Médecins de la Grande Guerre
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Les médecins de la
Grande Guerre prenaient-ils la tension des soldats ? Introduction : L’invention
des tensiomètres modernes Vers 1910, deux tensiomètres viennent d’apparaître sur le marché. Ils sont tous deux inventés par des médecins français mais fonctionnent selon deux principes différents. Le premier a été mis au point par le docteur Victor Pachon[1] et se base sur l’oscillométrie. Le médecin ne doit pas disposer de stéthoscope. L’appareil de Pachon est impressionnant et devait certainement impressionner le patient. Il comporte deux quadrants. L’un renseigne la pression du brassard, l’autre met en évidence une aiguille oscillant au gré des mouvements de la paroi artérielle qui se soulève pendant la contraction cardiaque (systole) et qui s’aplatit entre les contractions (diastole). Le médecin gonfle un brassard et observe les oscillations de l’artère sur un quadrant. Quand le brassard indique 20, il dégonfle le brassard lentement et note la pression au moment où les oscillations basales augmentent subitement en amplitude. C’est la pression systolique. Les oscillations atteignent ensuite un maximum, puis diminuent d’amplitude. Le moment où l’oscillation de l’aiguille diminue d’amplitude pour se réduire à des oscillations basales, le médecin note la pression cette fois appelée diastolique. Comme on le voit cette mesure de la tension n’est pas tout à fait précise car elle se base sur l’appréciation subjective du médecin quant aux amplitudes des oscillations. L’autre méthode utilise le tensiomètre de Vaquez[2] qui se base sur la méthode auscultatoire qui est toujours employée actuellement. Le médecin gonfle un brassard puis le dégonfle lentement en écoutant les bruits cardiaques au niveau de l’artère humérale. Au moment où il commence à entendre le battement cardiaque, la tension notée est la pression systolique. Quand le bruit s’estompe, la pression indiquée est la pression diastolique. Ces deux méthodes coexistèrent pendant de nombreuses années mais finalement la méthode de Pachon fut totalement abandonnée dans les années cinquante. L’utilisation du
tensiomètre par les médecins militaires de la Grande Guerre Les médecins durant la Grande Guerre ne voyait pas en quoi le tensiomètre pouvait leur être utile. Très peu en disposaient. Il faut dire que l’état de shock tel que rencontré par les médecins militaires chez les soldats souffrant d’hémorragies ou de traumatismes divers pouvait se diagnostiquer aisément par d’autres signes que la prise de tension artérielle (pâleur, tachycardie, cyanose…). Quant à l’hypertension, les médecins n’en comprenaient pas encore la signification ! Il faudra attendre les années 1960 pour qu’on y voir plus clair et pour que l’on considère l’hypertension comme une véritable maladie ! Pendant la Grande Guerre, le tensiomètre ne fut donc pas utilisé par les praticiens. Seuls quelques rares médecins l’utilisèrent et cela plutôt de façon expérimentale. Un de ces médecins fut le docteur Ménard. Ce praticien publia en 1917 une étude qui prouvait selon lui que la tension artérielle était un excellent indicateur de l’état de fatigue du soldat français sur le front. Voici comment il concluait ses constatations menées au front entre le 21 août 1915 et le 23 mai 1916 : Les pressions artérielles et pouls subissent dans les tranchées des
variations importantes. En toute première ligne, à 100 ou 150 mètres de
l’ennemi, les tensions maxima et minima s’abaissent généralement pour s’élever
ensuite en 2ème et 3ème ligne. Il y a dans la presque
totalité des cas en première ligne, une tachycardie plus ou moins accusée. Une
émotion violente telle que la chute d’un obus à quelques mètres, élève
considérablement la tension minima et pas la tension maxima. La fatigue et le surmenage abaissent
toujours la tension différentielle et élèvent presque toujours la tension
minima. Dans les 2/3 des cas, le surmenage amène de la tachycardie, dans 1/3 de la
bradycardie. La pression différentielle est d’autant plus faible que le sujet
est plus fatigué. La mesure régulière des tensions artérielles présente un intérêt
pratique considérable. Elle renseigne sur la valeur fonctionnelle du cœur. Elle
permet de se rendre compte de l’état de fatigue d’un bataillon, de sa
résistance, et par suite fournit des renseignements utiles dont le commandement
peut faire son profit pour obtenir un meilleur rendement[3]. Ces conclusions paraîtraient d’abord sujettes à caution pour un médecin contemporain. Expliquons-nous ! L’auteur constate une augmentation de la tension diastolique en première ligne mais il constate aussi que la pression systolique est plus élevée en 2ème ou 3ème ligne. Ce dernier fait semble aller à l’encontre de la logique qui nous enseigne que le repos fait baisser à la fois les deux chiffres de la tension ! Comment justifier une tension systolique plus élevée à l’arrière ? J’émets une supposition : les soldats étaient en majorité des jeunes gens à la tension normale. En première ligne, le manque de sommeil, la nourriture déficiente pouvaient être facilement à l’origine d’hypotension orthostatique. Revenus en arrière, ils se reposaient quelque peu et leur tension remontaient à un niveau normal ! Au front donc, la tension systolique d’une population jeune diminuait avec la fatigue tandis que leur tension diastolique s’élevait à cause du stress. La mesure de la tension depuis 1910 resta donc longtemps une mesure expérimentale tentant de mieux comprendre la physiologie du corps humain mais une très grosse erreur de raisonnement au sujet de la tension artérielle subsista pendant très longtemps dans l’esprit des médecins, celle de considérer que les chiffres élevés présentés par certaines personnes devaient être considérés comme normaux car dépendant de caractéristiques innées de l’individu. Les variations de tension, quant à elles, pouvaient être par contre considérées comme anormales. En conclusion, un individu habitué à 18 de tension systolique se voyait considéré comme en bonne santé tandis que l’individu passant brutalement de 12 à 17 était considéré comme un malade car il quittait sa zone de normalité. Quant aux tensions absolument très élevées, au-dessus de 20, elles étaient l’apanage de plusieurs catégories de patients, à savoir les pléthoriques, les rénaux, les nerveux et les scléreux ! On soignait ces différentes catégories de patients avec les moyens de l’époque mais sans s’attendre à voir la tension diminuer durablement ! L’article paru en 1945 du Dr Albert De Loze, médecin à Bruxelles est éloquent à ce sujet. Vous le trouverez ci-dessous[4] car il exprime bien le point de vue des médecins de l’époque sur l’hypertension. Sa lecture assez stupéfiante et, par endroit amusante, nous fait mesurer les progrès accomplis ces soixante dernières années dans le domaine de l’hypertension. Mais revenons aux années qui suivirent directement la seconde guerre mondiale. Les médecins font beaucoup plus usage du tensiomètre car même si on ne sait pas lutter contre l’hypertension, celle-ci est considérée de plus en plus comme un facteur de risque diminuant la longévité. La preuve en fut apportée par les études statistiques[5] menées par la médecine d’assurance aux Etats-Unis. La tension artérielle devient alors un grand facteur de stress chez les patients hypertendus dont la maladie avait un mauvais pronostic sans que l'on puisse améliorer celui-ci du fait de l'absence d’un véritable traitement. Ce désarroi du patient, le médecin des années de l’après-guerre durent pourtant l’assumer ! Le Dr Destouche, qui n’est autre que le célèbre soldat-écrivain de 14-18 connu sous le nom de Céline, exprime en 1953 dans un de ses livres[6], avec beaucoup de cynisme, le désarroi du patient devant l’annonce d’une très importante tension artérielle. Il signale même profiter de ce désarroi pour éloigner des patients indésirables. Cet aveu est sans doute plus provocateur que réel car Céline, d’après de nombreux témoins était un médecin très respectueux de ses patients quels qu’ils soient. Je n’hésite pas un moment de vous mettre ce texte sous les yeux tant sa lecture est amusante et instructive… (PS : le manque de phrases et donc de majuscules est typique du style de Céline) En attendant, je n’ai plus de « Pachon »… je me suis fait
prêter un Pachon pour liquider les ennuyeux, pas mieux !... vous les
faites asseoir, vous leur prenez « leur tension »… comme ils bouffent
trop, boivent trop, fument trop, c’est rare qu’ils ne se tapent pas leur 22… 23…
maxima… la vie pour eux c’est un pneu… que de leur maxima qu’ils ont peur… l’éclatement ! la mort !... 25 ! là, ils
s’arrêtent d’être loustics ! sceptiques ! vous leur annoncez leur 23 !... vous les revoyez
plus ! ce regard qu’ils vous jettent en
partant ! la haine !... le sadique assassin
que vous êtes ! « au revoir » ! au revoir ! » Bon !... moi toujours avec mon
Pachon je prends soin des amis… ils venaient pour se marrer de ma misère… 22 !…
23… ! Je les revois plus ! mais tout résumé,
sans broderie, je voudrais bien ne plus pratiquer… cependant durer je
dois ! diabolicum !
jusqu’à la retraite ! Il fallut attendre 1958, l’année de l’invention des diurétiques, pour que le pronostic de l’hypertension artérielle soit enfin amélioré. Plus tard, l’affection fut encore mieux soignée avec la découverte du premier Béta bloquant, médicament qui réduit le rythme cardiaque et diminue le travail musculaire cardiaque. La découverte de ce médicament valut en 1988 le prix Nobel à son inventeur, le médecin James Black. Aujourd’hui d’autres classes de médicaments se sont ajoutées à l’arsenal thérapeutique et rendent toujours plus efficace le traitement médicamenteux. Quant à la compréhension des effets néfastes de l’hypertension, elle se fit pas à pas dans la seconde moitié du vingtième siècle. On peut aujourd’hui résumer ainsi ce que l’on sait à ce jour : il est certain que notre longévité accrue est redevable de l’immense progrès que nous avons accompli en matière de prévention de maladies-cardiovasculaires dont l’hypertension. La compréhension récente de l’hypertension nous permet de considérer cette maladie comme responsable du vieillissement précoce des parois artérielles. Sans rentrer dans les détails, disons que l’hypertension altère en permanence les parois artérielles. Cette dégradation nécessite une réparation continuelle qui devient vite pathologique par le fait que le cholestérol en excès dans le sang s’incorpore dans la paroi artérielle. Ce phénomène de réparation continuel de la paroi aboutit à des parois artérielles hypertrophiques et fragiles (athérosclérose) qui progressivement vont obstruer le vaisseau sanguin. D’autres facteurs de risque aggravent ce phénomène. Tabac et sucre en excès abîment considérablement les parois cellulaires des artères. Le traitement de l’hypertension artérielle est devenu une charge très lourde pour le budget de la sécurité sociale ; il est cependant un des facteurs essentiels permettant que le plus grand nombre puisse garder longtemps une bonne santé. Dr Loodts Février 2013
[1] Victor Pachon (1867-1938) : professeur de physiologie à l’université de Paris. Vers 1910 met au point son oscillomètre qui fut utilisé jusque dans les années 1960. Cet appareil était plus difficile à employer que le sphygmomanomètre de Vaquez-Laubry apparu en même temps et qui était le premier tensiomètre basé sur la méthode auscultatoire. [2] Henri Vaquez (1860-1936) : professeur de clinique thérapeutique à l’université de Paris. Décrit une maladie sanguine qui porte aujourd’hui son nom et qui est caractérisée par une polyglobulie. Inventeur du tensiomètre moderne. Spécialiste des arythmies cardiaques et de l’hypertension [3] Dr Menard Pierre, « La pression artérielle et le pouls chez le soldat dans les tranchées », Journal de médecine et chirurgie pratiques du 10 février 1917 [4] L’hypertension expliquée par le Dr De Loz : Pour le grand public, avoir une bonne tension, c’est être bien portant.
Ne lui demandez pas cependant de vous expliquer ce qu’est la tension, ce
qu’elle représente réellement : lui-même ne s’entend d’ailleurs pas quant
aux chiffres de la « bonne tension ». Un tel est satisfait d’avoir
12, un tel autre n’a d’espoir que de se maintenir à 16 ! Ce que ces
nombres signifient ? C’est mystère pour la plupart. Il est à remarquer,
dès à présent que la tension s’exprime par deux nombres : celui de la
maxima et celui de la minima. Tous deux ont la même importance pour le
médecin ; pour le public, cependant la maxima
retient seule son attention. Il est à peine utile de décrire comment on prend
la tension. C’est devenu un geste auquel tout malade est accoutumé. Le médecin
applique au bras du patient une manchette à parois élastiques est reliées d’une
part au manomètre, d’autre part à une poire. (…) La pression minima représente
la valeur de la tension que les parois des artères doivent constamment
équilibrer. Les parois artérielles doivent de plus soutenir l’élévation de la
pression produite par la pulsation cardiaque (systole) ; c’est précisément
l’intensité de cette pulsation que l’on traduit par le chiffre de la tension
maxima. Voici quelques chiffres indiquant les variations selon l’âge (d’après Koessler) A un an : 9/4,5 De 2 à 4 ans : 10/4,5 De 5 à 7 ans : 11/7 De 8 à 11 ans : 12/ 7 De 12à 13 ans : 14/9 De 14 à 16 : 14 ou 15/9 ou 10 Adulte sain : de 13 à 16 : de 7 à 10 Notons que les chiffres ont des moyennes, qu’ils sont souvent
inférieurs de 1 chez la femme et la fillette ; que la tension augmente
souvent après les repas et les efforts ; que le type d’appareil varie d’un
médecin à l’autre ; qu’il existe des familles à hypo ou hypertension
constitutionnelle, congénitale, que par exemple, un maxima de 16 peut-être
dangereux pour un sujet qui n’avait que 11 en temps ordinaire mais qu’elle ne
présente rien de pathologique chez un individu habitué à avoir 15 ! Ceci pour arriver à attirer l’attention du public, de ne pas tirer de conclusions lorsqu’on lui
communique des chiffres de tension artérielle ; ceci aussi pour lui
déconseiller de faire prendre sa tension par quiconque. Dans certains pays, en
France notamment, s’est répandue une malheureuse coutume - on pourrait la
qualifier de criminelle- : dans les grands magasins, sur les boulevards,
dans les pharmacies, dans les gares, des individus ont installé des échoppes
où, pour quelqu’argent, quiconque peut, quand bon lui
semble, se faire prendre la tension tout comme on se fait peser sur la balance
de précision ou sur l’automatique de tous les carrefours ! Il va de soi
que ces astucieux opportunistes sont absolument incompétents en la matière et
que leurs pratiques peuvent porter de sérieux préjudices à la santé des anxieux
qui vont les consulter ! L’hypertension La notion d’hypertension est toute relative : un tel qui avait
habituellement une pression de 12 devra être considéré comme un grand
hypertendu si sa maxima monte à 19. Ce même chiffre
n’aura alors rien d’alarmant pour un individu ayant ordinairement 16 ou 17. On
a coutume de considérer que l’hypertension commence à 18, et l’on distingue une
hypertension faible de 18 à 20, une hypertension moyenne de 21 à 25 et une
hypertension forte de 26 à 35 ! Cette nomenclature assez schématique est
cependant assez commode pour y classer différentes affections :
l’hypertension faible est surtout l’apanage des suralimentés ; elle groupe
les obèses, les goutteux, les pléthoriques et autres sanguins. L’hypertension
moyenne se retrouve également chez les pléthoriques, mais caractérise notamment
les individus atteints d’artériosclérose, et de sclérose rénale .Enfin,
l’hypertension forte se constate principalement chez les mêmes malades et chez
ceux atteints d’une néphrite interstitielle. Si au lieu de classer les
hypertendus par tranches numériques comme nous venons de le faire, on les range
par groupes d’affections, on distinguera, ainsi que le fait Martinet, les 4
catégories suivantes : les pléthoriques, les nerveux, les rénaux, les
scléreux. Analysons sommairement chacun de ces types : Les pléthoriques Et dans ce groupe nous intégrons les goutteux, obèses,
diabétiques-doivent leur hypertension la suralimentation, à la vie sédentaire
ou a leur ascendance (hérédité). La pléthore apparaît vers l’âge de 30 à 50 ans
et leur donne une apparence joviale de bon vivant, au visage congestionné, au
ventre prééminent, à l’appétit toujours en éveil. Ils mangent sans modération,
boivent de même et urinent beaucoup. Ils sont sujets aux phénomènes dits
arthritiques ; la goutte, les hémorroïdes, les calculs rénaux et
hépatiques, la glycosurie etc. Le traitement se résume à restreindre leur
alimentation, à leur ordonner des exercices physiques faisant travailler leurs
muscles et éliminer leurs déchets, à leur prescrire des iodures, des
dissolvants de l’acide urique, de purgatifs, de l’hydrothérapie, et à leur
faire faire des saignées lorsque leur tension devient critique. Les Nerveux Les nerveux hypertendus présentent soit de l’hyperexcitabilité
provoquée par les émotions, soit de l’éréthisme neuro-vasculaire
constitutionnel. Ils sont sujets, du fait de leur état à des angiospasmes, c'est-à-dire des spasmes de leurs artères, ce
qui produit des poussées hypertensives brusques, instables, paroxystiques. On
invoque, comme les autres causes, l’hérédité névropathique,
le surmenage, les insomnies, le tabagisme etc. Leur aspect extérieur s’oppose
avec l’idée que l’on se fait habituellement de l’hypertendu : ils sont
pâles, mais sujets à de phénomènes vaso-moteurs qui les colorent subitement.
Ils présentent des crises subites et passagères d’hypertension pouvant aller
jusqu’à stimuler l’angine de poitrine. Le traitement consiste à calmer leur
substratum nerveux en faisant appel, notamment, à la psychothérapie,
l’hydrothérapie, aux sédatifs du système nerveux (bromures, valériane,
crataegus, chloral etc.) et à leur créer une vie méthodique et calme. Les rénaux Les rénaux, c'est-à-dire les sujets atteints de néphrite aigüe ou
chronique, présentent souvent une hypertension élevée. Sans nous attarder aux
caractères et au traitement des néphrites aigües, disons que les rénaux
chroniques se caractérisent par des urines fréquentes avec ou sans albumine. Le
rénal chronique se lève la nuit pour uriner, ressent des maux de tête, des
vertiges, des points noirs devant les yeux, des crampes, la sensation de doigts
morts, etc. On lui prescrit un régime à prédominance lactée, avec peu d’albumine,
peu de sel, peu d’eau, ainsi que des diurétiques et des laxatifs. Le scléreux Les scléreux c’est à dire les sujets atteints de dégénérescence
scléreuse de leurs artères, d’artériosclérose ou encore de sclérose artério-rénale, groupent en somme toute la masse des vieux
hypertendus, tant des pléthoriques et des rénaux que des nerveux dont nous
avons parlé. Le diagnostic se fait « de visu » : artères
temporales sinueuses et indurées, pulsatiles, claudication intermittente, etc.
L’examen somatique révèle de l’aortite chronique et un cœur hypertrophié, et
souvent aussi des signes de néphrite interstitielle (polyurie, albuminurie,
hypertension). Des artérioscléreux sont soulagés par un régime alimentaire pauvre en
sel, en eau, en azote, par des applications révulsives, par la digitaline, la
théobromine, les iodures. (…) Il n’existe pas de traitement
spécifique de l’hypertension pour l’excellente raison que l’on ignore encore la
cause déterminante du phénomène hypertensif. Mais le médecin a cependant retenu
de l’immense bibliographie thérapeutique qui fut écrite dans le monde entier à
propos de l’hypertension, quelques principes d’hygiène et de diététique,
quelques médicaments et quelques médications dignes d’intérêt. Il est évident
que le repos, tant moral que physique, est un des plus précieux auxiliaires du
traitement hypotenseur. Repos au lit, en chaise longue, sans excitations
périphérique, sans surmenage intellectuel, sans veille prolongée. Les cas peu
graves ne doivent cependant pas empêcher une activité physique modérée mais
sans excès. Le régime que redoutent toujours les hypertendus lorsqu’ils vont
consulter leur médecin, n’est pas si sévère qu’on le suppose, sauf, bien
entendu, dans les cas d’hypertensions accompagnées d’insuffisance cardiaque ou rénale,
cas dans lesquels le régime lacté absolu ou seulement lacto-végétarien
est formellement indiqué. L’hypertendu moyen- nous dirions bien portant si nous ne craignions le
paradoxe- ne retirera aucun avantage d’un régime de famine, au contraire. S’il n’est ni obèse ni pléthorique, ni diabétique, ni goutteux, ni
cardio-rénal, il ne sera guère très privé en suivant les règles
suivantes : Un jour par semaine ou par mois selon le cas, il suivra une diète
hydrique absolue, c'est-à-dire que ce jour, il ne boira que de l’eau, tiède de
préférence, et additionnée ou non de quelques grammes de sulfate de coude et de
bicarbonate de soude. Quant aux autres jours, il lui sera permis de
consommer : lait, café au lait, malt, potages maigres, viande rôtie ou grillée,
une fois par jour, en quantité modérée ; poisson frais, jambon peu
salé ; œufs, pâtes, pommes de terre, légumes frais, fromages non
fermentés, pain, fruits, tout cela sans excès. Une pipe d-e bon tabac ou
quelques cigarettes ne sont même pas interdites ! Cependant, on lui
supprimera la charcuterie, les viandes conservées, fumées, marinées ou
faisandées, le gibier, foie gras, crustacés, conserves, champignons, asperges,
tomates, oseille, céleris, et fromages fermentés. D’une façon générale, sauf
chez les cardio-rénaux, on n’interdira pas complètement le sel mais on le
réduira autant que possible. Les résultats cliniques appréciables parfois du traitement
médicamenteux de l’hypertension artérielle, sont en général » dit le Pr. Savy, « transitoires et ne sauraient, en tout cas,
être mis en parallèle avec les effets du repos, de l’hygiène et de la
diététique ». L’arsenal thérapeutique, à prétention hypotensives est vaste ;
hélas ! si le jeune médecin zélé entreprend avec
enthousiasme de traiter « un beau cas d’hypertension en épuisant toutes
les ressources de la pharmacodynamique anti-hypertensive, son confrère plus
âgé, blasé, sceptique, prescrira parce qu’il faut bien prescrire quelque chose,
mais ne s’illusionnera certainement pas sur les effets de la drogue ordonnée !
C’est que, répétons-le, l’action hypotensive de la majorité des médicaments,
est passagère, transitoire : peu de temps après leur emploi, la tension
remonte à son chiffre primitif. Faut-il pour cela s’abstenir de prescrire des
iodures, l’acétylcholine, les extraits pancréatiques désinsulinisés,
la vagotonine, la trinitrine, les nitrites, les rhiodanates, la yohimbine, le gui et autres
vasodilatateurs ; les antispasmodiques et les sédatifs tels que
papavérine, benzoate de benzyle, phénobarbital, chloral, bromures, aubépine,
passiflore, ballotte etc. ? Nullement, mais il faut y associer des
éléments bien plus importants : le repos, l’hygiène, le régime ! Que
penser des cures thermales comme traitement de l’hypertension ? Les succès
des stations de Spa, en Belgique, de Vittel, Evian etc. sont trop connues pour
ne pas s’y arrêter un moment. Il est certain que le repos physique et moral
qu’y trouvent les malades dans un cadre fait pour plaire et distraire agit pour une part importante, sinon
supérieure, à celle des eaux elles-mêmes, pour améliorer les hypertendus. La
plupart de ces sources sont sédatives, vasodilatatrices, cardiotoniques,
diurétiques, donc hypotensives. Dans certains cas, on les utilise sous forme de
bains carbo-gazeux dont l’action mécanique
s’additionne aux propriétés chimiques des eaux pour produire une chute de
tension plus marquée. Les lecteurs attentifs se seront certes déjà étonnés que
nous n’ayons pas encore parlé de la saignée et des purgatifs, ces deux remèdes
tellement en vogue le siècle dernier. En fait il a été prouvé que les saignées
n’ont qu’un effet fugace et qu’elles ne sont pas sans danger. Quant aux
purgations légères, on ne pourra que les conseiller comme médication adjuvante,
une ou deux fois par mois, sous forme de sulfate de soude et de magnésie.
Lorsque l’hypertension s’accompagne de maux de tête rebelles, tenaces, dues à
une élévation de la tension du liquide céphalorachidien-ce fluide qui baigne la
moelle épinière et le cerveau-on recourt avec succès aux injections intraveineuses
de 10 à 20 cc de sérum glucosé hypertonique à 40% tous les deux à trois jours,
selon la technique américaine de Mc Kibben. Dans les hypertensions graves qui résistent opiniâtrement à tout autre
traitement, il y a lieu d penser au traitement chirurgical. Celui-ci consiste
soit à enlever une des glandes surrénales, soit à sectionner ou à alcooliser le
nerf splanchnique gauche. Ces méthodes ne semblent avoir, elles aussi qu’une
efficacité passagère, mais la gravité du cas impose parfois d’y recourir. Nous
serions trop incomplets si nous négligions de parler du traitement physiothérapique de l’hypertension artérielle. Pas plus que
les autres méthodes dont nous venons de parler, la physiothérapie n’est
radicale. Cependant, ses effets ont souvent une action plus prolongée que ceux
de la thérapie médicamenteuse. Chez les sujets pléthoriques, hypertendus, on a recueilli d’excellents
résultats par des bains thermiques généraux. Le malade est soumis, tout entier
à un bain de lumière, pendant 20 à 30 minutes. Il s’ensuit une vasodilatation
de la peau et, par conséquent, une décongestion des organes profonds. Les
séances que l’on répète tous les deux ou trois jours, sont suivies de
frictions. La méthode active d’autre part, les combustions organiques, stimule
les échanges et produit à la longue un certain amaigrissement, du plus heureux
effet chez les obèses et les pléthoriques. Elle ne peut s’appliquer que si le
cœur du patient est en bon état. Les courants électriques galvano-faradiques, eux, sont d’une efficacité
plus discutable, bien que certains malades signalent une amélioration
subjective ne correspondant à aucune baisse de tension. Si la diathermie à
grandes ondes ne semble, elle non plus, très agissante dans
l’hypertension, les courants de très haute fréquence émis par les ondes
ultra-courtes nous ont donné, personnellement, des résultats concluants. Par
l’irradiation des sinus-carotidiens et du cœur, par l’Arsonvalisation à ondes
ultra-courtes, nous sommes parvenus à faire descendre une tension artérielle
maxima de 36 (chiffre énorme) à 21,5 après deux douzaines de séances ! Ici
encore, cependant, l’amélioration ne fut que passagère, mais la malade en
questions mit néanmoins plus d’un an, sans autre traitement, pour remonter à
une tension artérielle maxima d e31. Deux nouvelles douzaines d’irradiations
ramenèrent sa tension à 24. Ainsi nous avons parcouru, en toute sincérité le traitement de
l’hypertension artérielle. Il reste pour le médecin-et devrait le rester, à
plus forte raison pour le malade si celui-ci n’était pas imbu des rares notions
de médecine qu’il n’a pas comprises-un mystère dont seulement une infime partie
du voile a été soulevée jusqu’à ce jour. Mais la science se défriche de jour en
jour. Nos savants travaillent. De nouvelles médications seront trouvées,
essayées, rejetées. « Le succès d’un médicament, disait le Pr Govaerts, va jusqu’au jour où l’on s’aperçoit qu’il ne sert
à rien » Mais confiant en la valeur de nos grands chercheurs, nous ne
voulons être aussi sceptiques. Et nous ne doutons pas qu’un jour viendra qu’ils
pénètreront l’énigme du traitement de l’hypertension artérielle. Docteur Albert De Loz, Chroniques médicales, tome II, page 75-81, édité par l’ « Invalide Belge », Bruxelles, 1945 [5] Les Américains se sont montrés pionniers dans les études prouvant qu’il y avait un lien entre l’hypertension et la longévité. Déjà en 1914, John Welton Fischer, directeur médical de la Northwestern Mutual Life Insurance Compagny publia dans la revue Jalma des statistiques prouvant que la tension artérielle était un magnifique indicateur de la longévité. En 1939, une nouvelle étude aux Etats-Unis, la « Blood Pressure study » confirma les mêmes constatations. [6] Le Dr Louis-Ferdinand Destouches (1894-1961), alias Céline, reprend pour la nième fois une clientèle en 1953 et décrit dans son livre autobiographique « D’un château à l’autre » comment il utilise son tensiomètre « Pachon » |