Médecins de la Grande Guerre
Accueil - Intro - Conférences - Articles
Photos - M'écrire - Livre d'Or - Liens - Mises à jour - Statistiques
Le capitaine Alfred
Garnir, « Un Grand »[1] Au plus brave d’entre tous ! (Les
mitrailleurs des 2ème et 5ème Chasseurs à
pied. 3 décembre 1917.) Il mesurait 1 mètre 92. Son cœur, son âme
n’avaient pas de limites. Il dominait physiquement, moralement.
Garnir Alfred-Clément, était né le 15 mai 1887 à Dour. Tel père, tel
fils.
Après de brillantes études à l’Athénée royal de Mons, où l’on conserve
encore le souvenir des formidables farces jouées aux professeurs et élèves par
le « long Alfred », il s’engage au 3ème chasseur à pied.
Il révolutionne la petite et tranquille ville de Menin. Sergent en 1909,
il entre à l’Ecole militaire à Bruxelles ; en sort, après bien des
frasques, comme chef de sa promotion en décembre 1912.
Le voilà sous-lieutenant au 2ème chasseurs à pied à Mons, en plein
Borinage, en cette région dont il incarne toutes les qualités.
La vie monotone de garnison ne peut lui suffire, il est du reste trop
grand, tout lui semble petit, mesquin...
Il cherche bien un dérivatif à sa force physique en se livrant aux
sports, à la chasse. Mais ses records de cross ou du lancement du poids, ses
abattages de lapins et de gibier de tout poil et plume dans les bois du camp de
Beverloo ou du Hainaut le laisse trop vigoureux.
Pourtant en fit-il des
randonnées avec son légendaire basset, aussi long et haut sur pattes que le
maître était grand. « A l’extrémité d’une droite on peut élever une seule
perpendiculaire », disaient les camarades en voyant Garnir partir à
l’aube, précédé du basset.
La guerre surprit « le grand Alfred » au cours colonial ;
il se disposait à partir pour le Congo, où son cadet l’avait précédé comme
officier de la force publique.
Décrire la joie de Garnir à l’annonce de la mobilisation générale est
chose impossible.
Ai-je dit que jamais sur sa face glabre la moindre émotion ou
extériorité de sentiment pouvait se lire ?
Bien plus, les yeux, où parfois brillaient des étincelles, se
dissimulaient derrière des lorgnons.
Seuls, des plis profonds, dont le nombre augmentait avec l’intensité du
regard, pouvaient parfois déceler sur la figure pâle, jaunâtre du géant, la
joie, la souffrance.
Garnir prit le commandement du 1er peloton de la 1ère
compagnie du 2ème bataillon du 2ème chasseurs à pied,
capitaine Favier.
Ces deux êtres d’élite étaient faits pour se comprendre ; capote de
soldat sur le dos, fusil à l’épaule, quand tout craqua, ils furent de ceux qui
tinrent quand même.
Arrivé sur l’Yser, Garnir avait déjà un beau tableau de chasse :
Eppeghem, Cappelle-au Bois, Buggenhout, la Nèthe lui avaient fourni du gibier
boche tant et plus.
Au combat d’Oud-Stuyvekenskerke on le vit, malgré le barrage des 150,
gagner la petite église, refoulant les Allemands. Son peloton électrisé le
suivait. Les Boches filaient ; Garnir les abattait comme des lapins. A
chaque culbute, sa figure se sillonnait de rides. Le lorgnon rajusté de la main
gauche, le tir précis recommençait. Une balle dans l’épaule droite le mit hors
combat. Il quitta placidement le champ de bataille, bien droit, le bras en
écharpe. « Dommage, mon capitaine, cela marchait si bien. »
Il revint au front de lui-même, non guéri, ayant bousculé tous les
bureaux, se fichant des instructions. Des tranchées de Dixmude, il eut à
fournir maintes explications : « Je m’en f... Ce n’est pas ici que
les « embusqués » viendront me chercher ! »
Garnir, à 25 mètres des Boches, jurait, grognait. Nous recevions chaque
jour dans nos tranchées, champ d’expérience allemand, un nouvel engin infernal.
Le « Grand » riposta avec des boites de conserves pleines de poudre,
de mitraille. Lui seul parvenait à les jeter dans les tranchées boches.
C’étaient nos premières grenades !
Qui dira ses longues heures d’affût, la figure noircie, allongé sur une
poutre branlante, descendant le boche imprudent.
Une après-midi de juin 1915, nous reçûmes une avalanche de grenades
pendant que des vociférations partaient des environs de la Minoterie :
Garnir venait de tuer Fritz, le cuisinier, porteur des
« Kartoffeln » !
Une mitrailleuse nous ennuyait ferme, le « grand » découvrit
son emplacement ; un canon de 37 millimètres, amené au pont de Dixmude
comme crapouillot, fut hissé par ses soins dans la charpente d’une des bicoques
détruites et, obus par obus, garnir démolit le mur où s’abritait la sournoise
mitrailleuse. Son compagnon fut grièvement blessé.
J’ai dit que Garnir était un fervent disciple de Nemrod. Les lièvres du
secteur de Ramscapelle s’en aperçurent en 1916. Le « Grand » montait
de garde aux avancées de Ryckenhoek. Pour se rendre de cet endroit aux
tranchées de Beverdyck, il fallait faire un long détour en arrière par
Wolvennest et Roedesterkte. Cela l’ennuyait. Méprisant le danger, Garnir allait
en ligne droite. Le boche de la ferme Violette tirait et ... le ratait. Garnir,
froidement, invitait les camarades : « Il y a deux balles à passer et
puis on est tranquille. » Cet homme nous épouvantait.
Amateur de photos, il voulait posséder des exemplaires uniques. On le
vit se précipiter vers les endroits où tombaient les 150 pour obtenir un bel
éclatement. « Embêtant, mon commandant, le déplacement d’air est trop
violent, mon appareil recule, je voile trop de plaques ! »
Avait-il la notion du danger ?
A chaque nouvelle invention boche, il était impatient de posséder
l’engin. Il courait après les grenades, les bombes à aigrettes. Apprenant en
mai 1916, à Boesinghe, que l’Allemand bombardait avec obus toxiques, il se
rendit aux tranchées, revint avec des obus non éclatés, les transmit au G.Q.G.
et fut... trois jours malade !
Il possédait une magnifique collection d’obus de tous calibres, vidés et
démontés par lui.
A 200 mètres des Allemands, à Lizerne, il détruisit la dernière
compagnie de perdreaux.
On le vit se promener dans les tranchées de première ligne, une
mitrailleuse Hotchkiss sur l’épaule, s’arrêtant aux bons endroits et
mitraillant les tranchées boches.
Il était la terreur des camarades timorés. La nuit il lançait des
grenades sur leur abri, histoire de les aguerrir. Au repos, il sollicitait une
permission pour aller chasser le canard sauvage en avant de Caeskerke, près de
l’étang.
Projeté en l’air par un obus, Garnir se relève disant : « Depuis
qu’ils tirent sur le village, ils pourraient bien ne plus tirer trop court, »
et il se remet à l’affût.
Les hommes le croyaient invulnérable. Avec lui ils ne craignaient ni
Dieu, ni diable, ni Boche.
Sa compagnie de mitrailleurs était surnommée l’Invincible. Pourtant le « Grand »
est mort le 3 décembre 1917.
La tête emportée par un obus de 150, le corps horriblement déchiqueté
par une bombe ? Non pas, Garnir est mort dans un lit d’hôpital !...
En rôdant entre les lignes, un fils de fer barbelé l’avait égratigné
près de la tempe, une belle balafre ! Garnir ne s’en soucia, continua son
service. Quand il se décida à se laisser examiner, c’était trop tard, en
quelques heures il mourut du tétanos. Toute la 5ème division fut en
deuil.
Ses nombreuses décorations, ses citations résumaient la douloureuse et
glorieuse épopée du 2ème chasseurs à pied.
Je revenais d’Alveringhem où j’avais salué sa dépouille mortelle, mon
unité cantonnait au Rabbelaer. Il était 5 heures, il faisait nuit. Au moment d’entrer
dans la petite cabane, un soldat m’arrêta : « C’est vrai, commandant,
que le « Grand » est mort ? »
J’inclinai la tête. Le soldat me prit la main, quelque chose de chaud la
baigna : le « jas » pleurait... GARNIR Alfred, Clément Capitaine en second au 2ème Régiment de Chasseurs à Pied - 2/3 - 7ème Compagnie 5ème division d’armée Matricule 15622 Ordre de Léopold - Ordre de la Couronne - Croix de guerre Né à Dour, le 15 mai 1887 à 5 h du matin - (légitimé le 29 octobre 1887) Fils d’Alfred, Henri Garnir et de Clémentine, Silvie Mevis Blessé à Dixmude « Boyau de Rail », le 23 novembre 1917 (blessure par balle) Hospitalisé au BeMH Hoogstade, le 01 décembre 1917 (blessure par fil de fer barbelé) Mort à Hoogstade (hôpital de guerre), le 03 décembre 1917 à 22 h 15 (tétanos) Inhumé le 25 octobre 1921 au cimetière communal de Quiévrain [1]
Récits de guerre par M.
Tasnier & L. Tasnier – Albert Dewit, Libraire-éditeur 53, rue Royale,
Bruxelles. 1920 |