. Conscient du danger qu'il courait, il ne
demeura pas longtemps à Moscou, mais s'en fut d'une traite à Novorossisk au
bord de la Mer Noire. Là, au Club International des Marins, il rencontre des
amis français du bateau pétrolier « Président
Sergent ». Il leur remit son journal, une lettre pour son père et une autre
pour Namur. Il agissait ainsi car il savait parfaitement que sa correspondance
avec la Belgique était surveillée et que les lettres ne seraient jamais
parvenues à leurs destinataires. Et dans l'espoir de pouvoir préparer son
évasion, il se fit transférer aux ateliers de réparations des wagons du
Nord-Caucase à Novorossisk. Ça commence à sentir mauvais ! La situation dans le Nord Caucase et le
Kouban fut vraiment terrible vers cette époque. C'est ainsi que les femmes et
les enfants des travailleurs défoncèrent les portes des magasins coopératifs et
les saccagèrent (le 17 juillet 1931). Le Président du Soviet de Novorossisk fut
lapidé et mortellement blessé. Le secrétaire de la ville fut blessé. Certains
bateaux étrangers qui étaient amarrés dans le port furent obligés de larguer
leurs amarres et de gagner le large. Cette révolte fut réprimée dans le sang.
Les jeunes femmes, les jeunes filles se livraient ouvertement à la prostitution,
racolant les marins étrangers afin de pouvoir manger à leur faim. Voici une anecdote qui dépeint assez
bien la situation : Près de la gare se trouvait une boulangerie devant laquelle
il y avait toujours une file interminable. Deux marins nègres qui connaissaient
quelques mots de russe, étaient descendus de leur cargo, ils baguenaudaient en
ville. Arrivé devant cette file, ils s'arrêtent et demandent, tant bien que
mal, ce que cela signifie. Nous attendons du pain, leur fut-il répondu. Nos
deux moricauds allèrent jusqu'à la porte de la boulangerie, arrêtèrent le
premier individu qui en sortait et l'interrogèrent encore : - Qu'est-ce que vous avez là ?
- Du pain. - Laissez voir, et le nègre de
prendre la ration que l'homme venait de recevoir, d'y planter ses dents blanches,
de cracher avec dégoût, tout en jetant le morceau de pain au ruisseau. - Pouah ! C'est de la
cochonnerie, mais pas du pain ! L'homme, atterré, regardait son pain gisant
parmi les immondices. Il se fâcha, voulut corriger ces mauvais plaisants, mais
les négros le calmèrent immédiatement en lui demandant de les accompagner. Ils
retournèrent au port, firent attendre l'homme à la limite de la zone interdite
aux Russes, remontèrent à bord et en descendirent, portant sous le bras du pain
blanc et du saucisson. - Voilà du pain, dirent-ils,
au russe dont la figure reflétait une joie sans bornes. Depuis combien de temps n'avait-il plus
vu de pain pareil ? Quel bon repas on allait pouvoir faire chez lui. Déjà il se
réjouissait de la surprise qu'il allait causer à sa femme. Après avoir remercié
les nègres, il s'éloigna à toute vitesse. Mais il n'avait pas fait cinquante
pas que deux policiers de la Guépéou, au képi vert, deux gardes frontières, se
jetaient sur lui, lui arrachaient pain et saucisson, puis à coups de crosses
l'obligeaient à fuir ! Une autre anecdote si vous voulez. Pour deux kilos de sucre ! Le 7 novembre 1932, il y avait grand
meeting au Club International des Marins. Le chef communiste Coli, de son vrai
nom Ercoli, pour fêter le quinzième anniversaire de
la révolution, prononça un grand discours sur la réalisation du Plan Quinquennal.
Que de choses merveilleuses ce communiste ita1ien ne débita~t-il pas aux marins
étrangers qui l’écoutaient. Lorsqu'il eut terminé, il annonça qu'il était à la disposition
de ceux qui voulaient lui poser des questions : M. Jules Lefèvre, quatrième officier mécanicien du pétrolier Président Lebon, port d'attache Dunkerque, prit la parole : - Voilà huit ans et demi, que je viens en Russie, mais je vous donne ma
parole que ce n'est pas ici que je planterai mes choux dans mes vieux jours.
J'y vois toujours plus de .misère et plus d'injustice. C'est le seul pays au
monde – tous mes camarades peuvent en témoigner – où, pour deux kilos de sucre
qui nous coûtent vingt kopeks au Torgsin, on petit
accoster n'importe quelle femme, en rue avec la certitude d'être accueilli par
un beau sourire, comme si on était un milliardaire américain… Est-il nécessaire d'ajouter qu'il y eut
un froid ; que M. Ercoli ne pipa plus mot et que
l'effet de sa conférence fut coupé. Si officiellement le gouvernement soviétique
à l'air de combattre la prostitution, il l'organise en fait. Ainsi au premier
étage du Torgsin à Norvorossirsk
(à l'époque magasin pour étrangers) il y avait une maison louche officielle. Toutes
les femmes – elles étaient au nombre de vingt-sept – étaient des agentes de la
Guépéou chargées, tout en accomplissant leur « métier », de faire parler les marins étrangers. Un Belge se fâche… Trois Belges se fâchent Nos lecteurs
savent que Zénon Schaefs avait contracté la
tuberculose, à la suite d'un bombardement au gaz, sur le front belge. Se sentant
assez déprimé, il écrivit à Andreïév lui demandant
d'être envoyé dans un sanatorium. Le 6 août 1930, il fut convoqué par la
Commission de la tuberculose. Cinq médecins l'auscultèrent. Considérant la
gravité de son cas ils décidèrent de l'envoyer pour un mois et demi dans un
sanatorium. Douze jours après n'ayant plus reçu de nouvelles, il revint au
siège de la Commission afin d'y prendre le permis de séjour pour le sanatorium.
Après l'avoir fait attendre, ainsi qu'il
se doit, on lui répondit qu'on avait donné son permis de séjour à un employé du
Comité régional du parti. Schaefs se précipite chez
le Président de la Commission de contrôle et lui fit remarquer qu'il y avait
droit au premier jour, sinon comme émigré politique du moins comme ouvrier. En
conséquence il se plaignait de ce qu'on lui put voler son permis. . Le Président se fâcha, répondit qu'il
n'était pas un voleur, mais qu’il était le chef et, qu'en conséquence, il
faisait ce qui lui plaisait, Cela eut le don de faire monter là moutarde au nez
de Schaefs, ébranlé par sa santé mauvaise. Il sauta à
pieds joints sur le bureau bondit comme une panthère au cou du Président et se
mit à serrer !... Le bruit avait attiré les employés des bureaux
voisins qui prévinrent le Guépéou de planton. Schaefs
était connu, on l’admonesta, puis on le fit sortir. Encore sous le coup de la
colère il quitta l'immeuble. Au moment où il mettait le pied sur le trottoir, il
entendit que de l'Hôtel de Moscou,
qui se trouvait juste en face, un homme disait à un autre : « V'la Zénon ». Il se retourna et aperçut ses
compatriotes Hublet et Watelet,
dit Legrand, qui étaient-là avec une délégation du Comité Exécutif et de
l'Université Lénine. Il traversa la rue et après les premières congratulations,
il leur raconta ce qui venait de lui advenir. Abandonnant les autos qui les
attendaient pour leur visite aux ateliers de réparations, ils se dirigèrent
vers la Présidence et rendirent visite à l'adjoint d'Andreïev. Ils racontèrent
ce qui s'était passé et lui demandèrent d'intervenir énergiquement. Il le promit. De ce fait Bisdolni, le Président de la Commission de contrôle médical,
fut convoqué et sérieusement admonesté car le lendemain, il faisait appeler
Zénon Schaefs, lui remettait un hon pour deux mois de
séjour au sanatorium de Gelenchick sur la Mer Noire,
ainsi qu'une somme de soixante quinze roubles... en le priant, à l'avenir, de
ne plus porter plainte !... Le policier est roi ! On pourrait croire que les membres dru
Comité exécutif de l'Internationale voyagent en Russie soviétique comme ils l'entendent,
voient ce qu'ils veulent et qui ils veulent. Erreur !.
.. Ils sont surveillés, soit par leurs interprêtes,
soit par leurs guides. Mieux, on file très soigneusement les gens qui leur
adressent la parole. C'est ainsi qu'en septembre 1930,
Legrand de la C. G. T. U. (syndicats communistes de France}, qui en réalité s’appelle
Arechia ou Avrecchia, vint
faire un voyage d'études à Rostov. Sehaefs, qui avait
été en correspondance avec lui, voulut 1e voir. Il se rendit à l'Hôtel de Moscou et demanda à parler au
camarade Legrand. Un homme qui se trouvait là dans le hall de l'hôtel l’apostropha
: « A qui veux-tu parler, au
camarade Legrand ? Tu ne peux pas ... » Mais Sehaefs
avait aperçu Legrand au haut de l'escalier, aussi le héla-t-il : - Dis donc, Legrand, ton « griffon » ne veut pas que je te
parle ! Pendant que Legrand descendait, le guide
s'approche de Schaefs, lui glissa à l'oreille : Je t'autorise à lui parler, mais pas plus de
cinq minutes, à condition qu'il ne s'agisse pas de politique, que ce soit en
français et en ma présence. Schaefs
employa l'argot de Paris. Le guide les interrompit. - C'est bien du français, je l’entends ... Mais je n'y comprends pas un
traître mot ... En racontant cette histoire, Schaefs enrageait encore. - Et dire que
ces gens, conclut-il, ces délégués ouvriers, viennent se faire bourrer le crâne
et le ventre en Russie. Il leur est impossible de savoir ce qui s'y passe.
Ainsi on leur vend, à eux, vingt-deux kopeks, un paquet de cigarettes qu'on
fait payer, aux ouvriers russes, trois roubles. On leur cède des pantoufles de
sport à 1.97 rouble, alors que nous devions les payer quinze roubles, et encore
fallait-il des protections pour en obtenir une paire... Ah ! conclut Schaefs, les ouvriers russes ont bien raison d'appeler «
parasites », tous les étrangers que l'Internationale Communiste invite en
Russie. La gifle… et le
« balthazar » Nous avons dit que Zénon Schaefs était chargé de faire de la propagande communiste
parmi les marins étrangers. A ce titre, il pouvait aller et venir dans le port
comme il lui convenait. A force de voir revenir régulièrement des bateaux de la
compagnie Francki, il avait fait la connaissance de
la plupart des marins de ces pétroliers. Se trouvant à bord du « Président Lebon » afin d'y faire
circuler une liste de souscription en faveur des dockers de Marseille, de Rouen
et du Havre, en grève, il avait fait venir un de ses amis qui, monté dans une
barquette, pêchait le maquereau non loin du bateau. Cet ami était accompagné
d'un gamin d'une bonne dizaine d'années. La chaloupe était assez près du
pétrolier. Le cuisinier du bord déversa ses déchets dans la mer. Il y avait là,
flottant au gré des vagues, d'énormes quignons de pain blanc. Le gosse, sans hésiter, parvint à les
repêcher. Il les pressa dans ses mains pour en faire sortir l’eau et y mordit à
pleines dents. Un garde-frontière de la Guépéou qui, de la berge, avait été
témoin de la scène, épaula son fusil et tira sur l'homme et sur le gosse. Le
capitaine entendant la détonation, se retourna et vit ce qui se passait. Son
sang ne fit qu'un tour, il descendit à terre et réunissant toutes ses connaissances
de russe, il eng ... vertement l'agent du Guépéou.
Puis, comme cet homme avait l’air de le prendre de haut, il lui lança une gifle
retentissante. Il remonta ensuite à son bord, fit mettre du pain et de .la
viande dans un panier qu'on descendit au moyen d'une corde jusqu'à la
barquette... Grâce à cette attitude énergique, une
famille de Novorossisk fit ce jour-là un « balthazar »
extraordinaire en Russie, car au menu, il y avait du pain blanc et une tranche
de viande. Mais si la propagande communiste était
bien organisée parmi le personnel des bateaux qui faisaient escale à Roston-sur-Don, il faut reconnaître que la contre-propagande
se faisait tout naturellement, par le seul spectacle que les marins étrangers
avaient sous les yeux. Il y avait là, à Novorossisk, plusieurs
consulats étrangers, et le vice-consul d'Italie, qui était très populaire parmi
les étrangers qui faisaient escale à Novorossisk, organisait régulièrement des
excursions dans la région, Une excursion à laquelle les marins prenaient tous
part, était celle qui leur permettait de voir la prison de la Guépéou. Cette
prison n'était pas précisément destinée aux touristes que l’on promène à
travers le territoire russe. Aussi, le spectacle de ces épaves humaines, que
sont les prisonniers des Soviets, était-il beaucoup plus « parlant » que
n'importe quel discours. Où la Russie est une propagande...
pour Hitler ! On ne lit pas ce qu'on veut en U. R. S.
S. Les publications étrangères n'y parviennent que par de multiples détours. Schaefs en recevait pourtant. Il lut, en 1932, que le gouvernement
allemand accordait une amnistie générale aux émigrés politiques. Les Allemands qui se trouvaient à
Sébastopol rapprirent bientôt aussi. Chose extraordinaire, ces gens ne se
sentirent plus de joie. Bientôt, ils furent en rue et formaient un petit
cortège. Ils se promenèrent en ville en chantant l'Internationale dans leur langue Et après chaque strophe, sur l'air
des lampions, ils clamaient : Visa, visa
!... vite qu'on file d'ici ! Les 3,350 émigrés politiques allemands
qui résidaient dans les grandes villes de Russie en firent autant et dès le
surlendemain, ils demandaient tous leur visa de sortie ! Comme ils étaient
nombreux et qu'ils étaient bien soutenus par leur organisation nationale, on
leur accorda ce qu’ils demandaient. Or, tous ces gens qui avaient donc vécu en
Russie, de la vie de l'ouvrier russe, peut-être même mieux que lui, qui avaient
pu se rendre compte des beautés du régime soviétique, rentrèrent, en Allemagne
et presque tous passèrent immédiatement
aux troupes de Monsieur Hitler ! Les journaux enregistrèrent le fait,
sans pouvoir l'expliquer. Mais ceux qui ont vécu en Russie, sans avoir été les
hôtes du gouvernement russe, sans avoir voyagé dans des wagons réservés,
comprendront parfaitement que, ces gens soient devenus des adversaires irréductibles
du régime communiste. L’art de faire des promesses. Pendant toute .l'année 1932, aucune usine n’avait exécuté le Plan. Parmi les raisons de cette déficience, il y avait tout d'abord l'insuffisance de nourriture, ensuite le mauvais état du matériel, enfin, le dégoût des ouvriers. Ceux-ci n'avaient aucun stimulant et travaillaient machinalement. L'autorité supérieure envoya aux ateliers de réparations des wagons de Novorossisk, un conférencier qui, après avoir exposé, les mille et une raisons politiques et économiques, qui militaient en faveur d'un travail à pour cent, crut devoir ajouter qu'une récompense de 250,000 roubles serait accordée. Cette somme ajoutée aux 104,000 roubles que possédait la Coopérative, permettrait d’ouvrir un magasin coopératif réservé au personnel des ateliers et qui pourrait, enfin, délivrer des marchandises autrement qu'au compte-gouttes. Cette promesse fit merveille. Jamais on ne vit tant de courage au travail et pourtant la récompense n'était pas directe. Les ouvriers avaient seulement la perspective de pouvoir acheter un petit peu plus dans leur magasin et c'était tout. Avant la, fin du trimestre, l'atelier des réparations des wagons de Novorossisk avait exécuté le « Plan » à 115 %. Déjà le personnel se frottait les mains. Huit jours passèrent, puis vint la récompense. Et 3.000 ouvriers et ouvrières affamés purent se partager, moyennant finances bien entendu… 119 paires de bottes et 300 mètres de calicot !... Puis, fin décembre 1932, au renouvellement des cartes de ravitaillement, une ordonnance réduisit la ration de pain de chaque ouvrier à 600 grammes et n’accordait plus rien aux autres membres de la famille. C'était là la récompense de Moscou ! Les membres du parti communiste eux-mêmes n’étaient plus avantagés comme auparavant. Ce fut une belle explosion de fureur. Comment donc, on était venu leur promettre monts et merveilles s'ils réalisaient le « plan » et tout cela, ô dérision ! se transformait au contraire en de nouvelles privations !... Mais que faire ? Ceux qui réclament, en Russie, courent toujours le grand risque d'être « mis en boîte », pour leur apprendre que la discipline exige que tous les « oukases » du gouvernement et du Parti communiste soient acceptés sans murmure. « Couyon de
communiste ! » Ce fut vers Zénon Schaefs
que les ouvriers de l'usine se tournèrent. Lui seul pouvait se faire leur porte
parole, avec quelque chance de réussite. - Tu n'es qu'un couyon de communiste belge, lui dirent-ils crûment. Mais
tu peux prendre notre parti, te faire notre avocat. Tu jouis d'une
quasi inviolabilité en ta qualité de réfugié politique étranger. Notre compatriote, qui avait déjà fait
plus que sa part, eût bien voulu demeurer coi, mais pressé, bousculé, harcelé
par tous ces pauvres gens, il résolut de prendre leur défense. Deux grandes
assemblées générales eurent lieu les 8 et 9 janvier 1933. Des motions de
protestations furent votées et transmises à Menjinski.
Cela valut à Schaefs d'être traité de contre-révolutionnaire – évidemment ! Il
ne se laissa pas dire et répondit vertement qu'il n'était évidemment pas de ces
chefs rouges qui reçoivent des payok (rations de vivre) plantureux, dans les caves des
coopératives, afin que 1es ouvriers n'en sachent rien. La discussion tournait à
l'aigre. Un échange de correspondance se produisit, notre compatriote finit par
se fâcher. Se trouvant devant, la section locale, il injuria les membres de
sales bourgeois rouges et d'autres épithètes aussi peu agréables aux oreilles
des purs entre les purs que voulaient être ces gens. Il fut exclu ! Jacquemotte s’en mêle… Schaeft est arrêté S'il avait agi ainsi, c'était peut-être
parce qu'il espérait quitter bientôt la Russie. Le 9 février 1933, il recevait
en effet des passeports belges tout à fait en règle. Ils lui avaient été
envoyés par la légation belge de Riga. Le jour même il entreprit les premières
démarches en vue de l’obtention du visa de sortie du territoire soviétique. Le lendemain, à 16 h.30, les agents de la
Guépéou se présentaient chez lui munis d'un mandat de perquisition et
d'arrestation. Alors seulement, Schaefs se souvint de
ce que lui avait dit Angaretis, lorsqu'il était a1lé
le voir précédemment, pour lui demander de pouvoir rentrer en Belgique. C'était parce qu'il voulait fuir la Russie
qu’on l'arrêtait. II rapprit d'ailleurs lorsqu'il fut arrivé dans les bureaux
de la Guépéou et qu'on commença son interrogatoire. Il sut alors que cette arrestation était
en quelque sorte décidée depuis le 19 mai 1932, à la demande du secrétaire de
la Commission Internationale de Contrôle de l'Internationale Communiste et ce,
à la suite, d'une lettre du député communiste Joseph Jacquemotte.
Elle ne devait être mise en exécution que le jour où il voudrait vraiment
partir. Où l’on parle à une femme… à coups de
pieds A peine arrivé dans les bureaux de la
Guépéou, Schaefs invoque l'article 13 de la
Constitution Soviétique sur le droit d’asile. Tout prévenu politique doit être
interrogé en présence d'un interprète et d'un défenseur. Cela lui fut refusé.
Alors il voulut savoir les motifs de son arrestation. On les lui cacha. Le chef de la Guépéou le fit enfermer
dans la chambre de correction. Après l'y avoir laissé moisir tout un temps, il
l'en fit sortir pour signer le procès-verbal de ses « déclarations » rédigées
en russe. Schaefs ne voulut pas le signer. On voulut alors
savoir s'il avait eu des relations avec les partisans de Trotsky.
L'inculpé se gaussa de ceux qui lui posaient des questions de ce genre. Pendant
huit jours on le tint au secret sans lui .permettre de voir sa femme. Comme il
n'avait rien fait de répréhensible, il fit la grève de la faim. Quarante-huit heures
plus tard on l'autorisait à recevoir la visite de sa femme. Mais dans quel état la malheureuse, était-elle
! Des agents de la Guépéou l’avaient
battue, lui avaient donné des coups de pieds dans l'espoir de lui faire signer
une déposition où elle eût déclaré que son mari pratiquait de l'espionnage pour
le compte de l'Italie. Elle s'y refusa obstinément, car elle
savait parfaitement que ce n'était pas vrai. Les brutes lui avaient porté des
coups tels qu'aujourd'hui encore elle en souffre et que des médecins belges
doivent la soigner ! Lorsqu’elle arriva devant lui, la tête
bandée, se traînant avec peine, Schaefs entra dans
une rage bleue. Mais que faire ? On lui signifia qu'il était inculpé suivant
les articles 58/10 sur la propagande contre-révolutionnaire et 58/13 sur l’insurrection
armée. Le 18 février, Daschko, grand chef de la Guépéou
du Nord Caucase, arriva à Rostov. Il fit remarquer lui-même au chef de la
Guépéou locale que l'accusation basée sur l'article 58/13 était stupide ! Transféré à Rostov-sur-Don le 18 mars
1933, à la Prison 33 Sadowaya, Schaefs
subit encore, sans avoir pu manger, un interrogatoire qui dura vingt-quatre
heures. Cela se passait dans le cabinet n° 15. L'interrogateur, gifla à plusieurs
reprises notre compatriote, le maltraita, l'injuria d'espion, de provocateur, Schaefs bondit sous l'insulte, il jura qu'il se plaindrait
aux chefs du communisme français et belge. Le procureur se gaussa de lui. Comme la discussion se poursuivait sur
ce ton un peu ... vif, Schaefs devint bientôt si
nerveux qu'il prit l'encrier qui se trouvait sur la table et sans hésiter une
seconde il le flanqua à la tête de son interrogateur. Celui-ci tout dégoulinant
d'encre se ressaisit aussitôt prit son revolver et tira sur Schaefs.
Mais avant qu'il eût pressé la détente, le Belge, sautant sur l'homme, avait
fait dévier le tir. Le bruit de la discussion et de la lutte qui avait suivi
était tel qu'on accourut de tous les cabinets voisins. L'interrogateur fut
désarmé, tandis qu'on maîtrisait Schaefs. A partir de ce moment l'interrogatoire
fut poursuivi par l'adjoint de Daschko lui-même et
tout se fit normalement. Grève de la faim et tentative de
suicide Que dire du régime de la prison, si ce n'est que notre concitoyen tenta trois fois de se suicider et qu'il fit [a grève de la faim pendant six jours. Les geôliers communistes, à cette occasion, mirent Schaefs en présence de cinq autres prisonniers à qui ils servaient des plats extraordinaires qui n'avaient rien de commun avec le régime ordinaire : 200 grammes de pain et une soupe où mijotaient des légumes pourris et des harengs moisis. Finalement notre Schaefs fut nourri à la sonde. Mais pourra-t-on croire en Belgique que dans une cellule de 35 mètres carrés on avait parqué cent vingtsept condamnés politiques ? (Elle portait le n° 72 et se trouvait dans les caves). Pourra-t-on croire que Schaefs qui n'était pas encore condamné et qui resta en prévention pendant sept mois à la prison de Sadowaya, ne fut autorisé à se promener que trente-cinq minutes sur tout ce temps ! « Franske »
Morriens chef communiste anversois Schaefs était
un de ces cent vingt-sept, condamnés politiques. En peu de temps, il eût lié
connaissance avec tous les habitants de cette cellule, L'un deux, condamné à
huit années de réclusion, lui demanda s'il ne connaissait pas un nommé Morriens.
S'il le connaissait ! N'était-ce pas un de ses compatriotes ? N'était-ce pas un
chef communiste anversois, membre du Secrétariat National du Parti Communiste
Belge – et qui, tout comme Schaefs, était parti tout
content pour la Russie Soviétique. Tout heureux d’apprendre des nouvelles
de ce garçon, très populaire dans les milieux communistes, il interrogea
l'homme. Franske Morriens était
dans un camp de concentration, tirant une peine de cinq ans, pour avoir tenté
de quitter par trois fois, illégalement, le territoire soviétique ! La confirmation de ce fait lui fut d'ailleurs
donnée par après, par Orlandi, un Italien, qui lui
apprit comment Morriens avait essayé par trois fois
de s'évader de Russie, qu'il avait bien été envoyé dans un camp de concentration,
mais que depuis il avait fait sa soumission aux bonzes de Moscou. « Franske »
est actuellement chargé, d’un service de liaison internationale à Moscou. Pour
certaines personnes cette expression peut paraître obscure. Elle signifie tout
bonnement que Morriens est occupé au service de l'espionnage
russe. Les communistes anversois qui ont bien
connu ce garçon, charmant et joyeux, seront certainement très contents de recevoir
de ses nouvelles... Voyage – de prison en prison Le 17 septembre, Schaefs fut transféré à la prison n° 1 de Rostov-sur-Don. Par la même occasion il apprit, non sans une certaine stupéfaction, malgré sa longue expérience des choses de Russie, que le tribunal secret de Moscou, l'avait condamné le 16 juillet précédent, sans qu'il fut présent, bien entendu, à trois ans de déportation à Almata, une localité du Turkménistan, chef-lieu de la région de Djietisou (Sept Rivières) dans la République du Kazakstan. Le 17 décembre à son arrivée dans sa nouvelle prison de Rostov-sur-Don, on voulut enlever à Zénon Schaefs le brassard du Front rouge qu'il portait toujours. Il s'y opposa énergiquement. Finalement on le lui vola. On le parqua avec vingt et un autres individus dans une cellule de treize mètres carrés. La nourriture était un peu meilleure, c'est-à-dire, qu'il recevait trois cents grammes de pain et une assiette de soupe au poisson. Les condamnés politiques, étaient mêlés aux condamnés de droit commun. Seulement ceux-ci pouvaient travailler... Atteint de scorbut, Schaefs fut transféré à l'infirmerie, un local de trente mètres carrés de surface occupé par trente hommes, d'innombrables punaises, des armées de poux et d'autres bestioles aussi peu agréables. Seulement ceux qui étaient à l'infirmerie avaient droit à cent grammes de pain supplémentaires et une ration de millet, le soir. Alors !... La cellule des condamnés à mort Au cours de son séjour, très bref, dans
cette prison, Schaefs put encore mieux approfondir la
douceur des mœurs communistes. Il existait dans cet établissement une cellule
destinée aux condamnés à mort. Chacun la connaissait parfaitement, car c'est de
1à que venaient ces sanglots, ces pleurs, ces hurlements, ces rires
historiques, ces grincements de dents, ces appels au secours qu'on entendait
jours et nuits. Les malheureux enfermés là dedans y attendaient pendant des
semaines qu'il fut décidé sur leur sort. Chaque nuit, lorsque le gardien ouvrait
la porte de cette cellule et qu'il appelait : un tel avec toutes ses affaires, l'intéressé était pris d'un grand
tremblement. Il savait, comme tous ses camarades, qu'en sortant d'ici il ferait
encore quelques pas et puis qu'un homme lui tirerait une balle de révolver dans
l'oreille... Aucun pays au monde n'eût osé agir de cette façon. Et Schaefs se rappelait encore la parole de Marx : Le socialisme est la plus haute expression
des sentiments de liberté, justice et humanité !... Imagine-t-on la vie de ces gens ?
Apprécie-t-on la cruauté du procédé ? Huit condamnés à mort, virent leur peine
commuée, pendant que Zénon Schaefs séjournait dans
cette prison. Mais ce n'était plus des hommes, c'était des épaves humaines, de
véritables crétins, incapables de marcher, ne contrôlant plus leurs réflexes,
salivant comme de véritables gosses. Certains étaient même devenus fous. Zénon fit la connaissance d’un
quartier-maître mécanicien qui prit part à la révolte de la Mer Noire en 1905.
Il se traînait péniblement à l’aide de béquilles. Schaefs
fit aussi la connaissance là-bas d'une Française Mme Terriakine, née Lange, Originaire de Paris, qui possède
encore de la famille en France, et un parent au Tonkin. Elle était accusée
d'avoir pratiqué de l'espionnage. Fallacieux prétexte que les Soviets invoquent
lorsqu'ils veulent écarter quelqu'un qui les gêne. C'est ce qu'ils firent avec
les Français Romain et Clothilde Lebrun... Le quartier-maître non plus n'avait
pas su se taire. Lui aussi avait été révolté par le favoritisme éhonté ; lui
aussi était considéré comme un idéaliste.
En vertu des articles 58/6 et 58/10, il fut condamné à huit ans de réclusion.
Le malheureux, nommé Kovalenko, était atteint de
tuberculose osseuse. Sa femme vit aujourd'hui encore, quelque part, en France ! La charité, s'il-vous-plait... Enfin, le 25 octobre, Zénon Schaefs quitta Rostov-sur-Don pour Almata, la résidence forcée que lui donnait le gouvernement soviétique. A la prison, il reçut 4 kg. 800 grammes de pain, huit poissons à moitié pourris et trois policiers comme gardes. Alors commença un voyage de neuf jours. Notre compatriote était vraiment bien mal en point. Vêtu de haillons, rongé de scorbut, couvert de vermine, il partait pour un nouvel exil. Comme il n'avait rien que ses 4 kg. 800 gr. de pain et que la faim le torturait, il n'hésita pas à tendre la main, en chemin de fer: - La charité, s'il vous plaît, ayez pitié d'un émigré politique belge, rongé par le scorbut et les poux ... Ses gardiens n’étaient pas très satisfaits. Mais les voyageurs, de pauvres bougres pourtant s'efforcèrent d'aider le condamné. Arrivé à Almata, on lui donna trois roubles papier et on le jeta sur le pavé en lui conseillant d'essayer de tirer son plan ou d'aller crever. Il découvrit bientôt le local du comité de la Croix-Rouge, il y demanda aide. Ah ! Il fut bien reçu ! Nous ne pouvons rien pour un contre-révolutionnaire, lui fut-il répondu. Schaefs se débrouilla comme il put, il fit la connaissance du consul de Chine qui avait fait ses études en Belgique et qui avait conservé un très bon souvenir de notre pays. Aussi s’efforça-t-il d'aider notre compatriote. Vexé du vilain accueil reçu à la Croix-Rouge, Schaefs écrivit à Mme Pischkova, la première femme de Maxime Gorki, présidente du Comité d'aide aux emprisonnés politiques. Elle lui fit parvenir dix dollars. Enfin, il trouva du travail. Il fut occupé à l'atelier de réparations des autos du Soviet Municipal, au traitement de cent soixante roubles papier par mois. Ce n'était pas lourd et Schaefs n'eût certainement pas pu vivre s'il n'avait touché certains secours du Comité International de la Croix-Rouge, sa pension d'invalide de guerre belge et puis, avouons-le tout bas, s'il n’avait été privilégié. Nous expliquerons pourquoi... Après quelque temps, sa femme avait pu-réunir un peu d'argent pour venir le rejoindre. Le jour même de l'arrivée de son épouse, Schaefs était fichu à la porte du garage du Soviet, Une fois de plus, il n'avait pas su se taire ! Il avait raconté comment sont traités ou plutôt maltraités, les condamnés politiques dans les prisons de la Guépéou. C'était trop hardi. Il ne demeura pas longtemps sur le pavé. Pendant quelques mois il fut garde d'un chantier où l'on élevait une usine pour la fabrication de chaussures. Son salaire était à ce moment de 80 roubles-papier par mois. Bientôt grâce à ses relations, il fut engagé comme pompier, au Syndicat du naphte, au salaire de 144 roubles-papier par mois. A .partir de ce moment, il put vivre à peu près normalement, grâce aux ressources supplémentaires qu'il avait. Almata, la capitale de la république de Kazakstan, est une ville de 210.000 habitants. La crise du logement y était telle que la direction du Syndicat du naphte, admettait que cinq de ses employés occupassent leur bureau pour la nuit. Ils y recevaient fréquemment des visites. Zénon Schaefs, en sa qualité de pompier savait parfaitement ce qui se passait là-bas. Mais qu’y faire ? Un beau jour on prit prétexte de la visite que deux femmes avaient faite, la nuit, aux cinq employés pour le renvoyer. Schaefs une fois de plus montra qu'il avait du poil aux dents ; il protesta auprès du président du Kazakstan qui après avoir examiné le dossier, informa le Syndicat du naphte que Schaefs ne pouvait pas être rendu responsable de la crise de logement ! Le budget d'un « bourgeois »
soviétique On se demande peut-être comment Schaefs pouvait vivre avec d'aussi maigres revenus. Voici
un budget mensuel qu’il a dressé : Loyer, électricité (une chambrette de 12 mètres carrés) ……………
roubles 11.00 Pain noir ………………………………………………………………………… 32.00 Retenues pour l'Emprunt d'Etat (personne ne peut s'y
soustraire) …………….....15.00 Cotisations : Parti communiste russe ……………………………………………...1.50
Secours
rouge International……………………………………......... 0.30 Syndicales……………………………………………………………2.10
Ossaviakime………………………………………………………….1.20 Charbon……………………………………………………………………………..7.10 Alimentation……………………………………………………………………… 80.00 Total…………………………………………………………………………………………150.20 Soit donc un total de 150.20 roubles par
mois mais sans tenir compte ni des vêtements, ni des chaussures, ni de l’argent
de poche, etc. Heureusement Zénon Schaefs
recevait encore cent cinquante francs par mois, de Belgique, somme qui lui
arrivait sous forme de bons de Torgsin pour l'achat
de denrées alimentaires dans les magasins spéciaux. Or, le rouble Torgsin a coté en 1933 jusqu'à 110 roubles-papier. Le 8
juillet 1935, il cotait encore cinquante roubles-papier, ce qui revient à dire
que le budget de notre compatriote fut augmenté, à la « belle » période de
880 roubles-papier par mois et en juillet 1935 il l'était encore de 400
roubles-papier. Et Schaefs
fut considéré comme un bourgeois par ses camarades de travail !... Peut-être s'étonnera-t-on de la facilité
avec laquelle Zénon Schaefs trouvait du travail, de
l’aisance avec laquelle il allait frapper à la porte des plus hauts
personnages ; de l’accueil charmant qu'ils lui réservaient. Eh bien ! tout cela s'explique de la manière la plus simple. Avant sa condamnation Zénon Schaefs était agitateur politique, délégué à l'armée, à la
flotte de guerre. S'il ne mourut pas en prison, s'il ne fut pas fusillé
purement et simplement, c'est encore à cette qualité d'agitateur qu'il le doit.
Il appartenait un peu à l'armée, à cette caste privilégiée qui peut se
permettre beaucoup en Russie. S'il n'eût pas rué dans les rangs si, au
contraire, il eût hurlé avec les loups, Zénon Schaefs
aurait pu faire brillamment son chemin en U.R.S.S. Mais notre compatriote ne
pouvait souffrir l'injustice. Il la dénonça, brisant ainsi tout son avenir
politique au « paradis rouge », Mais, si son avenir était à l'eau, il n'en
continuait pas moins d'appartenir toujours à la caste militaire, la seule pour
laquelle on a quelque respect en Russie communiste. En exil il reprit son poste d'agitateur
du Secours Rouge International. II devint membre du Comité régional et du
Comité local de cette organisation. De février 1934 au 16 mai 1935, il
donna soixante-sept meetings à Almata et dans les
régions limitrophes !... Le thème principal de ses discours était évidemment la
solidarité prolétarienne. Le 18 mars 1935, Schaefs,
condamné politique accomplissant une peine de bannissement, fut délégué des
comités local et régional au Deuxième Plenum du Secours Rouge International de
la région de Kazakstan. Comme on le voit, quand Zénon
Schaefs disait leurs quatre vérités aux maîtres
communistes, ils l’expédiaient de prison en prison, mais quand ils pouvaient se
servir de lui comme propagandiste ils lui chantaient : Oublions le passé ! ... Un sur six ! Selon un rapport du secrétaire technique
du Secours Rouge International, qui voulait établir la statistique des membres affiliables et non-affiliables au
Secours Rouge, on put établir quelques chiffres vraiment curieux, La ville d'Almata compte 210.000 habitants dont 37.000 sont des
condamnés politiques. Dans le rayon des mines de charbon de Kazakstan
71 %, sont des condamnés politiques; dans le rayon du Haut et Bas Oural 67 % de la population sont des condamnés politiques
; dans le Kazakstan occidental 41 %, etc., etc. Il en
ressort que sur une population de 11.500.000 habitants, 3.500.000 sont des
condamnés politiques. D'ailleurs le commissaire adjoint Krykenlo
n'a-t-il pas déclaré que, un Russe sur
six est un condamné politique ! (Signalons qu'à A1mata 317 travailleurs
étrangers vivaient comme... déportés). A malin, malin et demi Depuis la fin février, Vizacker, chef de la Guépéou de Almata,
savait que Schaefs retournerait bientôt en Belgique.
Il le fit appeler un jour pour lui demander s'il était bien traité maintenant.
Qu'il espérait bien, qu'il conserverait un bon souvenir de la Russie et qu'il
aurait bien soin d'en faire part à tous ceux qu'il verrait, là-bas ! Sinon, tôt
ou tard, on la lui ferait à la Kouliepotf. Zénon Schaefs que
cette singulière conversation avait frappé ne manqua de la garder en mémoire.
Peu de temps après le sous-commandant des pompiers lui parla à mots couverts
d'une intéressante action qu'on pourrait entreprendre pour délivrer la Russie !
Pourquoi venait-on lui parler de cette
histoire cousue de fil blanc ? L’invention était beaucoup trop enfantine pour compromettre
un vieux routier comme l'était notre homme. Pendant dix jours Schaefs eut l'air de mordre à l'hameçon puis voulant jouer
une bonne blague au chef de la Guépéou qui tenait certainement les ficelles de
toute cette affaire, il s'en fut en grand mystère lui dénoncer le complot
contre-révolutionnaire que tramait le sous-chef des pompiers du Syndicat du
naphte ! Les gens de la Guépéou prirent un air d'étonnement naïf, Schaefs leur soumit un plan pour pincer ce « supporter de
la contre-révolution ». Ils ne pouvaient refuser sous peine de se trahir
eux-mêmes. Un homme de la Guépéou fut caché sous le
lit, un autre écouta par une brèche qui avait été creusée dans le mur. Schaefs interrogea le sous-chef et finalement on l'arrêta.
Au sous-ordre qui l'interrogeait non sans quelque brutalité, il répondit qu'il
n’avait fait que jouer le rôle qu'on lui avait indiqué... Le lendemain, il
avait disparu de la circulation... mais il n'était pas en prison. De toute
cette histoire, il appert que les gens des Soviets eussent voulu compromettre Schaefs, l’empêcher de quitter le territoire russe. Merci à Emile Vandervelde Le 14 mai 1935, le consul de Chine à Almata fit venir notre compatriote. Il lui remit de
nouveaux passeports belges, des certificats de nationalité, etc. qui lui
avaient été envoyés par la Légation de Belgique à Riga pour remplacer les
papiers d'identité, certificat d'invalidité belge, brevet de pension, livret de
mariage, etc. que la Guépéou lui avait enlevés en 1933. L'après-midi de ce même jour, Yourgins, un des grands chefs de la Guépéou, convoqua Zénon
Schaefs et lui ordonna d'apporter ses passeports. Il
se heurta évidemment à un refus énergique. Quelques jours après, on se décidait
enfin à donner le visa de sortie à Zénon Schaefs et à
sa femme. Etait-ce le résultat d'une démarche
qu'Emile Vandervelde fit auprès de l'ambassade des Soviets à Paris, Potemkine,
le 2 mai 1935 ? On pourrait le croire, aussi faut-il en remercier le leader
socialiste belge. C'est vers ce moment aussi que Soultanov, secrétaire régional du Secours Rouge
International, manda Zénon Schaefs. - Pourquoi m'as-tu caché que tu étais condamné politique ? - Vous le saviez parfaitement. - Tu n'as plus le droit de te dire émigré politique, - N'exagère pas camarade ! Reproduction de la carte de membre du Secours Rouge International appartenant à Schaefs. La conversation commencée de cette façon risquait de tourner à l'aigre-doux. Mais Soultanov s'expliqua bien-tôt. Il venait de recevoir des ordres supérieurs. Il les exécutait. Il voulut se faire remettre la carte de membre du Secours Rouge. Zénon Schaefs s'y refusa énergiquement. Il était en règle. On ne pouvait donc le déposséder ainsi de sa carte de membre. Il consentit à rendre son permis de passer d'agitateur. Soultanov s'en contenta. C'était en effet une arme qu'on ne pouvait laisser aux mains de Zénon Schaefs au moment où il rentrait en Belgique, après avoir subi de sérieuses avanies de la part des Soviets, Le 8 juillet 1935, Schaefs reçut les visa de départ. Il partit pour Moscou en compagnie de sa femme. Là-bas, il se rendit immédiatement au siège de la Croix Rouge internationale, où il fut admirablement reçu par Mme Pischkova et par M .Wehrlin, le délégué de la Croix-Rouge internationale, qui accomplirent, pour lui, toutes les formalités. Bientôt il fut en possession de ses passe-ports visés, il avait en poche son ticket de chemin de fer, quelques vivres et un peu d'argent. Quelques jours plus tard, Zénon Schaefs et sa femme passaient la frontière lettone à Bigossovo. C'était le 27 juillet 1935. A l'entrée de la zone neutre qui sépare l'U.R.S.S. de la Lettonie, le chef de la Guépéou qui avait accompagné le train descendit sur le ballast et se mit en position pour saluer les seize voyageurs qui poursuivaient leur route. Schaefs s'était contenu jusque là, mais à ce moment il se pencha à la portière et d'une voix de stentor gueula au chef de la Police soviétique : « Ah ! sales vaches, nous nous reverrons ! » Sa femme le fit taire. Un peu plus tard, les garde-frontières et les douaniers lettons pénétraient dans le compartiment, demandant les passeports. L'ordre de libération de la Guépéou que Zénon Schaefs leur tendit fit un effet surprenant. Lisant couramment le russe, ils prirent connaissance de ce document puis, saluant militairement notre compatriote, ils lui serrèrent chaleureusement les mains en le félicitant d'être revenu de si loin ! Certificat de libération accordé à Schaefs par la G.P.U. (voir traduction à la suite) Certificat
de libération accordé à Z. Schaefs par la police
soviétique : G. P. U. TRADUCTION U.
R. S. S. CERTIFICAT
Ce certificat est délivré au citoyen Schaefs, Zénon-Ghislain, né en Belgique en 1900, condamné
par le Collégium de la GPU., selon les articles 58/10
du Code Soviétique, à trois années de déportation dans la République de Kazabstan. Par ordre du Comité Central, le terme de
cette déportation est réduit d'un an. Schaefs,
Zénon, a accompli le terme de sa déportation à Alma-Ata et il est libéré après
l'accomplissement du terme. Ce
certificat ne peut servir comme passeport, et, en cas de perte, ne peut être
renouvelé. Le
Chef de Bureau : (signé) KOYKOV. « Vive Nameur
po tot ! » Lorsque le train entra en gare de Riga,
capitale de la Lettonie, notre Schaefs était évidement
penché à la portière, scrutant le quai. Deux messieurs se trouvaient là,
semblant attendre quelqu’un. Ils s'approchèrent de lui, le dévisagèrent et l’un
d'eux, en excellent français, l'apostropha : - Ne seriez-vous pas Zénon Schaefs ? - Oui, c'est moi. - Et bien alors... Vive Namur
po tot ! Qu'on juge de la stupéfaction de Schaefs qui était accueilli là-bas par une devise bien
namuroise, prononcée avec l’accent du terroir. C'était M. Dermine,
secrétaire à la Légation de Belgique, un Namurois qui avait voulu être le
premier à saluer son concitoyen. Il conduisit Schaefs
et son .épouse jusqu'à l'Ambassade de Belgique. A peine leur arrivée était-elle
annoncée que l'ambassadeur de Belgique lui-même, le baron de Sélys Fanson, venait leur
souhaiter la bienvenue. Ah ! cela ne se
fit pas par des discours protocolaires et de cérémonieuses courbettes. Non,
très simplement, paternellement, le baron de Sêlys Fanson serra ses deux compatriotes dans ses bras, comme on
fait pour des enfants très chers qui reviennent après une longue absence, alors
qu'on n'espérait plus les revoir vivants... Ils en furent touchés jusqu'aux
larmes, car n'était-ce pas la preuve qu'en cas de danger, ou dans le malheur,
les Belges sont vraiment frères. Le Baron les retint à dîner. Ils en furent
quelque peu embarrassés car, au cours des sept années passées au « paradis
rouge », ils avaient eu l’occasion d'oublier beaucoup de choses. Mais leur hôte
les mit tout à fait à leur aise feignant de ne pas s’apercevoir de leur
maladresse, de ne pas voir leurs petites gaffes. Après le dîner, il leur donna
un guide qui les conduisit en ville, puis au cinéma. L'heure du train venue, Schaefs prit congé du baron de Sélys
Fanson – dont il avait dans le temps, eng... de belle façon un pavent dans le Namurois !... Ce
n'est qu'en chemin de fer, tandis qu'il dégustait les sandwiches que
l'Ambassadeur lui avait fait remettre pour le voyage, qu'il se souvint de cette
particularité ! A Berlin, plusieurs journalistes allemands
voulurent connaître ses impressions. Mais obéissant aux conseils que lui avait
donnés le baron de Sélys Fanson,
Schaefs ne dit mot. Ce fut alors la traversée de
l'Allemagne et l'arrivée à Herbesthal. Il eut voulu
embrasser nos P. P. – lisez piotte pakkers – et pourtant... Dieu sait si avant son départ pour
la Russie il les détestait cordialement ! Voici le pays !... Voici Namur ! En les revoyant, il eut une pensée pour
le roi Albert qui, là-bas à l'Yser, lorsque la rude poigne des gendarmes
s'abattait sur les épaules du soldat frondeur et insubordonné, leur avait
commandé de le laisser tranquille ! Et alors, ce fut l’arrivée en gare de
Namur... Son père, ses frères l’attendaient. Ils lui firent une vraie fête,
mais le trouvèrent amaigri. Tout à la joie du retour ils ne lui en dirent pas
un mot. Ils l’accompagnèrent chez leur père où Schaefs
et sa jeune femme devaient trouver asile jusqu'à ce qu'il leur fut possible
d'avoir quelques meubles, quelques, ustensiles de ménage un peu de linge ... Le soir même de leur arrivée, le père
voulut fêter le retour de son fils. Quoique chômeur, il prépara un petit « balthazar
». Après avoir fait bouillir les pommes de terre, il fit rissoler du lard gras.
Quand il eut bien exprimé toute la graisse, il le jeta au feu. L'épouse russe
de notre Zénon, qui était assise dans un coin, avait vu le geste. D'un bond
elle fut sur pieds et clamant son indignation, elle dit : Comment donc peut-on
jeter ce bon lard. Chez nous il faut travailler durement pour en avoir et
encore ne parvient-on pas à en trouver. Et ici vous le jetez... A partir de ce
jour, le père Schaefs fit cadeau de ces «
crêtons » à sa bru ! Un marié remarié Lorsqu'Il fut installé de quelques
jours, il fit les démarches indispensables pour obtenir son inscription au registre
de la population. Quoique marié régulièrement en Russie, il eut la surprise d’apprendre
qu'il vivait en concubinage aux yeux de la loi belge ! La Guépéou lui avait
volé son acte de mariage et ne le lui avait pas rendu... Alors on put voir ce spectacle peu
banal, à l'Hôtel de ville de Namur, d'un couple marié depuis plusieurs années qui
se remariait. Ainsi finit la grande aventure de Zénon Schaefs
qui a pu se rendre compte que la Belgique, tout bien pesé, était encore le pays
où le travailleur tant manuel qu'intellectuel jouit de la plus grande liberté. Une autre constatation qui mérite d'être
épinglée, c’est que Schaefs dut s'apercevoir que même
nos chômeurs, qui touchent l'allocation réglementaire, vivent mieux que les
ouvriers russes qui travaillent normalement ! Qui l'eut cru ? Certainement pas celui qui
a lu la littérature de propagande des Soviets ou les relations de voyage
écrites par certaines personnes qui se sont promenées pendant quinze jours ou
un mois, guidées par des agents soviétiques, à travers l'immense empire
russe... On leur a montré quelques usines, quelques crèches, quelques hôpitaux.
Devant ce spectacle elles sont demeurées béates d'admiration. Mais elles n'ont
pas vu les autres écoles, les autres usines, les autres hôpitaux... Elles n'ont
pu entendre les confidences du peuple russe, qui peine et souffre avec l'espoir
de voir un jour sa situation s'améliorer. Comparez s. v. p., toute cette littérature « trop belle pour être
vraie » aux pages brutales et amères peut-être, mais sincères et vécues – que vous venez de lire. Et si ceci peut faire réfléchir certains
Belges... Eh bien ! les douloureuses aventures de
Zénon Schaefs « à la recherche du paradis sur
terre », n'auront pas seulement profité à lui seul. |