Médecins de la Grande Guerre

Le capitaine Alfred Garnir, « Un Grand »

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Le capitaine Alfred Garnir, « Un Grand »

Le capitaine Alfred Garnir.

Aux tranchées à Boesinghe (1916).

Acte de naissance d’Alfred Garnir

La concession de la famille Garnir dans le cimetière de Quiévrain. (Patrice Colmant)

La concession de la famille Garnir dans le cimetière de Quiévrain. (Patrice Colmant)

La concession de la famille Garnir dans le cimetière de Quiévrain. (Patrice Colmant)

Le capitaine Alfred Garnir, « Un Grand »[1]

Au plus brave d’entre tous !

(Les mitrailleurs des 2ème et 5ème

Chasseurs à pied. 3 décembre 1917.)

 

 

     Il mesurait 1 mètre 92. Son cœur, son âme n’avaient pas de limites. Il dominait physiquement, moralement.

     Garnir Alfred-Clément, était né le 15 mai 1887 à Dour. Tel père, tel fils.

     Après de brillantes études à l’Athénée royal de Mons, où l’on conserve encore le souvenir des formidables farces jouées aux professeurs et élèves par le « long Alfred », il s’engage au 3ème chasseur à pied.

     Il révolutionne la petite et tranquille ville de Menin. Sergent en 1909, il entre à l’Ecole militaire à Bruxelles ; en sort, après bien des frasques, comme chef de sa promotion en décembre 1912.

     Le voilà sous-lieutenant au 2ème chasseurs à pied à Mons, en plein Borinage, en cette région dont il incarne toutes les qualités.

     La vie monotone de garnison ne peut lui suffire, il est du reste trop grand, tout lui semble petit, mesquin...

     Il cherche bien un dérivatif à sa force physique en se livrant aux sports, à la chasse. Mais ses records de cross ou du lancement du poids, ses abattages de lapins et de gibier de tout poil et plume dans les bois du camp de Beverloo ou du Hainaut le laisse trop vigoureux.

     Pourtant en fit-il des randonnées avec son légendaire basset, aussi long et haut sur pattes que le maître était grand. « A l’extrémité d’une droite on peut élever une seule perpendiculaire », disaient les camarades en voyant Garnir partir à l’aube, précédé du basset.

     La guerre surprit « le grand Alfred » au cours colonial ; il se disposait à partir pour le Congo, où son cadet l’avait précédé comme officier de la force publique.

     Décrire la joie de Garnir à l’annonce de la mobilisation générale est chose impossible.

     Ai-je dit que jamais sur sa face glabre la moindre émotion ou extériorité de sentiment pouvait se lire ?

     Bien plus, les yeux, où parfois brillaient des étincelles, se dissimulaient derrière des lorgnons.

     Seuls, des plis profonds, dont le nombre augmentait avec l’intensité du regard, pouvaient parfois déceler sur la figure pâle, jaunâtre du géant, la joie, la souffrance.

     Garnir prit le commandement du 1er peloton de la 1ère compagnie du 2ème bataillon du 2ème chasseurs à pied, capitaine Favier.

     Ces deux êtres d’élite étaient faits pour se comprendre ; capote de soldat sur le dos, fusil à l’épaule, quand tout craqua, ils furent de ceux qui tinrent quand même.

     Arrivé sur l’Yser, Garnir avait déjà un beau tableau de chasse : Eppeghem, Cappelle-au Bois, Buggenhout, la Nèthe lui avaient fourni du gibier boche tant et plus.

     Au combat d’Oud-Stuyvekenskerke on le vit, malgré le barrage des 150, gagner la petite église, refoulant les Allemands. Son peloton électrisé le suivait. Les Boches filaient ; Garnir les abattait comme des lapins. A chaque culbute, sa figure se sillonnait de rides. Le lorgnon rajusté de la main gauche, le tir précis recommençait. Une balle dans l’épaule droite le mit hors combat. Il quitta placidement le champ de bataille, bien droit, le bras en écharpe. « Dommage, mon capitaine, cela marchait si bien. »

     Il revint au front de lui-même, non guéri, ayant bousculé tous les bureaux, se fichant des instructions. Des tranchées de Dixmude, il eut à fournir maintes explications : « Je m’en f... Ce n’est pas ici que les « embusqués » viendront me chercher ! »

     Garnir, à 25 mètres des Boches, jurait, grognait. Nous recevions chaque jour dans nos tranchées, champ d’expérience allemand, un nouvel engin infernal. Le « Grand » riposta avec des boites de conserves pleines de poudre, de mitraille. Lui seul parvenait à les jeter dans les tranchées boches. C’étaient nos premières grenades !

     Qui dira ses longues heures d’affût, la figure noircie, allongé sur une poutre branlante, descendant le boche imprudent.

     Une après-midi de juin 1915, nous reçûmes une avalanche de grenades pendant que des vociférations partaient des environs de la Minoterie : Garnir venait de tuer Fritz, le cuisinier, porteur des « Kartoffeln » !  

     Une mitrailleuse nous ennuyait ferme, le « grand » découvrit son emplacement ; un canon de 37 millimètres, amené au pont de Dixmude comme crapouillot, fut hissé par ses soins dans la charpente d’une des bicoques détruites et, obus par obus, garnir démolit le mur où s’abritait la sournoise mitrailleuse. Son compagnon fut grièvement blessé.

     J’ai dit que Garnir était un fervent disciple de Nemrod. Les lièvres du secteur de Ramscapelle s’en aperçurent en 1916. Le « Grand » montait de garde aux avancées de Ryckenhoek. Pour se rendre de cet endroit aux tranchées de Beverdyck, il fallait faire un long détour en arrière par Wolvennest et Roedesterkte. Cela l’ennuyait. Méprisant le danger, Garnir allait en ligne droite. Le boche de la ferme Violette tirait et ... le ratait. Garnir, froidement, invitait les camarades : « Il y a deux balles à passer et puis on est tranquille. » Cet homme nous épouvantait.

     Amateur de photos, il voulait posséder des exemplaires uniques. On le vit se précipiter vers les endroits où tombaient les 150 pour obtenir un bel éclatement. « Embêtant, mon commandant, le déplacement d’air est trop violent, mon appareil recule, je voile trop de plaques ! »

     Avait-il la notion du danger ?

     A chaque nouvelle invention boche, il était impatient de posséder l’engin. Il courait après les grenades, les bombes à aigrettes. Apprenant en mai 1916, à Boesinghe, que l’Allemand bombardait avec obus toxiques, il se rendit aux tranchées, revint avec des obus non éclatés, les transmit au G.Q.G. et fut... trois jours malade !

     Il possédait une magnifique collection d’obus de tous calibres, vidés et démontés par lui.

     A 200 mètres des Allemands, à Lizerne, il détruisit la dernière compagnie de perdreaux.

     On le vit se promener dans les tranchées de première ligne, une mitrailleuse Hotchkiss sur l’épaule, s’arrêtant aux bons endroits et mitraillant les tranchées boches.

     Il était la terreur des camarades timorés. La nuit il lançait des grenades sur leur abri, histoire de les aguerrir. Au repos, il sollicitait une permission pour aller chasser le canard sauvage en avant de Caeskerke, près de l’étang.

     Projeté en l’air par un obus, Garnir se relève disant : « Depuis qu’ils tirent sur le village, ils pourraient bien ne plus tirer trop court, » et il se remet à l’affût.

     Les hommes le croyaient invulnérable. Avec lui ils ne craignaient ni Dieu, ni diable, ni Boche.

     Sa compagnie de mitrailleurs était surnommée l’Invincible. Pourtant le « Grand » est mort le 3 décembre 1917.

     La tête emportée par un obus de 150, le corps horriblement déchiqueté par une bombe ? Non pas, Garnir est mort dans un lit d’hôpital !...

     En rôdant entre les lignes, un fils de fer barbelé l’avait égratigné près de la tempe, une belle balafre ! Garnir ne s’en soucia, continua son service. Quand il se décida à se laisser examiner, c’était trop tard, en quelques heures il mourut du tétanos. Toute la 5ème division fut en deuil.

     Ses nombreuses décorations, ses citations résumaient la douloureuse et glorieuse épopée du 2ème chasseurs à pied.

     Je revenais d’Alveringhem où j’avais salué sa dépouille mortelle, mon unité cantonnait au Rabbelaer. Il était 5 heures, il faisait nuit. Au moment d’entrer dans la petite cabane, un soldat m’arrêta : « C’est vrai, commandant, que le « Grand » est mort ? »

     J’inclinai la tête. Le soldat me prit la main, quelque chose de chaud la baigna : le « jas » pleurait...

GARNIR Alfred, Clément

Capitaine en second au 2ème Régiment de Chasseurs à Pied - 2/3 - 7ème Compagnie

5ème division d’armée

Matricule 15622

Ordre de Léopold - Ordre de la Couronne - Croix de guerre

Né à Dour, le 15 mai 1887 à 5 h du matin - (légitimé le 29 octobre 1887)

Fils d’Alfred, Henri Garnir et de Clémentine, Silvie Mevis

Blessé à Dixmude « Boyau de Rail », le 23 novembre 1917 (blessure par balle)

Hospitalisé au BeMH Hoogstade, le 01 décembre 1917 (blessure par fil de fer barbelé)

Mort à Hoogstade (hôpital de guerre), le 03 décembre 1917 à 22 h 15 (tétanos)

Inhumé le 25 octobre 1921 au cimetière communal de Quiévrain

 

      

 



[1] Récits de guerre par M. Tasnier & L. Tasnier – Albert Dewit, Libraire-éditeur 53, rue Royale, Bruxelles. 1920



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