Médecins de la Grande Guerre

Le mitrailleur Auguste Godefroid de Fraiture.

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Le mitrailleur Auguste Godefroid de Fraiture.

Auguste Godefroid était mitrailleur. Ici en 1919 lors de la remise de ses décorations. (Collection Jean Godfroid) 

Auguste Godefroid le 1er janvier 1917 lors de son admission à son 2ème chevron de front. (Collection Jean Godfroid) 

Firmin Bonhomme et Jean Maes au Grand Redan de Nieuport. (Collection Jean Godfroid) 

Mon grand-oncle Auguste Godefroid alité à l'hôpital militaire du Havre rue Ancelot en septembre 1918. (Collection Jean Godfroid) 

Portrait du carabinier Firmin Bonhomme de Remouchamps (1897-1987). (Collection Jean Godfroid)

Le couvent des dames anglaises à Bruges accueilli l'hôpital militaire d'hoogstade de décembre 1918 au 25 mars 1919. (Collection Jean Godfroid) 

Bruges, l'école normale des filles devint elle aussi l'hopital militaire d'Hoogstade du 26 mars 1919 au16 mai 1919. (Collection Jean Godfroid) 

La caserne de la nouvelle France, rue de la poissonnière à Paris; les permissionnaires devaient y présenter leur carte de permission. (Collection Jean Godfroid) 

Valognes, l'hôpital temporaire n° 29 de l'armée Belge en France. (Collection Jean Godfroid) 

Couverture du livre de Jean Godfroid. 

Le mitrailleur Auguste Godefroid de Fraiture[1].

 

 

Introduction.

Volontaire  de guerre  des  premières  heures, Auguste  Godefroid, un jeune meunier alors âgé de 19 ans, quitta sa campagne du Condroz pour rejoindre le front via la Hollande, l'Angleterre et la France où il fit son instruction.

Il fut d'abord incorporé dans un régiment de carabiniers puis dans un régiment de mitrailleurs.

Peu avant la fin de la guerre, le 17 septembre 1918, lui et quelques-uns de ses camarades furent très grièvement blessés par une bombe larguée par un avion allemand.

Certains perdirent la vie, d'autres restèrent handicapés à vie après de cette attaque.

Après la guerre, il resta hospitalisé durant deux années à l'hôpital militaire de Gand.

Ensuite, il fut engagé comme directeur d'une usine française installée à Soualem-Tirs au Maroc. Cette usine était destinée à traiter la paille de lin devant servir à la confection de tissus.

Plus tard, après de longues années de persévérance, il fut engagé par la société Bachy, laquelle était spécialisée dans l'analyse et le traitement des couches géologiques de terrains devant accueillir des barrages, viaducs et aqueducs.

Après trois années seulement, et alors qu'il avait quitté l'école à l'âge de 12 ans, il accéda au poste d'ingénieur faisant fonction pour des chantiers situés dans le sud de la France et en Algérie.

Six mois après s'être marié, il perdit la vie dans des circonstances dramatiques sur un chantier auquel il avait été affecté.

C'était le 29 juin1938, il allait avoir 43 ans.

La guerre.

Depuis un certain temps déjà, les bruits de guerre allaient bon train jusqu'à ce 4 août 1914, date à laquelle les allemands envahirent la Belgique.

Très tôt déjà, une compagnie de soldats allemands appartenant  à la 2ème armée  de Von Büllow cantonna au château de Fraiture situé à quelques pas de chez nous.

Avec les jeunes de mon âge, chaque jour nous parlions de cette injuste invasion,  nous demandant quelle attitude nous devions adopter, mais pour beaucoup d’entre-nous,  la lutte armée apparaissait déjà comme étant la seule alternative.

Toujours civils, cela ne nous empêcha nullement de faire ce que nous considérions déjà comme étant de notre devoir.

Ainsi, le soir venu, après nos dures journées de labeur, nous nous rassemblions discrètement afin de réaliser tout ce qui nous paraissait possible pour retarder l’invasion allemande, à savoir  des opérations de sabotage dans la région.

Ces opérations de sabotage consistaient entre autre à abattre des arbres que nous faisions tomber en travers des chemins mais souvent obligés dès le lendemain, sous la menace des allemands, à les débiter laissant ainsi le passage à leur artillerie !

Mon jeune frère Henri alors âgé de 16 ans, non dénué d’un certain sens de l’humour mais aussi du risque, ne trouva pas mieux pour nous aider dans nos opérations, que de "piquer" aux allemands, une lance de cavalier (qu’il balança dans l’étang du château ) ainsi qu’un … cheval !

Quant à moi, ce fut jusque fin novembre 1914 que je continuai mes activités de sabotage parallèlement à mon métier de meunier, puis, ayant pris mon parti, ce fut  comme beaucoup de jeunes gens de mon âge, que je me décidai  à prendre une importante décision ; partir, moi aussi !

Cette importante décision, je dû la prendre assez rapidement car les allemands, dès le début de la guerre, avaient instaurés un système  obligatoire pour tous les jeunes gens en âge de porter les armes.

Celui-ci consistait à les obliger  à se rendre à la maison communale pour y signer une liste de présence, laquelle était bien sûr destinée au contrôle des jeunes susceptibles de s’engager dans l’armée ou de rejoindre les rangs de la résistance.

Je devais absolument éviter de figurer sur cette liste ! 

En effet, toute personne dont le nom y figurait et qui, soit se trouvait à l’étranger, soit était absente depuis  plus de deux mois, devait s’acquitter d’un impôt, sous peine de voir ses biens confisqués et vendus au bénéfice de l’occupant !

Attendre d’avantage pour  quitter le pays  aurait compromis mon départ car je risquais ainsi de provoquer pour ma famille en général et pour mes frères en particulier d’innombrables désagréments dont tous se seraient bien passés.

Bien que la maison où nous vivions ne nous appartenait pas, nous risquions tout de même de perdre le maigre héritage que nous avaient laissés nos chers parents.

Mardi 24 novembre 1914, je quitte la Belgique occupée.

Quitter la Belgique occupée, voilà qui relevait déjà du parcours du combattant que je n’étais pas encore !!!

Ayant pris ma décision, ce fut avec un ami, Edmond Fabry, que je me lançai dans cette incroyable aventure qu’était notre évasion.

Ce fut donc  non  sans  un enthousiasme certain,  mêlé  je  l’avoue, à  un zeste d’anxiété, que débuta notre périple. Nous allions tenter de rejoindre cette filière qui consistait à regrouper et  expédier tous ces jeunes volontaires de guerre derrière la ligne de front !

Edmond et moi, nous étions fixé rendez-vous à Nandrin que nous quittâmes à 7h00 en direction de Limont où se trouvait l’arrêt ainsi que le ravitaillement en eau et en charbon du vicinal à vapeur.

Nous partîmes  sans faire d’adieux ni aux amis, ni à la famille évitant ainsi d’éventuelles indiscrétions, n’emportant avec nous qu’un peu d’argent.

Nous aurions été remarqués par la police militaire allemande aussi présente dans les tramways si nous avions emporté avec nous nos bagages.

A Limont, nous empruntions jusqu’à Boncelles, via Strivay et Plainevaux, la ligne 164 inaugurée quelques mois auparavant, le 15 mai 1914.

Cependant, sur ordre des allemands, les 22 km de celle-ci furent complètement démontés en août 1916.

En effet, depuis l’invasion, les chemins de fer nationaux (S.N.C.B.) étant sous contrôle de l’ennemi, les volontaires désirant rejoindre le front se rabattirent sur les vicinaux (S.N.C.V.) tant et si bien que les allemands, conscients du phénomène, finirent par faire démonter 2229 km de voies sur un total de 4094 km que comptait la Belgique avant guerre, tentant ainsi de mettre fin à ce flux migratoire ! La ligne vicinale 164 quant à elle, fut reconstruite en 1921 et prolongée jusqu’à Ougrée Haut-pré en 1924.

Après avoir rejoint Jemeppe, nous empruntions l’électrique  jusqu’à Fléron. A pied de nouveau, nous continuâmes notre progression jusqu’à Teuven en passant par Herve et Aubel. A 20h30 nous parvînmes à la frontière !

La frontière hollandaise

Pays neutre, la Hollande était le point de passage obligé pour les nombreux jeunes volontaires de guerre qui désiraient rejoindre le front via l’Angleterre et la France, une liaison directe avec la France n’était déjà plus possible compte tenu de la quasi totale occupation de la Belgique par les allemands et d’une ligne de front qui s’étendait déjà de la côte belge à la Somme.

La frontière, qui était gardée par des soldats allemands répartis tous les 300 mètres environ, était balayée de façon régulière par de puissants projecteurs. Cependant, au prix de difficultés et de risques énormes, (nous devions entre autres mémoriser le temps de balayage des projecteurs avant de nous élancer !) nous parvînmes à la franchir.

Enfin la Hollande ! Nous n’étions encore nul part et pourtant nous avions l’impression d’avoir déjà remporté une bataille même si quelques mois plus tard, une clôture électrifiée de 200 km fut érigée le long de la frontière  belgo hollandaise rendant encore plus difficile son passage.

La frontière franchie, la route que nous nous étions fixée n’était pas terminée pour autant. Nous devions encore marcher jusqu’à cette petite ville de Galoppe (Gulpen) située au creux d’une colline où nous avions prévu de loger.

A 22h00 environ, nous arrivâmes à l’ «Hôtel belge» après plus de 36 km d’une marche forcée. Cette  dernière partie de la journée fut sans nul doute la plus éreintante mais sur place notre joie fut intense ; nous venions de réussir brillamment notre première épreuve.

Un bon repas et un bon lit allaient être nos récompenses du jour !

Ce fut dans cet hôtel que j’allai ouvrir pour la première fois mon journal intime puis, durant quatre années, et y relater ma vie de volontaire de guerre.

Mercredi 25 novembre, départ de Galoppe à 11h00.

Nous devions rejoindre Maastricht par le train, ce fut donc à la petite gare de Wijlre distante de deux kilomètres que nous nous rendîmes.

Ah , quel luxe, quel confort ce voyage en train vers Maastricht par rapport à notre première journée passée à pied à travers villes et champs, pluie et vent!

Arrivée vers 15h00: obligation de nous rendre au consulat de Belgique qui devait nous remettre l’indispensable "Laissez-passer" mais il y avait trop de monde et nous n’avons pu obtenir aucune information.

Bon dieu, quelle affaire ces innombrables formalités ! ! !

Nous prenons alors place à 18h40 sur le train à destination de Rotterdam où nous arrivons à 23h00 ; logement à l’ «Hôtel Centrum».

Le lendemain, nous nous rendons au consulat de Rotterdam où Mr. Van de Putte, remplaçant du consul, nous remis tous les renseignements désirés ainsi que nos fameux passeport et "Laissez-passer". 

Sur ce dernier, figuraient entre autres les mentions suivantes :

"Ce passeport n’est pas valable pour les zones des armées"

ou

"Déclare se rendre à Calais via Folkestone pour y travailler"

car la Hollande était un pays neutre. 

Nous nous présentons ensuite à la compagnie Müller mais trop tard, nous sommes alors contraints de nous diriger vers une autre compagnie !

La suite. Pour poursuivre ce voyage (que nous dûmes payer de nos poches), il nous fallu prendre le train en direction du port de Flessingue, cependant comme nous souhaitions partir au plus vite, c’est à dire le jour  même, nous fûmes contraints de nous acheter des billets de 1ère classe, la seule ayant encore quelques places disponibles !

Nous arrivâmes les premiers à Flessingue, et ce, sur le coup de 23h30.

Là bas, direction le navire à bord duquel nous allions effectuer la traversée dès le lendemain.

Magnifique navire devrais-je dire car nous bénéficiâmes d’une cabine de 1ère classe équipée de lits anglais.

De nouveau, nous passâmes une excellente nuit !        

Vendredi 27 novembre, nous quittions la Hollande pour l’Angleterre.

Je m’étais levé assez tôt le matin, et seul, plongé dans mes pensées, je fis une promenade sur le pont, tentant d’imaginer la suite de notre aventure.

A 8h00, notre navire appareilla en direction des côtes anglaises, enfin nous avions l’impression de nous rapprocher du but !

Durant la première heure, tout se passa bien, jusqu’à ce qu’Edmond commence à  montrer des signes de malaise.

Il avait attrapé le mal de mer pour finalement ne plus arriver à se tenir debout.

En ce qui me concerne, ce fut un mal de tête qui se fit persistant, et durant toute cette traversée, je dus continuellement marcher afin de ne pas "déborder".

Pratiquement tout le temps, nous vîmes des navires à nos côtés et vers 15h30 enfin, nous arrivâmes en vue des terres anglaises.

Mais il y avait là des mines flottantes larguées par l’ennemi  et notre navire dut être guidé afin de les éviter !

Aux alentours de Douvres et dans le port de celle-ci, des navires de guerre très impressionnants.

Depuis ½ heure déjà, nous longions la côte distante d’un kilomètre environ lorsque enfin, nous débarquâmes à Folkestone (sans regrets) à 16h30 après plus de 8h30 d’une traversée des plus éprouvante.

Quel périple, et nous étions encore bien loin du front que nous souhaitions pourtant rejoindre au plus tôt !

A quai, après avoir donné nos noms et signalé que nous étions des volontaires, nous nous rendîmes à l’hôtel qui nous avait été indiqué.

Samedi 28 novembre, nous quittions l’Angleterre pour la France.

Nous étions levés ½ heure avant l’hôtelier que nous dûmes toutefois attendre avant de quitter l’établissement pour ensuite nous rendre au quartier général des volontaires belges.

Vers 10h00, nous allions signer un "pré engagement" chez un  médecin qui résidait en haut de la ville de Folkestone.

Puis, à midi, nous partîmes nous restaurer à la gare ; nous étions bien là bas.

Après avoir dîné au milieu d’une foule très dense constituée en partie de réfugiés belges quittant les zones occupées, nous reprîmes la direction du port ; notre détour par l’Angleterre n’aura duré qu’une seule journée.

Ainsi donc, vers 15h00, nous embarquâmes par une mer violente : par moment, le navire était carrément couché sur le flanc !

Durant cette traversée, je me souvient avoir été complètement submergé  par une vague, ce qui, compte tenu de la température à cette époque de l’année, m’obligea à me blottir contre les chaudières pour le restant du voyage !

Enfin la France en vue !

Un peu plus tard, nous débarquions à Calais et faisions route vers la nouvelle mairie où nous allions résider durant quelques temps.

Calais, dimanche 29 novembre 1914, je signe mon engagement à l’armée.

Extrêmement imposante, cette toute nouvelle mairie à laquelle était attenante une immense tour carrée et dont la construction avait débuté quelques années auparavant, faisait d’avantage penser à un palais somptueux qu’à un bâtiment administratif ! La guerre allait en interrompre provisoirement l’achèvement et l’inauguration officielle de l’édifice fut reportée en 1923.

Ca allait être pendant deux semaines environs que nous allions être logés au sous-sol de cette mairie somptueuse, mais toujours pas séché de ce voyage, je passai une première mauvaise nuit.

Dès le lendemain, on nous faisait lever à 6h00 pour passer une seconde visite médicale qui se fit à … 10h00 ! Après avoir subit une nouvelle batterie d’examens, je fus déclaré bon pour le service et ce fut avec ferveur qu’au bas du fameux document « Engagement volontaire pour la durée des hostilités », j’appliquai ma signature.

Samedi 19 décembre 1914, nous inaugurons le centre d’instruction n° 8 de l’armée belge à Avranches.

Ce matin là à 9 heures, toujours malade de par cette traversée et ces nuits froides passées, je quittai Carentan pour Avranches par le train.

Il pleuvait abondamment depuis plusieurs jours lorsque nous traversâmes la Normandie en direction d’Avranches.

Spectacle insolite que celui auquel nous assistâmes ; les centaines de pommiers se trouvant au milieu des prairies et champs inondés donnaient l’impression d’avoir été plantés en pleine mer !

A 15h30, après 6h30 de voyage, nous arrivâmes en gare d’Avranches, copie quasi conforme de celle de Carentan.

Mais nous n’étions pas encore au bout de nos fatigues car il nous fallu ensuite gravir à pied les 2,5 km de côte qui nous séparaient du centre ville situé au sommet de la colline, les tramways ayant étés supprimés quelques semaines seulement avant notre arrivée.

Avranches était une jolie petite ville fortifiée du moyen-âge.

Ses maisons typiques, faites en pierres du pays, longeaient des rues étroites subitement devenues très populeuses depuis le début de la guerre.

Je figurais parmi ce tout premier groupe de recrues qui allait inaugurer ce nouveau centre d’instruction où nous allions devoir passer six mois.

Ceci dit, quelques semaines plus tôt, la décision de créer ce nouveau centre d’un contingent de mille recrues environ, n’était pas encore prise.

Dès notre arrivée, nous fumes dirigés vers plusieurs restaurants, parmi ceux-ci, le «Letréguilly » puis l’on nous conduisit vers les halles où nous trouvions place à l’étage. Même si notre premier groupe devait coucher sur la paille et sans couvertures, nous étions nettement mieux installés qu’à Carentan.

Une semaine avant notre arrivée, des belges, réfugiés ceux-là, avaient déjà été accueillis par une population Avranchine qui, subitement, découvrait avec horreur, les premiers effets de cette guerre.

Ces premiers réfugiés, complètement exténués, furent hospitalisés à l’institut Notre Dame.

Le lendemain, nous avions quartier libre et ce fut depuis le jardin des plantes, que nous eûmes l’occasion d’admirer au loin le Mont-saint-Michel.

Lundi matin théorie, l’après midi exercices de 14 à 15h.

Nous venons d’être classés définitivement : je suis à la 1ère section du 1er peloton de la 11ème compagnie du centre d’instruction n°8.

Je suis maintenant le matricule 2525 !

Toujours malade depuis ce maudit voyage en bateau, je fus dispensé des exercices le matin et me rendit  chez le médecin à 9h.

Après m’avoir ausculté, ce dernier me dit que je n’avais pas grand chose et me fit revenir à 13h30 à l’hôtel de ville.

Arrivé  à 15h15, il me donna trois gélules à prendre avant la nuit ! 

Mercredi 23, j’ai repris les exercices ce matin et toute la compagnie a manœuvré sur la place entre la grande église et le jardin des plantes.

Le mardi 18 mai 1915, nous débarquions en Belgique.

Il était trois heures du matin lorsque nous débarquâmes en Belgique à la gare d’Adinkerke.

A pied, nous prîmes alors la direction de la Panne où nous arrivâmes une heure plus tard.

Repos  jusqu’à sept heures ; j’en profitais pour écrire à Victor et à Godin.

Nous aperçûmes très distinctement le Zeppelin qui devait aller à Calais pendant la nuit.

A sept heures, nous partîmes à destination de notre régiment par tramway.

Après avoir traversé plusieurs localités détruites et longé l’Yser dont les berges étaient  déchirées  par de nombreuses tranchées et trous d’obus, nous arrivâmes à  neuf heures en gare d’Oostvleteren, c’est à dire dans la zone de cantonnement de notre armée

A ma descente du tram je fus à la fois bien surpris et bien heureux de rencontrer des gens du pays !

Fernand Fox, de Soheit-Tinlot ensuite Lucien Maréchal de Villers le temple qui venait me voir tous les jours à cheval.

Il était avec le général commandant les batteries de la 6ème D.A.N.

Là bas, notre contingent fut réparti dans les  diverses compagnies auxquelles  il manquait des hommes.

En effet, suite aux événement de « La maison du passeur », du 22 avril 1915, lors de la toute première attaque allemande par les gaz, les pertes dans nos rangs, et de celles des carabiniers en particulier, furent nombreuses.

En ce qui me concerne, j’arrivai en détachement au II/3, 3ème peloton, 5ème section, 9ème escadre des carabiniers.

Nos  débuts sur place commencèrent par quatre jours de repos pendant lesquels trois obus vinrent éclater près de notre abri.

Le jeudi 20 mai 1915, en route vers le front.

Le front enfin ! A la fois tant attendu et si redouté, j’allai le rejoindre après un périple de 2000 km et 6 mois d’instruction.

En droite ligne de Fraiture il se situait à 200 km seulement, mais l’immense détour par la Hollande, l’Angleterre et la France était la seule possibilité pour le rejoindre, la Belgique étant déjà (presque) totalement occupée.

Nos gradés avaient pris soin de nous préparer progressivement à ces terribles dangers venus d’en face, ainsi après ces 4 premiers jours de "repos", ce fut  vers la deuxième ligne que nous nous dirigeâmes.

Tranchées de deuxième ligne que nous rejoignîmes cependant avec une certaine appréhension. Lors de notre instruction, bien sûr nous avions été préparés, bien sûr nous avions été mis en garde, mais à présent nous allions devoir passer à la pratique et affronter une réalité quelque peu différente.

Depuis longtemps, nous espérions ce moment, cependant le groupe dont je faisais partie cette première nuit dut travailler un peu en arrière.

Nous y partîmes à 23h00.

Le 5 novembre 1915, je suis incorporé dans un régiment de mitrailleurs. 

Durant la journée, un gradé se présente parmi nous et demande des volontaires pour retourner au front  dans une nouvelle compagnie de mitrailleurs que l’on vient de créer  à notre bataillon. Avec une dizaine de camarades je me présente car la vie de dépôt est désagréable au possible !

Nous sommes acceptés.

A la fin de ce mois on nous envoie au dépôt d’équipement du 2ème carabiniers où nous sommes complètement équipés en kaki de la tête aux pieds.

A cette occasion, on m’octroie un nouveau matricule, le 7023, ainsi que l’écusson et les insignes «M» signifiant mon appartenance à cette nouvelle compagnie de mitrailleurs.

Le 5 novembre, après plus de deux mois passés à l’hôpital, je rejoins volontairement ma nouvelle compagnie en cantonnement à Alveringem.

Le  surlendemain c’est par la route de Oudekapelle à Kaaskerke, que sous de fréquents bombardements, nous partons rejoindre la 3ème ligne.

Quelques jours plus tard, lors de notre retour à la compagnie, je me vois subitement flanqué de la garde parce que … j’avais marché trop vite !

Le 18 août 1918, mon compagnon des premières heures est tué.

Edmont Fabry, mon compagnon de voyage avec qui je m’étais évadé de Belgique le 24 novembre 1914 venait d’être tué.

J’en fus très peiné, nous avions en effet vécus ensemble des moments très forts lors de cette évasion à hauts risques.

Volontaire de guerre lui aussi, il avait fait son instruction au camp d’Auvours avant d’être incorporé au 4ème de ligne.

Le 14 août, dans des circonstances tout à fait glorieuses, alors qu’il se lançait à l’attaque d’un petit poste allemand défendu par une mitrailleuse dans le secteur de Steenstraat, il fut grièvement blessé à la tête par des éclats de grenade. Hospitalisé dans la proche localité de Merkem, il devait toutefois succomber à ses blessures quatre jours plus tard. Il avait 30 ans.

Le 17 septembre 1918, je rejoignais les postes avancés de Langemark.

Notre période de cantonnement s’étant terminée  la veille, mes camarades et moi rejoignîmes les postes avancés de Langemark. Deux hommes par "pièce" (mitrailleuse): Vandoolaeghe et moi à la première, le sergent Defraine et l’adjudant Struyven à la seconde.

Le 18 septembre 1918, un mois jour pour jour après la mort d’Edmond, fut une journée très calme jusqu’à ce que…

Vers 17h30, nous partîmes pour le ravitaillement au lieu dit «Poste du périscope»

A 18h30 alors que nous étions tous sur la route à proximité de la charrette un avion boche laissa tomber une bombe au beau milieu de notre groupe !

Vandoolaeghe et Blondeel furent tués sur le coup. Terrie, Struyven, Salme, Vercruysse, Peeters, Delsaux et moi même sommes gravement blessés.

A ce moment je n’espérais guère survivre plus de quelques heures.

Après avoir été soignés par les camarades de la 8ème compagnie, nous fûmes conduit en «Decauville» (3) au lieu dit «Carrefour du général » où nous arrivâmes à 21h15.

Là bas, Terrie et moi étions embarqués à bord d’une auto qui nous emmena à Hoogstade.

Tard le soir, après avoir été secoués sur les 18 km de  routes défoncées que comptait le trajet, notre auto s’immobilisa enfin devant l’hôpital militaire d’Hoogstade. J’y fus débarqué dans un état semi-comateux, cependant, lorsqu’en me transportant en civière à la salle des urgences au travers de ces cris et gémissements, de tous ces mouvements de va et viens, de ces tabliers blancs couverts de rouge, de tous ces halos lumineux dûs aux ampoules d’éclairage qui défilaient sous mes yeux,  de ces odeurs de désinfectant, de pourriture et de mort, j’eus l’impression d’être dans un monde irréel.

Rapidement cependant, mon billet d’entrée fut établi et de nombreuses radiographies réalisées.

Les docteurs Dala et Caestecker diagnostiquèrent ceci :

-     Plaies multiples par éclats de bombe régions dorsale et lombaire (fracture vertèbre)

-       Plaies avant bras et bras gauche

-       Fracture du coude gauche

-       Petites plaies bras droit

-       Plaies pénétrantes aux deux jambes

-       Large plaie face externe genou gauche avec section du nerf sciatique

-       Fracture du plateau tibial externe et de la tête du péroné avec ouverture

-       de l’articulation

-       Plaie pénétrante cuisse gauche

-       Plaie pénétrante région lombo-sacrée (projectile non extrait)

-       Plaie pénétrante du thorax  avec perforation du poumon gauche

(projectile non extrait)

Total : 22 blessures.

Sur le certificat n° 3337, le médecin directeur Willems déclara :

«   Ces blessures sont très graves, il y a danger de mort immédiate. »

Cependant, compte tenu de trop grands risques, ce ne fut que le lendemain après midi que je fus opéré.

Après les multiples interventions chirurgicales qui eurent lieu, de terribles souffrances me gagnèrent à nouveau ce qui me valut quatre nuits blanches. 

Rapidement,  Victor qui avait été mis au courant des faits, vint me rendre visite le 20 puis le 22.

A ce moment, il se trouvait dans la zone de cantonnement de notre armée c’est à dire à quelques kilomètres seulement d’Hoogstade.

Mes jours n’étant plus en danger, je fus évacué sur le Havre une semaine plus tard.

Voici racontée, jour après jour, ma convalescence depuis mon départ d’Hoogstade.

Le 26 septembre à 8h00 du matin, j’étais conduit en gare d’Ysenberghe  où l’on m’embarqua à 11h00 à bord d’un train sanitaire.

Arrivé à Calais à 16h00, on me dirigea sur Virval au pavillon « Ypres ».

Là bas, on me fit de nouveaux pansements, mais encore, je passai une mauvaise nuit.

Le 27 à 5h1/2,  je quittais l’hôpital de Virval-lez-Calais pour être embarqué à 9h00 à destination du Havre  où j’arrivai le lendemain à 3h1/2 rue Ancelot.

Le  29  septembre enfin, je passai ma première bonne nuit, toutes souffrances ayant pratiquement disparu.

Le 3 octobre, des nouvelles de mon groupe, j’en reçois: l’adjudant Struyven qui avait été blessé en même temps que moi, vient d’arriver également ainsi que Clette quiest blessé par balle au coté droit.

J’apprends aussi que Parmentier, Verhast,Van de Veyer, Lecluyse et Happers ont été blessés.

Vercruysse, qui fut blessé en même temps que moi, vient d’être amputé.

Plus grave, le 28 septembre, jour de la grande offensive générale, mon compagnon du front, le caporal Maes, avait été tué en franchissant le Steenbeeck, et le sergent Roland, quelques heures seulement après avoir remplacé F. Bonhomme comme chef de pièce (4), fut tué d’une balle dans la figure. Labreau aussi fut tué.

Le 10 octobre, j’écrivis à mon ami Firmin Bonhomme lui narrant les derniers événements.

Depuis le 1er septembre, il se trouvait au C.I.S.L.A.I. de Gaillon, c’est à dire au «Centre d’instruction pour sous-lieutenants auxiliaires d’infanterie »dont la cession devait durer six mois.

Gaillon se situant à un peu plus de 100 km du Havre, ma lettre lui parvint le surlendemain déjà.

Voici une partie de la transcription de celle-ci :

Le Havre, 10 octobre 1918

Mon très cher Bonhomme,

Je ne sais si j’aurai la force d’être aussi long que je le voudrais. Si je savais que je ne serais pas le premier à t’annoncer les événements suivants, je ne prendrais pas tant de peine, mais qui sait, personne ne m’a peut être devancé.

Tout d’abord, il est nécessaire que tu saches que le 18 septembre à 6 h du soir, dans le secteur de Langemark à l’endroit dit « poste du périscope  » (à 400 m des avancées), nous avons été amochés à 9.

Nous allions au ravitaillement et nous étions arrêtés à peu près tous dans un rayon de 8-10 m, lorsqu’un avion, dont on ne se préoccupait pas, quoique volant très bas, laissa choir une bombe au beau milieu de nous !…

Tu devines le résultat : bouillie effrayante.

Tous les neuf étendus à terre.

Vandoolaeghe (coiffeur) et Bloodeel sont tués sur le coup. Moi, Salme, Vercruysse, l’adjudant Stuyven, Terrie (surtout) nous nous considérons chacun de notre côté comme n’ayant plus que quelques heures à vivre.

Peeters et le fourrier sont également blessés et malgré cela notre bon vieux brave Delsaux dont le sang gicle à la bouche et aux pieds, court chercher de l’aide.

Figures-toi que nous sommes tous là étendus, gémissant comme des fous, et pas une âme vivante aux environs.

On attend presque 20 minutes après du secours qui nous vient de la 8eme compagnie (1ère section).

A part Peeters et Delsaux qui ne doivent pas avoir été touchés bien gravement (je crois), nous avons  tous des blessures affreuses.

Mes jambes et surtout la gauche, sont trouées par une quantité d’éclats et des lambeaux de chair pendent.

J’ai les reins labourés et des éclats multiples dans le dos et les bras. La tête rien.

On me met un garrot à la jambe gauche par laquelle je perds le sang à flot.

Pansements sommaires et transport au poste de secours.

Ah mon cher , tu n’as jamais connu un moment pareil !

Je sens la mort venir à moi sûrement… La respiration se raccourcit sensiblement  et devient presque impossible. L’aumônier me donne l’extrême onction et enfin je me calme et j’attends avec le plus grand calme ce qui doit arriver dans quelques minutes me semble-t-il.

Mais la douleur augmente de plus en plus au point de dépasser tous ce que j’avais jamais pu imaginer.

Malgré cela je ne perds pas mes sens et mon désir de vivre est presque aussi grand que ma douleur.

Enfin à 9h15, une auto nous emmène Terrie et moi, et après un calvaire véritable, nous arrivons à l’hôpital d’Hoogstaede. Pansements et radiographies. Notre état ne permet pas que nous soyons opérés.

A la radio j’écoute : éclats provocants double fracture genou gauche, éclats  multiples  mollets,  éclats  cuisse gauche, deux éclats coude  gauche,

plusieurs éclats régions dorsale et lombaire, un  éclat à la poitrine pénétré par le dos , etc, etc.

J’oublie de te dire que suis administré une deuxième fois à Hoogstaede.

On me porte le premier au pavillon Léopold, puis vint Terrie près de moi, puis en face Vercruysse amputé de la jambe droite, puis l’adjudant, trépané. Quelques longues heures s’écoulent pendant lesquelles tout le monde hurle ou gémit selon les forces conservées.

Enfin Terrie crie encore…  « Moeder !…moeder ! !… » (est-ce ainsi qu’on écrit) et meurt !

A quelques instants d’intervalle, deux lignards près de moi le rejoignent. Alors je me répète que mon tour va venir et je l’appelle tellement je souffre !   …/…

Auguste

 

 



[1] Histoire vraie d’un condruzien, Auguste Godfroid 1895-1938, De Fraiture à Laverdure par Jean Godfroid.



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