Médecins de la Grande Guerre
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Le
mitrailleur Auguste Godefroid de Fraiture[1]. Introduction. Volontaire
de guerre des premières heures, Auguste
Godefroid, un jeune meunier alors âgé de 19 ans, quitta sa
campagne du Condroz pour rejoindre le front via la Hollande, l'Angleterre et la
France où il fit son instruction. Il fut
d'abord incorporé dans un régiment de carabiniers puis dans un
régiment de mitrailleurs. Peu avant
la fin de la guerre, le 17 septembre 1918, lui et quelques-uns de ses camarades
furent très grièvement blessés par une bombe
larguée par un avion allemand. Certains
perdirent la vie, d'autres restèrent handicapés à vie après de cette
attaque. Après la
guerre, il resta hospitalisé durant deux années à l'hôpital militaire de
Gand. Ensuite,
il fut engagé comme directeur d'une usine française installée à
Soualem-Tirs au Maroc. Cette usine était destinée à traiter la paille de lin devant servir à la
confection de tissus. Plus
tard, après de longues années de persévérance, il fut engagé par la société
Bachy, laquelle était spécialisée dans l'analyse et le
traitement des couches géologiques de terrains devant accueillir des barrages,
viaducs et aqueducs. Après
trois années seulement, et alors qu'il avait quitté l'école à l'âge de 12 ans,
il accéda au poste d'ingénieur faisant
fonction pour des chantiers situés dans le sud de la France et en Algérie. Six mois
après s'être marié, il perdit la vie dans des circonstances dramatiques sur un
chantier auquel il avait été affecté. C'était le
29 juin1938, il allait avoir 43 ans. La guerre. Depuis un certain temps déjà, les
bruits de guerre allaient bon train jusqu'à ce 4 août 1914, date à laquelle les
allemands envahirent la Belgique. Très tôt déjà, une compagnie de
soldats allemands appartenant à la 2ème
armée de Von Büllow cantonna au château
de Fraiture situé à quelques pas de chez nous. Avec les
jeunes de mon âge, chaque jour nous parlions de cette injuste invasion, nous demandant quelle attitude nous devions
adopter, mais pour beaucoup d’entre-nous,
la lutte armée apparaissait déjà comme étant la seule alternative. Toujours civils, cela ne nous empêcha
nullement de faire ce que nous considérions déjà comme étant de notre devoir. Ainsi, le soir venu, après nos dures
journées de labeur, nous nous rassemblions discrètement afin de réaliser tout
ce qui nous paraissait possible pour retarder l’invasion allemande, à
savoir des opérations de sabotage dans
la région. Ces opérations de sabotage
consistaient entre autre à abattre des arbres que nous faisions tomber en
travers des chemins mais souvent obligés dès le lendemain, sous la menace des
allemands, à les débiter laissant ainsi le passage à leur artillerie ! Mon jeune frère Henri alors âgé de 16
ans, non dénué d’un certain sens de l’humour mais aussi du risque, ne trouva
pas mieux pour nous aider dans nos opérations, que de "piquer" aux
allemands, une lance de cavalier (qu’il balança dans l’étang du château ) ainsi
qu’un … cheval ! Quant à moi, ce fut jusque fin
novembre 1914 que je continuai mes activités de sabotage parallèlement à mon
métier de meunier, puis, ayant pris mon parti, ce fut comme beaucoup de jeunes gens de mon âge, que
je me décidai à prendre une importante
décision ; partir, moi aussi ! Cette
importante décision, je dû la prendre assez rapidement car les allemands, dès
le début de la guerre, avaient instaurés un système obligatoire pour tous les jeunes gens en âge
de porter les armes. Celui-ci
consistait à les obliger à se rendre à
la maison communale pour y signer une liste de présence, laquelle était bien
sûr destinée au contrôle des jeunes susceptibles de s’engager dans l’armée ou
de rejoindre les rangs de la résistance. Je
devais absolument éviter de figurer sur cette liste ! En
effet, toute personne dont le nom y figurait et qui, soit se trouvait à
l’étranger, soit était absente depuis
plus de deux mois, devait s’acquitter d’un impôt, sous peine de voir ses
biens confisqués et vendus au bénéfice de l’occupant ! Attendre
d’avantage pour quitter le pays aurait compromis mon départ car je risquais
ainsi de provoquer pour ma famille en général et pour mes frères en particulier
d’innombrables désagréments dont tous se seraient bien passés. Bien
que la maison où nous vivions ne nous appartenait pas, nous risquions tout de
même de perdre le maigre héritage que nous avaient laissés nos chers parents. Mardi
24 novembre 1914, je quitte la Belgique occupée. Quitter
la Belgique occupée, voilà qui relevait déjà du parcours du combattant que
je n’étais pas encore !!! Ayant
pris ma décision, ce fut avec un ami, Edmond Fabry, que je me lançai dans cette
incroyable aventure qu’était notre évasion. Ce
fut donc non sans
un enthousiasme certain,
mêlé je l’avoue, à
un zeste d’anxiété, que débuta notre périple. Nous allions tenter de
rejoindre cette filière qui consistait à regrouper et expédier tous ces jeunes volontaires de
guerre derrière la ligne de front ! Edmond
et moi, nous étions fixé rendez-vous à Nandrin que nous quittâmes à 7h00 en
direction de Limont où se trouvait l’arrêt ainsi que le ravitaillement en eau
et en charbon du vicinal à vapeur. Nous
partîmes sans faire d’adieux ni aux
amis, ni à la famille évitant ainsi d’éventuelles indiscrétions, n’emportant
avec nous qu’un peu d’argent. Nous
aurions été remarqués par la police militaire allemande aussi présente dans les
tramways si nous avions emporté avec nous nos bagages. A
Limont, nous empruntions jusqu’à Boncelles, via Strivay et Plainevaux, la ligne
164 inaugurée quelques mois auparavant, le 15 mai 1914. Cependant,
sur ordre des allemands, les 22 km de celle-ci furent complètement démontés en
août 1916. En
effet, depuis l’invasion, les chemins de fer nationaux (S.N.C.B.) étant sous
contrôle de l’ennemi, les volontaires désirant rejoindre le front se rabattirent
sur les vicinaux (S.N.C.V.) tant et si bien que les allemands, conscients du
phénomène, finirent par faire démonter 2229 km de voies sur un total de 4094 km
que comptait la Belgique avant guerre, tentant ainsi de mettre fin à ce
flux migratoire ! La ligne vicinale 164 quant à elle, fut reconstruite en 1921
et prolongée jusqu’à Ougrée Haut-pré en 1924. Après avoir rejoint
Jemeppe, nous empruntions l’électrique
jusqu’à Fléron. A pied de nouveau, nous continuâmes notre progression
jusqu’à Teuven en passant par Herve et Aubel. A 20h30 nous parvînmes à la
frontière ! La
frontière hollandaise
Pays
neutre, la Hollande était le point de passage obligé pour les nombreux jeunes
volontaires de guerre qui désiraient rejoindre le front via l’Angleterre et la
France, une liaison directe avec la France n’était déjà plus possible compte
tenu de la quasi totale occupation de la Belgique par les allemands et d’une
ligne de front qui s’étendait déjà de la côte belge à la Somme. La frontière, qui était gardée par des
soldats allemands répartis tous les 300 mètres environ, était balayée de façon
régulière par de puissants projecteurs. Cependant, au prix de difficultés et de
risques énormes, (nous devions entre autres mémoriser le temps de balayage des
projecteurs avant de nous élancer !) nous parvînmes à la franchir. Enfin
la Hollande ! Nous n’étions encore nul part et pourtant nous avions
l’impression d’avoir déjà remporté une bataille même si quelques mois plus
tard, une clôture électrifiée de 200 km fut érigée le long de la frontière belgo hollandaise rendant encore plus
difficile son passage. La
frontière franchie, la route que nous nous étions fixée n’était pas terminée
pour autant. Nous devions encore marcher jusqu’à cette petite ville de Galoppe
(Gulpen) située au creux d’une colline où nous avions prévu de loger. A
22h00 environ, nous arrivâmes à l’ «Hôtel
belge» après plus de 36 km d’une marche forcée. Cette dernière partie de la journée fut sans nul
doute la plus éreintante mais sur place notre joie fut intense ; nous
venions de réussir brillamment notre première épreuve. Un
bon repas et un bon lit allaient être nos récompenses du jour ! Ce
fut dans cet hôtel que j’allai ouvrir pour la première fois mon journal intime
puis, durant quatre années, et y relater ma vie de volontaire de guerre. Mercredi
25 novembre, départ de Galoppe à 11h00. Nous
devions rejoindre Maastricht par le train, ce fut donc à la petite gare de
Wijlre distante de deux kilomètres que nous nous rendîmes. Ah ,
quel luxe, quel confort ce voyage en train vers Maastricht par rapport à notre
première journée passée à pied à travers villes et champs, pluie et vent! Arrivée
vers 15h00: obligation de nous rendre au consulat de Belgique qui devait nous
remettre l’indispensable "Laissez-passer"
mais il y avait trop de monde et nous n’avons pu obtenir aucune information. Bon
dieu, quelle affaire ces innombrables formalités ! ! ! Nous
prenons alors place à 18h40 sur le train à destination de Rotterdam où nous
arrivons à 23h00 ; logement à l’ «Hôtel
Centrum». Le
lendemain, nous nous rendons au consulat de Rotterdam où Mr. Van de Putte,
remplaçant du consul, nous remis tous les renseignements désirés ainsi que nos
fameux passeport et "Laissez-passer". Sur
ce dernier, figuraient entre autres les mentions suivantes : "Ce passeport n’est pas valable pour les zones des armées" ou "Déclare se rendre à Calais via Folkestone pour y travailler" car
la Hollande était un pays neutre. Nous
nous présentons ensuite à la compagnie Müller
mais trop tard, nous sommes alors contraints de nous diriger vers une autre
compagnie ! La
suite. Pour poursuivre ce voyage (que nous dûmes payer de nos poches), il nous
fallu prendre le train en direction du port de Flessingue, cependant comme nous
souhaitions partir au plus vite, c’est à dire le jour même, nous fûmes contraints de nous acheter
des billets de 1ère classe, la seule ayant encore quelques places disponibles !
Nous
arrivâmes les premiers à Flessingue, et ce, sur le coup de 23h30. Là
bas, direction le navire à bord duquel nous allions effectuer la traversée dès
le lendemain. Magnifique
navire devrais-je dire car nous bénéficiâmes d’une cabine de 1ère classe
équipée de lits anglais. De
nouveau, nous passâmes une excellente nuit ! Vendredi 27 novembre,
nous quittions la Hollande pour l’Angleterre. Je
m’étais levé assez tôt le matin, et seul, plongé dans mes pensées, je fis une
promenade sur le pont, tentant d’imaginer la suite de notre aventure. A
8h00, notre navire appareilla en direction des côtes anglaises, enfin nous
avions l’impression de nous rapprocher du but ! Durant
la première heure, tout se passa bien, jusqu’à ce qu’Edmond commence à montrer des signes de malaise. Il
avait attrapé le mal de mer pour finalement ne plus arriver à se tenir debout. En
ce qui me concerne, ce fut un mal de tête qui se fit persistant, et durant
toute cette traversée, je dus continuellement marcher afin de ne pas
"déborder". Pratiquement
tout le temps, nous vîmes des navires à nos côtés et vers 15h30 enfin, nous
arrivâmes en vue des terres anglaises. Mais
il y avait là des mines flottantes larguées par l’ennemi et notre navire dut être guidé afin de les
éviter ! Aux
alentours de Douvres et dans le port de celle-ci, des navires de guerre très
impressionnants. Depuis
½ heure déjà, nous longions la côte distante d’un kilomètre environ lorsque
enfin, nous débarquâmes à Folkestone (sans regrets) à 16h30 après plus de 8h30
d’une traversée des plus éprouvante. Quel
périple, et nous étions encore bien loin du front que nous souhaitions pourtant
rejoindre au plus tôt ! A
quai, après avoir donné nos noms et signalé que nous étions des volontaires,
nous nous rendîmes à l’hôtel qui nous avait été indiqué. Samedi 28 novembre,
nous quittions l’Angleterre pour la France. Nous
étions levés ½ heure avant l’hôtelier que nous dûmes toutefois attendre avant
de quitter l’établissement pour ensuite nous rendre au quartier général des
volontaires belges. Vers
10h00, nous allions signer un "pré engagement" chez un médecin
qui résidait en haut de la ville de Folkestone. Puis,
à midi, nous partîmes nous restaurer à la gare ; nous étions bien là bas. Après
avoir dîné au milieu d’une foule très dense constituée en partie de réfugiés
belges quittant les zones occupées, nous reprîmes la direction du port ; notre
détour par l’Angleterre n’aura duré qu’une seule journée. Ainsi
donc, vers 15h00, nous embarquâmes par une mer violente : par moment, le
navire était carrément couché sur le flanc ! Durant
cette traversée, je me souvient avoir été complètement submergé par une vague, ce qui, compte tenu de la
température à cette époque de l’année, m’obligea à me blottir contre les
chaudières pour le restant du voyage ! Enfin
la France en vue ! Un
peu plus tard, nous débarquions à Calais et faisions route vers la nouvelle
mairie où nous allions résider durant quelques temps. Calais, dimanche 29
novembre 1914, je signe mon engagement à l’armée. Extrêmement
imposante, cette toute nouvelle mairie à laquelle était attenante une immense
tour carrée et dont la construction avait débuté quelques années auparavant,
faisait d’avantage penser à un palais somptueux qu’à un bâtiment
administratif ! La guerre allait en interrompre provisoirement
l’achèvement et l’inauguration officielle de l’édifice fut reportée en 1923. Ca
allait être pendant deux semaines environs que nous allions être logés au
sous-sol de cette mairie somptueuse, mais toujours pas séché de ce voyage, je
passai une première mauvaise nuit. Dès
le lendemain, on nous faisait lever à 6h00 pour passer une seconde visite
médicale qui se fit à … 10h00 ! Après avoir subit une nouvelle batterie
d’examens, je fus déclaré bon pour le service et ce fut avec ferveur qu’au bas
du fameux document « Engagement volontaire pour la durée des
hostilités », j’appliquai ma signature. Samedi
19 décembre 1914, nous inaugurons le centre d’instruction n° 8 de l’armée belge
à Avranches. Ce matin là à
9 heures, toujours malade de par cette traversée et ces nuits froides passées,
je quittai Carentan pour Avranches par le train. Il pleuvait
abondamment depuis plusieurs jours lorsque nous traversâmes la Normandie en
direction d’Avranches. Spectacle
insolite que celui auquel nous assistâmes ; les centaines de pommiers se
trouvant au milieu des prairies et champs inondés donnaient l’impression
d’avoir été plantés en pleine mer ! A 15h30,
après 6h30 de voyage, nous arrivâmes en gare d’Avranches, copie quasi conforme
de celle de Carentan. Mais nous
n’étions pas encore au bout de nos fatigues car il nous fallu ensuite gravir à
pied les 2,5 km de côte qui nous séparaient du centre ville situé au sommet de
la colline, les tramways ayant étés supprimés quelques semaines seulement avant
notre arrivée. Avranches
était une jolie petite ville fortifiée du moyen-âge. Ses maisons
typiques, faites en pierres du pays, longeaient des rues étroites subitement
devenues très populeuses depuis le début de la guerre. Je figurais
parmi ce tout premier groupe de recrues qui allait inaugurer ce nouveau centre
d’instruction où nous allions devoir passer six mois. Ceci dit,
quelques semaines plus tôt, la décision de créer ce nouveau centre d’un
contingent de mille recrues environ, n’était pas encore prise. Dès notre
arrivée, nous fumes dirigés vers plusieurs restaurants, parmi ceux-ci, le «Letréguilly » puis l’on nous conduisit
vers les halles où nous trouvions place à l’étage. Même si notre premier groupe
devait coucher sur la paille et sans couvertures, nous étions nettement mieux
installés qu’à Carentan. Une semaine
avant notre arrivée, des belges, réfugiés ceux-là, avaient déjà été accueillis
par une population Avranchine qui, subitement, découvrait avec horreur, les
premiers effets de cette guerre. Ces premiers
réfugiés, complètement exténués, furent hospitalisés à l’institut Notre Dame. Le lendemain,
nous avions quartier libre et ce fut depuis le jardin des plantes, que nous
eûmes l’occasion d’admirer au loin le Mont-saint-Michel. Lundi matin
théorie, l’après midi exercices de 14 à 15h. Nous venons
d’être classés définitivement : je suis à la 1ère section du 1er peloton
de la 11ème compagnie du centre d’instruction n°8. Je suis
maintenant le matricule 2525 ! Toujours
malade depuis ce maudit voyage en bateau, je fus dispensé des exercices le
matin et me rendit chez le médecin à 9h. Après m’avoir
ausculté, ce dernier me dit que je n’avais pas grand chose et me fit revenir à
13h30 à l’hôtel de ville. Arrivé à 15h15, il me donna trois gélules à prendre
avant la nuit ! Mercredi
23, j’ai repris les exercices ce matin et toute la compagnie a manœuvré sur la
place entre la grande église et le jardin des plantes. Le mardi 18 mai 1915,
nous débarquions en Belgique. Il
était trois heures du matin lorsque nous débarquâmes en Belgique à la gare
d’Adinkerke. A
pied, nous prîmes alors la direction de la Panne où nous arrivâmes une heure
plus tard. Repos jusqu’à sept heures ; j’en profitais
pour écrire à Victor et à Godin. Nous
aperçûmes très distinctement le Zeppelin qui devait aller à Calais pendant la
nuit. A
sept heures, nous partîmes à destination de notre régiment par tramway. Après
avoir traversé plusieurs localités détruites et longé l’Yser dont les berges
étaient déchirées par de nombreuses tranchées et trous d’obus,
nous arrivâmes à neuf heures en gare
d’Oostvleteren, c’est à dire dans la zone de cantonnement de notre armée A
ma descente du tram je fus à la fois bien surpris et bien heureux de rencontrer
des gens du pays ! Fernand
Fox, de Soheit-Tinlot ensuite Lucien Maréchal de Villers le temple qui venait
me voir tous les jours à cheval. Il
était avec le général commandant les batteries de la 6ème D.A.N. Là
bas, notre contingent fut réparti dans les
diverses compagnies auxquelles il
manquait des hommes. En
effet, suite aux événement de « La
maison du passeur », du 22 avril 1915, lors de la toute première attaque
allemande par les gaz, les pertes dans nos rangs, et de celles des carabiniers
en particulier, furent nombreuses. En
ce qui me concerne, j’arrivai en détachement au II/3, 3ème peloton, 5ème
section, 9ème escadre des carabiniers. Nos débuts sur place commencèrent par quatre
jours de repos pendant lesquels trois obus vinrent éclater près de notre abri. Le jeudi 20 mai 1915,
en route vers le front. Le
front enfin ! A la fois tant attendu et si redouté, j’allai le rejoindre
après un périple de 2000 km et 6 mois d’instruction. En
droite ligne de Fraiture il se situait à 200 km seulement, mais l’immense
détour par la Hollande, l’Angleterre et la France était la seule possibilité
pour le rejoindre, la Belgique étant déjà (presque) totalement occupée. Nos
gradés avaient pris soin de nous préparer progressivement à ces terribles
dangers venus d’en face, ainsi après ces 4 premiers jours de "repos",
ce fut vers la deuxième ligne que nous
nous dirigeâmes. Tranchées
de deuxième ligne que nous rejoignîmes cependant avec une certaine
appréhension. Lors de notre instruction, bien sûr nous avions été préparés,
bien sûr nous avions été mis en garde, mais à présent nous allions devoir
passer à la pratique et affronter une réalité quelque peu différente. Depuis
longtemps, nous espérions ce moment, cependant le groupe dont je faisais partie
cette première nuit dut travailler un peu en arrière. Nous
y partîmes à 23h00. Le 5 novembre 1915,
je suis incorporé dans un régiment de mitrailleurs. Durant
la journée, un gradé se présente parmi nous et demande des volontaires pour
retourner au front dans une nouvelle compagnie de mitrailleurs que l’on
vient de créer à notre bataillon. Avec
une dizaine de camarades je me présente car la vie de dépôt est désagréable au
possible ! Nous
sommes acceptés. A
la fin de ce mois on nous envoie au dépôt d’équipement du 2ème carabiniers où
nous sommes complètement équipés en kaki de la tête aux pieds. A
cette occasion, on m’octroie un nouveau matricule, le 7023, ainsi que l’écusson
et les insignes «M» signifiant mon
appartenance à cette nouvelle compagnie de mitrailleurs. Le
5 novembre, après plus de deux mois
passés à l’hôpital, je rejoins volontairement ma nouvelle compagnie en
cantonnement à Alveringem. Le surlendemain c’est par la route de
Oudekapelle à Kaaskerke, que sous de fréquents bombardements, nous partons
rejoindre la 3ème ligne. Quelques
jours plus tard, lors de notre retour à la compagnie, je me vois subitement
flanqué de la garde parce que … j’avais marché trop vite ! Le 18 août 1918, mon compagnon des premières
heures est tué. Edmont Fabry,
mon compagnon de voyage avec qui je m’étais évadé de Belgique le 24 novembre
1914 venait d’être tué. J’en fus très
peiné, nous avions en effet vécus ensemble des moments très forts lors de cette
évasion à hauts risques. Volontaire de
guerre lui aussi, il avait fait son instruction au camp d’Auvours avant d’être
incorporé au 4ème de ligne. Le 14 août,
dans des circonstances tout à fait glorieuses, alors qu’il se lançait à
l’attaque d’un petit poste allemand défendu par une mitrailleuse dans le
secteur de Steenstraat, il fut grièvement blessé à la tête par des éclats de
grenade. Hospitalisé dans la proche localité de Merkem, il devait toutefois
succomber à ses blessures quatre jours plus tard. Il avait 30 ans. Le 17 septembre 1918, je rejoignais les
postes avancés de Langemark. Notre période
de cantonnement s’étant terminée la
veille, mes camarades et moi rejoignîmes les postes avancés de Langemark. Deux
hommes par "pièce" (mitrailleuse): Vandoolaeghe et moi à la première,
le sergent Defraine et l’adjudant Struyven à la seconde. Le 18 septembre 1918, un mois jour pour
jour après la mort d’Edmond, fut une journée très calme jusqu’à ce que… Vers 17h30,
nous partîmes pour le ravitaillement au lieu dit «Poste du périscope» A 18h30 alors
que nous étions tous sur la route à proximité de la charrette un avion boche
laissa tomber une bombe au beau milieu de notre groupe ! Vandoolaeghe
et Blondeel furent tués sur le coup. Terrie, Struyven, Salme, Vercruysse,
Peeters, Delsaux et moi même sommes gravement blessés. A ce moment
je n’espérais guère survivre plus de quelques heures. Après avoir
été soignés par les camarades de la 8ème compagnie, nous fûmes conduit en «Decauville» (3) au lieu dit «Carrefour du général » où nous
arrivâmes à 21h15. Là bas,
Terrie et moi étions embarqués à bord d’une auto qui nous emmena à Hoogstade. Tard le soir,
après avoir été secoués sur les 18 km de
routes défoncées que comptait le trajet, notre auto s’immobilisa enfin
devant l’hôpital militaire d’Hoogstade. J’y fus débarqué dans un état
semi-comateux, cependant, lorsqu’en me transportant en civière à la salle des
urgences au travers de ces cris et gémissements, de tous ces mouvements de va
et viens, de ces tabliers blancs couverts de rouge, de tous ces halos lumineux
dûs aux ampoules d’éclairage qui défilaient sous mes yeux, de ces odeurs de désinfectant, de pourriture
et de mort, j’eus l’impression d’être dans un monde irréel. Rapidement
cependant, mon billet d’entrée fut établi et de nombreuses radiographies
réalisées. Les docteurs
Dala et Caestecker diagnostiquèrent ceci : - Plaies multiples par éclats de bombe
régions dorsale et lombaire (fracture vertèbre) -
Plaies avant bras et bras gauche -
Fracture du coude gauche -
Petites plaies bras droit -
Plaies pénétrantes aux deux jambes -
Large plaie face externe genou gauche avec
section du nerf sciatique -
Fracture du plateau tibial externe et de la
tête du péroné avec ouverture -
de l’articulation -
Plaie pénétrante cuisse gauche -
Plaie pénétrante région lombo-sacrée
(projectile non extrait) -
Plaie pénétrante du thorax avec perforation du poumon gauche (projectile non
extrait) Total :
22 blessures. Sur le
certificat n° 3337, le médecin directeur Willems déclara : « Ces blessures sont très graves, il y a danger
de mort immédiate. » Cependant,
compte tenu de trop grands risques, ce ne fut que le lendemain après midi que
je fus opéré. Après
les multiples interventions chirurgicales qui eurent lieu, de terribles souffrances
me gagnèrent à nouveau ce qui me valut quatre nuits blanches. Rapidement, Victor qui avait été mis au courant des
faits, vint me rendre visite le 20 puis le 22. A
ce moment, il se trouvait dans la zone de cantonnement de notre armée c’est à
dire à quelques kilomètres seulement d’Hoogstade. Mes
jours n’étant plus en danger, je fus évacué sur le Havre une semaine plus tard. Voici
racontée, jour après jour, ma convalescence depuis mon départ d’Hoogstade. Le 26 septembre à 8h00 du matin,
j’étais conduit en gare d’Ysenberghe où
l’on m’embarqua à 11h00 à bord d’un train sanitaire. Arrivé à Calais à 16h00, on me dirigea
sur Virval au pavillon « Ypres ». Là
bas, on me fit de nouveaux pansements, mais encore, je passai une mauvaise
nuit. Le 27 à 5h1/2, je quittais l’hôpital de Virval-lez-Calais
pour être embarqué à 9h00 à destination du Havre où j’arrivai le lendemain à 3h1/2 rue
Ancelot. Le 29
septembre enfin, je passai ma première bonne nuit, toutes souffrances
ayant pratiquement disparu. Le 3 octobre, des nouvelles de mon groupe, j’en reçois: l’adjudant Struyven
qui avait été blessé en même temps que moi, vient d’arriver également ainsi que Clette quiest blessé par balle
au coté droit. J’apprends
aussi que Parmentier, Verhast,Van de Veyer, Lecluyse et Happers ont été blessés. Vercruysse, qui fut blessé
en même temps que moi, vient d’être amputé. Plus grave, le 28 septembre, jour de la grande offensive générale, mon
compagnon du front, le caporal Maes, avait été tué en franchissant le Steenbeeck, et le sergent Roland,
quelques heures seulement après avoir remplacé F. Bonhomme comme chef de pièce (4), fut tué d’une balle dans la figure.
Labreau aussi fut tué. Le 10 octobre, j’écrivis à mon ami Firmin Bonhomme lui narrant
les derniers événements. Depuis le 1er septembre, il se
trouvait au C.I.S.L.A.I. de Gaillon,
c’est à dire au «Centre d’instruction pour
sous-lieutenants auxiliaires d’infanterie »dont la cession devait
durer six mois. Gaillon se situant à un peu plus de 100 km
du Havre, ma lettre lui parvint le surlendemain déjà. Voici
une partie de la transcription de celle-ci : Le Havre, 10 octobre 1918 Mon très cher Bonhomme, Je
ne sais si j’aurai la force d’être aussi long que je le voudrais. Si je savais
que je ne serais pas le premier à t’annoncer les événements suivants, je ne
prendrais pas tant de peine, mais qui sait, personne ne m’a peut être devancé. Tout
d’abord, il est nécessaire que tu saches que le 18 septembre à 6 h du soir,
dans le secteur de Langemark à l’endroit dit « poste du périscope
» (à 400 m des avancées), nous avons été amochés à 9. Nous
allions au ravitaillement et nous étions arrêtés à peu près tous dans un rayon
de 8-10 m, lorsqu’un avion, dont on ne se préoccupait pas, quoique volant très
bas, laissa choir une bombe au beau milieu de nous !… Tu
devines le résultat : bouillie effrayante. Tous
les neuf étendus à terre. Vandoolaeghe
(coiffeur) et Bloodeel sont tués sur le coup. Moi, Salme, Vercruysse,
l’adjudant Stuyven, Terrie (surtout) nous nous considérons chacun de notre côté
comme n’ayant plus que quelques heures à vivre. Peeters
et le fourrier sont également blessés et malgré cela notre bon vieux brave
Delsaux dont le sang gicle à la bouche et aux pieds, court chercher de l’aide. Figures-toi
que nous sommes tous là étendus, gémissant comme des fous, et pas une âme
vivante aux environs. On
attend presque 20 minutes après du secours qui nous vient de la 8eme compagnie
(1ère section). A
part Peeters et Delsaux qui ne doivent pas avoir été touchés bien gravement (je
crois), nous avons tous des blessures
affreuses. Mes
jambes et surtout la gauche, sont trouées par une quantité d’éclats et des
lambeaux de chair pendent. J’ai
les reins labourés et des éclats multiples dans le dos et les bras. La tête
rien. On
me met un garrot à la jambe gauche par laquelle je perds le sang à flot. Pansements
sommaires et transport au poste de secours. Ah
mon cher , tu n’as jamais connu un moment pareil ! Je
sens la mort venir à moi sûrement… La respiration se raccourcit
sensiblement et devient presque
impossible. L’aumônier me donne l’extrême onction et enfin je me calme et
j’attends avec le plus grand calme ce qui doit arriver dans quelques minutes me
semble-t-il. Mais
la douleur augmente de plus en plus au point de dépasser tous ce que j’avais
jamais pu imaginer. Malgré
cela je ne perds pas mes sens et mon désir de vivre est presque aussi grand que
ma douleur. Enfin
à 9h15, une auto nous emmène Terrie et moi, et après un calvaire véritable,
nous arrivons à l’hôpital d’Hoogstaede. Pansements et radiographies. Notre état
ne permet pas que nous soyons opérés. A
la radio j’écoute : éclats provocants double fracture genou gauche,
éclats multiples mollets,
éclats cuisse gauche, deux éclats
coude gauche, plusieurs
éclats régions dorsale et lombaire, un
éclat à la poitrine pénétré par le dos , etc, etc. J’oublie
de te dire que suis administré une deuxième fois à Hoogstaede. On
me porte le premier au pavillon Léopold, puis vint Terrie près de moi, puis en
face Vercruysse amputé de la jambe droite, puis l’adjudant, trépané. Quelques
longues heures s’écoulent pendant lesquelles tout le monde hurle ou gémit selon
les forces conservées. Enfin
Terrie crie encore… « Moeder !…moeder ! !… »
(est-ce ainsi qu’on écrit) et meurt ! A
quelques instants d’intervalle, deux lignards près de moi le rejoignent. Alors
je me répète que mon tour va venir et je l’appelle tellement je
souffre ! …/… Auguste [1] Histoire vraie d’un
condruzien, Auguste Godfroid 1895-1938, De Fraiture à Laverdure par Jean
Godfroid. |