Médecins de la Grande Guerre
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Le soldat Fernand Tonnet, une vie remarquable Fernand Tonnet Cet article est dédicacé à : – l’abbé Ernest Michel qui fut aumônier général de la J.O.C. pour les garçons de Wallonie de 1957 à 1967 puis l’avant-gardiste Directeur du Séminaire Cardyn. – l’abbé André Michel, fondateur de la maison ouvrière de Quaregnon. Table des matières –
L’enfance et
l’adolescence de Fernand Tonnet –
Fernand Tonnet et la guerre 14-18 a)
L’influence de
l’écrivain Emile Montier sur Fernand b)
Le journal de
guerre de Fernand Tonnet c)
Quelques écrits
de Fernand Tonnet d)
Biographie du lieutenant Louis de Lalieux de
la Rock –
De 1925 à 1934,
l’aventure de la J.O.C. –
De 1934 à 1943 :
au service des adultes du monde ouvrier
–
De 1934 à 1943 :
au service des adultes du monde ouvrier
–
Fernand est arrêté
par les allemands et meurt à Dachau en février 1945 –
Conclusion 1)
L’enfance et l’adolescence de Fernand Tonnet Fernand naquit à Molenbeek le 18 juillet 1894. Son père Joseph était un ancien élève de Floreffe et de Bonne-Espérance. D’abord instituteur, il rentra ensuite dans l’administration des douanes. 4ème enfant de cinq fils, Fernand fit ses classes primaires à Bruxelles chez les Frères de la Doctrine Chrétienne puis suivit les cours d’humanités modernes à l’Institut Saint-Louis. En 1911, son père fut nommé à la tête du poste des douanes de Quiévrain. La famille suivit le papa et Fernand dut quitter son institut et abandonner ainsi ses études. Il va alors entreprendre d’animer le Patronage paroissial où, rapidement, il parfait sa connaissance d’une jeunesse ouvrière parfois très miséreuse. Parallèlement à cette activité sociale, Fernand continue de se cultiver sous la conduite du Curé Abrassart qui lui donna à lire énormément tout en lui faisant visiter, houillères, usines, et les humbles habitations ouvrières. Féru de littérature et de poésie, Fernand eut aussi l’occasion de rencontrer à cette époque le célèbre Verhaeren dans sa maison de campagne du « Caillou qui bique » qui n’était pas de beaucoup éloignée de Quiévrain. Ce séjour de la famille Tonnet dans le Hainaut ne dura qu’une année car son père fut rappelé à une fonction à Bruxelles. Fernand, de retour à Laeken, devint alors employé de banque et sollicita rapidement son admission dans la conférence Saint-Vincent-de-Paul de Laeken. Il se mit aussi à la disposition du vicaire Sas qui dirigeait le patronage paroissial et fit la connaissance du vicaire Cardijn, nouvellement arrivé, qui lui fit une profonde impression. Les raisons en étaient simples ; l’abbé partageait exactement le même idéal que Fernand en voulant se consacrer à la classe ouvrière pour la défendre, la protéger, l’éduquer. D’une grande culture générale, il ne se contentait pas de vagues appels à l’apostolat, mais documentait les jeunes gens, leur indiquait les études sociales et religieuses qu’ils devaient commencer, puis leur procurait les ouvrages sur les questions sociales à lire avant d’en faire avec eux des sujets de discussion. Fernand d’emblée se confia en ami à Cardijn puis pressa son frère Henri de rencontrer à son
tour l’abbé. Voici comment, Henri décrivit plus tard cette rencontre. « Avec une ardeur brûlante, une conviction
nerveuse, une force d'apostolat singulière, il m'esquissa un vaste programme de
rénovation sociale mais que devait précéder une profonde réforme morale. Et
longuement, minutieusement, il s'étendit sur les péripéties d'un voyage qu'il
avait fait en Angleterre, dans les milieux trade-unionistes. Il avait été
frappé par le haut degré de moralité des meneurs travaillistes, et puis il
évoqua les grands sociologues, les maîtres, les pionniers dont il avait
approfondi les œuvres : « Vogelsang », « Toniolo », «
La Tour du Pin », « Léon Harmel »... Et nous parlâmes littérature. Et le
vicaire se mit à lire, avec cette admirable expression et ce léger accent
flamand qui caractérisent son élocution, quelques passages d'un virtuose de la
prose qui créa la belle, l'impeccable langue. Quelque ravi et émerveillé que
nous fussions, nous ne pressentions guère que ce jeune prêtre ami des belles
lettres, à l'esprit accueillant, ouvert, généreux allait être un jour le guide,
le bon génie d'une nouvelle élite sociale, et l'un des plus grands animateurs
sociaux de notre temps. » Le vicaire Cardijn Le vicaire Cardijn, à Laeken, est chargé d’animer le patronage des filles. Rapidement, il envisage des réunions pour promouvoir les responsabilités et la formation des ainées. Selon leurs besoins, leurs spécificités, il crée alors différents « Cercles d’Etudes ». Il y avait celui des petites apprenties dont certaines devaient apprendre à écrire, celui des employées de bureau, celui des ouvrières, celui des responsables du patronage, et même une cercle des « Demoiselles », jeunes files de la bourgeoisie. Ces cercles rencontrent un beau succès et c’est à la fin de l’année 1912, que Fernand vient demander au vicaire de pouvoir rassembler le premier Cercle d’étude pour les garçons apprentis. Il parvient à ses fins et les premières réunions se passeront chez l’abbé Cardijn. On y discute de la nouvelle doctrine sociale de l’Eglise « Rerum Novarum » et on y prépare des futures activités. De ce cercle naîtra après la guerre le « Syndicat des apprentis ». Fernand, âgé de 20 ans au moment où, le 4 août 1914, la guerre éclate, sous l’influence du jeune vicaire Cardijn, a définitivement opté pour une vie au service de la jeunesse. D’autres jeunes gens suivront cette voie, comme Louis Lalieux de Rocq qui périra malheureusement au début de la guerre ou comme Paul Garcet, qui connaîtra, jusqu’à la mort, le même parcours que Fernand. 2) Fernand Tonnet et la guerre 14-18 1) L’influence de l’écrivain Montier sur Fernand La guerre interrompit le sacerdoce de Fernand à Laeken mais la guerre ne le changea pas. La vie de soldat qu’il dût mener ne fut pour lui qu’un moyen de « se rendre meilleur ». On le verra plus loin, son carnet de campagne est à ce titre éloquent. La guerre y tient peu de place mais le souci d’aider ses compagnons d’armes y est prédomine. Fernand, tourmenté par le problème du mal, est souvent triste de constater un laisser aller dans les mœurs des soldats. Il s’efforce de donner des conseils et des encouragements aux jeunes gens qui l’entourent. A 20 ans, il fait preuve d’une maturité exemplaire et continue à l’armée l’action sociale commencée à Laeken en faveur de la jeunesse ouvrière. Fernand profitera de ses longs moments d’inoccupation pour correspondre avec des figures marquantes de son temps dans le domaine de l’aide à la jeunesse et de son encadrement. Une de ces personnalités fut l’écrivain français de gauche, E. Montier. Nous dirons quelques mots sur cet homme qui eut une influence considérable sur Fernand. En 1910, Montier, écrivain normand, avait fait paraître : « LES ESSAIMS NOUVEAUX ». C'était l'histoire, en grande partie vécue, des Philippins, jeunes gens, ainsi appelés parce qu’ils fréquentaient à Rouen, le patronage dédié à St-Philippe de Néri. C'était aussi le résumé d’une doctrine sociale pour la promotion d’un patronage qui se voulait le creuset social de la jeunesse chrétienne. Montier avait repris, en 1894, le patronage fondé à Rouen par l’abbé Auvray. Il le développa et, en 1915, quitta même sa toge d’avocat pour se consacrer entièrement aux jeunes « Philippins » dont le mouvement va s’étendre progressivement dans toute la France. Montier devint donc un spécialiste très écouté en matière d’éducation de la jeunesse de par son expérience sur le terrain et de par ses nombreux livres. Son renom dépasse les frontières de la France mais malgré ce succès, en 1927, Montier connaîtra des critiques virulentes de la part des anciens combattants rouennais et de la part de l’Action française à la suite du discours pacifiste qu’il tint, en août 1926, à de jeunes garçons Allemands venus assister au Congrès de Bierville. Montier est alors obligé de s’éloigner de Rouen. Il ira s’installer à Nice où il continuera à écrire de nombreux livres sur l’éducation chrétienne de la jeunesse. Fernand Tonnet fut fortement influencé par l’idéal d’Edward Montier. Durant la guerre, profitant des moments des longs moments d’inactivité de la vie du soldat, il entretint une correspondance avec lui et, durant quelques permissions en France, il parvint même à rencontrer Montier à Rouen au milieu de ses « Philippins ». Revenu à Laeken après la guerre, Fernand parviendra à garder son idéal, à savoir, la défense des jeunes travailleurs. Il retrouva son Cercle d’Etudes des jeunes apprentis qui se transformera en une association militante appelée « La jeunesse syndicaliste ». Il s’inspirera de l’exemple des « Philippins » pour animer ce mouvement. Le succès fut au rendez-vous. Rapidement, son mouvement s’étendra à toute la Belgique et avec l’aide du vicaire Cardijn ; deviendra la base de ce qui deviendra la J.O.C. (Jeunesse ouvrière Chrétienne). Avant de voir avec plus de détails l’aventure de la J.O.C., examinons ensemble le carnet de guerre de Fernand. 2) Le carnet de guerre de Fernand Tonnet Sont repris ci-dessous le parcours et les principales réflexions de Fernand Tonnet durant la Grande Guerre. Les titres sont ajoutés pour faciliter la lecture. Le lecteur qui voudrait lire le carnet de guerre dans son entièreté peut le trouver sur le web à l’adresse suivante : Premières
semaines de guerre Le 7 août Fernand rejoint Anvers où il est désigné le lendemain pour le 4ème chasseur à cheval. Dans la cohue, on lui vole sa valise. Dans les jours suivants, son instruction a lieu, instruction à cheval et à pied. Le cinq septembre, il commence des gardes de police. Rapidement sur son cahier, il mentionne son premier geste altruiste 20 septembre. «
Causé avec N..., illettré, anormal, sauvage. Je lui donne 5 francs, car il est
à sec. En guise de merci il me dit que si jamais quelqu'un m'embête il me
défendra. » Le 6 octobre, il quitte Beveren-Waes et arrive à Selzaete en pleine nuit (l'officier qui dirigeait la colonne s'étant égaré deux fois). Il arrivera avec son unité le 8 octobre à Ostende et en repartira le 15 pour Nieuport. « Au loin les
dunes. La panique est en ville et les fuyards nous suivent. Toutes, ces villas,
abris de bonheurs passés... semblent des fleurs prêtes à se faner... Il flotte
du lugubre. A gauche le canon tonne. Un mot est sur toutes les lèvres, mais
personne n'ose le lancer : « Nous allons en France ». A Nieuport, un malaise se
lit sur les visages. Il semble bien que nous sommes une vague arrière-garde et
qu'après nous « les autres » viennent. Adinkerke. Il y a cohue. De ci de là
quelques belles toilettes claires.. ». Le 16 octobre, Fernand quitte Adinkerke pour la côte
française. « L'accueil des Français
est délirant... Impossible de rester « abstinent total » par ces temps-ci... ».
Quelques jours après, il est affecté au 4ème Lancier. Une
instruction complémentaire est donnée. « L'instruction finale sera assez dure me raillent les anciens qui me
considèrent comme un archi-bleu. Je les laisse dire. Je m'occupe de mon fourbi…
Peu à peu, l'amitié viendra. » Le 6 novembre, de retour à La Panne, l’unité de Fernand est passée en revue par le général De Witte. « Je suis au
premier escadron. J'ai dû ce soir déjà, déployer toute mon initiative en allant
chercher des portes et des cloisons de cabines pour construire une écurie pour
mon cheval. La mer est démontée. Il fait glacial ». Le bon cœur de
Fernand se manifeste une fois de plus Le 10 novembre, en exécutant une patrouille de nuit à pied à Oost-Duinkerke, il trouve un sac de pommes de terre. « Quelle
aubaine. Nous décidons de le porter au curé pour les réfugiés. Je sonne et
j'explique. Le brave curé accepte et nous donne en retour deux bouteilles de
son plus vieux vin… » Une nuit passée
dans un drôle d’endroit « Nous passons
la nuit dans l'église dont le pavement est couvert d'une épaisse couche de
paille ; elle sert de poste de garde, d'ambulance et... de morgue. L'on vient
justement d'amener trois cadavres parmi lesquels je reconnais un capitaine
français. Ces morts dans cette pénombre (il y avait deux bougies qui
éclairaient la scène) cela donne froid. Tout naturellement je me tourne vers ce
qui fut l'autel et je récite un Ave pour ces braves. Ensuite je prends six
chaises et je m'installe pour dormir deux heures. Au-dessus de moi la voûte
transpercée laisse voir des déchiquetures d'obus et le vent de mer s'y
engouffre. » Un accident de cheval
qui aurait pu être de conséquence 15
novembre. « J'ai fait une fameuse chute de cheval à Adinkerke. Je
regagnais ma ferme après avoir patrouillé toute la journée ; comme il pleuvait,
je mets mon cheval au galop. La route était glissante et à un tournant brusque
mon cheval fauche et nous roulons au fond d'un fossé, moi sous lui. J'en
frissonne encore. Je me suis dégagé tant bien que mal, ensuite j'ai aidé la
bête. Résultat : j'ai un peu mal au genou. Je dois une belle chandelle à la
bonne Vierge. » Le 16 décembre, Fernand mentionne qu’il a discuté avec des soldats de son unité sur « les mœurs ». Sans doute essaie-t-il de les convaincre d’avoir une conduite plus morale. Il échoue sans doute car note : « Comme ces garçons sont encrassés dans le vice ! » Le 19 janvier, c’est le départ aux tranchées. « Un éclat d'obus frôle ma tête. » Le 20 janvier, Fernand se trouve de piquet dans une ferme au sud-ouest de Pervyse. « On nous
bombarde par obus et non par rafales. Nous couchons sur des cosses de haricots
dans le voisinage des rats et des souris. Ce pauvre village de Pervyse est
haché par les obus. L'église dresse encore un squelette de clocher semblant
vouloir malgré tout défier la rage des hommes et leur montrer que là-haut se
trouve Celui qui tôt ou tard exercera toute justice. » Malade et
hospitalisé Le 27 janvier, il attrape un abcès au pied. Son pied gonfle de plus en plus et il est évacué pour finalement arriver à Calais quelques jours plus tard. Il est hospitalisé d’abord à la maison-mère des Sœurs Franciscaines où il est opéré. On lui apprend l’ordination de son frère Adrien ainsi que l’hospitalisation à Calais de son autre frère, Henri, engagé comme lui et blessé aux deux jambes. Il pourra rendre visite à ce dernier puis est transféré trois jours au bateau-hôpital. « L'on y voit toutes les maladies et tous les genres de blessures. C'est une lamentable foule d'éclopés et de miséreux. Cela me rappelle Lourdes d'Huysmans. » Fernand est ensuite transféré le 11 février à Cherbourg où il est opéré une deuxième fois dans un hôpital de Normandie. Il y restera jusqu’au 5 mars avant de rejoindre Rouen et un dépôt de convalescent. Rouen résonne en lui car il connait cette ville qui a inspiré son action sociale à Laeken auprès des jeunes. En effet c’est là qu’est née une œuvre encore inédite, celle de réunir les jeunes en des patronages voués au loisir créatif et éducatif (théâtre, sport, causeries, jeux). C’est l’abbé …qui a lancé ce mouvement qui a été ensuite repris par MR Montier, un écrivain catholique prolixe de gauche qu’admire Fernand. Fernand brûle d’envie d’aller visiter le local des Philippins comme se nomment les patronnés dédiés à leur patron Saint Philippe de Néri. Il ne pourra cependant s’y rendre et le 21 mars il a rejoint son régiment cantonné autour de Houthem. Le roi vient
visiter son gourbi dont le nom fait sourire…
2 mai. Le Roi est venu nous visiter. Figure grave, empreinte de soucis. A le voir on se sent plus confiant. J'avais dénommé notre gourbi : « A l’abri des inspections ». Le général et le colonel l'ont remarqué et ont bien ri. Fernand refuse le
grade de caporal Vraisemblablement, pour rester au niveau de ses camarades et dans un souci d’humilité, Fernand refuse le grade de Caporal. Le 24 mai, il écrit : « Assis au bord
de l'Yperlée, je contemple les ruines matérielles qui
barrent tous les points de l'horizon. Je pense à tant d'autres ravages moraux
engendrés par la guerre et qui seront plus difficiles à restaurer que les
autres. Pour cela il faudra lutter, travailler, s'user, mais en somme des
usures de ce genre donnent à la vie sa plus belle parure. » A 21 ans, il fait preuve d’une grande maturité en même temps qu’une grande candeur. Son idéal transparaît : la pureté des mœurs à conquérir et à faire partager aux autres ! Le 6 juin, Fernand se confesse à l'abbé Wallerand.
Il pense à ses « bons « fieus » du Patronage qui à cette heure s'agenouillent
aussi. » Fernand, un
confident pour les soldats 7 juin. N… m'a raconté sa triste petite vie.
À 19 ans que de misères et d'abandon... Quels cris d'angoisse et d'isolement
ont jailli de son cœur. Je lui ai offert mon amitié fraternelle et promis, s'il
m'écoutait bien, aide et protection après la guerre. Je lui ai détaillé les
seuls moyens de se faire une vraie vie. C'est difficile à lui faire comprendre...
tout cela est si nouveau pour lui. Je lui ai parlé du Patronage... Je lui ai
bien montré ses défauts, et petit à petit il lâchera d'y donner des coups de
pioche. Que Dieu m'aide et bénisse mes efforts pour ramener vers Lui cette âme
sauvage.» Volontaire pour
les avant-postes 14 juin. Quoique
ayant fort mal aux pieds, j'accepte de partir pour les avant-postes comme
mitrailleur. La route se fait allègrement et le poids de ma pièce ne me paraît
pas lourd tellement je suis absorbé par les souvenirs de Laeken... Heureux
sommes-nous qui croyons à la vertu fécondante du sacrifice si léger et si
obscur soit-il. Passons près d'une
petite chapelle ébranlée. 15 juin. A 4 heures
nous avons été soumis à un violent et furieux bombardement. Il a duré trois quarts
d'heure et nous avons reçu 32 obus dans nos ruines. Nous étions tous persuadés
que nous étions arrivés à notre dernière heure et nous attendions angoissés
mais calmes l'obus meurtrier. Pour ma part mes dernières prières furent bien
faites et j'en éprouvai un regain de confiance. Grâces en soient rendues à
Dieu, ils ne nous ont pas touchés. Tous les soldats de la première ligne n'en
revenaient pas en nous revoyant sains et saufs. Fernand ne cesse
de s’instruire sur l’action sociale auprès des jeunes 20 juin. « Je viens
de lire un article de Barrés sur les enfants de l'Assistance publique. Il
s'applique fort bien et même d'une manière saisissante à plusieurs de mes
petits du Patronage et à mon ami N... en particulier : « La vie le regarde
dès le début d'une fenêtre chargée de neige. Qui sait le chant de ces âmes
d'enfants. Quels bruits douteux les font tressaillir s'ils vont à la forêt.
Quelles voix de nuit montent de la rivière ? Quels appels, quels souvenirs,
quels désirs de tendresse maternelle ? A mesure qu'ils grandissent ces enfants
solitaires et s'éloignent des sources de leur vie, les remous du fleuve, le
murmure du vent, le tableau des deux rives et surtout le soin de ramer les
distraient. Mais que c'est triste d'être une âme errante qui n'a pas un point
fixe et ne peut jamais se tourner vers sa maison familiale et vers ses tombes.
Un bureau de l'administration, voilà leur berceau. C'est cela qu'ils défendent.
» La division de
cavalerie passée en revue par le Roi et la Reine 4 juillet. La D. C.
(Division de Cavalerie) a été passée en revue par le Roi et la Reine. Coup
d'œil splendide. Dans le cadre majestueux de la plage de Bray Dunes avec comme
perspective les maisons de La Panne et tout au loin à droite Dunkerque et son
phare... près de 3.000 cavaliers étaient alignés. Ce sont des journées dont on
garde à jamais le souvenir. La Reine, campée sur un superbe cheval, a fait
sourire plus d'un jass heureux et fier d'avoir une sœur si bien à cheval. Que vais-je
devenir, j’ai normalement un quart de siècle à vivre 5 juillet. Une sorte
de nostalgie m'envahit... Je relis les lettres reçues... Je voudrais me
dépenser à faire du bien... A part quelques marques d'amitié données à l'un ou
l'autre malheureux, à part quelques services rendus, ma soif de dévouement ne
trouve guère d'aliments... 18 juillet. C'est
aujourd'hui mon anniversaire. J'ai 21 ans. Dans la vie civile cela s'appelle
être homme responsable. Il pleut diantrement fort pour la prise en possession
de mes actions... Combien de projets ne couraient pas vers cette année où l'on
se retrouve tout ébahi d'avoir passé la vingtaine. La moyenne des vies humaines
est de 45 ans. J'ai donc encore un quart de siècle à vivre, c'est-à-dire à
lutter, a jeter dans toutes les âmes que je rencontrerai sur ma route les semences
du bien et du vrai.. Qu'importe la vitesse des années, si la somme, de bien
réalisé augmente sans cesse. Cette dernière année s'est écoulée loin des miens
et loin de mes amis. Cela pourrait être une considération déprimante.
Heureusement non. Je sais mieux ce qu'est la vie. J'ai appris à tracer dans
l'intime de mon âme une ligne de conduite qu'il me faut suivre en dépit de tout
et de tous. Etre tous les jours en contact avec le vice, en être éclaboussé, il
n'y a pas à dire cela forme, cela trempe. Je songe en ce jour à mes bons et
tendres parents, à mes frères, à mes amis, à tous ceux qui m'ont inculqué les
grands principes et les grands devoirs. 19 juillet. J'ai été à Adinkerke visiter le cimetière. Une centaine de tombes sous de petites croix noires. J'ai assisté à l'enterrement d'un officier. C'est bref, c'est brutal. Quelques mots d'adieu, quelques pelletées de terre... C'est fini. Il n'y a que la religion pour grandir ces moments-là. La mort du
lieutenant Pire qu’il admire Cet officier a impressionné Fernand. Malheureusement, il n’explique pas les raisons de son engouement pour cet homme. Une recherche serait à effectuer pour en savoir plus. 22 juillet. J'ai
rencontré à Adinkerke un officier et un sergent du 8e. J'ai été très
ému en apprenant les circonstances héroïques de la mort du lieutenant Pire.
C'était au début de la bataille de l'Yser. Dans la nuit du 22 au 23 octobre,
près du célèbre château de Vicognes, il fut frappé de
deux balles, l'une à l'épaule, l'autre en plein cœur. Ce vaillant que
j'estimais beaucoup car il incarnait pour moi le vrai type de l'officier,
repose dans le cimetière d'Oudstuyvenskerke (5e
tombe à droite le long du mur). Le sergent N... n'a pas eu le temps d'y placer
une indication. Ce qui m'a touché c'est que son souvenir reste encore très
vivace parmi ses hommes et bien souvent ils disent entre eux : « Si nous avions
encore le lieutenant Pire ». Cela est consolant. Volontaire
cuistot puisque personne ne veut de cette charge 4 août. Triste
anniversaire. Je passe cuistot à la section puisque personne ne s'offre. Vive
la soupe. Il s'agît d'être à la hauteur et de faire montre d'originalité. Toujours un désir
de perfection 20 août. J'ai reçu
une lettre de... Quel réconfort elle m'apporte. Que de radieuses visions
d'avenir, elle m'a dévoilées. Ah oui, vivre jusqu'à l'achèvement du rêve, de
l'action, de l'idéal. Arrière les soucis de carrière et d'emploi, de vie
matérielle. Ne vivons que pour l'idée. Ainsi nous n'aurons pas ces multiples
désillusions qu'apportent la vie de plaisir, celle des sports et aussi la bonne
petite vie bourgeoise, cigares, pantoufles, foyer... 2 septembre.
J'apprends par « L'écho de Belgique » que H. V. W. est chevalier de l'ordre de
Léopold II. Cela me fait du bien de lire cela et surtout de me rappeler cette
figure jeune, fraîche, respirant la gaieté et la douceur. Ce même dévouement
qu'il nous demandait d'exercer dans la vie sociale, il l'a réalisé dans les
horrifiantes scènes de la bataille de l'Yser. Voilà bien le type qu'il faut
être pour entraîner les autres. Que Dieu le guérisse de ses blessures et nous
le garde. 17 septembre. On
commence à parler d'offensive. Si cela était vrai. Etre vite, au plus vite
délivré de cette vie de tranchées et pouvoir réédifier une patrie plus
chrétienne. 24 septembre. Je
reçois une longue lettre de Henri ... Combien je me suis senti indigne, faible,
lâche en comparant ma vie à la sienne. Et il se dit encore égoïste et mauvais. 8 octobre. J'ai reçu
coup sur coup des lettres de la maison, de Jean et de Monsieur le vicaire Stas.
J'ai été content d'apprendre que le moral et l'espoir restent fermes au cœur
des exilés de l'intérieur. La piété atteint son maximum d'intensité ; s'ils
pouvaient m'en passer un peu. 11 octobre. Je
voudrais tant pouvoir répondre au désir exprimé par ... qui me demande
d'inscrire chaque jour une pensée sur mon carnet. Je crois, vu mon inconstance
que cela sera malaisé. Essayons. 5 novembre. Ce jour des morts revêt un sens plus profond en ces années de guerre. Je songe à tant de jeunes cœurs qui sont partis en brisant leurs rêves... leurs fiches projets. Le bonheur des uns se paie maintenant avec les sacrifices des autres. Il sera salutaire de rappeler à ceux qui les suivent de quel prix leur bonheur a été payé. Refus une
deuxième fois de devenir caporal 4 novembre. J'ai
refusé une seconde fois mes galons de brigadier. Et toujours des
conversations qui voudraient aider et changer les autres 10 novembre.
Conversation avec..., brave cœur que la caserne a laissé intact. Je lui ai
raconté ma vie. Je lui ai montré que dans toute vie il faut une large place
pour l'idéal. Il ne suffit pas de vouloir être quelqu'un par son intelligence,
il faut vouloir mettre au service des autres ses richesses de cœur et d'esprit.
Rejetons cette conception utilitariste de la vie qui consiste à travailler pour
faire une belle carrière. Arriver c'est bien, mais il faut faire rejaillir sur
les autres le bien qu'on a acquis. 11 novembre. J'ai
revu mon ami... Il manque de direction. Il faudrait être constamment auprès de
lui pour le stimuler dans ses rares bons moments. Je lui ai donné deux francs
en lui recommandant de ne pas les jouer. Il se trouve malheureusement logé dans
une ferme maudite où la fermière et ses deux filles forment un trio de
diablesses. Fernand, un
intellectuel qui lit beaucoup et voudrait partager son savoir Fernand est un grand lecteur ce qui n’est pas habituel pour la masse des soldats de ce temps. Nul doute aussi qu’il est un soldat modèle et que ces deux facteurs aient attirés le regard des officiers qui voudraient le voir promu. Tout au long des quatre ans de guerre, Fernand s’efforcera de toujours s’instruite et en même temps de promouvoir l’instruction des soldats. Comme on le verra plus loin, cette activité ne fut toujours pas très bien vue par l’Etat-Major qui ne comprenait pas qu’on puisse permettre à un simple homme de la troupe d’instruire ses camarades. 28 novembre. Merckegem. Tous les soirs, réunion : Alphonse, Yvon et moi.
Nous étudions l'anglais. 1er décembre.
J'ai commencé la lecture de Ruskin. C'est superbe. Que de matières à développer
aux humbles, aux laborieux. Oh oui montrer aux ouvriers courbes sur le sol ou
sur l'établi, la beauté d'un ciel d'azur, de nuages affolés. Leur faire
comprendre l'émouvante voix des tempêtes et des bourrasques, leur faire aimer
ce qui est à leur portée et qu'ils ignorent... Noël en France,
souvent un jour de soulerie et pire encore 25 décembre. Noël.
Noël, disent dans le lointain de la nuit les cloches de la Flandre française.
Comme il serait bien plus doux d'entendre celles de chez nous. J'ai passé la
nuit avec Alphonse et Yvon. Nous avons lu, causé et ri. A quatre heures en
route pour l'église. Nombreuse assistance. Je songe aux Noëls de ma vie... Ces
Noëls sont des jalons. On mesure à eux le chemin parcouru et surtout l'esprit
qui nous animait. Alors on se retrouve bien peu de chose. Toujours la même
torpeur, les mêmes hésitations devant les camarades. Noël, Noël, vous que le
grand vent qui rugit annonce à tous les cœurs, tâchez de me redonner cette
force de vaincre le mal chez moi d'abord, chez mes compagnons ensuite. Je suis
si malheureux, ils le sont plus encore. Noël pour eux c'est jour de congé, de
soûleries et pire encore. C'est le jour de la bête humaine. Je veux en cette
nuit divine, en cette nuit où tout homme est sauvé par un petit enfant, je veux
vous promettre, ô Jésus, d'être plus patient, plus doux, plus serviable que par
le passé. Je veux qu'ils puissent se dire : « C'est un bon type parce qu'il est
croyant. » Vous qui avez apporté la bonté et la force sur la terre, faites
passer en moi un peu de cette bonté et surtout un peu de cette force de
résistance obstinée envers le mal qui m'entoure. Que cette nuit soit pour moi
la lueur qui attire et qui sauve. 27 décembre. Je viens de terminer les « Confessions » de Musset. C'est maladif. Il s'emporte contre les infidélités de ses maîtresses successives lui le libertin et le débauché. Fernand oublie la
guerre en assistant à ses premières vêpres depuis six mois 2 janvier. J'ai
assisté aux Vêpres et au salut. C'est la première fois depuis six mois. J'ai pu
revivre mes bons et mystiques moments de jadis. En écoutant le chant des
psaumes dans cette petite église si paisible j'ai presque oublié la guerre... Pendant le salut, à
la lueur d'une courte méditation K je me suis senti médiocre. Ah misère...
pourvu que je ne recommence pas ma série de résolutions prises fermement le
matin et que la brise de midi emporte loin de mon cœur comme le vent d'automne
emporte loin de l'arbre les feuilles qui firent sa parure. Prier et méditer :
tout est là. J'en suis archi-convaincu. Mais arriver à méditer chaque jour... 15-16-17-18 janvier. Journées mouvementées aux tranchées de Dixmude. Fernand
correspond avec Edward Montier, célèbre
écrivain chrétien et fondateur du
patronage de Rouen 10 février. Je viens
d'écrire à Edward Montier une lettre dans laquelle je lui demande de bien
vouloir m'indiquer de quelle façon je parviendrai à déraciner et à extirper
tout ce que j'ai de crasseux dans l'âme. Ensuite, après ce nettoyage comment je
pourrai méditer. J'attends sa réponse avec impatience car je suis énervé au
superlatif de constater que ma tiédeur va bientôt se changer en glace. Mon Dieu
donnez-moi la sincérité et l'humilité. 12 février. J'ai reçu
une bonne lettre de Monsieur Montier. Quelle affection touchante et quelle
franche sympathie. Il m'invite à lui écrire souvent. Je compte lui raconter
l'histoire de ma jeunesse avec ses éclaircies et ses nuages, ses faiblesses et
ses efforts, ses projets et ses rêves. Patrouille sur
les plages et chasse aux lapins 22 février. Nous
avons changé de cantonnement. Tous les deux jours garde à la côte. La mer... la
grande gueuse... Nous bâtissons notre abri à ses pieds et à marée haute elle
vient nous bercer et border d'écume notre lit... Elle nous apporte des
coquillages en guise de flocons. 28 février. Si le
temps était plus chic, j'irais me promener au bord de l'eau et je lui dirais
mes chagrins, mes joies, mon espoir invincible... Mail il fait un temps de
vaurien. Le vent prend votre nez comme pelote et y enfonce ses épingles. Il
neige ferme et mes bottes prennent l'eau. Nous partons à la chasse aux lapins,
la pelle sur l'épaule. Nous creusons de profondes tranchées pour y acculer
maître Jeannot. Souvent nous sommes « brouette ». Mais aujourd'hui nous en
avons deux. Moralité : Faute de
boches on prend des lapins. Fernand ne peut
plus refuser sa nomination de caporal 6 avril. Je suis
nommé brigadier aux mitrailleurs. J'accepte ce modeste galon parce que c'est le
désir de mon père. Je ne pouvais d'ailleurs pas refuser une troisième fois et
priver mes parents d'un bonheur fait d'humble fierté. Pâques pour
donner du courage et épurer les mœurs 23 avril. Pâques.
J'ai prié ce matin en union avec mes parents et mes amis. Que la résurrection
se fasse aussi dans les cœurs. Que la pensée du Christ ressuscité soit un
puissant moyen pour remédier au découragement qui envahit les soldats en
considérant la durée de cette guerre ; qu'elle épure leurs mœurs. Songeons aux
apôtres désemparés, sceptiques... Et voilà que soudain le Christ revient à eux.
Fernand en ce
premier mai pense à la classe ouvrière 1er mai.
Fête du travail. Les disputes sociales semblent lointaines quand on y songe
après deux années de guerre. Il faudra satisfaire les légitimes revendications
de la classe ouvrière qui aura tant souffert pendant cette guerre : souffrances
des envahis et souffrances des gueux aux armées courbés sous tant de misères,
de privations et... Vie de soldat 17 mai. Retour aux
tranchées. Nous assistons à un bombardement en règle. C'est un roulement de
tambour. Quand les « gros noirs » éclatent l'on voit les abris voler en l'air à
des hauteurs fantastiques. Nous avons dû aller aux vivres au moment où les
Boches attaquaient. Leurs batteries tiraient sur les nôtres. Quelques « trains-blocs
» sont venus éclater à droite dans l'inondation. C'était beau comme jets d'eau. 19 mai. Nous quittons
le secteur. 20 mai. Nous arrivons
près d'une ferme perdue dans l'immensité des dunes. Air vif et sec. On soigne
son cheval, l'on va se baigner et l'on revient disposer la cuisine et le
dortoir. Comme le tapissier n'arrive pas avec les matelas, l'on roupille sur
trois bottes de paille disposées avec art. Les uns prient, les autres
s'endorment comme les veaux de l'étable d'à côté. 22 mai. J'ai été méditer
au bord de l'eau. J'ai compris à voir le mouvement des vaguelettes essayant de
se pousser chaque fois plus loin qu'ainsi devra être demain la vie d'efforts de
l'homme d'action : pousser plus avant la clarté de la foi dans un monde qui
s'enfonce dans la nuit. 25 mai. Je reçois une
belle lettre de T. Elle traite du patriotisme chez les incroyants. Il trouve
que l'idée de patrie est plus riche chez ceux qui ont le goût artistique plus
développé. 1er juin.
Je suis toujours de garde. C'est l'Ascension. Je ne sais pourquoi, mais je
songe intensément au retour... au cher retour. J'éprouve une joie folle à la
pensée de revoir un jour les miens après avoir été sevré pendant si longtemps
de leur chaude affection. Je songe à ces fortes étreintes maternelles et paternelles,
à l'ivresse pure des baisers du fils à ses parents et je bénis Dieu de pouvoir
puiser dans ces pensées espoir, confiance et sérénité. 17 juin. Le
commandant N... vient me gourmander parce que je permets à mes hommes de lire
au lieu de leur faire la théorie. Nous sommes cependant en repos du service de
nuit. 20 juin. Garde. La
mer est calme et divinement belle avec sa robe azurée à taches vertes. Au loin,
le canon gronde. Cette nuit, je me suis promène autour du poste en songeant...
au retour. Encore des livres
pour réfléchir 10 juillet. Pas moyen
d'avoir un jour de beau temps. Mais j'ai des livres. Je viens de terminer le «
Voyage du Centurion », de Psichari. Lutte âpre et violente dans l'âme pour la
vie de l'âme. 12 juillet. Je viens
de finir la lecture d'une remarquable étude de psychologie enfantine « La
Maternelle », de Léon Frapié. C'est profond, vécu,
réel, palpitant. Le rôle de l'éducation préscolaire y est défini. Toutes les
tares de l'éducation et de l'élevage dans les milieux populaires y sont
décrites. Mission à
Gravelines et conseils donnés à une petite et délicieuse française 16 juillet. Je vais à
Gravelines chercher de la quinine et de l'aspirine pour G. et L., malades. J'ai
rencontré la nièce du propriétaire de mon ancien logement. C'est une délicieuse
petite Française de 17 ans et demi, intelligente et très instruite. Elle est
placée dans un milieu infect. Elle se débat courageusement contre le mal qui
provient de soldats logés chez elle. Je lui ai dit de ne pas broncher et de ne
se fier en rien aux paroles et aux promesses des soldats. Gardez-vous pour
l'avenir, lui ai-je dit. Evitez des remords qui vous seraient cruels. 18 juillet. L'horloge
du temps vient d'abattre sur mon crâne son vingt-deuxième coup de marteau. 27 juillet. Belle
lettre de Montier. I1 y joint deux vues représentant le cadre où fut écrit «
L'Education du Sentiments ». M'engage à continuer d'être bon et tendre avec les
hommes. Garde à la mer et
conversation avec les pêcheurs 10 août. Garde à la
mer. Journée splendide. Ciel profond et très bleu. La mer semble refléter le
ciel ; elle est adorablement bleue ; les mouettes sont milliers et donnent
l'illusion de flocons de licite ou de petits nuages détachés descendant sur les
eaux. Au loin les navires
patrouillent. Le panache de fumée donne confiance aux pécheurs. Ils vous
accostent en disant : « Au début ce n'était pas comme cela, mais maintenant
nous sommes bien gardés » et de leurs yeux couleur d'eau profonde et claire ils
me regardent... Métier rude certes
quand on voit ces hommes et ces femmes de 50-60 ans, couverts de loques, lutter
contre le courant en tirant leur filet... S’empêcher de
broyer du noir n’est pas facile 15 août. Fête de ma
bonne mère. Encore un jour de famille passé sans avoir la grande joie du baiser
filial. J'ai été à communion ce matin demander à ma maman du ciel de protéger
ma pauvre mère et surtout de me préserver du mal matériel et moral. Que je
reste intact afin que je puisse au retour (si j'échappe à la guerre) embrasser
sans honte mes chers parents. Ce qu'il en faut de
la volonté pour éviter de broyer du noir les soirs de garde pendant les longues
factions. Songer à ses parents, à ses frères avec qui on a vécu tant de bonnes
heures calmes et chaudes et ne pas pouvoir envisager de les revoir bientôt.
L'on sent alors le prix du foyer. J'écris ces pensées émues sur un coffre à
avoine entre deux chevaux qui broient leurs picotins avec volupté. 24 août. Reçois «
L'Education du sentiment ». 27 août. Je me suis
installé, ma foi, très confortablement dans un coin du grenier. Ma paille se
trouve à deux mètres des planches qui me servent de bureau. La nuit, les
sommations des rats me réveillent parfois, mais à la longue on s'y habitue. Je
travaille assez bien. Je prépare une composition pour le concours de Londres. 28 août. Jouons à la
balle. J'ai arrangé deux parties. Excellent moyen pour éloigner les hommes des
cafés et des femmes. 1er septembre.
Je suis ennuyé à cause de la langueur de ma vie intérieure. Fernand veut
organiser des cours pour les hommes pour lutter contre l’abrutissement 9 octobre. Salut à
toi, ô mon dernier matin... Visite aux chantiers. Ensuite nous prenons le train
pour Hollywood. Là nous suivons de beaux et larges chemins couverts à cette
saison de puissantes frondaisons. On sent à l'air vif que la mer est proche.
Tout à coup la route fait un coude et au bout d'une nef d'arbres, on jouit
d'une échappée sur la baie. Minute précieuse à qui sait admirer et tressaillir.
En espiègle qui cherche à employer au maximum les heures ultimes de mon congé
je flâne en m'extasiant devant le panorama. Monsieur De Meulemeester
me rappelle à la réalité en me confiant que les gens chez qui nous allons en
visite ont une fille qui est une de ses élèves. Je retombe des cimes
esthétiques et je redeviens un peu gavroche. La villa de nos hôtes est basse,
en style anglais pur, encadrée de fleurs. Sommes introduits dans un coquet
petit salon rouge d'où l'on jouit d'une vue merveilleuse. J'étais à nouveau
parti bien loin dans mes contemplations quand la porte s'ouvre et une jeune
fille entre... Ah ! ce qu'elle est belle ! Après quelques timides regards... je
me persuade que j'ai là devant moi la plus ravissante jeune girl que j'aie
jamais vue. A table, le sort...
le destin... le hasard..., appelons ça comme on voudra, me place à côté de
l'exquise créature. J'étais dépité de ne
pas mieux parler anglais... Je n'avais guère
faim... mais comment refuser à l'invitation de deux si beaux yeux ? Le départ. Je dois
dire que j'emporte un très doux souvenir de cette visite. Forte impression de
beauté comme celle ressentie devant une œuvre grandiose. Le soir à 6 heures je
prenais le chemin du retour, le cœur assez gros de quitter les De Meulemeester. Fortes et saines journées qui rehaussent
l'âme et la placent au-dessus des vulgarités de notre vie. En songeant au
dévouement de Madame De Meulemeester pour les œuvres
belges je me disais combien l'on devait bénir cette femme mère de huit enfants
qui trouve dans son cœur des trésors d'affection pour les exilés. C'est une
vraie mère que j'ai rencontrée là et je l'associe dans mon cœur à l'image bénie
de la mienne. Puisse mon absence peser moins à ma pauvre mère quand elle
apprendra les bontés dont j'ai été l'objet à Belfast. Retour. Nous parlons peu.
Nous venons de vivre des jours si heureux et maintenant nous roulons... vers
quoi ? Hommage au
lieutenant Pire, à Verhaeren et au Dr Barbier de Furnes 17 octobre. Je
reprends mes démarches pour l'organisation de notre cercle de Conférences. 2 novembre. J'ai dit
un chapelet à la mémoire du lieutenant Pire dont le souvenir me reste très
cher. 11 décembre.
J'apprends la mort d'Emile Verhaeren. Une de nos gloires qui s'en va. Je me
rappelle ces après-midi du Caillou-qui-bique pendant mon séjour à Quiévrain en
compagnie de l'excellent vicaire Abrassart... 25 décembre. En nous
rendant à La Panne avons causé avec le vieux docteur Barbier de Furnes.
Octogénaire il continue de soigner les malades en parcourant les villages dans
sa vieille voiture. Il n'a pas voulu quitter sa maison qui pourtant a déjà
encaissé huit obus. Il nous tient un petit discours en français : « Furnes a
subi 82 bombardements. Je n'ai pas voulu la quitter parce qu'un Belge ne fuit
pas. Vous les jeunes qui avez la vie ouverte devant vous, luttez, soyez
prudents, mais toujours vaillants et aux heures de détresse songez au vieux
docteur qui n'en a plus pour longtemps. » Je l'ai remercié du bel exemple de
vigueur qu'il nous donnait. A La Panne j'ai
entendu Botrel. 30 décembre. J'ai eu
une deuxième conversation avec W. Pauvre petit égaré dans la soldatesque.
Ignorant tout en s'engageant. La vie avec ses abjectes réalités lui fut révélée
par de tristes compagnons. C'est tout un travail que je veux accomplir car
l'œuvre est trop belle. Que Dieu m'aide. 31 décembre. Dernière
journée de l'année. Cela est dur, affreusement dur, surtout lorsque dans le
crépuscule de l'année qui meurt l'on n'entrevoit pas l'étoile, la clarté,
l'aube nouvelle. Salut à 1917. Que sera-t-il ? En verrai-je la fin ? Et si je
la vois devrai-je constater un bilan de faiblesses, de manques du ferveur, de
charité ? La chétive flamme de ma vie intérieure fumera-t-elle encore dans un
an ? Fernand discute
sur l’amour, la question flamande et prie pour Cardijn 1er janvier 1917. Entretien avec W. sur l'amour et la question flamande. Après-midi
bonne visite d'H. 8 janvier. Décidément
je crois que j'aurais fait un excellent infirmier, moi le sensible de jadis.
Voilà le quatrième bonhomme dont je soigne les abcès et les furoncles, et cela
en un mois de temps. Je pourrai bientôt poser ma candidature d'aide-major dans
une ambulance furonculeuse. 10 janvier.
Discussion animée avec... sur les femmes. Il est abruti, mais je l'ai mis au
pied du mur en public. 12 janvier. Je pars
comme volontaire aux tranchées. La section M n'y va pas, mais comme Alphonse
marche, je l'accompagne. 16 janvier. Repos, Lu
le livre de Vandervelde contenant ses principaux discours et articles de
guerre. 21 janvier. Messe à Eggewaerts-Cappelle. Excellent
petit sermon sur le respect humain. Le soir je vais à la salle de lecture. Lu «
L'avant-guerre » de Daudet. 2 février. J'apprends
par un court billet d'H. l'emprisonnement à Bruxelles de l'abbé Cardijn. Cela me remplit de tristesse. Je dis mon chapelet
pour lui. Je communierai pour lui après-demain. Toujours une passion
pour l’éducation dans une vocation d’apôtre social 19 février. Je reçois
une lettre de ma marraine. Très affectueusement elle s'informe de ma santé car
les temps affreux que nous venons de traverser l'inquiètent. J'ai vu Monsieur
l'aumônier. Il m'a demandé ce que je comptais faire après la guerre. J'ai
répondu : « apôtre social ». La route est droite mais hérissée d'obstacles,
tant mieux. Il m'a fait remarquer que cela ne rapportait guère... J'ai répondu
: « Je ne suis pas un lèche-veau-d'or ». Il a ri et
m'a félicité. 20 février. Causerie
sur la vie mystique avec V. Comme nous avions causé de Montier j'ai songé à
l'amour en revenant. Rien des idées d'avant-guerre n'est sorti de mon esprit.
Comme alors je crois que je ne trouverai pas dans l'amour l'accomplissement
intégral de mon idéal de vie. J'ai depuis quelque temps toujours à l'esprit
cette idée vieille comme notre Sainte Religion que toutes nos forces, nos
idées, nos actes doivent tendre vers un seul grand but : la vie éternelle.
Est-ce la vocation religieuse ? Je ne le crois pas. Et ce n'est pas dans un
cœur tiède comme le mien que j'en découvrirai l'indice. Je vis dans
l'incertitude pour l'arrangement de ma vie. Il m'arrive certains jours de
croire que je me lancerai plus entièrement dans l'action religieuse et sociale
avec le secret mais violent désir de trouver dans la mêlée la voix qui me
dictera la route à suivre. 21 février. J'ai été
à la clôture de l'Adoration à C. Excellent sermon sur la famille, l'enfant, son
éducation dans l'après-guerre. En revenant j'ai songé à l'influence de la
parole. Ah ! savoir dire de belles et saines choses. Quel important apostolat.
Mais gare à l'orgueil qui s'insinue clans tout et surtout dans nos intentions
les plus pures parfois. Je crois que si plus tard je suis appelé à parler
souvent en public je déviai me convaincre chaque fois que le « moi » doit
s'effacer. Je ne me vois pas en chaire... non, mais dans dos causeries intimes
que je compte faire, lorsque je me serai recueilli et que je me serai remis à
l'étude. Aujourd'hui j'ai demandé à Jésus-Hostie de me rendre plus fervent,
plus aimant, moins puéril. 22 février. Soirée
chez V. Avons causé de l'action religieuse à l'armée. 25 février. Ma
communion de ce matin a été plus fervente. Elle diffère de celle des autres
dimanches. Je crois que j'ai mieux compris ce matin la nécessité d'aller au
Christ avec un cœur très humble.. 27 février. Service à
la côte. J'ai demandé à Dieu de rester fidèle à ma méditation du soir. Méditations d’un
jeune chrétien au front 1er mars.
J'ai la fièvre. J'assure mon service et le soir je vais au bord de la mer.
Pendant mes factions j'ai médité sur l'humilité. Le curé d'Ars a dit qu'elle
était la chaîne du chapelet de toutes les vertus. 3 mars. J'écris à V.
pour mieux nous unir en prières. Lu « Les ailes rouges de la guerre » de
Verhaeren. C'est fougueux. 4 mars. Lu les Actes
des Apôtres. Saint Paul m'a saisi. C'est l'Apôtre qui crie sa foi aux grands
comme aux petits. Que de vicissitudes sur sa route. La foi l'a soutenu. J'ai
été dire mon rosaire au bord de l'eau. Au loin les cloches sonnaient la messe.
J'ai prié pour la conversion des pécheurs. 5 mars. Je reçois une
longue lettre du père R. Il me décrit lumineusement les conditions d'un
apostolat salutaire. Vie intérieure. Les moyens d'y parvenir. Méditation.
Comment je dois m'y préparer. Je vais tâcher ces jours-ci d'être moins «
extérieur », plus humble... J'ai dit ce soir mon chapelet à l'intention de mon
frère Adrien dont c'est aujourd'hui la fête. 8 mars. J'ai été a la
recherche d'un logement pour Y. qui est malade et très faible. J'ai trouvé une
bonne chambre avec un bon lit pour dix sous par jour. Il peut se chauffer toute
la journée. 9 mars. Reçois lettre
d'un petit Philippin. Je l'ai reçue en rentrant d'une longue manœuvre à pied
dans les dunes par un temps de bourrasque : pluie, neige, grêle, colonnes de
sable gelé. La mer à gauche était blanche d'écume et charriait des épaves. Le
soir j'ai pesté contre ma mauvaise humeur car ait lieu d'offrir mes souffrances
à Dieu puisque nous sommes en carême je n'ai su que maugréer. 12 mars. Soirée chez
V. Causons d'apologétique. Reçu le « Trait d'union ». Bel article de Montier
sur la manière d'offrir ses misères quotidiennes de soldat comme mortifications
de carême. 18 mars. Retour au
front. Lu une brochure de Goyau sur l'humanitarisme. Reçu le deuxième numéro de
« L'idéal sous les armes ». 19 mars. Que de
pensées la fête de Saint Joseph évoque en moi... Je pense à mon père. J'ai été
le soir à l'église réciter le rosaire à son intention. J'ai demandé au grand
saint de protéger mon père et de le garder au foyer. J'ai scruté ma vie et j'ai
été profondément remué au souvenir de tout ce que je lui dois. Au moment où je
constate en moi un chétif progrès vers Dieu, il m'est doux de tourner ma pensée
vers mon père qui a placé sur ma route tant d'exemples de droiture, d'honneur,
de dévouement, d'esprit profondément chrétien. Comme Saint Joseph était une
fête de famille, j'associe dans mes prières ma bonne et pieuse mère qui doit se
demander souvent quand son grand » reviendra. Deuxième congé en
Irlande et retour chez la déesse 22 mars. Je pars en
congé en Irlande avec Phonske. 24 mars. Belfast.
Monsieur De Meulemeester nous attend. Embrassades. Le
soir, veillée près d'un bon feu. 27 mars. Après
déjeuner sommes descendus dire un rapide bonjour à la déesse. J'ai ressenti en
la revoyant un trouble profond... Serait-ce l'amour ?... Je m'ausculterai. Elle
nous invite pour jeudi. Belle promenade dans la vallée du L. Soirée chez S. 28 mars. Dunleer. En chemin conversation sur l'amour chrétien.
Monsieur De M. m'a raconté sa vie sentimentale. Le soir thé luxueux chez S. Le
pudding national nous fut servi. Réunion musicale. 29 mars. Départ pour
M. Nous longeons la mer. L'inoubliable villa... Nous sommes reçus par…, elle.
Je suis forcé de m'avouer ma défaite. Rien ne transpire de ma tragédie intime.
Au dîner, même, place que jadis. L'après-midi se passe sur la terrasse. Site
Lamartinien. Au départ je prie Monsieur de M. de traduire mon speech français ;
ce qu'il fait avec éloquence. Au retour nous avons
repris notre entretien d'hier sur l'amour. Monsieur De M. m'a posé cette
question : « Refuseriez-vous d'épouser même sans aucun amour, une jeune fille
catholique, pieuse et bonne, pour la sauver d'un mariage mixte ? » Je lui ai
dit que je réfléchirais à cette question et que je lui écrirais ma réponse. Retour au front
et reprise des lectures 4 avril. Front.
Courrier volumineux. 5 avril. Jeudi-Saint.
— Le soir je vais à l'église. 7 avril. Je lis la
Passion selon saint Jean. 8 avril. Pâques 1917.
Dans ma communion j'ai demandé de faire de réels progrès dans la vie
intérieure. 11 avril. Je rédige
un long exposé de mes idées sur l'amour et je l'envoie à Monsieur De Meulemeester. 15 avril. L'abbé Wallerand me demande des articles pour la Revue de Saint
Louis. Visite d'H, qui me fait beaucoup de bien. 21 avril. Reçois deux
volumes de Gratry. Les Commentaires de saint Matthieu. Alerte au
gaz ! 23 avril. A 4 1/2 h.
du matin mon factionnaire vient me réveiller : « Brigadier, vite... les gaz...
Je bondis sur mon masque, réveille mes autres hommes, me botte, puis ordonne au
trompette de sonner l'alarme. Je cours à l'E. M. de la brigade pour avoir les
clefs de l'église. Tout le monde est épouvanté. Les officiers en caleçon
viennent aux nouvelles... Le curé bon vieux pacifique est horrifié. Je m'empare
du trousseau de clefs, puis au galop à l'église. Je grimpe au clocher...
j'enlève mon masque et je commence «ding ding ding ding »... Au loin par
les embrasures de la chambre des cloches je vois distinctement d'autres mappes
de gaz qui s'avancent formant une vapeur bleuâtre se mêlant à la rosée. Et
toujours « Ding Ding Ding ».
Un homme T. vient me remplacer ; mais ému et n'ayant jamais sonné il obtient
comme résultat un vrai carillon de Pâques. Je dois rire malgré le tragique du
moment. Je descends. Mon trompette est malade ayant dû sonner neuf fois
l'alerte au gaz. Je lui donne du lait en vomitif ; puis je fais préparer du
café pour les hommes. A 6 h. nouvelle
alerte. Je vais résonner. Mais cette fois les gaz n'arrivent pas jusqu'à nous.
Je fais relever mon trompette, un borain qui sera cité à l'ordre du jour du
régiment. Repos et pensées
sur la déesse irlandaise 22 mai. Repos au bord
de la mer. Je me suis demandé si la joie que j'éprouvais maintenant à prier ne
provenait pas d'une trop grande confiance en mes moyens et en mes efforts. Et
cependant abandonné à mes seules forces de quoi suis-je capable ? En congé, il
y a deux mois, j'ai pu m'apercevoir combien j'étais vain, puéril, romanesque :
j'ai vu la déesse... et vlan me voilà parti sur l'esquif de rêves idiots...
Mais je ne veux plus songer à cette
faiblesse cardiaque. Je dois m'appuyer sur Dieu. Troisième congé
en Irlande et rencontre avec un père belge endeuillé 2 juillet. Arrivée à
Belfast. Effusions enthousiastes. 4 juillet. Visite des
ruines du monastère de B. d'où partirent en Belgique au début du Moyen-âge tant
de moines évangélisateurs. 5-6-7-8 juillet.
Randonnées en auto et en canot-automobile. 10 juillet. Recevons
en ce jour de départ la nouvelle de la mort du fils de Monsieur... tué au
front. Nous allons présenter nos condoléances à ce malheureux père. Il nous
reçoit à la cour de Cassation. Il nous conte les circonstances de la mort de
son fils et il ajoute : « Il est parti au début de la guerre. C'était toute ma
radieuse espérance qui s'en allait avec lui, mais j'étais heureux de le voir
partir pour défendre une grande cause sur le sol de la France d'où nous est
venu le fondateur de notre lignée. Mon nom s'éteint et meurt. Vous savez :
l'adoration que ma femme avait pour lui. Quand elle a su qu'il était tué, elle
a dit : j'aime mieux le savoir mort glorieusement que de l'avoir, pu garder
vivant près de moi, mais déshonoré par une absence honteuse ». De grosses larmes
jaillirent de nos yeux. Le départ le soir a
été très triste, assombri par le souvenir du deuil de monsieur …. Visite de la
cathédrale d’Amiens 27 juillet. Suis
chargé d'aller chercher des chevaux abandonnés par des déserteurs. Visite
d'Amiens. Devant Notre Dame on se sent poussière. Quelle foule de statues.
Beaucoup sont déjà protégées par des sacs de terre. Les verrières où les tons
mauves et pourpres dominent sont admirables. Surtout les rosaces. Cette longue visite de la cathédrale d'Amiens
m'enchante. Fernand refuse de
devenir officier 22 août. Reçois la
visite du lieutenant S. Il tâche lui aussi de me décider d'aller à l'école de
sous-lieutenance. Je refuse encore parce que je désire rester avec les humbles
sur lesquels j'ai un peu d'influence. 23 août. J'apprends
par l'aumônier des grenadiers la belle mort de mon cousin Georges Dom. Encore
un cœur de chrétien qui ne bat plus. Dans trois jours j'irai à la messe et à
communion pour lui. 28 août. Je finis de
lire « l'Evangile du Pauvre » de Baunard. Quand un simple soldat
donne des causeries aux sous-officiers 26 septembre. Ai été
donner une conférence au mess de sous-officiers. Nous jetons les bases d'une
organisation de cours pour les hommes. 3 octobre. Deuxième
causerie aux sous-officiers. Je leur parle du mouvement littéraire en Belgique
au XIXe siècle. Je termine ma conférence en récitant du Verhaeren. 9 octobre. Je reçois
avec quelle joie une carte d'Adrien. Il me donne des nouvelles de la famille. 10 octobre. Troisième
causerie aux sous-officiers : sur l'effort intellectuel que nous pouvons
produire môme au milieu de la vie oisive et intolérable que nous menons. 14 octobre. Ai été
chez le père R. à qui j'ai exposé mes difficultés spirituelles. 18 octobre. Réunion
avec les sous-officiers. Le chef a parlé de la valeur morale du soldat belge.
J'ai terminé par quelques récitations. Leçons de
français aux soldats 19 octobre. J'ai
donné ma première leçon de français aux soldats. 42 auditeurs. Ils sont
contents. Quel dommage qu'on
ait attendu si longtemps avant de prendre de pareilles initiatives. 22 octobre. Deuxième
leçon de français. La classe est une salle de cabaret de pêcheurs. C'est vieux
mais intime. 29 octobre. Troisième
leçon. Un rêve
réalisé ; la visite du patronage des philippins à Rouen 30 octobre. Départ
pour Rouen. Je passe par Amiens et visite la cathédrale. Quel poème de pierre. 31 octobre. Arrivée à
Rouen. Avec quelle affection je suis reçu chez les Montier. Je suis embrassé
avec tendresse. Je dois raconter ma jeunesse, ma vie au front. 1er novembre.
Je vais au Patronage des Philippins, Je suis présenté à tous. J'assiste aux
offices matin et soir dans la chapelle décrite dans les « Essaims nouveaux ». 2 novembre. Je
communie pour Georges Dom, le lieutenant Pire et le comm.
N. Je visite ensuite les églises de
Rouen. E. Montier m'en fait saisir la beauté. 3 novembre. Je parle
le soir aux grands qui sont clairsemés puisque 117 Philippins sont aux armées. Je reçois l'insigne
philippin. 4 novembre. Je
communie aux intentions de l'abbé G. à qui je songe longuement dans la petite
chapelle des Philippins. 5 novembre. Je quitte
Rouen pour Lyon. 6 novembre. Je suis
reçu par mes marraines. Ce sont deux vieilles dames dirigeant un lycée de
jeunes filles. 7 novembre. Je vais
communier à Notre-Dame de Fourvières et visite les
églises de Lyon. 8 novembre. Retour à
Paris. Cousine Tilou m'attendait. Visite de Paris. 14 novembre. Retour à l'escadron. Alphonse me raconte son congé à Belfast. 17 novembre. Reprise des cours de français aux soldats. Encore un retour
au front 10 décembre. Retour au front. 12 décembre. Messe et
communion à Beveren, Peu de soldats, hélas ! Je pars aux tranchées pour
plusieurs semaines. Arrivée à Reninghe. Tout est pulvérisé. Driegrachten. Nous entrons dans un secteur abandonne par
les Allemands. Que de balles nous avons tirées en 1915 contre ces blockhaus que
nous dépassons aujourd'hui. Luyghem. Encore des fortins, des blockhaus. II gèle
fort depuis plusieurs jours. Il y a un brouillard humide et froid. Les postes
sont espacés par de longues étendues flanquées de-ci delà de barbelés. Plus de
tranchées continues. Le soir on ne peut rien allumer dans les abris. Nous
restons deux jours sans ravitaillement chaud. On ne peut pas circuler pendant
la journée. Le soir corvées ; mais de nombreux carrefours ou passages de
passerelles sont repérés et mitraillés. Nous perdons des hommes chaque nuit. Un
train blindé arrose le secteur. Il gèle toujours. 21 décembre. C'est
mon 9e jour ici. Le jour on reste sous ses couvertures. J'ai
heureusement reçu beaucoup de courrier... Mais que les nuits sont terribles...
Je regrette parfois d'avoir accepté, en volontaire, de rester ici 12 jours sans
relève. Le froid est un triste compagnon. On bombarde notre
blockhaus. 24 décembre. Nuit aux
avant-postes. Nous occupons deux entonnoirs avec les carabiniers cyclistes : 15
hommes et deux mitrailleuses. Huit sentinelles. Vers 11 heures du soir nous
arrêtons un pauvre boche, ordonnance d'un officier devant lui porter son
ravitaillement pour la fête de Noël. Ne connaissant pas le secteur il s'était
trompé de chemin et avait fait route sur notre poste. 25 décembre. Noël. Je
songe longuement à mes parents, à mes frères, à mes amis. Je lis l'Evangile. La
journée se passe morne. Le soir retour aux avant-postes. Bombardements
nombreux. Le poste voisin est littéralement écrasé. Nous vivons une nuit
d'angoisses. 27 décembre. J'ai
chanté du Botrel à mes camarades. Il gèle encore très fort. 29 décembre. Journée
de repos à la redoute. Mais on bombarde et nous avons plusieurs tués et grands
blessés. Il neige depuis deux jours. 30 décembre. Je reste
encore 4 jours en volontaire car mon remplaçant D. est en congé. Bombardement
carabiné de notre redoute. Je suis dégoûtant car voilà 14 jours que je n'ai pas
changé de linge. Plusieurs obus tombent près de l'entrée de notre abri, mais il
n'éclatent pas. Nous avons eu une « petite » émotion. Quelques mètres plus loin
il y a des tués. Les nuits ont été
splendides à cause de la lune donnant des effets de gel et de neige de toute
beauté. 31 décembre. Cette
nuit les boches lancent de nombreuses fusées multicolores. Sans doute pour
fêter l'an neuf. Que sera-t-il pour eux ? Nous devons vaincre. 1er janvier 1918. Pendant toute cette longue nuit nous sommes restes alertés à notre
avant-poste, les pieds gelés, le corps tout engourdi. Nous pensions être
attaqués car des prisonniers nous avaient annoncé une action nocturne par
surprise sur plusieurs postes. A 4 h. du matin tout notre secteur a été
copieusement marmité. Il y a des tués et des blessés à notre droite chez les
piottes. Mais aucune attaque d'infanterie. A l'aube nous nous retirons dans
notre blockhaus. 4 janvier. Le soir on
vient me relever. Je suis littéralement rongé de vermine. Il y a près de trois
semaines que je n'ai pas quitté le secteur. Au moment d'abandonner la redoute,
nous sommes violemment bombardés par des 105 et des 150. Nous attendons tapis
le long des ruines. Ce serait « fichant » d'être tué à ce moment. Retour à
Noordschoote. Je suis reçu avec enthousiasme par les amis qui s'étonnaient de
ma longue absence. 11 janvier. Journée
de repli. La nuit se passe dehors en alerte. Le poste essuie des rafales de
mitrailleuses. J'égrène mon chapelet à l'intention de mes chers parents. 6 février. Heure d'adoration à l'église. En mission à
Fécamp 24 février. Départ
pour Fécamp où je suis envoyé en mission pour les feuillets matricules, 25 février. Arrivée à Amiens. Je vais vite revoir la cathédrale. Rouen. Deux heures chez Montier. La nuit, arrivée à
Fécamp. Quelle vision. Il fait un clair de lune lumineux. J'aperçois la forêt
blanche des voiles dans le port. C'est inoubliable. 6 mars. Recevons des
nouvelles alarmantes du régiment. Notre secteur a été violemment attaqué. Et
dire que je n'étais pas auprès de mes copains. J'écris pour avoir d'urgence des
nouvelles. 17 mars. Je vais à
Saint-Jouin dont parlent le, « Essaims
Nouveaux ». Je visite en passant Etretat : quelle vision de la digue... ce
ne sont que des chaises longues et civières ou reposent de grands blessés
anglais. J'ai vu Saint-Jouin, le Veghel, la plage, les
falaises, la maison des Montier. Comme je suis ému en parcourant ces lieux dont
j'ai lu tant de fois la description. 19 mars. Communion
pour Père, l'abbé C. Et J. R. 20 mars. J'envoie aux
P. une poésie sur Dominique tué où front. 24 mars. Aujourd'hui
communion pascale. La mort de la
maman de Hon… 18 avril. Hon.
m'annonce la mort de sa mère. Je songe à la violente douleur que j'éprouverais
si cette terrible épreuve devait m'arriver. Oh ! comme Je voudrais revoir ma
mère ! 24 avril. Je vais à
la messe et à la communion pour la maman d'Hon. 27 avril. Saint
Fernand. Je songe aux embrassades maternelles et paternelles. 28 avril. Messe et
communion à S. Je demande à la Sainte Vierge de m'aider à passer un fervent
mois de mai. 20 avril. Longue
lettre de T. C. Il souffre beaucoup. Je tâche de lui répondre par du réconfort.
Je prie beaucoup pour lui et pour d'autres que j'ai croisés durant ces années
et qui sont des désemparés ou des sceptiques. Conférencier sur l’histoire de la Belgique et foudres du
général D. 10 juillet. Je suis
désigné pour faire des causeries aux soldats sur l'histoire de Belgique. 12 août. Le général
D. a écrit au colonel L. pour lui faire observer qu'il ne croyait pas qu'un
gradé subalterne puisse donner avec compétence de semblables leçons... On ne me
les retire pas cependant. 24 août. Lu ce
mois-ci « Poètes catholiques » de Valléry-Radot et deux tomes de Pirenne. 8 septembre. Départ
aux tranchées. 20 septembre. Au soir sommes relevés par le 6e de ligne. Un affreux orage survient. Les routes et les passerelles disparaissent sous les torrents. L’offensive
finale 21 au 26 septembre.
Préparatifs d'offensive. 29 septembre. Bois de
Bischoote. Le levée du jour est tragique sur ce bois
déchiqueté. Le bombardement se fait au-dessus de nos têtes. Poelcapelle
est pris. On bivouaque dans une boue épaisse. La ligne d'attaque est à 600
mètres. Nous souffrons surtout de la soif. 30 septembre. Des
artilleurs français nous donnent des pommes de terre. Les braves cœurs. Nuit
lugubre. Tués et blessés. On mange du cheval rôti. Sommes trempés. Je parviens
à faire un peu de thé pour mon escouade. Le bivouac est
bombardé de quart d'heure en quart d'heure. Sommes à 1800 mètres des avancés. 1er octobre.
Forêt d'Houthulst. Nous mangeons toujours du cheval. 2 octobre. Départ
pour Savele. Route interminable car tout est bloqué.
Huit heures à cheval. Enfin nous recevons les vivres. Fernand est
atterré par la mort de sa maman 3 octobre. Je reçois
une lettre de Tilou m'annonçant que mère est opérée.
Pas d'autres détails. J'ai pleuré et j'ai le cœur serré. Que le bon Dieu me
garde ma mère pour le retour. 4 octobre. Repos. Je
passe la soirée à l'église. 5 octobre. L'aumônier
me dit avoir reçu une lettre de Tilou lui demandant
de me préparer à une triste nouvelle. Je pressens le malheur qui m'attend. Mère
chérie seras-tu là à mon retour ? J'ai été au salut et
à confesse. 6 octobre. Fervente
communion pour ma mère. Que Dieu me la garde. J'ai été trouver l'aumônier pour
qu'il me montre la lettre de Tilou. Il prétend l'avoir
égarée. Cela me trouble. On parle de bruits
d'armistice demandé par l'Allemagne. 7 octobre. L'aumônier
m'annonce qu'il célébrerait la messe pour ma mère. J'y assiste et je communie. 8 octobre. Un mot
pressant d'Hon. m'a fait aller chez lui cet après-midi. J'y ai trouvé Théo,
Hon. m'a annoncé très délicatement et avec une affection sublime que ma mère
était morte... Nous sommes allés tous trois à la petite chapelle et nous avons
prié. Le fiât a été bien
dur à prononcer. J'ai demandé au Bon
Dieu de me fortifier et de m'accorder la grâce de mener une vie de plus en plus
chrétienne et vouée à l'apostolat. Je suis sorti plus
fort. Cependant à chaque pas le cœur voulait se briser. 10 octobre. Je reçois une lettre de Tilou qui me donne quelques détails sur la mort de mère. Pendant toute la guerre jusqu'au jour où elle s'est alitée elle était allée à l'église chaque jour. Elle est morte très pieusement à la clinique de la rue des Cendres le 2 septembre de cette année. Adrien a dit la messe pendant son agonie et a recueilli ses dernières recommandations. Elle lui a dit quelques instants avant de mourir que sa première demande en arrivant près du Bon Dieu serait de pouvoir me ramener sain et sauf. Somergen : l’embuscade avant la libération
finale 16 octobre. Départ pour
Lichtervelde. A l'escadron dix hommes sont blessés. 17 chevaux ont été tués. 17 octobre. Tourliout. Grand enthousiasme. Le 1er escadron
marche en tête. Le régiment fait de nombreux prisonniers. 20 octobre. Réveil à 4 h. Je suis désigné comme
éclaireur. J'appelle mes hommes et explique notre mission : nous devons
dépasser le 5e Lanciers à Knesselaere. A Ursel nous filons. Nous sommes seuls. Des paysans nous
signalent la fuite de trois boches qui ont jeté leurs armes. J'active la
marche, mais les flancs-gardes ne savent pas suivre. A Somergen-Baven une quarantaine de cadavres de chevaux jonchent le
sol, tués hier par nos avions. Nos bêtes ne veulent pas passer près de leurs
frères. Passons par les prairies. A l'entrée de Somergen
nous mettons pied à terre et nous pénétrons dans le village à cinq. Un silence
de mort y règne. Les volets sont baissés. Nos pas résonnent lugubrement. Nous
heurtons de nos crosses quelques portes en criant : « De Belgen
zijn hier ». Les portes s'ouvrent et on veut nous
embrasser. L'on nous acclame. Vite nous interrogeons. Nous nous engageons dans
la grand' rue qui mène au canal. A l'église nous sommes accueillis par des
rafales de mitrailleuses. Nous nous flanquons dans les encoignures et nous
ripostons à feu rapide dans la direction d'un wagon de vicinal d'où partent les
balles. Je vais aux renseignements chez le notaire de Somergen,
je rédige et j'envoie S. porter ma note à l'arrière. L'embuscade boche s'est
retirée et nous la talonnons prudemment car nous ne sommes plus que trois.
Arrivons à un carrefour vis-à-vis d'une drève qui mène à une ferme-château qui
parait abandonnée. D'arbre en arbre nous progressons et arrivons à la
ferme-château. B. qui est monté aux combles redescend en me disant qu'il a
aperçu 4 boches qui installaient une pièce. Je lui dis que nous allons tirer
dessus ; mais trop impatient il commence à tirer avec H. La réponse est subite
: nous sommes arrosés copieusement. Les paysans terrés dans la cave de la ferme
nous disent que l'embuscade boche vient de passer : elle est composée de 25
hommes avec deux mitrailleuses. Je place S. et D, en sentinelle. Pendant qu'ils
visitent les dépendances de la ferme ils sont repérés. D, atteint de deux
balles au cœur est foudroyé. S. veut s'élancer ; il reçoit quatre balles. Je
vais le chercher avec les paysans et je le panse. Je demande à H. qui nous a
rejoints de s'assurer si D. est bien tué. En rampant il s'approche et me fait
signe que c'est bien fini. S. hurle de douleur et puis tombe sans connaissance.
Pendant ce temps-là les boches bombardent furieusement le village qui disparaît
sous un nuage de poussière. J'envoie J. et B. chercher une civière. 0n
l'emmène. Je reste seul en action en attendant qu'on vienne chercher D. pour
l'enterrer. Le village encaisse toujours. Deux gros obusiers causent d'affreux
ravages. Personne à l'horizon. J'égrène furieusement mon chapelet, puis
subitement je me décide à bondir jusqu'au village. Une mitrailleuse tire dans
ma direction. Je cours et près de la villa du docteur je retrouve J. et S. Je
leur expose mes craintes d'une contre-attaque et nous filons. J. attrape un
éclat d'obus dans la fesse. Nous le pansons puis repartons. Au sortir du
village, plus de chevaux. J'aperçois deux officiers dans un fossé. Le
commandant me dît que l'ordre de retraite vient d'arriver et qu'il s'agit de se
hâter. Sommes à bout. J'aperçois seulement que j'ai du sang sur mes manches. La
crainte d'être prisonniers nous fortifie. Près d'Ursel
rencontrons le 4e de ligne. Sommes sauvés. Nous nous restaurons. Le
soir arrivons à Maldeghem où nous tombons de
faiblesse. Les officiers m'appellent, me serrent la main. 21 octobre. L. a
rejoint avec mon cheval. Le brave garçon a attendu dans une cave. 26 octobre. Nous
sommes touchés de l'enthousiasme des villes libérées. Pourvu que l'on n'oublie
jamais, de combien de sang de belles et jeunes vies cette libération est
achetée. II importe que nous refrénions la folie des plaisirs qui régnera après
stagnation sinon tous nos morts sembleront morts en vain, et nous, les
survivants nous nous sentirions au cœur comme un regret d'avoir survécu... 29 octobre. Je ne
puis aller à Somergem pour m'enquérir du corps de X.
La permission m'est refusée pour la deuxième fois. 1er novembre.
Impossible d'entendre la sainte messe. C'est bien dur aujourd'hui. 2 novembre. Départ.
Passons par Somergem. Je vais à la ferme-château. Les
paysans sont effarés en me voyant, car ils me croyaient prisonnier. Quatre
minutes après mon départ de chez eux 12 boches entraient dans la ferme. Ils ont
dépouillé le cadavre de D. 4 novembre. Partons
dans la direction de la Hollande. 9 novembre. Watervliet, près de la frontière hollandaise. Messe et
communion. 11 novembre.
Armistice. 3)
Quelques écrits de Fernand durant la
Grande Guerre Revue de
Saint-Louis en campagne. Juin 1917. Lorsque l'image de l'Institut se
présente à nous, pourquoi, inconsciemment notre souvenir se porte- t-il vers
les bonnes farces, les chahuts, les amusements du bon vieux temps ?... Et
pourquoi avons-nous une sorte de honte à nous rappeler les heures les
meilleures et les plus douces ? Revenons faire une visite d'ami à notre
splendide-chapelle, un pèlerinage d'ancien fidèle, désireux de revivre les
saines et nobles émotions de jadis. Avant d'entrer, ayons soin de nous
dépouiller, de notre morgue et de notre « expérience »... Entrons,
agenouillons-nous et méditons. Egrenons, une par une, les heures passées dans
cette bonne chapelle, rappelons-nous la ferveur de nos communions, les serments
qui les ont suivies, écoutons les échos attardés des sermons pleins de flamme
que parfois nous qualifiâmes irrévérencieusement. Puis comparons notre vie
depuis. Qu'avons-nous réalisé de nos désirs de bien faire, de mieux faire ? Soupesons nos efforts, mesurons nos
actes et si nous les trouvons minimes, mesquins, sachons nous ressaisir à la
lueur de cet examen loyal et sincère. Ne disons pas : à quoi bon remuer ces
rêves de gosses ? Non, n'oublions jamais que la foi reçue nous devons la faire
fructifier, la dilater et qu'il nous est interdit, à n'importe quelle heure de
la vie, de tolérer son émiettement, sa diminution, sa stagnation. Ne cessons
pas parce que soldats de continuer les traditions de l'Institut, c'est-à-dire
d'être des chrétiens d'action. Ayons une foi de soldat, lumineuse et
débordante. Ne soyons pas de ces jeunes gens qui en s'abordant disent avec un
soupir : « Trois ans, mon cher, comme l'on devient vieux... » Quelle
résignation honteuse et quelle détresse n'est-ce pas ? Se sentir vieux alors
que nous pouvons rester jeunes, forts, ardents, en venant boire à pleines
lèvres aux sources intarissables de la Foi. N'ayons pas à notre âge des paroles
de blasés qui sont « finis », et si nous sommes meurtris, accablés, lassés, si
nous regrettons de ne plus sentir briller en nous la flamme de l'apostolat, si
nous voulons enfin devenir ce que nous promettions d'être, sachons ouvrir
l'Evangile. Laissons là nos romans de dix-neuf sous et ouvrons ce livre ou le
clinquant fait place au tangible, au réel. Nous y trouverons notre modèle, des
exemples à suivre, les moyens efficaces de supprimer tout découragement,
d'augmenter notre foi, notre piété, notre ferveur. Si nous agissons ainsi, nous
retrouverons chaque dimanche à la sainte messe la foi qui nous embrasait,
lorsque nous priions dans notre radieuse chapelle de Saint-Louis. L'honneur de se dire ancien de
Saint-Louis ne consiste pas à faire miroiter aux yeux des autres l'éclat d'un
établissement renommé pour sa gloire et sa valeur, mais il réside dans la
continuation d'un passé que nos prédécesseurs ont irradié de foi, et dans
l'entier accomplissement de nos devoirs de croyants. Que la vie nous soit accueillante ou
cruelle, nous aurons tous nos heures de réminiscence... Sachons éviter qu'elles
soient assombries et empoisonnées par la vision de notre infidélité et de notre
ingratitude. Epargnons à nos bons et dévoués « profs
» dont nous aimons à rappeler le zèle, les « manies » et même les sévérités,
l'amertume de dire un jour : « Un tel... c'était un bon garçon... dommage qu'il
ait flanché... » Revue de
Saint-Louis en campagne. Juillet 1917. Ce temps pascal de 1917 nous a-t-il
apporté ce que nous étions en droit d'attendre de lui ? Nous sommes-nous
interrogés dans le secret de l'âme, afin de nous assurer si nous nous sommes
mis à l'unisson de la Résurrection du Christ ? Avons-nous répondu aux
pressantes supplications de la Liturgie, incitant les fidèles à s'amender, à
s'ausculter la conscience, à ressusciter à une vie meilleure et plus chrétienne
? Nous nous plaignons tous de l'abrutissement et de la torpeur de nos
intelligences ; certains redoutent même d'affronter la lutte pour l'existence
qui reprendra aiguë et violente dans des demains incertains. Nous sommes «
anémiés » intellectuellement : de là les rancœurs, les plaintes...
Secouons-nous et demandons-nous en toute humilité si nous n'avons pas trop
négligé de recourir aux sources de régénération, d'espérance, de confiance que
la Foi offre à tous les cœurs sincères. Que de lacunes dans notre vie religieuse
depuis la guerre. Nous connaissons trop peu notre religion pour la vivre avec
l'intensité désirable. Nous ignorons la beauté de notre doctrine, sa grandeur,
sa puissance, sa rigueur. Comment dès lors pourrait-elle être pour nous ce principe
de vie qui doit diriger toutes nos actions ? Nous n'avons trop souvent du
chrétien que le nom, l'étiquette, le vernis. Ne l'oublions pas. Ce temps de guerre
peut et doit être un temps de préparation, un relais où chacun doit
entreprendre son examen de conscience et celui de sa patrie pour qu'à la
tragique lumière des événements, il puisse s'arranger une nouvelle vie qui soit
profitable à la religion et à la Belgique. Sachons donc nous mettre dés maintenant
à la tâche avec générosité et enthousiasme. Songeons aux rêves d'apostolat
d'avant-guerre, discutons nos projets dans nos correspondances, afin d'être
prêts aux moissons abondantes d'après-guerre. Il est de notre devoir de ne pas
les laisser pourrir sur place. El puis méditons quelquefois une des belles
pages de l'Evangile : appliquons-nous ces mots du P. Sertillanges
: « Faire de la vie du matin au soir et du
soir au matin, du sommeil, du repos, du jeu, de la conversation aussi bien que
du labeur et de la prière, un événement religieux, un rite d'éternité dans le
temps provisoire, c'est la pensée chrétienne. Et c'est l'effort de tous ceux
qui la comprennent vraiment, nul n'est chrétien que dans la mesure où il s'y
adapte. » Vie de séminariste, de moine, que cela ? Non. C'est le programme de ceux qui ne veulent pas garder de leurs années de guerre le triste souvenir d'années de dissipation, de négligence et d'oubli de leur foi. Revue de
Saint-Louis en campagne. Septembre-octobre 1918. L'effrayante longueur de cette guerre
entraîne les jeunes du front à négliger leur vie chrétienne et n tolérer le
dépérissement de leur foi. A force de redire la fameuse ritournelle « C'est la
guerre » nous en sommes arrivés à excuser trop facilement nos faiblesses, nos
défaillances, nos fautes. Cette mentalité d'insouciance religieuse amène des
heures longues de dégoût où le souvenir des temps où nous étions d'ardents
pratiquants vient nous relancer... Révolte tardive de tout ce que nous
regrettons : enthousiasme pour le bien, passion pour le beau, force contre le
mal. Il est temps de nous arrêter en si mauvaise route parce que ce n'est pas
impunément que l'on abandonne ce qui captivait nos âmes de vingt ans. Nous
vivons d'un minimum de foi, d'une parcelle de religion et, ce qui est pire,
nous nous en contentons. Pourtant ni les exemples ni les
enseignements ne nous manquent pour réagir et j'en veux citer quelques-uns. Témoignages
irrécusables puisqu'ils nous sont transmis par des combattants de cette guerre,
et, si nous devons les pleurer comme des frères d'une même génération, nous
devons nous hausser jusqu'aux splendeurs de leur idéalisme et acquérir le degré
de vie chrétienne qu'ils possédèrent. A cette condition nous serons dignes de
faire leur relevé. C'est d'abord Latil,
cité par Massis dans le « Sacrifice », livre que je recommande à ceux qui se
sentent lassés, et, disons le mot abrutis. « Jamais, malgré tant de choses
affreuses et décourageantes, je n'ai perdu de vue l'élément spirituel qui
domine tous les autres dans cette guerre, qui rend belles et bonnes les pires
souffrances et permet toutes les espérances. » Comme nous la sentons vraie
cette pensée d'un soldat et d'un chrétien et comme l'on découvre soudain la
cause de nos abattements, de nos regrets. Il ne permettait pas à la guerre
d'éteindre la flamme de sa Foi, et que la journée fût attristante ou animée,
elle restait pour lui une page de vie chrétienne. Lotte, le vaillant lutteur catholique,
qui devait mourir face aux boches, l'avait dit catégoriquement : « Ce que les
catholiques doivent produire en ces temps d'incroyance et de stérilité, c'est
l'enrichissement de leur vie spirituelle. » Il ne voulait pas, lui, l'incroyant
de naguère, d'un christianisme étroit, mais il le comprenait emplissant toute
la vie. Psichari, le regretté
Psichari, converti à la veille de la guerre, avait prévu le rôle dévolu aux
générations d'aujourd'hui pourvu qu'elles reviennent à Dieu. «
Une, deux générations peuvent oublier la Loi, se rendre coupables de toutes les
ingratitudes, de tous les abandons, mais il faut bien à l'heure marquée que la
chaîne soit reprise et que la petite lampe vacillante brille de nouveau dans la
maison. » Et pour hâter ce retour des prodigues,
pour asseoir solidement l'ouvrage de ces ouvriers de la onzième heure, il
dictait à tous cette parole que nous devrions buriner dans nos volontés : « Je
crois bien que c'est lorsqu'on est le plus abattu que l'on doit désirer avec le
plus d'amour l'Eucharistie ». Ainsi parlaient des soldats qui se sont
sacrifies. Afin de ne pas démériter d'eux, écoutons leurs conseils, écartons le
camouflage que nous avons échafaudé pour y abriter nos chutes, nos faux-pas,
nos paresses, puis regardons la guerre en face. Oui regarder la guerre en face, parce
qu’après quatre ans, notre vie reste aussi fragile, aussi précaire qu'au
premier jour... Mais notre âme, c'est- à-dire le talent qu'à travers toutes les
difficultés et en dépit de toutes les circonstances, nous devons faire
fructifier, notre âme, l'avons-nous purifiée préparée pour le départ toujours
imminent ? Que nous réserve cette cinquième année
de guerre ? Nul ne le sait. Du moins soyons assez prévoyants pour être prêts,
partout et toujours, à toutes les éventualités. Demandons au Seigneur de nous
soutenir dans nos heures de souffrance, d'avoir pitié de notre pusillanimité.
Prions-le avec l'irrésistible sincérité de soldat qui animait Psichari, avec
l'inlassable ténacité qui faisait dire à Lotte : « Tu auras des moments de
sécheresse et de doute, tiens plus fort
; c'est au moment où on est le plus sec que la prière porte le mieux. » Oui, à nous de commencer l'étape ; le
Christ d'Emmaüs viendra à notre rencontre. Alors, mais rien qu'au prix de cet
alors, nous coopérerons aux moissons d'avenir dont leurs pauvres corps ouverts
ont été les premières semailles. Jeunes de Belgique, songez à vos aînés,
préparez-vous par la noblesse et la pureté de votre jeunesse à ce rôle
d'héritiers. Ne désertez pas le sillon pour courir au marais. Rescapés d'hier, survivants étonnés et
désemparés, songeons ceux qui furent nos amis, nos conseillers, nos confidents
et qui ne sont pas revenus. Vous, les « Bruyère », les « Taymans », les « Mois », les « Attout », les « de Wouters »... en qui nous
pleurons tous les tombés sous un ciel d'offensive ou dans l'horreur des
bombardements et dont les ainés ont passé de l'héroïsme à l'éternité : Vous
pour qui nous prions, désolés, sur la terre. Priez au ciel pour nous. Et toi, Louis de Lalieux,
pauvre et douloureux blessé, souffrant isolé dans une ambulance, offrant tes
maux au Christ, semant malgré tout l'espoir et la confiance, charitable jusque
dans l'agonie... mort le chapelet aux doigts à l'heure où le jour s'endeuille,
que ton âme était belle et comme Dieu a eu pitié de nous, les faibles, les
embourbés, les « rivés au sol », en nous laissant cette consolante vision de la
voir s'envoler sur un essaim d'Ave. 4)
Louis de Lalieux
de la Rocq, l’ami héroïque de Fernand Tonnet Fernand Tonnet écrivit en 1920 un opuscule décrivant la vie trop courte de son grand ami Louis de Lalieux, mort de ses blessures de guerre en septembre 1917. Ce livret de nonante pages est intitulé « Un Belge de vingt ans » et est paru aux éditions Vroman. Il est disponible sur le site de la (bibliothèque royale). J’ai résumé ci-dessous à votre intention cette biographie de Louis de Lalieux. Louis de Lalieux de la Rocq
Louis de Lalieux de la Rocq
est né le 16 janvier 1894. En octobre 1905, il est élève au collège de Nivelles
et y remportera d e nombreux prix pendant ses humanités. Très tôt, à l’image de
son père, bourgmestre de Nivelles, ce jeune homme s’engage dans la lutte
pour obtenir plus de justice social. Au
début du vingtième siècle le P.O. B. (Parti Ouvrier Belge) réussit à rassembler le monde ouvrier pour
revendiquer plus de justice sociale et un suffrage universel. Des intellectuels
catholiques veulent se joindre à cette lutte. Louis de Lalieux
choisit d’effectuer des études de droit pour se faire défenseur du monde
ouvrier. Ses premières années universitaire, il les fera à Namur où il s’inscrit à la Conférence de Saint-Vincent
dont les membres visitent les foyers des miséreux pour y apporter un peu de
réconfort. Durant les vacances, Louis, dans le cadre de son « Cercle d’études et étudiantines en vacances » anime à Nivelles le patronage local. Un abbé,
mandaté par le cardinal Mercier, l’abbé Brohée, >est chargé de réunir
tous ces assemblées de jeunes qui se réunissent dans les paroisses belges. Sa tache est
facilitée par la création, en 1910, d’une revue « le Blé qui lève » qui se veut un organe de liaison au
service des différents patronages. Cette revue obtient d’emblée 5.000 abonnés. En
1912, il fait part de ce projet à quelques étudiants de Louvain et réunit un
congrès ( 300 étudiants) à Gilly. L’année suivante a lieu un deuxième congrès à
Nivelles que préside Louis de Lalieux. En souhaitant
le bienvenue aux congressistes, transparaît son idéal : « Que Dieu continue à seconder nos
efforts et qu’il continue d’abaisser un regard favorable sur cette jeune armée
prête pour de magnifiques conquêtes, qu’il transforme en riche moisson le blé
qu’il a fait germer et qui lève déjà si fertile en promesses. »
A Louvain, 1913, Louis suit les discussions du cercle d’études sociales
de Mgr Deploigne. Sa vocation d’être un tribun du peuple
est manifeste. Il n’est pas le seul à partager cet
idéal. Il en sera aussi de même pour son ami Guy de Wouters qui,
malheureusement, périra dans les premiers jours de la Grande Guerre.
Quand les Allemands pénètrent dans Nivelles, son père qui occupe la fonction
de bourgmestre à Nivelles, a juste le temps de faire conduire Louis en zone
libre où il peut s’engager. N’ayant aucune formation militaire, ces recrues de la
dernière heure seront regroupées et envoyées en France, à Fécamp, pour leur
instruction. Rapidement Louis se distingue et devient caporal. Le 14 février,
il quitte Fécamp pour rejoindre le front où il ne reste pas longtemps. Il est
en effet choisi pour suivre une préparation à la sous-lieutenance dans l’école militaire belge qui vient de
s’ouvrir à Gaillon. Il y restera jusqu’au 17 novembre 1915, date à laquelle il
sort premier de sa promotion avec l’étoile d’argent d’adjudant candidat
sous-lieutenant. Il rejoint alors comme chef de peloton le 22ème de
Ligne.
Louis encourage ses hommes à l’endurance. C’est un chef modèle mais à
qui l’on peut se confier. Il écrira sa manière d’être au front par ces
lignes : « Trop de gens disent : j’ai
fait assez, mon tour est venu d’aller me reposer. C’est l’hiver, on ne fait
rien au front durant ce temps. Le vrai devoir consiste précisément non dans le
devoir accompli pendant un certain laps de temps, mais dans la persévérance
jusqu’au bout. Et l’héroïsme consiste moins à commander les assauts qu’à rester
toute la mauvaise saison le compagnon encourageant des soldats qui eux, bien
qu’il n’y ait rien à faire, sont cependant obligés de subir le froid,
l’humidité et les mille ennemis plus véritables que la mêlée ou l’agitation de l’offensive. »
« Prière, travail, service
fait consciencieusement, moral toujours calme, voilà dit-il les seules
consolations ! »
Le 14 juillet 1916, les Allemands viennent d’enlever un avant-poste et
la compagnie de Louis est désignée pour reprendre le poste perdu. Louis
s’enrôle comme volontaire pour cette mission. « Vers 21 heures, embarquement sur
deux immenses autos. Les hommes chantent (…). Nous arrivons en première ligne,
traversons l’Yser 4 par 4 et vers 2 heures nous voilà réunis dans le redan du
11ème de Ligne sur la rive est. 3h00, fusée verte, chacun s’élance. Rapidement, sans courir, à moitié
courbés, nous parvenons à la tête de sape allemande par un petit boyau. J’ai
mon chapelet et mon browning à la main. (…). Dès que nous arrivons devant le
précipice, le lieutenant se met à hurler, nous crions et nous lançons nos
grenades. Je suis touché à la cuisse par un éclat
de grenade boche. Nous sautons dans le boyau, nos hommes vont travailler
rapidement bien, je suis fort calme. Six boches sortent des abris, ils crient
« Kamerad » et font le geste classique.
Nous les élevons comme des paquets au-dessus du parapet. Dans le corps à corps,
nos hommes tuent une quinzaine de boches. J’apprends que le lieutenant L. est
blessé au bras et à la tête, mais il reste cependant jusqu’à la fin. Je
l’emmène puis je reviens siffler le signal du retour. R tombe foudroyé à mes
côtés. Je le ramène à côté du lieutenant D. Entre les deux fusées vertes, il
s’est écoulé exactement 30 minutes. Mais le tire de représailles a
commencé : obus et bombes pleuvent sur nos lignes. Le lieutenant D. et moi
passons au radeau naturellement les derniers. (…). Ouf, nous voici sur l’autre
rive. »
Le 20 juillet, Louis, sur l’ordre de ses supérieurs, est finalement
évacué sur l’Océan pour des éclats au bras et à la cuisse. Il y reste un mois
puis part en convalescence 12 jours à Lourdes où il va remercier la Vierge. A
son retour au front, l’attend sa nomination de sous-lieutenant.
Un an, après, le 18 juillet 1917, un violent bombardement surprend Louis
et ses hommes dans un avant-poste de Dixmude. Le lieutenant se met à égrainer
son chapelet. Les obus se rapprochent, deux hommes sont blessés puis il est
atteint à son tour. Par signalisation, le commandant de compagnie est averti de
la détresse du poste. L’aumônier De J. et le brancardier S. vont relever Louis
qui, revenu dans les
lignes belges, est alors évacué vers l’hôpital l’Océan. Commence alors une
longue hospitalisation pour Louis, entrecoupée de visites Royales. Certains
jours, la reine s’arrête à son lit et refait son pansement. « J’ai eu dit-il, l’assistance de la
plus auguste infirmière. C’est un bienfaisant dictame pour les plaies. Elle
s’est penchée vers moi avec bienveillance, m’apportant le rayon de son sourire
et la caresse de sa voix. »
Le 5 septembre 1917, la plupart des blessés de l’Océan sont évacués vers
les hôpitaux belges se trouvant en France car on prévoit une offensive
allemande. Louis est donc transféré à Virval près de
Calais.
Le 14 septembre, il reçoit la visite d’hommes de son peloton. Ses hommes
diront qu’il avait l’air radieux. Il leur distribua de belles petites sommes
pour les aider à profiter de leur congé puis ces derniers le quittèrent joyeux.
Louis reprit alors sa petite croix et son chapelet puis, comme d’habitude, se
mit à dire ses prières. Personne ne parlait dans la salle. Vers 5h1/2, Louis
demanda que le docteur vint desserrer le bandage de la jambe gauche, disant
qu’il était mal placé et le gênait. Finalement l’infirmière et deux brancardiers
refirent le pansement. Louis les remercia en leur disant : « A la
bonne heure, c’est tout-à-fait bien maintenant, je suis comme un pacha ».
Il reprit son chapelet, fit un large signe de croix lorsque tout à coup, il
poussa un cri imperceptible. Le docteur arriva étonné. Louis avait perdu
connaissance. On pratiqua la respiration artificielle, il sembla un instant
revenir à vie. Hélas tout était fini. C’est ainsi que le jeune Louis de Lalieux ; à l’âge de 23 ans, vit s’allumer l’aube de
l’éternité.
De nombreux soldats témoignèrent de la grandeur d’âme de Louis.
Un de ses compagnons témoigne : « Louis, avait forcé l’admiration
des plus sectaires par la conviction simple, touchante, loyale, pure,
irrésistible de ses sentiments chrétiens. X…me disait le vendredi 13, au moment
où je sortais du pavillon où sans m’en douter, je l’avais embrassé pour la dernière
fois : « J’ai rarement vu un plus charmant garçon et plus délicieux
compagnon : lorsqu’il se met à prier sans se soucier de nous, sans
forfanterie, avec une conviction qui impose le respect aux incroyants comme
moi, j’envie sa foi et j’admire sa vertu. »
Un autre, le sergent B. dira : « Malgré ses 13 plaies béantes que
ses soldats s’efforçaient de panser, il continuait à exercer son commandement
et à encourager ses hommes. »
Un an après le décès de son fils Louis, son père, Emile, qu’il adorait
le suivit dans la tombe. Bourgmestre de Nivelles, Émile de Lalieux
fut un modèle pour son fils. Il fut le fondateur en Brabant wallon de la Ligue
Démocratique qui regroupait les différentes œuvres sociales catholiques à
tendances démocratiques. Il milita pour le vote plural et réclame
l’intervention de l’État en matière sociale ainsi que l’élaboration d’une
législation du travail. Un militantisme qui le mènera au sein de
la Chambre des Représentants. Pour avoir distribué des secours aux ouvriers du chemin de fer refusant de
travailler pour l’occupant et ne pas avoir livré aux Allemands la liste des
chômeurs de la ville, il sera emprisonné pendant quatre mois à Nivelles avant
d’être déporté en Allemagne comme « indésirable ». Il y tombe gravement malade
et est transféré en Suisse, à Ouchy-Lausanne, où il
décédera le 7 septembre 1918. Emile Lalieux fut
enterré en grande pompe le 24 avril
1920. Le souvenir mortuaire d’Emile Lalieux, papa de Louis et bourgmestre de Nivelles 3)
L’œuvre
de Fernand Tonnet après la Grande Guerre jusqu’en
1925
Après avoir fait partie de l’armée d’occupation en Allemagne pendant six
mois, Fernand put revenir à Laeken. Il retrouva au patronage, son Cercle d’Etude des apprentis,
devenu en 1915, « syndicat d’apprentis ». Il y milita aussitôt. Il
retrouve Cardijn, devenu entretemps, « Directeur
des Œuvres Sociales de la région Bruxelloise qui lui offre de devenir son
secrétaire et son collaborateur de confiance… Fernand se fit alors l’ardent
propagandiste du syndicat d’apprentis créé à Laeken. Il rassembla des jeunes apprentis
issus des paroisses bruxelloises et les réunit dans l’immeuble de la Place Fontainas qui abrite le bureau de l’abbé Cardijn. L’abbé lit l’évangile de la pêche miraculeuse
signifiant que tous doivent être des pêcheurs d’hommes. Fernand invite alors
les participants à raconter leurs conditions de travail. Puis on se demande ce
que l’on peut y faire. Tonnet explique alors comment
créer un groupe local. Bientôt des sections sont créées dans toute
l’agglomération bruxelloise et le mouvement gagne toute la Wallonie. Les plus
mordus se réunissent dans deux mansardes de la rue Plétinckx
et organise un petit secrétariat. Le lundi soir, ils s’y réunissent. Fernand
préside et l’abbé manque rarement d’assister aux réunions. C’est ainsi qu’est
née la « Jeunesse syndicaliste ».
En 1920, une première journée d’étude rassemble sous la présidence du
jeune plafonneur Jan Schellekens, une quarantaine de
jeunes syndicalistes et à la fin de l’été on publie un bulletin mensuel dans lequel Fernand écrira des centaines
d’article.. Lors d’une journée d’études, en 1922, Fernand résuma devant des
auditeurs enthousiasmés ce qu’il entendait par un esprit syndical.
« L'esprit syndical se manifeste par l’idéal
professionnel et par l'honnêteté professionnelle. Ces points ont été traités
dans les leçons de ce matin. L'esprit syndical se manifeste ensuit par notre camaraderie,
votre 'obligeance, votre serviabilité. Camaraderie à l'atelier, mais camaraderie élevée, supérieure, qui veut atteindre le
cœur de son compagnon en lui montrant la beauté d'une vie d'ouvrier, auréolée
par la vie chrétienne. Pour donner une affection comme celle-là, il faut que
l'on soit irréprochable et intact de tout soupçon, de toute souillure, de tout
vice. L'esprit syndical doit se manifester par la volonté énergique que vous
mettrez à lutter contre les passions qui tuent dans le cœur
de tant de vos compagnons toute idée de pureté, de beauté, de bonté, de joie.
Et ici j'ai surtout tout en vue l'influence que vous devez acquérir pour
montrer à vos camarades que les rapports entre jeunes gens et jeunes filles
tels qu'ils sont compris maintenant par
la plupart de vos compagnons de travail
ne sont qu'une caricature de l'amour, A vous de leur montrer que les
fiançailles, que le mariage ne sont pas ce que des compagnons vicieux ou tarés, vous représentent. Il faut que par
la correction et la beauté de votre vie privée, vous ayez le droit de vous adresser très fraternellement, mais
aussi très vigoureusement à vos camarades en leur disant : «Ne continuez pas à
gaspiller votre jeune cœur, en courant après trente-six jeunes filles »,
en les entraînant au mal. Cessez de voir
dans la jeune ouvrière un objet de
plaisir. Voyez en elle la mère de demain qui ressemblera à celle qui vous a
donné le jour. » Une classe ouvrière dont on pervertira toujours les jeunes
filles ne pourrait devenir une classe respectée dans la société ; son
relèvement deviendrait impossible, puisque ce sont les mères qui font les
caractères de leurs fils. Redevenez de beaux
jeunes hommes sachant vous maîtriser. A côté de cette éducation sentimentale,
de ce respect de la chasteté, vous aurez
à stimuler vos compagnons dans la lutte contre certaines laideurs. Qu'ils veillent à leur maintien en rue, en
train, en tramway. Qu'ils soient sobres.
Combattez en eux l'usage des boissons
fortes, l'usage abusif du tabac. Donnez-leur quelques conseils d'hygiène, de
propreté corporelle ... Combattez aussi chez vos camarades, cette abrutissante
passion sportive, cette folie de la danse : les deux occupations exclusives du dimanche
pour des milliers de vos compagnons. Resterons-nous indifférents en voyant
vivre à nos côtés tant de frères pour qui la vie se limite à l'horizon d'un
terrain de football ou à l'orchestrions d'une salle de danse ? Enfin l'esprit syndical se manifeste
dans votre exactitude à payer vos cotisations, dans l'assistance régulière aux
réunions, dans votre propagande individuelle, dans voire désir acharné d'étudier
les questions qui intéressent la jeunesse ouvrière. Lisez beaucoup, étudiez.
Parcourez l’histoire du mouvement ouvrier anglais, vous y verrez le courage
déployé par de pauvres ouvriers sans instruction, qui se mirent à étudier pour
mener leurs frères vers plus de bonheur. Notre esprit syndical s'inspire de notre
christianisme. Nous ne serons jamais des violents, des haineux, des envieux.
Nous ne croyons pas à la violence comme vertu sociale. La pratique de la vie
chrétienne nous permettra, nous obligera même à ne plus vivre que pour nous
dévouer au Christ et à nos jeunes frères des ateliers et des usines. Ce grand
travail qui se fera pendant des années, loin des Congrès retentissants, sans
bluff, sans tam-tam, exigera le don entier de nous-mêmes. « Les uns sèment et
les autres moissonnent » a dit Notre-Seigneur ; acceptons d'être les semeurs perdus
dans la clarté incertaine du matin, semant avec patience, en recommençant un
sillon après un autre sillon, nous
fatiguant, usant nos santés dans les soirées de propagande, dans des visites à
domicile, dans des réunions, mais songeant avec une immense joie au bonheur de ceux qui viendront après nous. Il en est
tant parmi les jeunes ouvriers qui continuent de vivre sans savoir qu'un jour a
vécu un pauvre comme eux, qui, après avoir travaillé de ses mains, s'est mis à
prêcher le long des routes et sur les places des villages, guérissant les
malades d'alors comme il guérirait aujourd'hui les tuberculeux et,
tuberculeuses de nos taudis ouvriers, puis s'offrant aux bourreaux pour que de
sa grande mort jaillisse une vie meilleure pour les hommes. Il faut que nous
continuions notre travail pour conquérir
plus de camarades ; il faut que cette pensée : « Le Christ n'est pas encore né
dans des milliers d'âmes de jeunes ouvriers » nous tourmente, nous
inquiète et nous pousse à partir à la recherche de nos frères et à travailler à
la guérison de leurs misères morales et matérielles. « Ce n'est pas tout de
faire vos prières avant de vous coucher, jeunes gens, disait, il y a trente
ans, un des chefs du syndicalisme anglais, vous avez encore d'autres
obligations religieuses, vous devez adoucir la vie des plus faibles. » Mes amis, j'ai confiance en votre
apostolat de demain. Lorsque les difficultés s'amoncelleront sur votre route,
lorsque vous douterez du succès de notre petit mouvement, lorsque vous aurez échoué dans certains de vos efforts,
lorsque vous serez près d'être découragés, relisez la vie de l’apôtre saint Paul. L'Eglise, ce matin, nous rappelait dans
l'épître de la messe, une des plus sublimes pages de sa doctrine. Saint Paul y
célèbre la charité fraternelle en des termes que nous devons redire comme une
prière. N'oubliez jamais ce que fut la vie de Saint-Paul, ses dangers, ses
supplices, ses fatigues, ses audaces, et par-dessus tout, celle tenaillante
angoisse du salut des âmes qui dévorait son cœur. Songez à cet exemple, à cette vie, lorsqu'il fera
« noir » en voire âme, relisez son testament, lorsque parvenu au terme de sa vie si active, à la veille d'être mis à mort, il
déclare, «J'ai combattu le bon combat, j'ai fini ma course, j'ai gardé la foi. Maintenant
Dieu me tient en réserve la couronne de justice que le Seigneur, le juste Juge,
me décernera en ce jour-là, ainsi qu'à tous ceux qui attendent avec amour son
avènement glorieux. » Je souhaite qu'au
soir de votre vie, vous puissiez redire ces paroles de saint Paul. « La Jeunesse
Syndicaliste », 4) De 1925 à 1934, l’aventure de la J.O.C. L’œuvre de Fernand et de Cardijn rencontrèrent de nombreux opposants. Les milieux
catholiques traditionnels ne veulent pas comprendre l’encyclique « Rerum novarum » base de la
nouvelle doctrine sociale de l’Eglise. Les patrons, subissent les syndicats
socialistes et ne veulent pas d’un syndicat chrétien. Les socialistes, de leurs
côtés veulent maintenir leur monopole et rester le seul parti du monde ouvrier.
Malgré ce contexte très difficile, Cardijn et Fernand
Tonnet tiennent bon. Le conflit est particulièrement
dur avec les aumôniers de l’Action Catholique de la Jeunesse Belge (A.C.J.B.) qui
désirent une direction unique de tous les mouvements de jeunes aux mains des
aumôniers et des intellectuels. Ils accusent « la jeunesse
syndicaliste » de vouloir diviser la jeunesse chrétienne. Pour « La
jeunesse syndicaliste », il n’est pas question d’abandonner ses
responsabilités et surtout sa propre direction autonome. En avril 1925, elle
change son appellation et devient désormais la Jeunesse ouvrière Chrétienne. Finalement,
après d’âpres combats qui s’étendirent jusqu’au Vatican, en 1927, la J.O.C. obtient
d’être une branche tout-à-fait autonome de l’A.C.J.B. C’est une victoire pour le monde ouvrier
chrétien. On laissa donc, au sein de l’Action
Catholique de la Jeunesse belge, des groupes homogènes se former en fonction
des exigences de vie et des différents milieux. On vit donc à côté des patronages,
des scouts, la J.O.C. et ses mouvements apparentés comme la J.E.C
(Jeunesse Etudiante Chrétienne), la J.A.C. (Jeunesse Agricole Belge) et encore
la J.U.C. et la J.I.C. Tous ces mouvements vivaient fraternellement et
s’entraidaient sous la direction du comité général de l’A.C.J.B. Les moyens employés par Fernand Tonnet pour animer la J.O.C furent la prière, les visites
des secteurs, l’apostat de l’amitié et surtout la rédaction du journal de la
J.O.C. De 1924 à 1934, Fernand parcourut toutes les routes de Wallonie pour
animer les réunions des sections. Fernand, bien évidemment, accordait beaucoup
d’importance à la formation morale et religieuse mais il tenait que l’on ne
néglige pas les problèmes soulevés par la vie professionnelle des jocistes.
Voici un article de Fernand publié le 17 janvier 1933 et qui résume bien sa
conception de la J.O.C. « CE
QU'ON FAIT A LA J.O.C. » : L'on y prépare les écoliers de dernière année à
leur vie de travail par toute une série de conseils et de petites conférences
ainsi que par des visites d'ateliers et
d’usines. Ensuite on les aide à choisir un métier correspondant à leurs
aptitudes physiques et intellectuelles.
La J.O.C. se préoccupe également de l'apprentissage, du salaire des jeunes,
ainsi que des conditions dans lesquelles se trouvent l’atelier où ils gagnent
leur vie. C'est ainsi que nous cherchons sans nous lasser, à améliorer au
situation hygiénique des locaux de travail, et que nous luttons également pour
diminuer tous les risques d'accidents de travail qui surviennent en si grand
nombre dans nos ateliers et nos usines.
Les septante mille jeunes ouvriers et ouvrières qui sont dans la J.O.C. belge y
reçoivent également une solide éducation parce que l'école est insuffisante
pour faire face à toutes les nouvelles conditions de vie dans lesquelles sont
placés les Jeunes ouvriers et les jeunes travailleuses de notre époque. Dans la
J.O.C. on donne de fréquentes conférences sur l'épargne, et toute une
organisation de Caisse d’épargne y fonctionne. On engage aussi les jeunes
ouvriers à s'inscrire dans des syndicats professionnels sérieusement dirigés,
comme le sont les syndicats chrétiens. On demande aux jocistes de faire partie,
dès leur jeunesse d'une mutualité afin d'être assurés de secours financiers en
cas de maladie. De plus, la J.O.C. met périodiquement ses membres au (courant
des conditions d'affiliation à des sociétés d'habitations à bon marché, parce
que les jeunes ouvriers et les jeunes ouvrières qui sont dans nos rangs,
constitueront demain des foyers et nous devons éviter pour ces jeunes foyers le
mauvais logement et le taudis qui vicient matériellement et moralement. Le
mouvement jociste donne à ses membres une éducation morale très active, en leur
recommandant d'être des fils aimants, respectueux et dévoués, des fiancés
dignes et plus lard des époux honnêtes et courageux. La J.O.C. donne à ses
membres le désir et le moyen d'être apôtres au milieu de leurs compagnons de
travail. Les Jocistes ont compris toute la profonde transformation populaire
que nous voulons opérer ; et innombrables sont déjà les actes émouvants
d’apostolat héroïque qui ont été accomplis par des jeunes gens de la J.O.C.
dans les usines, les fabriques, les ateliers et les bureaux. Pour prévenir les accidents du travail Placé à la direction du « journal
jociste », Fernand apporta pendant toutes ces années une importante
énergie à écrire des articles pour le journal jociste. Des centaines d’articles
consacrés à la formation religieuse, le service des malades, la prévention des
accidents, la propagande, l’éducation, la bonne chanson, le choix du métier,
l’hygiène, l’éducation sentimentale… L’histoire de son apostat, de son
dévouement se retrouve dans les pages de ce périodique qu’il voulait le plus
attrayant possible. Tout a une fin, et il faut savoir s’arrêter à temps.
Trois pionniers des premiers temps, maintenant au milieu de l’âge adulte, vont
quitter en 1934 la Jeunesse Ouvrière Chrétienne pour continuer leur combat
autrement. Fernand, est du nombre et regrette de voir la J.O.C. perdre son caractère revendicatif d’antan. Il
quitte donc la présidence de la J.O.C. pour devenir le permanent syndical au profit des œuvres sociales chrétiennes
de Charleroi. Le départ des pionniers bouleversera Cardijn
qui écrira à Fernand : « Je
prie ardemment pour que la bénédiction du Bon Dieu nous soutienne dans ces
heures décisives. Personne ne soupçonnera jamais ce que je souffre de tous ces
départs. (…) Je crains que tout cela ne me vieillisse de 25 ans. Enfin, à la
grâce de Dieu… » 5) De 1934 à
1943 : au service des adultes du monde ouvrier
Cette période dura quatre ans et sur ce court laps de temps, Fernand
réussit à créer l’œuvre « Pour nos enfants » au profit des enfants
malnutris et négligés. Il s’agissait d’offrir à ces derniers des périodes de
grand air dans des foyers plus aisés. Il
dut quitter cette nouvelle œuvre et son travail syndical en 1938 car il fut
appelé par Monseigneur Picard à l’organisation de l’Action Catholique des Hommes (A.C.H.) à Bruxelles et en Wallonie.
Il se fixa au secrétariat de l’A.C.H. où il disposa d’un appartement au premier
étage. Avec ses collègues, il seconda le clergé des paroisses pour organiser
des A.C.H. qui se révélaient comme des sortes de conseils paroissiaux groupant
des hommes de tous les milieux sociaux. Fernand à nouveau se fit rédacteur pour
faire vivre, la publication « les Feuilles Documentaires » qui devait
unit tous les sections des A.C.H. Il organisa aussi pendant la dure période de guerre
plus de 200 récollections (retraites) dominicales qui réunissaient employés,
ouvriers, commerçants dans un esprit de dialogue. Pour Fernand, il fallait
absolument façonner dans la société une autre image du monde des travailleurs.
Les A.C.H étaient les organes privilégiés pour obtenir cette transformation.
Voici ce qu’il écrivait en 1943, juste avant d’être arrêté par les allemands. « Voici sans le moindre souci de classification, quelques-unes des
réformes radicales à apporter dans notre milieu professionnel : A) Le
choix sévère du personnel de maîtrise. Ne plus avoir en vue que la compétence
technique, veiller à ne nommer aux divers échelons de l'autorité que des hommes
foncièrement moraux dans leur vie privée comme dans leur vie d'atelier, des hommes
immunisés contre toute idée de haine sociale. Il faudra leur donner par des
causeries, par des entretiens, par des conseils, les principales notions de
l'art de commander. Que de firmes catholiques, dirigées au sommet par des
catholiques, ont des ouvriers ou employés qui sont habituellement traités avec
brutalité, grossièreté, insolence et injustice par des sous-ordres nommés avec
irréflexion. Ce sont ces sous-ordres qui alimentent l'esprit de mécontentement,
de méfiance, que l'on déplore chez beaucoup de travailleurs. Il faut donc les choisir avec plus de
prudence et les former sans se lasser à leur fonction si importante. Il serait
! Souhaitable que les griefs personnels des ouvriers fussent examinés
rapidement par les responsables de manière à prévenir les rancunes et les
mécontentements latents… B) Nul ne peut prévoir aujourd’hui (en 1943) le genre d’idéologie économique, sociale ou même
politique qui se présentera demain aux regards du travailleur mais l’on peut avancer
qu’il faudra coûte que coûte en venir à une méthode plus humainement
compréhensive des ouvriers. (….) En
dehors de ces activités de son activité normale, Fernand continue à prendre des initiatives. C’est ainsi qu’il
entreprit la publication des « Feuilles familiales » qui avait pour objectif d’être un organe de
liaison entre les foyers des anciens
jocistes. En mai 1943, 4.400 familles recevaient cette publication. Fernand vivait aussi une vie religieuse très active. Il était grand
admirateur de Saint Paul dont il connaissait tous les épitres. Trois fois par
semaine, il dorait le Saint Sacrement pendant une heure et jamais il ne
terminait sa journée sans réciter un
chapelet. Dans ses notes du 1er avril 1943, on retrouve la même
exigence de s’améliorer que dans les notes du jeune homme de 20 ans se trouvant
derrière l’Yser : « Pardon Seigneur, d’avoir gaspillé tant de
bienfaits et d’avoir écouté si distraitement vos appels. Demain je reprendrai
la lutte contre mes défauts. Je tâcherai d’être plus charitable et plus patient.
J’accepterai les contradictions, les critiques, les incompréhensions dont je
suis l’objet dans mon action, en me répétant que ces épreuves, si je les accepte sans me cabrer, seront un pain
spirituel pour mon âme. Jamais, je ne veux me décourager. L’heure du
découragement est celle du Prince des Ténèbres. Je vous remercie, Seigneur, de
ces journées. Je vous remercie de votre résurrection en moi. » 6) Fernand est arrêté par les allemands
et meurt à Dachau en février 1945 Fernand ne fit jamais partie d’un réseau de résistance
mais il rédigea les bulletins de l’A.C.H. et les feuilles Familiales sans jamais
les soumettre à la censure. De plus, il eut une abondante correspondance avec des
prisonniers militaires. Il fut arrêté le 10 aout 1943, un mois après un premier
interrogatoire, pour avoir reçu dans son bureau deux fois un Monsieur N.,
parachuté en Belgique. Il fut d’abord enfermé dans la cellule 128 de la prison
de Saint-Gilles puis fut transféré au camp d’Esterwegen
où il arriva à la fin du mois du mois… Il fut mis au travail pour trier
d’anciens condensateurs électriques. Avec ses compagnons d’infortune, il
souffrit de la faim. Une de ses rares joies fut celle de la nuit de Noel 1943.
Avec des déchets de vieux condensateurs, le réfectoire de sa baraque N° 3 reçut un décor rappelant les neuf
provinces belges et abrita même un petit
sanctuaire. Pendant la cérémonie de Noël, des gardes chiourmes entrèrent dans
la baraque mais devant les prisonniers recueillis pour une fois se retirèrent
sans avoir vociféré. Le 21 mars, Fernand fut expédié dans le camp de Bayreuth
en Bavière. Là Fernand fut remis au travail dans un atelier de découpe de vieux
cuirs où l’on défaisait les coutures de veux uniformes de tués ou de pendus. Quand
Fernand avait une pensée qu’il voulait mettre par écrit, il l’écrivait sur des
bouts de papier qu’il cachait ensuite dans sa boite à lunettes avant de le
glisser le soir dans les pages du missel qu’il avait pu conserver. Il écrivait
aussi des bulletins liturgiques qu’il faisait parvenir à ceux qui désiraient
une aide spirituelle. Fernand écrivit aussi dans les marges des pages de son
missel. C’est ainsi que nous sommes
renseignés de la mort édifiante de Henri Noël le 3 avril 1944, le froid
rigoureux jusqu’au 25 mai 1944, l’insuffisance de la nourriture, les cérémonies
religieuses du 28 mai 1944…. Le 1er décembre, Fernand Tonnet quitta Bayreult, dans une
colonne de prisonniers enchaînés deux par deux, pour Dachau. Il fut enfermé
dans le block 17 où se trouvaient des
prisonniers de toutes les nations mais ou se trouvaient aussi une chambre de
quarante prêtres. Fernand y souffrit de dysenterie et fut transféré au block
29, chambre 2. Il ne fréquenta alors plus que quelques amis et après avoir
recueilli les derniers soupirs de son ami Paul Garcet,
lui aussi militant de la première heure du mouvement jociste dont il était
devenu le trésorier, Fernand se prépara lui-même à la mort. Fin janvier, tandis
que l’on désinfectait le block 29, leurs occupants durent patienter une journée
sans vêtements dans la salle de douche. Le soir, leurs hardes désinfectées mais
encore humides leur furent remises et ils purent rejoindre leur block et se
coucher sur les lattes des couchettes sans les paillasses qui avaient été
enlevées. Les jours suivants son état de santé s’empira considérablement et le
1er février 1945, il refusa
d’avaler la cuillère de soupe donnée fraternellement par son ami Maurice Jamnée. Et lui demanda de conserver précieusement ses étuis
à lunettes dans lesquels il conservait ses ultimes messages. Le deux février
1945, il s’éteignit. Petit miracle, Fernand avait
pu conserver son missel depuis la prison de Saint Gilles. Après la libération
de Dachau par les américains, ce missel fut retrouvé dans l’ « Effektkammer » du camp et remis au Père Riquet, un
Jésuite. Finalement le précieux souvenir fut remis à un des frères de Fernand. Sur
les marges des pages et sur dix feuilles insérées dans la reliure, sont
conservées beaucoup de notes de Fernand. Sur une des premières pages, on
retrouve cette phrase émouvante : - « Je possède un secret pour me conduire en chaque état, dans la
satiété et dans la faim, dans l’abondance et dans l’indigence : j’ai force
pour tout en Celui qui me fortifie. » Bien d’autres parsèment le
missel comme celle-ci : « Chaque
matin, la même question devrait se poser : « A qui aujourd’hui
vais-je témoigner de la sympathie ? ». J’aime aussi par
d’autres ces deux prières de
Fernand : – « O Dieu, qui êtes source des saints désirs, des bons desseins et
des actions justes, accordez à vos serviteurs cette paix que le monde ne peut
donner, afin que nos cœurs s’attachent à vos préceptes, et que, délivrés de la
crainte de nos ennemis, nous vivions des jours tranquilles sous votre
protection. » – « Vierge
sainte, au milieu de vos jours glorieux, n’oubliez pas les tristesses de la
terre. Daignez jeter un regard de bonté sur ceux qui sont dans la souffrance,
qui luttent contre les difficultés, et qui ne cessent de tremper leurs lèvres
aux amertumes de cette vie. Ayez pitié de l’isolement de notre cœur ; ayez
pitié de la faiblesse de notre foi, ayez pitié de ceux qui s’aiment et qui sont
séparés ; ayez pitié des objets de notre tendresse : ayez pitié de
ceux qui pleurent, de ceux qui prient, de ceux qui tremblent. Donnez à tous
l’espérance et la paix. » Mais le plus émouvant, pour le
modeste auteur de cet article, sont les feuilles qui reprennent des listes de
noms avec un « Memento des Vivants » et un
« Memento des Morts ». Fernand associaient
dans ses prières les personnes à qui il devait beaucoup ou qu’il admirait
profondément. Parmi ces noms, figurent en bonne place les soldats qu’il avait
admiré dans sa jeunesse de soldat : les frères Collard,
Louis de Lalieux, le lieutenant Pire, le cardinal
Mercier, monsieur et madame De Meulemeester, G. de Hemptinne, le Dr Glibert etc. 7)
Conclusion Fernand Tonnet s’il avait
vécu plus longtemps aurait vu la J.O.C. se propager dans le monde entier mais
cela est une autre histoire. Mon désir était de vous parler du simple soldat
(cavalier devrait-on dire pour ce Chasseur à Cheval !) de 14-18 qu’il
avait été mais, en réalité, c’est d’un
militant que je vous ai surtout parlé. Un militant, hélas trop oublié
aujourd’hui, qui avait réussi l’exploit de rassembler toute la jeunesse
chrétienne dans le but de façonner un monde de solidarité, de justice et
d’espérance. Vous me pardonnerez donc cette longue digression sur Fernand dont
le parcours ressemble, à n’en pas douter, à celle d’un véritable saint. Puisse « Saint Tonnet » ne pas être oublié et se pencher encore
aujourd’hui sur le sort de notre
jeunesse ! Dr P. Loodts Sources : 1) Adrien Tonnet, curé de Genval, « Fernand Tonnet mort à Dachau », L. De Lannoy
(Editeurs), Genval, 1945 2) Marguerite Fievez et Jacques Meert,
« Cardijn », EVO asbl,
Bruxelles,1969 |