Médecins de la Grande Guerre

Une histoire de relève. (Divertissement des prisonniers de guerre)

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«  UNE HISTOIRE DE RELEVE »

(Scènes de la vie au front)

                                                       par F. Lancien

DISTRIBUTION

(dans l'ordre d'intervention)

                          Le COMMANDANT.

        L'ORDONNANCE.

                          Le LIEUTENANT.

                          LE DOCTEUR.                                    Rôles pouvant-être

                                                                                         joués par la même

                          LE PREMIER SERGENT-MAJOR.  personne.

BRUITS

Bruits de guerre.- Porte qui s'ouvre et qui grince. Bruits de caisses en bois qui se heurtent. Sonnerie de téléphone. Cornet de téléphone qui se décroche. Bruits de pas sur la passerelle.

JUILLET 1916 - 4 Heures de l'après midi - dans un poste de combat de commandant de compagnie en première ligne, secteur du Redan de Steenstraat.

Un abri minuscule en bois encombré de caisses de grenades - un téléphone de campagne sur une table faite de quelques bouts de planches.de caisses.

Le commandant de compagnie achève de donner ses instructions à son soldat de confiance, fraternellement assis à côté de lui.

( Durant toute la scène bruits de guerre -  coups de Fusils et de canons assez espacés.)

 

****************

Commandant       … et arrange-toi, pour qu'il y ait une abondante réserve d'eau dans ma chambre, car je colle !

 

Ordonnance         ça n'est pas drôle mon commandant que tu colles, après six jours de tranchées où tu peux te laver le bout de tes doigts dans un petit bassin en toile, avec une bouteille d’eau de Badoit.   

 

Commandant       Quand il en reste ! Il fait soif aux tranchées en Juillet, et il n'y a pas de réserve de St-Dizier à la cuisine ! (untemps)

                            Tu partiras vers six heures avec les autres garçons, mais tâchez de vous défiler hein, ne vous jetez pas dans les jambes du général.

 

Ordonnance         Tu peux être tranquille mon commandant, depuis presque deux ans que je suis ton ordonnance, est-ce que j'ai toujours pas bien tiré mon plan.

 

Commandant       Mon brave Gustave va !

 

Ordonnance         Le tout, c'est que la relève n’arrive pas trop tard, sinon on se couchera de nouveau à trois heures du matin à Rousbrug,

 

Commandant       Ah pour sûr, la relève s'amène toujours trop tard pour les relevés, et plus que suffisamment à temps pour les releveurs.

 

Ordonnance         C'est la vie du monde ça !

                            (coups de pommeau de canne sur la porte.)  

 

Lieutenant           On peut entrer mon Commandant ?

 

Commandant       Comment donc !

                            (La porte s'ouvre en frottant et en grinçant.)

                           

Commandant       Halte là, que personne ne bouge. Pas d'embouteillage dans ma cagna. Agissons avec méthode et prudence. Gustave, va t'asseoir au dehors, ça fera une place pour le Lieutenant Lacrosse. (En se levant l'ordonnance provoque un bruit de caisses qui se heurtent légèrement)   (Un temps)   Là ! Maintenant mon très cher, je suis tout à toi !

                            Entre ! (Coup de casque contre le bois)

 

Commandant       Doucement, respecte le Poste de Combat. Il est…

                            (il chantonne)

                                                   petit, tout petit, petit

                                                       à moi seul je le remplis…

                            mais il est bien sec, et mon suivant en aura besoin.

 

Lieutenant           Heureusement que mon casque a amorti le swing. Chic invention que ces casques !

 

Commandant       Assieds-toi, là, sur ce tas de « moelleuses » caisses de grenades ;

                            (bruit de caisses remuées légèrement)

 

Lieutenant           Vous permettez que je continue à protéger ce qui me reste de cellules grises, mon commandant ?

 

Commandant       Garde ton casque mon cher, mais crois moi, c'est au détriment de tes cheveux.-

                            Alors, tu as fini sans encombre ton quart sur la passerelle ?

 

Lieutenant           Sans rencontre fâcheuse, sans abordage. Un rêve quoi ! J'ai remis la barre à Huybrechts. Tout va bien à bord. Réjouissons-nous ! (Le, téléphone vagit)

 

Lieutenant           Aie, j'ai parlé trop vite.

 

Commandant       Rassure-toi (Il décroche le micro) Allo ? Oui, ça marche toujours bien, téléphoniste. Soyez tranquille ! (il raccroche)

 

Lieutenant           Il serait intéressant de noter combien de fois par jour, les téléphonistes s'assurent de ce que leurs lignes marchent bien... (ironique) pour autant qu'une ligne téléphonique marche !

 

Commandant       Oui, il y a des moments où on le souhaiterait aux cent milles diables, avec son inlassable « Vous m'entendez bien mon Commandant » ? (un temps) Peut-être d'ailleurs ce brave téléphoniste formule-t-il le même souhait, d'être aux cent mille diables, il ne serait toujours plus ici.

 

Lieutenant           Comment plus ici ! Un secteur entretenu comme les Tuileries, avec de beaux larges boyaux en sinusoïde.

 

Commandant       Il y a des boyaux en sinusoïde dans le Parc des Tuileries à Paris ?

 

Lieutenant           Mais enfin mon Commandant, rappelez-vous ce qu'était le secteur du Redan de Steenstraat quand nous sommes arrivés en Janvier ! - Des boyaux transformés en fossés, avec des traverses qui vous donnaient le mal de mer, à force de vous faire virer à droite, puis un mètre plus loin à gauche, puis cinq ou six mètres plus loin à droite, puis encore à gauche. Horreur ! Et les passerelles ! Et les abris ! Et les émanations en première ligne.

 

Commandant       Je reconnais qu'en janvier on pataugeait ferme dans le secteur, tant au figuré qu’en réalité. Je me souviens d'avoir, quant à moi, étant en réserve au Pypegael, été invité à accompagner le Major qui s'en allait au petit jour, à la recherche du Boyau Franco-Belge, de glorieuse mémoire.

 

Lieutenant           Vous l'avez trouvé ?

 

Commandant       Le Major oui, le boyau pas le moins du monde ! Le terrain avait reconquis et réassimilé le boyau historique.

 

Lieutenant           On l'a reconstitué depuis et comment ! ce qu'il nous en a demandé des nuits de travail, et des hommes ! Vous vous rappelez le brave De Jonghe de Wyngaert.

 

Commandant       Hélas oui, lui et tant d'autres !

 

Lieutenant           Il faut avouer qu'on s'en fichait un peu à la division qui nous a précédés ici pour nous remettre un secteur dans cet état là ! Nos successeurs n'auront au moins pas cette désagréable surprise.

 

Commandant       Tu penses ? attends octobre et les pluies, et tu verras fondre notre beau secteur, comme un morceau de sucre dans ta tasse de café.

 

Lieutenant           (vexé) Je ne prends pas de sucre dans mon café !

 

Commandant       Et le comble, c'est que nos suivants nous accuseront de nous être fichus de la boutique pendant notre séjour ici !

                            Eternelle histoire : la relève qui arrive trop tard pour les uns, trop tôt pour les autres ; l'organisation du secteur réalisée pour le mieux de l'avis des uns, alors que de l'avis des autres il n'en a pas été fichu une datte.

                            Si Gustave était ici, il te dirait que c'est la vie du monde ça !

 

Lieutenant           Peut être bien, mais ne parlons ni de pluie, ni de choses à cafard ! Il fait un temps magnifique, les boches sont raisonnables, et dans trois ou quatre heures on nous relève. - (sifflement très rapide d'une rafa1e d’obus)

 

Commandant       Holà !

 

Lieutenant           ça n'est pas pour nous ! (on entend quatre détonations successives assez proches. La porte s'ouvre en grinçant et traînant).

 

Ordonnance         (lointain) Sur la ferme de Paris, mon Commandant. (La porte se referme)

 

Lieutenant           Ils auront vu des piottes qui secouaient leur couverture en prévision de la relève dans quatre heures.

 

Commandant       Hum ! Dans quatre heures, il sera 20 heures ! Si tu vois arriver la relève vers 22 heures, tout ira bien.

 

Lieutenant           Soit clans six heures. Que sont deux heures après six jours de tranchées ?

 

Commandant       Les plus longues, les plus interminables !

 

Lieutenant           Bah ! Elles passeront cependant, comme les autres ! (un temps) N’empêchent que, malgré les bombardements classiques, à part les horripilantes séances de travail, nous nous en tirons sans catastrophe cette fois-ci, à la compagnie, avec un seul blessé !

 

Commandant       Tais toi malheureux, et touche vite du bois.

 

Lieutenant           Voilà, et c'est du bois de caisses de grenades mon commandant, c'est du bois excellent. (rires)

 

Commandant       Parlons vite d'autre chose !

                            Tout est-il en ordre pour la relève ?

 

Lieutenant           Fin prêt mon Commandant ! Les hommes connaissent tellement le secteur que la relève se fait quasi automatiquement. (en riant) On croirait voir un de ces films au cinéma : vous savez, la table dans la salle à manger, qui se garnit toute seule, d'assiettes, de verres, de plats qui sortent des bahuts et qui s'amènent miraculeusement a leur place, sur la nappe, sans que personne ne les touche.

 

Commandant       Allons je vois que tu es optimiste aujourd'hui.

 

Lieutenant           (exalté) La relève mon Commandant, Rousbruge. Le Lion d'Or – Le délicieux Moulin à Vent !

                            (un silence – Détonation de fusil assourdie)

 

Lieutenant           Il n'en démord pas le Fritz ! Il embête terriblement nos guetteurs avec son fusil muni d'une lunette. Sale Boche va ! Il m'a troublé mon Moulin à Vent et mon optimisme. (un temps) Malgré tout, il fait meilleur ici qu'à la 4e où le baromètre est à « Tempête » !

 

Commandant       Pourtant au Pypegaele les tornades sont rares.

 

Lieutenant           Il y a pis qu’une tornade au Pypegaele mon Commandant, il y a un intendant qui s'est risqué jusqu'à vérifier les caisses de boites de viande conservée et de biscuits, gardées précieusement dans le magasin à côté du poste de combat du commandant de la Cie de réserve.

 

Commandant       Le compte y était pourtant, il y a deux jours, quand nous y sommes passés, cela j'en suis certain, je l'ai vérifié moi-même !

 

Lieutenant           (ironique) Le compte de quoi, Mon Commandant ?

 

Commandant       Le compte des caisses, tiens ! Des caisses clouées, pleines de boites de viande et de paquets de biscuits.     

 

Lieutenant           Des biscuits peut être, mais des boites de viande, il n'y en avait plus volatilisées remplacées par des briques !!

 

Commandant       Patatras ! La tuile !

 

Lieutenant           Non, des briques, mon Commandant ! (ironique) ça se bouffe pourtant à l'Armée, des briques, Eh bien ce jean foutre d'Intendant a fait un raffut de Dieu le Père, et il est parti en disant qu'on aurait de ses nouvelles.

 

Commandant       (rageur) chameau !

 

Lieutenant           (Ironique) avec ou sans X ?

 

Commandant       Avec beaucoup d'X ! d'abord il y a des tas de chameaux qui ont chapardé la viande, et ensuite un autre, un grand celui-là, qui va s'en prendre à un pauvre Commandant de Compagnie, l'éternel responsable.

                            (exaspéré) mais si nous devions compter tout ce qui est inscrit sur les inventaires : cent mille cartouches par ici, deux mille grenades par là, nous n'en finirions jamais en une journée, et comme l'on change journellement d'emplacement ! (bruit de détonation de fusil assourdie)

 

Commandant       Et qui t'a donné ces excellentes nouvelles, mauvais plaisant ?

 

Lieutenant           Un téléphoniste qui révisait la ligne, mon Commandant.

 

Commandant       Misère ! Que de notes il va falloir gratter pour expliquer la transmutation de la. viande en briques.

                            Hélas pourquoi l'époque des miracles est-elle passée ?

                            Le Seigneur qui pour nourrir les Juifs dans le désert, à pendant quarante ans transformé la manne en pain, ne peut-il une seule fois, une pauvre petite fois, pour témoigner sa puissance, avoir transformé des boites de plata, en briques ?

 

Lieutenant           C'est une ingénieuse hypothèse à émettre dans le rapport que vous allez être appelé à fournir, car au fond, les briques, c'est peut-être vous qui (le téléphone vagit)

 

Commandant       (au Lieutenant) (tout en décrochant le micro)

                            Attends pignouf, je vais t'apprendre !

                            (Dans l'appareil) Oh pardon Mon Major, c'est à mon garçon ! Oui oui mon Major tout va bien. Au revoir mon Major ! (Il raccroche) Misérable !

 

Lieutenant           Qui mon Commandant ? Le Major, l'Intendant, ou moi ?

 

Commandant       Tu me payeras cela au vaguodrome !

 

Lieutenant           Mon Commandant je me prosterne à vos pieds, je rampe ! Grâce et je vous raconte l'histoire du dossier des bottes en caoutchouc !

 

Commandant       Quelles bottes ?

 

Lieutenant           Il manquait donc deux paires de bottes en première ligne, à l’arrivée de la Cie de relève. Mon histoire commence en mars, ne l'oubliez pas !

 

Commandant       J’essaie.

 

Lieutenant           La note annonçant à l'Autorité supérieure, la constatation du manquant fit – cela va de soi – retour à la compagnie de relève, avec prière de justifier cette différence. (bruit assourdi de détonation de fusil)

 

Commandant       Je devine la suite. La note fut transmise, avec une autre note, à la compagnie relevée….

 

Lieutenant           qui la renvoya, à son tour au Régiment avec une nouvelle note d'explications.

                            Au bout d'un mois, la feuille de papier initiale était devenue un dossier gros comme ça qui avait fait le tour des compagnies.

 

Commandant       Je le grossis hélas !

 

Lieutenant           Le trente et unième jour, ce dossier tomba en torpille à la 3e du II.

                            Et bien Durand demanda le Commandant Van der Brug, qu'allons nous répondre ?

                            Perplexe, le Lieutenant Durand hocha la tête, feuilleta la liasse de papiers d'un air dégoûté, la soupesa en connaisseur, puis froidement la mit au feu. Et plus personne n'a plus jamais parlé de ce dossier.

 

Commandant       Oui mais, l'Intendance, la Division, ce n'est pas l'Etat Major de Régiment.

 

Lieutenant           (ironique) C'est toujours la grrrande famille pourtant !

 

Commandant       (sur le même ton) Oui mais ce sont déjà des parents éloignés, des cousins très lointains ! Ah ces intendants ! N'était pas suffisant qu'ils nous obligeassent à payer cinq centimes de location, par nuit passée dans les baraques en bois, au cantonnement ?

 

Lieutenant           Mon Commandant je vous le dis respectueusement, mais avec fermeté : vous êtes un ingrat ! Vous oubliez que les instructions spécifient généreusement, que le loyer ne doit pas être payé pour les nuits passées dans les abris des tranchées de piquet. (rires)

 

Commandant       Fichus riz pain sel ! Fichus inventaires ! Fichue guerre.

 

Lieutenant           Ne vous en faites pas mon Commandant, ça s'arrangera. Tout finit par s'arranger à l'Armée.

 

Commandant       Oui en casquant, comme ton collègue Pire peut le faire.

 

Lieutenant           Comment ? Il doit payer pour l'imperméable qui était noir alors qu'il aurait dû être de couleur Kaki.

 

Commandant       Oui mon jeune ami.

 

Lieutenant           Mais c'est un non sens ! Pire a reçu ordre, le 1er mai, de faire passer sur la rive gauche les imperméables rassemblés la nuit même au redan, et repris, en tâtant homme par homme, les porteurs d'imperméable. Voudrait on peut-être que nous fussions capables de tâter noir ou de tâter kaki ?

 

Commandant       (ironique) C'est ce que disait il y a bien longtemps, l'agneau de la fable : comment voulez-vous que je sois coupable, je tette encore ma mère !

                            Et pourtant le Loup l'a mangé !

 

Lieutenant           Et le brave Pire a casqué ? (coup de fusil assourdi)

 

Commandant       Le brave Pire a juré qu'il ne paierait pas ! Alors le Général lui a dit qu'on le mettrait à la retenue extraordinaire.

 

Lieutenant           Ah  ça, c'est un comble !

 

Commandant       Tu vois que tout finit pas s’arranger mon jeune ami, et qu’il n'y a pas lieu de s'en faire.

 

Lieutenant           Soyez chic Mon Commandant, et ne me retournez pas le porte monnaie dans la plaie. (un temps) Enfin c'est une mésaventure qui n'arrivera pas à Leclercq qui a pris la garde au Redan hier soir. Il n'y a plus d'imperméables maintenant.

 

Commandant       Oui mais il y a autre chose, il y a les vermorel et les bidons hyposulfites, il y a les clacksons, les pistolets lance- fusées… (la porte s'ouvre, bruit de pas qui se rapprochent – deux hommes -)

 

Ordonnance         Mon Commandant, le délégué de la compagnie de relève, il reprend déjà le matériel avec le premier sergentmajor. (Le bruit de pas s'arrête)

 

1er sergent-major Mon Commandant, vous voudrez bien vous occuper de remettre les grenades de votre P.C. au Capitaine de la 3/IV. Moi je vais compter les Vermorel.

 

Commandant       Allez y Premier ! Et que le compte y soit. (Les pas s'éloignent)

 

Lieutenant           Je vais allez voir !

                            Pourvu que le délégué de la 3/IV ne soit pas un coupeur de cheveux en quatre et qu'il n'aille pas vérifier les miroirs de chaque périscope.

 

Commandant       S'il connait l'histoire des briques nous n'y couperons pas.

 

Lieutenant           Vous aurez toujours la ressource de mettre au rapport : miroir brisé par éclat d'obus.

                            Et l'on ne vous demandera certainement pas les morceaux.

 

Commandant       Et pourquoi ?

 

Lieutenant           Parce que le Commandant de la 2e du I, auquel on avait réclamé les morceaux, a répondu de sa plus belle encre que les fragments rassemblés pour être envoyés à l'Etat Major de Régiment avait été pulvérisés par une bombe (rires) (Coup de fusil assez proche)

                            Et l'Etat Major n'a pas pipé Alors !

 

Commandant       Oui, mais je ne puis pourtant faire tomber une bombe sur chacun des postes de l'inventaire où il manquerait une ou des unités.

 

Lieutenant           N'ayez crainte mon Commandant, le Premier chef est soigneux et débrouillard et il a l'œil !

                            (Sonnerie agitée du téléphone)

 

Commandant       Allons, le téléphoniste s'agite. (Il décroche)

                            Allo ? - Oui téléphoniste ça va !  (un temps)

                            Quoi de neuf au redan, Leclercq ?

                            Tu dis ? - (un temps) Oh ! Comment cela ? – Oh ! (il raccroche le micro) (précipité et ému) Le Premier chef vient d'être atteint par une balle au débouché du boyau conduisant au radeau du redan.

 

Lieutenant           Mais ce n'est pas possible mon Commandant.

 

Commandant       Leclercq me téléphone du redan et me l’affirme.

                            Il a vu subitement le Premier Chef sortir du boyau, et s'approcher de la berge pour haler le radeau sur la rive gauche.

 

Lieutenant           Mais c'est interdit pendant le jour !

                            Que voulait-il faire ?

 

Commandant       Vraisemblablement aller faire la remise du matériel.

 

Lieutenant           Conséquence des affaires des briques et de l'imperméable. – Et alors mon Commandant ?

 

Commandant       Leclercq avait à peine eu le temps de lui crier de rentrer dans le boyau qu'il l'a vu s'abattre. La sentinelle de la tranchée de combat a aidé le délégué de la 3/IV à traîner le corps dans le boyau.

 

Lieutenant           ça doit être grave. Allons vite au Poste de Secours.

                            (bruit de caisses remuées – bruit de casque remué – bruit de porte, bruit de guerre plus fort)

 

Commandant       (au dehors) Gustave, reste au téléphone ! Je vais au Poste de Secours et je reviens. (bruit de pas hâtifs sur la passerelle)

 

Lieutenant           (en marchant) Leclercq s'exagère peut-être, Blessure légère peut-être.

 

Commandant       (en marchant) Allons vite ! (bruit de pas continuent)

                            Voici le Poste de Secours, nous allons être fixés. (les bruits de pas s'arrêtent ; on entend chuchoter)

 

Commandant       (hésitant) Eh bien Docteur ? C'est grave sans doute ?

 

Docteur               (blasé) Tué net commandant ! Une balle dans le myocarde ne pardonne jamais !

 

Commandant       Ah !… Pauvre type ! (un temps) (Très doux et très ému) Monsieur l'Aumônier, voulez-vous lui enlever son alliance et aussi son portefeuille… Pauvre femme... Pauvres gosses… (un temps – soupir)

                            Merci Monsieur l’Aumônier.

                            (un temps de silence absolu troublé seulement par un coup de fusil).

                            (Se ressaisissant) Lieutenant Lacrosse !

 

Lieutenant           (grave) Mon Commandant ?

 

Commandant       Prenez le nom de ce brave qui au risque de sa vie a ramené le corps… Le Sergent Barbier assurera Major les fonctions de premier sergent jusqu'à nouvel ordre. Et qu'on continue la remise du matériel… (énergiquement)Mais prudence hein - (un temps). Les deux premiers hommes de renfort !

 

Deux voies étranglées        Présent !

 

Commandant       Vous aiderez les brancardiers jusqu'au Poste de prise en charge et rejoindrez la première ligne immédiatement – Allez

                            (Un temps très court au cours duquel on entend chuchoter : tu y es ?... Eh…Houp).

                            On entend les pas .lourds, cadencés et lents de deux hommes qui donnent bien l'impression qu'ils transportent quelque chose de lourd. –

                            Ces pas s’éloignent doucement)

 

GONG

 

 



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