Médecins de la Grande Guerre

La Foi du brancardier Theilhard de Chardin.

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Teilhard de Chardin élabora sa philosophie dans les tranchées

         Dédicacé à Bernadette qui n’a pas besoin d’écrire pour rayonner autour d’elle…

       En rhétorique, il y a de cela bien longtemps, en 1970, le cours de religion  nous avait initiés à la conception de l’univers selon  Teilhard de Chardin ! Le raisonnement de ce jésuite fut, pour l’adolescent que j’étais, une révélation  passionnante … Il permettait d’expliquer scientifiquement  la lente émergence de l’esprit de la matière… Tout devenait cohérent pour les jeunes gens épris de science que nous étions : la naissance de la vie sur terre, le miracle de l’ADN qui permit la complexité croissante des formes de vie,  l’évolution cérébrale de l’homme depuis l’Australopithèque et puis l’extraordinaire extension de l’Homo Sapiens… Toute l’évolution depuis l’aube des temps n’avait qu’un seul but : l’émergence de l’esprit à partir de la matière, puis la convergence de tous les esprits  par la plus grande force de liaison qui soit, celle de l’Amour, en un point Omega.  Un point qui, pour Teilhard, était en fait le Christ lui-même, un Christ toujours en devenir jusqu’à ce qu’il soit tissé de toutes les consciences humaines ayant collaboré à l’achèvement de la création.

       Cette théorie passionna notre jeunesse. « Mai 68 » avait montré que la jeunesse continuait  à croire et à espérer un autre monde, un monde plus libre, plus solidaire. La révolte de notre jeunesse s’expliquait facilement par la théorie de Teilhard prévoyant l’expansion de  conscience collective en vue du bien commun. Evidemment,  la réalisation d’un monde toujours meilleur ne peut se faire sans sacrifices car tout changement qu’il soit physique, psychologique ou social entraîne immanquablement son lot de souffrances. La théorie de Teilhard nous rendait le phénomène de  la guerre, plus compréhensible : les hommes guerroyèrent entre villages puis entre comtés, puis entre pays.  Une génération nous séparait de la dernière guerre mondiale et la guerre du Viet Nam sévissait, mais, nous étions convaincus qu’elles constituaient  les derniers conflits de l’histoire humaine, les derniers  soubresauts d’un monde qui cherchait à s’unifier. De même, nous étions convaincus en 1970 que plus jamais nous ne connaîtrions  un nouveau  génocide. La Shoa était reléguée au musée comme étant la dernière manifestation de la barbarie humaine sur terre.


       Les années passèrent et malheureusement la désillusion chassa cruellement notre optimisme : les guerres continuèrent et les génocides aussi. Rappelons simplement cette guerre du Biafra qui vit les nations occidentales impuissantes à faire cesser le massacre des innocents. Quant aux génocides, ils continuèrent, malgré les leçons du passé, au Cambodge et plus près de nous au Rwanda !  Je me distançai donc de la pensée de Teilhard en considérant l’évolution vers le point Omega comme une chimère démentie dans les faits, comme le rêve excentrique d’un idéaliste qu’il ne convenait plus de prendre au sérieux …

       Aujourd’hui cependant, en juillet 2013, alors que le monde semble toujours aussi malmené par les égoïsmes et les guerres, je revois paradoxalement ma position sceptique. Un évènement récent est à l’origine de ce revirement. Curieux de connaître simplement le  « Teilhard de Chardin, brancardier » durant la Grande Guerre, j’ai entrepris de lire les écrits  de Teilhard rédigés pendant la guerre 14-18.  A ma grande surprise, ces récits m’ont bouleversé. Je croyais la théorie de Teilhard développée, réfléchie, inventée  dans le cadre serein d’un beau bureau et je m’aperçois qu’elle fut au contraire créée, au front durant quatre ans, dans les pires conditions qui soient, dans des conditions même qui faisaient penser à la fin du monde ! L’incroyable brancardier élabora donc  sa théorie d’ « Amour »,  la création de la Noosphère, la convergence de l’humanité vers le point Oméga  alors que le monde s’écroulait autour de lui en se livrant à la barbarie !  Quel processus extraordinaire que d’être capable de percevoir l’utopie au sein même de la Grande Guerre ! Tout poussait à désespérer et, voilà ce Teilhard est  poussé au contraire à l’espérance la plus folle !  Cette fantastique leçon ébranla mon scepticisme ! A travers les évènements douloureux de notre siècle, il s’agit, plus que jamais, de ne pas désespérer mais, comme le fit  Teilhard, de franchir par l’esprit le mur du mal, et de ne pas se laisser enfermer par lui !  Et je me remets à  espérer, comme je le fis à l’âge de 18 ans, que, malgré la lenteur et les échecs, la poursuite de l’humanité vers le point Omega se continue imperceptiblement mais certainement !

       Le fait que toute l’œuvre de Teilhard de Chardin  se retrouve  résumée  dans ses écrits de guerre  est un fait capital et riche d’enseignements !   Pendant  le restant de sa vie, Teilhard  ne fit en fait qu’approfondir ce qu’il avait déjà écrit ! 

Teilhard durant la guerre : un jeune homme de 33 ans qui accepte de partager le destin de ses compatriotes

       La guerre survient quand il a 33 ans. Il possède déjà un fameux bagage intellectuel.  Né le 1er mai 1881, à Orcines, près de Clermont-Ferrand, il entre dans la Compagnie de Jésus en 1899, étudie à partir de 1902 la théologie et la Philosophie à l’île de Jersey. De 1905 à 1908, il est professeur de physique au Caire et se livre sur place à des études géologiques. De retour en Angleterre il continue des recherches géologiques et paléontologiques en Angleterre. Il est ordonné prêtre en 1911 puis est attaché au muséum d’histoire naturelle de Paris.  La guerre éclate, Teilhard est versé dans l’infanterie et part pour le front le 20 janvier 1915 comme brancardier. Sept mois après, il est cité à l’ordre de la division et, l’année suivante,  à l’ordre de l’armée. En 1917, il reçoit la médaille militaire. Ses trois citations signalent qu’il franchit volontiers le parapet de la tranchée pour aller ramasser les blessés sous les tirs d’artillerie. En 1921, à  la demande de son ancien régiment, il est fait chevalier de la Légion d’honneur.

       Teilhard fit la guerre parce qu’il voulait partager le « destin de masse » de ses compatriotes, exactement comme Etty Hillesum  voulut partager le sort de ses compatriotes juifs durant la deuxième guerre mondiale. Lorsqu’on lit les lettres que Teilhard écrivit pendant quatre ans à sa cousine Marguerite, on est étonné  de ne finalement trouver que très peu de descriptions de la guerre.

Teilhard durant la guerre : une absence de haine exemplaire et visionnaire

       Non seulement Teilhard ne trouve aucun goût à décrire le front mais plus remarquable on y trouve aucun sentiment de haine vis-à-vis de l’ennemi comme s’il percevait que la haine mutuelle entretenue par les ennemis ne serait que transitoire. Réaction normale quand on sait que Teilhard ne voyait d’issue heureuse au sort de l’humanité que par la réunion des esprits dans toujours plus de conscience collective. Pour Teilhard, rappelons-le encore une fois, l’univers entier dans son évolution vers toujours plus de complexité et de conscience est  appelé à conduire l’humanité vers son  point d’achèvement, le point Omega, point qu’il définira plus tard comme étant le Christ ressuscité. Un Christ ressuscité dont l’image restera  incomplète tant  qu’elle ne reflètera pas les milliards de nuances apportées par toutes les   âmes individuelles qui se sont efforcées,  pendant leur existence terrestre, de compléter la création par des gestes d’amour, de beauté.

       En fait, les lettres à sa cousine Marguerite se composent pour moitié de conseils à celle-ci  pour fortifier sa foi et son dévouement aux autres dans son métier d’enseignante et de directrice d’école. Les quatre autres cinquième des lettres se composent des réflexions de Teilhard quand à ses travaux intellectuels. Teilhard profite de chaque repos de son régiment pour essayer de rédiger des essais philosophiques. Seul un cinquième du contenu  des lettres parle de la guerre. Teilhard y décrit la marche de son régiment, l’attente des permissions, quelques rares faits de guerre mais il décrit avec précision des paysages de guerre fasciné comme toujours par la création, la matière qui compose le monde.

       Plongé dans les événements dramatiques de la guerre, Teilhard n’est jamais ni submergé par eux ni écrasé par eux. Il est à la fois dehors et dedans.  Avec sans doute une petite exception : à plusieurs endroits de ses écrits, Teilhard avoue avoir quelque part honte de sa situation  relativement privilégiée de brancardier qui l’expose  moins que le soldat de première ligne. Considération à relativiser très fort quand on sait le nombre important de brancardiers qui succombèrent en prêtant assistance aux blessés.

       J’ai honte, croirais-tu, de penser que je suis resté dans les boyaux pendant que mes amis partaient se faire tuer. Tant parmi eux, ne sont pas revenus, à commencer par mon meilleur ami du régiment, et le plus admirable soldat que j’ai encore connu, ce pauvre commandant Lefebvre, qui pour être sûr que ses Africains le suivent, est sorti le premier, levant son képi et criant « En avant, mes amis, c’est pour la France ! »  et, est tombé vingt pas plus loin, en faisant le signe de la croix….(Genèse d’une pensée, p 89, 7 octobre 1915)

Teilhard durant la guerre : un brancardier exemplaire

       Donc, on nous a expédiés, cette fois-ci sur la rive droite entre Thiaumont et Fleury  et nous sommes restés une dizaine de  jours en ces lieux redoutables. (…).  J’ai passé deux jours dans un trou encadré durant des heures entières par des obus qui tombaient jusqu’à moins d’un mètre de mois. (…) Nous avons eu pas mal de pertes, et douloureuses. Beaucoup de mes meilleurs amis du bataillon ne sont pas redescendus de là-haut. (…). Je ne  sais pas quelle espèce de monuments le pays élèvera plus tard sur la côte de Froideterre, en souvenir de la grande lutte. Un seul serait de mise : un grand Christ. Seule la figure du Crucifié peut recueillir, exprimer, consoler ce qu’il y avait d’horreur, de beauté, d’espérance et de profond mystère dans un pareil déchaînement de luttes et de douleurs. Je me sentais tout saisi, en regardant ces lieux d’âpre labeur, de deux ou trois points où se concentre et reflue, à l’heure qu’il est, toute la vie de l’Univers, - points douloureux, mais où s’élabore (je le crois de plus en plus) un grand avenir. (Genèse d’une pensée, p 151 et 152, 23 août 1916)

       Je te dirai que dus la nuit du 21 au 22, j'ai passé par ces minutes qui comptent parmi les plus dramatiques de mon existence Parcourant de grands champs de blé dans le : no man’s land, j'ai perdu le contact avec le gros de mes brancardiers. Nous nous sommes trouvés, fort loin, à trois, devant deux blessés (depuis deux jours sur le terrain), sans brancard, cependant que les Boches, entendant du bruit (les blessés parlaient et gémissaient) commençaient à arroser le champ d'obus et à tirer de la mitrailleuse.  Comment laisser ces deux malheureux, presque fous d'énervement, et comment les emporter ... Je t’assure qu'il y a des anxiétés qui  sont terribles.  Nous avons fini, à grand’ peine, par ramener sur notre dos, les blessés, jusqu'à l'abri d'un tank échoué, cependant que, pour comble de chance, un barrage se déclenchait, et des avions semaient des bombes. J'ai pu avant le jour, amener deux équipes  complètes  qui ont achevé le sauvetage. Mais combien d'autres blessés n'auront pas été retirés du tout du milieu des grands blés, entre les lignes...

       Plus que jamais, peut-être, j'ai eu ces jours-ci l'impression de vivre dans un autre monde, jeté sur la face de l'autre, le moulant, et cependant combien différent ! C’étaient toujours des routes, des champs, des épis.  C'était, ô ironie, en face de nous, menaçante et inabordable, la crête boisée où j'allais me promener en octobre dernier. Mais tout cela avait  une figure absolument différente mélangée d'horreur et de surhumain. On eût dit une région où ce qui est avant la mort était en train de passer en ce qui est au-delà. Les proportions mutuelles des choses, l'échelle courante de leur valeur, étaient modifiées, atteintes. J'ai eu, constamment, très forte, l'impression que je pouvais mourir à mon tour;  cela ne m'arrivait pas au début de la guerre. (Genèse d’une pensée, p 285, 25 juillet 18)

       Edith de la Heronnière dans sa biographie de Teilhard cite un beau témoignage sur le brancardier Teilhard :

       Max Begouën , le fils du préhistorien Henri Begouën fit connaissance de Teilhard durant l’été 1915. Ils deviendront des amis pour la vie, partageant la même passion pour la préhistoire. Le frère de Max Begouën, blessé sur le champ de bataille en septembre 15, vit soudain surgir la haute silhouette du brancardier Teilhard, imperturbable sous le feu, solitaire, recherchant les blessés pour les ramener au poste de secours. Il lui dut d’être soigné sur place et sauvé. Lui demandant comment il faisait pour garder un tel sang-froid dans la tourmente, il s’entendit doucement répondre : Si je suis tué, je changerai d’état et voilà tout…  Son courage, dont la peur n’était pas absente apparaît comme l’une des  facettes d’une foi profonde, la disposition de l’âme d’un homme d’action qui note à cette époque :

        Plénitude de vie, en ces jours où j’eus, déployant quelques initiative, à ramener le cadavre du sergent du génie tombé dans les fils de fer au lever du brouillard – à descendre du crassier le tirailleur blessé –, à retirer du gourbi effondré les corps qu’on assurait ne pouvoir en être sortis. 

Teilhard durant la guerre : une foi extraordinaire qui transcende la mort

       La guerre lui donne aussi l’occasion d’approcher la mort. Certes comme tout homme il est saisi d’angoisse devant elle :

       Il faut avoir senti passer sur soi l'ombre de la Mort, pour réaliser tout ce que la: marche dans l'Avenir a de solitaire, de hasardeux et d'effrayant, dans son renouvellement… C'est seulement lorsque le danger menace, un danger sur lequel nous ne pouvons plus rien, ni personne autour de nous, que le Futur se révèle distinctement à nous, avec ses deux faces de Fortune capricieuse et d'implacable Destinée, eau mouvante et tempétueuse à la fois, où l'on coule et qui renverse, aussi incontrôlable par son inconsistance que par sa force déchaînée. Ceux qui n'ont pas failli mourir n'ont jamais aperçu complètement ce qu'il v avait devant eux ... (Ecrits  du temps de la guerre,  p313)

       Mais sa réflexion finit par renforcer sa foi en une mort qui n’est qu’un passage, une transformation radicale.

       Ici-bas, la chair, élaborée par l'esprit pour agir et se développer, devient fatalement, tôt ou tard, une prison où l'âme étouffe. Pour les organismes naturels, qu'ils appartiennent à l'individu ou à l'Humanité. il n'y a, par suite, qu'une seule issue ouverte vers la plus grande vie, – et c'est la Mort. Incessamment, comme une buée qui tremble et s'évanouit, un peu d'esprit libéré monte et s'évapore autour de  la Terre : l'âme des trépassés. Par ce même chemin doit s'en aller l'Esprit achevé et mûri de la grande Monade. Chaque astre (s'il est vrai que tous vivent, chacun à leur tour) connaîtra sa mort particulière: dans le froid ou dans l'embrasement, dans les luttes intestines ou dans le bonheur assoupi...

       La seule vraie mort, la bonne mort, est un paroxysme de vie : elle s'obtient par un effort acharné des vivants pour être plus purs, plus uns, plus tendus hors de la zone où ils sont confinés. (Ecrits du temps de la guerre, page 246)

       Teilhard convaincra la moindre de ses propres fibres corporelles que l’esprit, summum de l’évolution, ne peut périr. La mort est le moment où Dieu s’insinue en totalité dans notre être. D’autre part, le scientifique qu’il est a bien vite  compris que la mort est nécessaire à l’évolution.

           Plus j’y pense, plus je trouve que la mort, par la grande invasion et intrusion de tout nouveau qu’elle représente dans notre développement individuel est une libération et un soulagement, en dépit même de ce qu’elle a d’essentiellement douloureux (parce que essentiellement renouvelant et arrachant)…Ce serait si étouffant de se sentir irrémédiablement confiné sur cette face superficielle et expérimentale de notre Cosmos… (Genèse d’une pensée p 204, 28 décembre 16)

       Il n’y aurait jamais eu de pensées sur terre sans le processus de la mort. Aujourd’hui la science confirme encore plus que jamais l’opinion de Teilhard : pour former un corps humain, l’embryon forme et différencie ses tissus. Ce processus exige pour ce faire le remplacement de tissus cellulaires indifférenciés par des tissus cellulaires plus différenciés. L’embryon se construit en détruisant une grande partie de ses cellules.  L’évolution  telle qu’expliquée par Darwin mais aussi notre propre embryogenèse exige la mort pour atteindre un niveau plus complexe.

       Teilhard au front se sent à l’endroit d’observation idéale pour percevoir le devenir sur terre de l’humanité. Il perçoit même qu’un jour la terre redeviendra une planète aussi vide que la lune mais cela ne le rend pas pessimiste.

       Le jour viendra où, comme un grand fossile, la Terre gravitera elle aussi, toute blanche. Rien ne remuera plus à sa surface; et elle aura gardé tous nos os. (Ecrits  du temps de la guerre, p 245)

       Le vaste décor de l’univers peut sombrer, la source de toute chose subsistera.

       Dieu, l'Etre éternel en soi, est partout  pourrait-on dire, en formation pour nous. Et Dieu, aussi, est le Cœur de Tout si bien que le vaste décor de l'Univers peut sombrer, ou se dessécher, ou m'être enlevé par la mort, sans que diminue ma joie. Dissipée la poussière qui s'animait d'un halo d'énergie et de gloire, la Réalité substantielle demeurait intacte, où toute perfection est contenue et possédée incorruptiblement. Les rayons se reploieraient dans leur Source : et, là, je les tiendrais encore tous. Voilà pourquoi la Guerre elle-même ne me déconcerte pas. (Ecrits du temps de la guerre, p 106)

       Et donc peu importe finalement ce que Dieu fera de l’esprit qui fut créé sur terre avec l’hominisation. La terre détruite ayant donné  son fruit, les âmes, celles-ci  subsisteront  dans les mains de Dieu : 

       Tout ce que nous faisons passer de nous ailleurs que dans une autre âme n’est qu’un résidu. L’Univers palpable tout entier, en quelque sorte, n’est lui-même qu’un grand résidu, un squelette des innombrables vies qui y ont germé et s’en sont allées, en n’abandonnant derrière elles qu’une faible, infime, part de leurs richesses. Le vrai progrès ne s’enregistre, ne se réalise, dans aucune des créations matérielles que nous essayons de nous substituer pour nous survivre sur la terre : il se poursuit dans les âmes, véritables étincelles où se concentre et prend corps la flamme intérieure du Monde, et il s’en va avec elles. (Genèse d’une pensée, p 210, 6 janvier 17)

       Ce qui me passionne dans la vie c’est de pouvoir collaborer à une œuvre, à une Réalité plus durable que moi : c’est dans cet esprit et cette vue que je cherche à me perfectionner et à dominer un peu plus les Choses. La mort, venant me toucher, laisse intactes ces Causes, ces Idées, ces Réalités, plus solides et précieuses que moi-même ; la foi en la Providence par ailleurs me fait croire que cette mort vient à son heure, avec sa fécondité mystérieuse et particulière (non seulement pour la destinée surnaturelle de l’âme mais aussi pour les Progrès ultérieurs de la Terre). La mort nous livre totalement à Dieu ; elle nous fait passer en Lui ; il faut en retour nous livrer à elle en grand amour et abandon, puisque nous n’avons plus, quand elle est là, qu’à nous laisser entièrement dominer et mener par Dieu. (Genèse d’une pensée, p 185, 186, 13 novembre 1916)

       Et vraisemblablement, ces âmes ayant collaboré à la création composeront les  innombrables nuance de la physionomie d’un Christ éternel, mais cependant toujours « en devenir » jusqu’au terme de l’existence du dernier être humain.

       (…), l’incommunicable beauté et nuance de chaque âme n’est pas étrangère au Christ, et se retrouve parfaitement dans le Christ : car le Christ n’est pas seulement l’individualité souverainement parfaite qui a traversé notre société humaine. Il est encore, dans son organisme mystique, la plénitude et la figure (en  élaboration) du Cosmos élu, si bien que les beautés et les nuances particulières des âmes  n’ont leur signification définitive que comme les traits et les touches composant la Céleste Physionomie de la grande et unique Réalité finale. C’est ainsi que nous achevons le Christ… Les plus exquises essences du Savoir, du Beau, du bien-vivre, seront requises pour mener à bout cette œuvre de vie. Une à une, sous l’effort humain aidé de Dieu, les âmes distillent, gouttes précieuses,– et le nectar des derniers temps n’a pas la même saveur que celui des premières coulées. Chacune a son prix exquis. (Genèse d’une pensée p 234, 5 février 17)

Teilhard pendant la guerre : un  intellectuel  optimiste par sa foi

       Pendant les repos de son régiment  à l’arrière, Teilhard va à chaque fois essayer de trouver dans la nature ou dans une vieille cure un endroit pour écrire. Il écrira plus de treize essais. L’un d’entre eux est intitulé « La nostalgie du front ». Evidemment ce n’est pas la nostalgie de la guerre  mais la nostalgie de la communion des âmes humaines dans les tranchées, communion tendue vers un seul but  et auquel on consent tous les sacrifices nécessaires.

       Le  Front attire invinciblement parce qu'il est, pour une part, l'extrême limite de ce qui se sent et de ce' qui se fait. Non seulement on y voit autour de soi des choses qui ne s'expérimentent nulle part ailleurs, mais on y voit affleurer, en soi, un fond de lucidité, d’ énergie, de liberté qui ne se manifeste guère ailleurs, dans la vie commune – et cette forme nouvelle que révèle, alors l'âme, c'est celle de l'individu vivant de la Vie quasi collective des hommes, remplissant une fonction bien supérieure à celle de l'individu et prenant conscience de cette situation nouvelle. (Genèse d’une pensée, p 266, 267, 25 sep 17)

       Ah si  la paix revenue, pense Teilhard, les hommes pouvaient travailler avec la même conviction que par temps de guerre, en continuant à oublier  les intérêts individuels,  pour promouvoir une société plus juste !

Il faut que la Force d'excitation, d'attraction, de cohésion, que la guerre a exercée sur nous, contre le Mal et un instant, une autre Cause apparaisse qui l'exerce, durablement et pour le Bien. Ce que la défense d'intérêts sacrés a suscité en nous provisoirement (à savoir, la conscience de collaborer, tous ensemble, à une Œuvre aussi grande que le Monde), il faut que la poursuite d'un idéal positif le produise à son tour, pour toujours. Vraiment est-il impossible à l’amour de créer entre nous l’âme d’union qu’a fait palpiter la crainte ? La condition du Progrès humain, la voilà, telle la guerre nous l'a montrée : C'est que les Hommes essaient enfin de vivre isolément, arrivent à apercevoir - un but commun de leurs vies, (un But à jamais fixé dans leur ciel, transmissible par l'éducation, attingible et perfectible par la recherche), sur lequel s'allument et se groupent (dans un effort non pas individuel, ni régional, ni social, mais humain) les puissances qui couvent encore, sûrement, en eux. (Ecrits du temps de la guerre, p 393 et 394)

       Et puis le front aussi, c’est aussi le moyen d’apprécier immensément  le cadeau de la vie à chaque fois qu’on échappe au danger mortel.


       Je pense, moi, que la saveur inédite de vivre, succédant à un « narrow escape » tient surtout à cette intuition profonde que l'existence qu'on retrouve, consacrée par le danger, est une existence nouvelle. Le bien-être physique qui se répand dans l'âme, à cette minute-là, signifie la Vie supérieure en laquelle on vient d'être baptisé. Parmi les hommes, celui qui a passé par le feu, est une autre espèce d'homme ... (Ecrits du temps de la guerre, p 181)

       Enfin, la nostalgie du front c’est pour Teilhard la nostalgie d’un endroit d’observation privilégié pour le philosophe, un endroit crucial, unique  où l’avenir de l’humanité se joue.

       Il me semble qu’on pourrait montrer que le front n’est pas seulement la ligne de feu, la surface de corrosion des peuples  qui s’attaquent, mais aussi en quelque façon, le « front de la vague » qui porte le monde humain vers ses destinées humaines. (Genèse d’une pensée p 263, 23 septembre 17)

       Teilhard ne pense pas  que la Grande Guerre signifie la destruction de l’humanité alors que, pour beaucoup de ses contemporains, cette guerre constitue une véritable « fin du monde ».

       L'Histoire universelle nous le montre : après chaque révolution, après chaque guerre, l'Humanité est toujours apparue un peu plus cohérente, un peu plus unie, dans les liaisons mieux nouées de son organisme, dans l'attente affermie de sa commune libération ...

'" Plus différenciée, après chaque crise, et plus une, cependant.

... Que sera-ce donc, cette fois-ci ?

       Si nous n'assistons as encore aujourd'hui au dernier sursaut de discorde, ce sera demain, car le dénouement se précipite : l'heure est proche où la masse humaine, se refermant sur soi, groupera tous ses membres au sein d'une unité enfin réalisée. Une même législation, une  même orientation, un même esprit tendent à recouvrir la diversité permanente des individus et des peuples. Encore un peu, et nous ne formerons plus qu'un bloc. C'est la prise !  (Ecrits du temps de guerre, p 239 )

       L’esprit de Teilhard spécialiste de l’histoire de la terre y est sans doute pour quelque chose. Il sait que l’évolution du monde et de la société  s’est toujours faite dans la douleur mais qu’elle a toujours su tracer son chemin à  traversé les obstacles.

       Plus l’'Humanité se raffine et se complique, plus les chances de désordre se multiplient et leur gravité s'accentue ; car on n'élève pas de montagne sans creuser des abîmes, et toute énergie est également puissante pour le bien et pour le mal. Tout ce qui devient souffre ou pèche. La vérité sur notre attitude en ce monde, c'est que nous y  sommes en croix. (Les écrits du temps de la guerre, p 56)

       Malgré la souffrance engendrée par toute métamorphose, tout changement  Teilhard nous incite à garder confiance dans la destinée de l’âme individuelle  mais aussi dans la destinée de toute la collectivité humaine et cela dans les moments les plus déprimants : tel est le message « surréaliste » en ce temps de guerre que  Teilhard exprime ici à sa cousine Marguerite :

       Avant tout, aie confiance dans le lent travail de Dieu. Tout naturellement, nous sommes impatients d’être en chemin vers quelque chose d’inconnu, de nouveau… C’est pourtant là la loi de tout progrès qu’il se fait en passant par de l’instable, - lequel peut représenter une fort longue période. C’est ainsi que, depuis un an, nous sommes en suspens au sujet de la civilisation de demain. (…). Fais à N.S. le crédit de penser que sa main te mène à bien à travers l’obscurité et le « devenir », - et accepte par amour pour lui, l’’anxiété de te sentir en suspens, et comme inachevée.  (Genèse d’une pensée, p 70, 4 juillet 15)

Teilhard : un don de clairvoyance

A propos du féminisme :

       Les Nationalités se cherchent et se trouvent, à travers les accidents secondaires des combinaisons diplomatiques ; et, en même temps, par-dessus les frontières des premiers liens se tendent que rien ne pourra désormais briser. Cependant le Féminisme s'est implanté dans les revendications de la foule et d'une élite; et il faudra, tôt ou tard, lui faire ne faire une large place au soleil. (Les écrits  du temps de guerre, p 70) 

A propos de la médecine :

       Le savant entrevoit une ère nouvelle de souffrances efficacement adoucies, de bien-être assuré, et qui sait ? de rajeunissement, peut-être, ou même de développement artificiel des organes. (Les écrits du temps de la guerre p 25)

A propos de l’Eglise :

        Nous avons cessé d’être contagieux parce que nous n’avons plus une conception vivante du monde à apporter. C’est une situation qui saute aux yeux, dès qu’on sort des églises et des séminaires. Pour convertit, l’Eglise doit d’abord renaître. (L.I, 7 janvier 34)

A propos de l’éthique :

       Dans son livre écrit en 1937 sur l’Energie humaine, Teilhard aborde courageusement le problème du contrôle des naissances et de l’euthanasie. L’homme aurait-il le droit se demande t-il de toucher à toutes les conduites du monde sauf à celles qui le constituent lui-même ? Suscitant la réflexion, Teilhard exprime une volonté, peu commune pour son époque  pour le « plus vivre » plutôt que pour le « survivre ». 

Teilhard pendant la guerre : Tenir sa place

       Tenir sa place, accepter le « destin de masse » telles furent les convictions de Teilhard sur l’agir.

       Il lui faut accepter, peut-être, le rôle de l'atome imperceptible qui accomplit fidèlement, mais sans honneur, la fonction obscure, utile au bien-être et à l'équilibre du Tout pour laquelle il existe ; il lui faut consentir à être, quelque jour, la parcelle d'acier, à fleur de lame, qui sautera au prochain effort, le soldat de la première vague, la surface utile et sacrifiée du Cosmos en activité. Il lui faut souvent, hélas ! se résigner à être un inutilisé qui disparaîtra sans avoir pu donner son effort, ni proférer sa parole – qui sortira de l’existence avec une âme tendue de tout ce que les circonstances adverses ne lui auront pas permis d’extérioriser. (Ecrits du temps de la guerre, p55)

       Il faut donc savoir sacrifier de son temps et de son énergie aux dépens de nos intérêts individuels.

       C’est sans doute, une fois de plus que, dans le conflit actuel, chacun doit oublier ce qu’il pourrait acquérir de perfectionnement égoïste, pour devenir le simple effort voué au labeur commun. (Genèse d’une pensée p 74 et 75, 27 juillet 15)

       Très souvent, le temps qui passe  ne nous permet pas de réaliser nos rêves, il faut souvent se contenter de  réaliser les petites choses. Cette situation ne doit pas nous désespérer car elle   « déterminée »  par des facteurs que nous ne maîtrisons pas :

        Une idée qui m’est venue depuis quelques temps déjà sur la volonté de Dieu : as-tu pensé qu’Elle est en sorte matérialisée, ou même incarnée, au plus profond de nous ; par le temps (ou la durée dirait Bergson), le temps qui nous entraîne et qui nous rythme, le temps qui passe trop vite ou trop lentement, le temps qui sépare impitoyablement la date désirée, ou fait s’écouler trop vite les heures de réunion ; le temps qui s’oppose à ce que nous réalisions en un clin d’œil les perfectionnements rêvés en nous ou autour de nous ; le temps qui nous fait vieillir…C’est l’action créatrice de Dieu qui est à la source de ce déterminisme fondamental et universel : reconnaissons-la et aimons-la ! (Genèse d’une pensée, p 130, 19 juin 1916)

       Et peu importe le succès de nos efforts.

       En un sens la réussite de nos efforts compte peu (Dieu peut tout corriger en un clin d’œil) : Ce sont les efforts qui ont du prix. (Genèse d’une pensée, p 84, 22 août 15)

        Car, finalement, ces efforts nous rapprochent de  Dieu.

       « Dieu, dans ce qu’il a de plus vivant et de plus incarné, n’est pas loin de nous, hors de la sphère tangible, mais il nous atteint à chaque instant, dans l’action, dans l’œuvre du moment. Il est, en quelque manière, au bout de ma plume, de mon pic, de mon pinceau, de mon aiguille, de mon cœur, de ma pensée. »

Teilhard attendit avec confiance que l’évolution lui donne raison !

       Incroyable, Teilhard, écrivain prolixe, dut accepter durant toute sa vie que ses travaux  restent confidentiels. L’Eglise l’accusa de panthéisme, de trop aimer Dieu à travers les merveilles de sa création. Teilhard souffrit terriblement de l’Eglise et pourtant il resta à sa place et se soumit à l’autorité malgré que des collègues scientifiques lui aient conseillé de quitter la Compagnie de Jésus. En 1922, il obtint son doctorat en sciences et enseigne la géologie à l’Institut catholique de Paris. L’année suivante, il part en Chine pour une expédition de fouilles. Il séjournera très souvent dans ce pays jusqu’en 1946.  En 1929, une Américaine, Lucie Swan, établie à Pékin tomba amoureuse de Teilhard. S’ensuivit une correspondance importante qui ne devait pas cesser. Lucie Swan était sculpteur. Elle réalisa le buste de Teilhard et dactylographia nombre de ses manuscrits. En 1937, Lucie espère une rupture de Teilhard avec son ordre religieux qui pourrait enfin aboutir à une vie commune. Mais Teilhard, malgré son amour pour elle, ne veut pas renoncer à ses vœux. Lucie rentre aux Etats-Unis en août 1941. Teilhard la reverra à plusieurs occasions et continuera à lui écrire  jusqu’à sa mort. L’amour entre Teilhard et Lucie fut intense mais fut aussi source de beaucoup de souffrances en raison de son caractère platonique. Teilhard fit des choix dans sa vie mais s’enrichit toujours de relations très privilégiées avec les femmes (Outre Lucie, Teilhard fut aussi fort lié avec sa cousine Marguerite, Ida Treat et Rhoda de Terra). Ces amitiés féminines furent certainement une source d’inspiration importante dans l’élaboration de sa philosophie s’adressant à chaque âme qu’elle soit masculine ou féminine.

       Teilhard, depuis 1923,  passa le plus clair de son temps en  Chine tout en participant à de nombreuses expéditions scientifiques. En 1928, il effectue une mission en Somalie française.  L’année suivante il part diriger les fouilles préhistoriques sur le site près de Pékin où l’on découvrit un fossile hominien, le sinanthrope. En 1931 et 1932, il participe à l’expédition Citroën, connue sous le nom de « la croisière jaune » qui traversa la chine. En 1936 et 1937, on le trouve en Inde. Il passe ensuite toute la seconde guerre mondiale en Chine et ne peut rentrer en France qu’en 1946. En 1951 il se fixe à New-York et participe à une dernière expédition dans le Sahara en 1953. Ses tribulations furent nombreuses : Sa hiérarchie lui  ayant interdit d’enseigner à l’Institut Catholique de Paris, on  l’éloigna de France en l’exilant  en Chine. Il ne put non plus obtenir un poste de professeur au Collège de France. Ce grand intellectuel souffrit énormément de l’incompréhension des autorités religieuses tout en gardant une confiance que l’on pourrait qualifier « d’héroïque » en Dieu. Un an avant son décès, raconte Edith de la Heronnière dans sa biographie consacrée au Père Teilhard de Chardin, au cours d’un dîner au consulat de France à New-York, Teilhard avait murmuré à l’oreille de l’un de ses neveux : « j’aimerais mourir le jour de la Résurrection ». Le 10 avril 1955, après avoir assisté à la messe solennelle de Pâques à la cathédrale Saint-Patrick de New-York et s’être réjoui d’une journée magnifique, Teilhard s’apprêtant à sortir pour prendre le thé chez des amis vacilla soudain et tomba. Après quelques instants il retrouva ses esprits en ouvrant les yeux et en disant « Cette fois c’est terrible ». Un instant plus tard il rendait son dernier souffle le jour de la Résurrection, comme il l’avait souhaité. Les trois derniers versets de Saint-Paul, « Dieu, tout en tous » , les dernières lignes de son journal, datées du 7 avril 1955, résument magnifiquement sa vie, sa pensée. Sa mort, comme un signe de vérité, est en tout cas fort, interpellante !

       De son vivant, Teilhard ne connut pas la joie de voir éditée son œuvre. Ses livres furent publiés un par un après sa mort par un comité d’admirateurs. Ils obtinrent un succès  immédiat comme si ils avaient été attendus, comme s’ils répondaient à un besoin. Finalement, l’Eglise réticente par  le concile Vatican II reconnut  la valeur de sa philosophie  suggérant que nous sommes dans  un  univers matériel créé dans un  seul but, celui d’atteindre le point Omega (le Christ) et cela grâce à la lente émergence de la conscience prouvée par la théorie de l’évolution. L’acceptation tardive de l’Eglise se matérialisa notamment par la transformation de  la fête du « Christ Roi » en fête du « Christ, Roi de l’univers ». 

Je crois que l’Univers est une Evolution
Je crois que l’Evolution va vers l’Esprit
Je crois que l’esprit s’achèvera en du Personnel
Je crois que le Personnel suprême est le Christ Univers

(Teilhard de Chardin, Comment je crois, 1934)

Conclusions selon Teilhard

La vie est encore belle malgré les affreux soubresauts de l’humanité 

       Allons, la Vie est encore belle ! Puisque, finalement, au grand choc dont nous sortons, nous avons gagné de comprendre notre vocation et de sentir notre jeunesse, ne regrettons ni la guerre cruelle, ni la paix mesquine .... Parmi les banalités de l'existence redevenue terne, et les contradictions d'une Société retournée à son émiettement, je reprendrai patiemment les occupations communes illuminé de ce que j'ai vu pendant les brefs instants où, pour une grande Cause, nous nous sommes sentis unis, par le fond même de la Vie, des millions ensemble. J'irai vers J'avenir plus fort de ma double foi d'homme et de chrétien ...Car je l'ai entrevue du haut de la montagne, la Terre Promise. ( Ecrits du temps de la guerre, page 396)

La vie est un miracle

       Quelle accumulation de rencontres favorables, géométriquement croissantes dans leur improbabilité, n'a-t-il pas fallu pour que se formât la Terre, et se développât l’Humanité, et vînt au monde ma chétive personne! Combien ténus, de plus en plus, les fils dont est tissée mon existence, depuis la mise en train initiale des mouvements cosmiques jusqu'à la rencontre de mes parents !  Et il eût suffi qu'un seul de ces fils se brisât pour que jamais mon esprit ne s'éveillât à l'existence ! (Ecrits du temps de la guerre, p310)

L’homme a le devoir  de continuer la création

       Je ne puis croire que le monde soit seulement donné à l’homme pour l’occuper, comme une roue à faire tourner. Il doit y avoir un effort précis à donner, un résultat défini à obtenir, qui soit l’axe du labeur humain et de la ligne humaine, qui constitue le support  ou la matière de notre fidélité à Dieu, qui fasse comme le lien dynamique de notre charité. (Genèse d’une pensée, p 235, 5 février 17)

       Le véritable appel du Cosmos, c’est une invitation à venir participer consciemment au grand travail qui se mène en lui. (Ecrits du temps de guerre, p 23)

De notre monde transitoire  émergera un monde indestructible déjà en construction

       Sous la banalité uniforme des agitations humaines, depuis les sommets de l'âme jusqu'aux racines de la matière, L'Univers se scinde intégralement. D’une part, grâce à une somme, immense d'efforts infinitésimaux, grâce à l'effet accumulé des bons désirs et des bonnes communions, un Monde indestructible se construit par nos âmes et par nos corps, à l'abri de la Chair du Christ. (Ecrits du temps de la guerre,  p 353)

Dieu est assez fort pour transformer le mal en bien

       Il faut, devant l'incertitude pratique du lendemain, s'être abandonné, dans un vrai porte-à-faux intérieur, sur la Providence (considérée comme aussi réelle, physiquement, que les objets de notre inquiétude) ; il faut, dans la souffrance du mal contracté, dans le remords de la faute commise, dans l'irritation de l'occasion manquée, s'être forcé à croire sans hésiter que Dieu est assez fort pour convertir ce mal en bien (…) (Ecrits du temps de la guerre, page 328)

Dieu  in fine,  la suprême consolation

       L’idée qu’on est à Dieu même maladroitement, console de tout, et permet d’espérer toutes les compensations… (Genèse d’une pensée, p 238, 15 février 1917)

       Je vous aime, Jésus, pour la Foule qui s'abrite en Vous, et qu'on entend, avec tous les autres êtres, bruire, prier, pleurer, quand on se serre tout près contre Vous. (Ecrits du temps de la guerre, p 59)

Conclusions selon l’auteur de cet article

       Je ne sais si Teilhard a raison, je ne sais si l’évolution va vers le point Omega comme le voudrait Teilhard. En tout cas, cet homme m’appelle à l’optimisme et  m’aide à vivre  dans ce 21ème siècle en proie à de multiples convulsions. Quand j’ai envie de baisser les bras, son exemple de ténacité  me fait réfléchir. Et puis avouons-le, j’éprouve une grande admiration pour l’Homme, un Homme qui sut tenir tous ses engagements, un Homme passionné de ce monde, un Homme qui malgré d’immenses épreuves personnelles de par les incompréhensions de sa hiérarchie, ne se découragea pas. Et puis il y a la Foi de Teilhard, une Foi immense comme une montagne, une Foi en Dieu, une Foi dans les hommes, une Foi qui transperce, qui rayonne à travers l’espace-temps. Cette Foi est si imposante qu’on l’aperçoit de très loin… Cette Foi qu’il voulait partager peut certainement toujours aujourd’hui nous aider à vivre…

Dr Loodts P. 

Sources :

- Lucien Christophe, Les papiers de guerre de Teilhard de Chardin, dans Revue générale belge, 1962

- Teilhard de Chardin, Ecrits du temps de la Guerre (1916-1919), Les Cahiers Rouges,  Editions Grasset, 1965

- Teilhard de Chardin, Genèse d’une pensée. Lettres 1914-1919, Les Cahiers Rouges, Bernard Grasset, 1961

- Edith de la Heronnière, Teilhard de Chardin, un mystique de la traversée, Collection spiritualités vivantes, Albin Michel , 2003

     

 

 

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      

 

 

 

 

     

 

 

 

 

 

  

 

 

 

 

 

 

 

      

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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