Médecins de la Grande Guerre
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« Mes souvenirs de la guerre 1914-1918, Firmin
Bonhomme, j'étais volontaire à 17 ans »
2e Édition,
1982, Firmin Bonhomme éditeur Firmin Bonhomme termine sa poésie quand
la guerre éclate. Son frère Léon âgé de 22 ans, ainsi que quatre jeunes gens de
Remouchamps partent le 4 août s'engager. Firmin les regarde s'éloigner avec
envie. Il ne faudra pas longtemps avant qu'il
puisse les imiter. Au début de l'année 1915, âgé seulement de 16 ans et demi,
il parvint à obtenir de ses parents l'autorisation de rejoindre à son tour
l'armée belge. Sa mère émue, lui confectionna à l'aide d 'un vieux gant de cuir
un petit sac où elle glissa 10 pièces d'or de 20 francs. Il quitta donc son
village de Remouchamps le 13 mars. Heureusement que ses parents n'entrevoyaient
pas la durée de la séparation qui allait s'éterniser durant quatre longues
années. A Visé, il se mêla à un groupe de jeunes désireux comme lui de
rejoindre le front. Le soir, avec un guide, il parvint à franchir la Hollande
non sans émotions : « Quel voyage ! A un moment donné, un
guide s'approchant de moi me dit tout bas : « Vous voyez devant nous, à gauche,
une petite lumière ? C'est une sentinelle allemande…A 300 mètres vers la
droite, un autre point lumineux…C'est encore une sentinelle ! nous allons passer
entre les deux postes ! » La progression continue…et mon cœur bat plus vite
!…La nuit est noire et silencieuse, les faisceaux lumineux intermittents se
rapprochent, on se couche à leur passage. Ils éclairent un moment le paysage et
me permettent d'entrevoir un court instant celui qui me précède. Je marche
lentement et presque sur la pointe des pieds, craignant de faire crisser du
gravier sous mes pas ou de provoquer le bruit sec d'un bois mort qu'on écrase
et qui se brise. J'ai peur de rencontrer un chien vagabond ou une patrouille
allemande. Et l'avance se poursuit prudente, confiante et courageuse…Enfin, je
finis par me trouver sur un chemin plus ferme, que j'arpente avec moins
d'efforts. Je m'aperçois que j'ai de la boue jusqu'aux genoux ! Après 20 minutes
environ, je vois sur la droite une maison et je m'en approche. Des rais de
lumière apparaissent sur les volets qui masquent les fenêtres. Je frappe… La
porte s'ouvre et je trouve un chaleureux accueil : j'étais en Hollande !! De nombreux jeunes étaient là, Lucien
m'y rejoint.(…). Notre chef-guide que nous remercions chaleureusement était Guillaume Valleye
, un ouvrier mineur de Herstal, âgé de 30 ans, marié et père
de trois enfants ». Portrait du carabinier Firmin Bonhomme de Remouchamps (1897-1987). (Collection Jean Godfroid) Dix jours après avoir passé le groupe
de Firmin, il fut sur dénonciation, arrêté par les Allemands et envoyé comme
prisonnier en Allemagne. Il y resta deux ans en essayant 8 fois de s'évader .
Il y réussit la 9° à passer en hollande sur le butoir de la dernière voiture
d'un train allant de Versen en Allemagne à Venlo en Hollande. A Maastricht, il
se mit à la disposition du Service français de renseignements et accepta
d'aller former dans la région de Liège un nouveau réseau d'espionnage. Dès son
premier passage il se trouva en face des fils électrifiés de la frontière. Muni
de tout un attirail d'électricien et de gants en caoutchouc il parvint à
traverser cette redoutable grille. Prenant sur lui de transporter en Hollande
les renseignements recueillis par ses agents, il effectua régulièrement par des
endroits différents la traversée de la frontière, mais le 7 mars il fut arrêté
une nouvelle fois à Liège et jeté en prison. Évadé de nouveau il reprend le
même service. Hélas, le 9 avril 1918 abordant aux environs de Fouron-le-comte
la redoutable grille il toucha du pied un fil qu'il n'avait pas vu contre le sol
et tomba mort électrocuté. Parvenu à Flessingue, Firmin écrit à
ses parents : « Il y a ici à Flessingue une société
spéciale qui s'occupe des volontaires belges, ceux-ci sont pour le moment au
nombre d'environ 200. nous sommes nourris et logés à l'œil. Certains (dont je
suis) ont la chance d'avoir un lit de fer avec une paillasse, un traversin et
couvertures. Nous sommes environ 50 dans une pièce bien chauffée. Pour la nourriture, tout le monde mange
dans une grande salle. Nous sommes ici dans un hôtel réservé aux jeune belges
'l'hôtel du Pilote » situé au bord de la mer. Comme je n'ai jamais vu la mer,
vous devinez que ce séjour me plaît ! Je pense à vous tous les jours, chers
parents, et à tout ce que j'ai laissé. Mais croyez bien que je ne regrette rien
et j'abandonnerais tout une seconde fois s'il le fallait.(…) » Le 22 mars, Firmin arrive à Londres. A
sa descente de train, il est accueilli « par une foule enthousiaste acclamant
les jeunes volontaires belges arrivant par centaines et le roi Albert et sa
vaillante armée.» Le 23 mars, Firmin passe la visite
médicale et signe un engagement volontaire et le lendemain, est embarqué au
port de Southampton dans un navire à destination du Havre. A l'arrivée, des
gendarmes belges mettent en colonne par quatre les volontaires qui sont dirigés
vers la gare où ils embarquent dans un train. Après 31 heures de voyage, c'est
l'arrivée à Valognes à 20 km de Cherbourg. Valognes est le centre d'instruction
N° 6 de l'armée belge. On ne laissa aux jeunes recrues que deux jours de repos
avant de commencer l'entraînement. Celui-ci devait durer trois mois, au terme
desquels Firmin fut nommé caporal pour participer comme instructeur à la
formation des sessions suivantes. Les distractions sont rares, Firmin a
cependant la joie de revoir son frère Léon, soldat comme lui. La rencontre se
passe à Cayeux-sur-mer dans une famille de réfugiés belges, les
Bouquet-Vermeersh. Aumônier au C.I. n° 6 de Valognes (Mme Boucquey était la sœur de la Supérieure de l'école des filles de
Remouchamps.) En octobre 1915, Firmin, à sa demande (dans l'espoir de rejoindre
plus vite le front), est muté au nouveau centre d'instruction de mitrailleurs à
Criel s/mer dans la Seine inférieure. Tout l'hiver il y reçoit la formation de
mitrailleur . Des semaines longues semaines sans nouvelles de ses parents, un
Noël vide et sans joie et enfin vint pour Firmin le moment tant attendu : le
départ pour le front belge. Pour partir au front tous les gradés devaient
posséder inscrit dans leur carnet le texte de la mission du tirailleur. Mission du mitrailleur « La mission du mitrailleur est la
résistance à outrance quels que soient les dangers dans lesquels il se trouve.
Même si l'infanterie amie a cédé, même s'il est encerclé, même s'il sent que sa
résistance ne peut sauver la situation, le mitrailleur doit se défendre
jusqu'au bout et faire usage de sa mitrailleuse pour tenir l'ennemi en échec
aussi longtemps que possible. Si les munitions viennent à faire défaut, il doit
faire l'impossible pour s'en procurer en prenant, au besoin, celles des blessés
et morts qui seraient à proximité en chargeant à la main les bandes de
cartouches. Le mitrailleur doit former in îlot de résistance susceptible
d'action dans tous les sens. Il doit être convaincu qu'en agissant de la sorte
il favorise les contre-attaques amies et augmente sa propre chance de salut. Si
la mitrailleuse ne fonctionne plus, si les munitions viennent à faire défaut et
s'il a tout fait pour s'en procurer, le mitrailleur se défendra avec sa
carabine et des grenades. De toute façon, il vendra chèrement sa vie. Il est
lâche de se rendre sans combat, il est humiliant de s'avouer le plus faible
sans chercher à se mesurer avec son adversaire, même si on est désarmé et si on
est en apparence beaucoup moins fort. Nous mitrailleurs, devons être fiers de
la confiance toute spéciale que nos chefs mettent en nous, nous en rendre
dignes en montrant une préoccupation constante d'améliorer nos conditions
matérielles d'intervention. Si le cas se présentait , prouvons qu'on a raison de
nous considérer comme des troupes d'élite qui constituent l'ossature du champ
de bataille. » Le jour venu, c'est un convoi venu en
gare de Criel, un long convoi composé de wagons à bestiaux portant
l'inscription 40 hommes ou 8 chevaux qui emmènent les soldats jusqu'à Adinkerke
et cela en un trajet de 20 heures ! Bien vite Firmin connaîtra la vie d'un
caporal mitrailleur au 2° régiment de Carabiniers d'abord dans le secteur de Lo
au sud de Dixmude. Le secteur n'est pas le plus dangereux, pourtant Firmin en gardera
un souvenir poignant : parce que c'est là qu'il vit le premier tué, un jeune
officier, le lieutenant Gérard, atteint par une balle à la tempe alors qu'il
regardait à la jumelles les lignes ennemies. « Il tombe comme une masse, saignant
abondamment. Quelle affaire ! Quelle affaire ! On hèle tout de suite l'aumônier
Dugardyn qui est un peu plus loin et je vois encore celui-ci accourant puis
prenant la main du pauvre lieutenant Gérard étendu sur le sol et lui disant : «
Gérard, Gérard, serrez-moi la main ». El le pauvre Gérard bavait le sang par la
bouche, par le nez, partout. « Gérard, serrez-moi la main, Gérard vous allez
mourir, c'est l'aumônier ici ». et le pauvre Gérard est mort en quelques
minutes avant que les brancardiers qui s'empressaient n'aient eu le temps de le
mettre sur la civière pour l'emporter vers le poste de secours le plus proche.
Cela je ne l'ai jamais oublié ! » La vie au front était rythmée de façon
immuable : quatre jours de tranchées où l'on dormait tout habillé, enroulé dans
sa couverture, quatre jours de piquet suivis de quatre jours de repos. Les
jours de piquet n'étaient pas beaucoup plus réjouissant que la garde dans les
tranchées : « On nous laissait en paix pendant le
jour mais dès l'approche du soir, nous partions à pied toujours, pour
travailler la nuit aux tranchées dans les endroits que les bombardement
savaient démolis. Au point du jour, on quittait le travail pour refaire à
nouveau des kilomètres à pied.(…). Je garde un souvenir pénible de ces retours
où, comme un troupeau de bétail, nous revenions par les grands-routes, morts de
fatigue et en désordre, jugulaire du casque flottante et capote ouverte,
jusqu'à la grange où nous avions hâte de nous étendre sur la paille après avoir
reçu une louche de café dans la gamelle et un demi pain .On dormait presque
toute la journée mais dès la tombée du soir on repartait en colonne pour
reprendre le travail dans la zone des tranchées. Puis arrivait les quatre jours
de soit - disant repos. La compagnie repartait vers l'arrière, plus ou moins 5
à 6 km encore, pour occuper des cantonnements, tout aussi inconfortables, des
granges, des fenils pleins de paille humide et de vermine. Pas de banc pour
s'asseoir , ni pour manger ou écrire. Se laver à grande eau et mettre du linge
propre était le grand attrait du cantonnement. Souvent avec un camarade,
nous construisions une tente dans le pré voisin et nous y dormions la nuit. Au
lieu de nous laisser en repos, on nous faisait faire plusieurs heures
d'exercices et de manœuvres par jour, tant et si bien qu'on aspirait bien vite
à repartir vers les tranchées. » En janvier 1917, au milieu d'un hiver
particulièrement froid, le régiment de Firmin quitte le front et par chemin de
fer est dirigé au camp de Mailly près de Châlons-sur-Marne en vue d'y apprendre
de nouvelles tactiques (vagues d'assaut et groupes de combat). Et puis ce fut
le retour au front dans le secteur de Steenstraat puis dans celui de
Nieucapelle. Tous les quatre mois, les soldats en principe avaient droit à un
congé de dix jours à condition de fournir un certificat d'hébergement de
personnes qui voulaient bien les recevoir. Firmin alla plusieurs fois chez ses
amis belges à Cayeux s/mer. Il eut aussi la joie de correspondre avec une
marraine de guerre jusqu'au moment où il craignit qu'elle ne s'attache à lui : « Je sentis qu'en toute honnêteté, je
devais mettre fin à nos relations amicales. Je lui écrivit une lettre très
gentille lui expliquant que, si je sortais sain et sauf de la guerre, j'aurais
encore à faire sept ans pour conquérir mon diplôme de docteur en médecine
auquel je tenais absolument et que, cela étant, je ne pouvais en aucune façon
me fiancer maintenant. » En mars 1918, Firmin obtiens de passer
un congé en Angleterre chez la fiancée de son frère Léon. A son retour , il rejoint
son régiment pour occuper le secteur de Nieuport réputé moins dur : « Le voisinage de la mer, l'absence de
boue, de cette boue infâme où nous pataugions si souvent dans les autres
secteurs du front nous permettaient de trouver un peu de confort que nous
apprécions vraiment ». Autour de lui, les rangs des ses amis
et connaissances s'éclaircissent ; le six juin 1918, il écrit : « j'ai appris il y a quelques jours que
Joseph Broeders était grièvement blessé, j'ignore où il est actuellement. Je ne
sais ce que cela signifie, mais depuis un mois, j'ai appris la mort d'au moins
10 camarades : nous traversons une bien mauvaise période ! » A sa grande surprise, Firmin sans
n'avoir fait aucune démarche se voit envoyer le 21 juillet 1918 à Calais pour y
subir l'examen d'admission au C.I.S.L.A.I (Centre d'Instruction de
Sous-Lieutenants Auxillaires d'Infanterie ) situé à Gaillon dans l'Eure. Sitôt
l'examen terminé, Firmin rejoint son régiment qui vient de prendre position
dans le secteur dangereux de Langemarck. Le 27 août, il est désigné pour
Gaillon. La 6e session de l'École commence le 1er septembre 1918. A la fin du premier mois de
formation, il apprend que la grande offensive générale vient de se déclencher.
La plupart des élèves demandent de retourner au front mais un refus formel leur
est opposé. Le 12 octobre, Firmin reçoit une lettre terrible : c'est son ami
Godefroid qui lui écrit depuis l'hôpital du Havre : quelques jours avant
l'offensive alliée, un avion ennemi a lâché une torpille au beau milieu de la
tranchée : neuf de ses compagnons de tous les jours ont été couchés à terre :
Van Doolaeghe et Blondeel ont été tués sur le coup, les autres sont blessés
dont certains très grièvement. Terrie meurt à l'hôpital d'Hoogstaede. Les
survivants ont été finalement évacués à l'hôpital du Havre. Firmin à la lecture
de cette lettre s'aperçoit de sa chance : « C'est 15 jours seulement après mon
départ du front que cette catastrophe s'est produite et presque à l'endroit que
j'avais quitté pour partir à Gaillon. » Le cœur serré d'émotion ; il demande au
commandant de l'école la permission de rendre visite à ses compagnons
hospitalisés. Dès le lendemain, il se rend au Havre à l'hôpital militaire de la
rue Ancelot. Les retrouvailles sont émouvantes : « Et toi Vercruysse, ça va ? Oh oui
,sergent, dit-il en soulevant la couverture et tenant à deux mains le moignon
de sa cuisse amputée, et le lieutenant Stiers amputé lui aussi, l'adjudant
Struyven, trépané Godefroid, mon vieil ami de tous les jours au front, blessé
par tout le corps, un autre soldat de la Compagnie amputé de la jambe droite,
un autre horriblement blessé dans le dos, aux fesses et aux jambes, enfin un
dernier blessé d'une balle dans l'épaule. Tous étaient vraiment émus en me
voyant arriver .Je ne m'étais pas annoncé(…). Je suis resté pendant 4h ½ à
l'hôpital dont près de 3 heures à côté de Godefroid : il ne savait comment me
remercier d'être venu le voir. » Peu après, ce sont des nouvelles de
l'offensive qu'il reçoit de son ami le caporal Binet. Les pertes ont été
importantes dans son régiment : « Le premier bataillon comptait
administrativement 172 hommes au lieu de 800: le 2ème en compte peut-être 30 en
plus. » Firmin rageant de n'avoir pu participer
à l'offensive finale aura cependant à lutter contre un ennemi qui fait partout
son apparition sournoise :la grippe espagnole. Le 25 octobre, une ambulance le
transporte à l'hôpital de Vernon, à 20 km de Gaillon. Il en sort guéri le 14
novembre, juste pour apprendre deux jours plus tard le décès de son frère Léon hospitalisé
pour une grippe à l'hôpital militaire d'Eu Léon, volontaire de guerre du
premier jour mourut à 26 ans, loin de son pays, sans avoir le bonheur de voir
six jours plus tard la fin officielle de la guerre. Firmin écrivit l'horrible
nouvelle à ses deux frères, dominicains à Louvain et les pria de prévenir les
pauvres parents… Enfin le 11 décembre, il put obtenir la permission tant
attendue et rejoindre les siens en Belgique. L'heure des retrouvailles est
pathétique : Firmin Bonhomme obtint son diplôme de
médecin en juillet 1924 et reprit la clientèle de son père à Remouchamps. En
1957, il abandonna la médecine générale pour se consacrer à la stomatologie..
En 1980, après une longue carrière médicale de 55 ans, il prit sa pension et
écrivit ses souvenirs de guerre. Père de huit enfants, il eut la joie de
devenir 30 fois grand-père et 14 fois arrière-grand-père. Il termina d'écrire
ses souvenirs par ces mots : « Je désire vous laisser un ultime
message : Dans la petite église de l'Île Grande en Bretagne, à l'entrée du
chœur, se trouve une longue liste des morts de la guerre, et juste à côté un
cadre contenant une belle poésie signée Georges de Lys. Le texte en est
émouvant et se termine comme suit : Dormez votre sommeil ! Nous sommes de votre race Et forts de vos exemples et grands de
vos vertus Nous saurons réveiller en suivant votre
trace Les cris reconnaissants des cœurs qui
se sont tus. Je forme le vœu que, lorsque le dernier
14/18 sera parti, vous méditiez silencieusement ces pensées et en fassiez vous-mêmes
votre programme de vie. Ce sera notre meilleure récompense ! » |