Médecins de la Grande Guerre
Accueil - Intro - Conférences - Articles
Photos - M'écrire - Livre d'Or - Liens - Mises à jour - Statistiques
L’attaque
des bureaux de la 3ème division à Liège le 6 août 1914[1] D’après
les récits du général-major Stassin, des commandants Vinçotte et Buisset, des
capitaines Lhermite et Renard, de l’adjudant Burlet, du soldat Poncelet. Quel spectacle inoubliable offre la rue
Sainte-Foi, le 5 août 1914 ! Par les quais, par les rues Saint-Léonard et
Defrecheux, des officiers et des soldats, couverts de poussière, se précipitent
vers les bureaux de l’état-major de la position fortifiée. Agités, fiévreux,
ils se faufilent hâtivement à travers la foule de jeunes gens entassés dans la
rue, qui, la cocarde tricolore à la boutonnière, criant et chantant, viennent
offrir leur vie pour la patrie. Partout règnent l’entrain, la confiance, la
certitude de la victoire ; gaiement d’un groupe à l’autre, on
s’interpelle, on plaisante ; des lazzis signalent l’arrivée et le départ
des courriers militaires : « Rapporte moi un casque ! – Moi, je
préfère une lance, j’en ferai une épingle à chapeau pour ma femme ».Et des
rires éclatent au milieu de cette insouciante jeunesse, où riches et pauvres se
coudoient, fraternisent, entraînés par un tel élan d’enthousiasme patriotique.
Çà et là, faisant contraste avec cette joie bruyante, des fermiers, des
marchands de bestiaux, en blouse, bâton ferré à la main, la mine inquiète,
l’air anxieux, discutent âprement le prix des réquisitions. « Place, faites place ! »
crie une voix autoritaire, et un gendarme tenant un pigeon blotti dans un
chapeau de femme fend la cohue. A sa suite, se glissent une malheureuse en
pleurs, les cheveux flottants, et un individu au regard fuyant qui se tasse, se
rapetisse et répète machinalement : « Barton, barton. »
« Mort aux espions ! » hurle la foule, et des poings menaçants
se tendent vers les Boches, qui déjà disparaissent sous le porche. Voilà que,
sous la conduite d’un sous-officier, s’avancent des charrettes remplies d’armes
et d’objets d’équipement. Et immédiatement circule la nouvelle que 15.000
fusils ont été découverts dans une cave de la rue Sainte-Marguerite et plus de
50.000 lances, selles, revolvers et mitrailleuses dans une maison de la rue
Jonckeu, transformée de la cave au grenier en un véritable arsenal. Un
frémissement de colère secoue la foule. A l’intérieur de l’hôtel de l’état-major
règne une activité fébrile. Sans trêve ni repos, jour et nuit, les officiers
peinent à la tâche. Pourquoi ne pas l’avouer ? Trop confiants dans la
loyauté de nos voisins, nous avons été surpris par l’ultimatum. En quelques
jours, il faut tout prévoir, tout organiser. Réquisitionner des automobiles,
des chevaux, du bétail, du fourrage, détruire les maisons gênant le tir,
construire des tranchées et des abris, enfin préparer mille choses pour
achever, compléter, perfectionner la défense des forts. Sans cesse, résonnent
les sonneries du téléphone ; à tout instant partent des estafettes qui
sillonnent les routes et portent vers les points menacés les ordres du
gouverneur. Vers minuit, la rue Sainte-Foi devient
silencieuse. Dans le bâtiment de l’état-major les officiers continuent leur
besogne : devant la porte stationnent encore une voiture-bureau et
quelques automobiles. Tout à coup, s’élèvent des cris et des
vivats. Entourée d’une foule en délire, une automobile ouverte paraît. Debout
sur les coussins, l’ingénieur Hiard brandit un drapeau allemand, le drapeau du
89ème régiment des grenadiers mecklembourgeois, dont un soldat du 2ème
bataillon du 12ème de ligne, Fernand Lange, vient de s’emparer au
pont de Wandre, à Herstal. Les fenêtres s’ouvrent, des têtes aux yeux bouffis
de sommeil se montrent, des bras nus agitent des mouchoirs. L’enthousiasme est
indescriptible. Peu à peu, le tumulte s’apaise ; le
silence règne à nouveau. Le jour se lève et enveloppe la rue d’une lueur
incertaine. De la brume surgit une automobile contenant deux lanciers qui
crient à tue-tête : « Voici les Anglais ! » Derrière, cinq officiers allemands
s’avancent, précédant des soldats en uniforme gris, marchand sur deux rangs,
fusil sur l’épaule[2]. Des
hommes et des femmes du peuple les accompagnent, leur font une joyeuse escorte
et clament : « Vivent les Anglais ! » Sur le seuil de la
porte de l’hôtel de l’état-major, le commandant Marchand fume une cigarette. Il
regarde le cortège avec étonnement. Sont-ce des parlementaires ? Sont-ce
des déserteurs ? Hésitant, il fait quelques pas à leur rencontre. A l’état-major, les officiers achèvent
leur travail, insouciants des bruits du dehors. Par hasard, le commandant
Delannoy, dont le bureau, situé au deuxième étage, donne sur la rue Saint-Léonard,
s’approche de la fenêtre et aperçoit une trentaine d’Allemands éparpillés dans
la rue. Il bondit sur le palier et vocifère : « Les Allemands sont
là ! » A ce cri, le commandant Vinçotte, qui se trouve au premier,
dégringole l’escalier, en armant son browning ; le commandant Buisset et
le lieutenant Renard le suivent. Cependant les cinq officiers allemands se
dirigent à pas lents vers le commandant Marchand, et, tout en avançant, ils
glissent leurs mains derrière leur dos et s’arment, la main droite d’un
revolver, la gauche d’un poignard. Parvenu à deux mètres du commandant, leur
chef, un grand gaillard de forte corpulence, le major comte Joachim von
Alvensleben, apprit-on plus tard, s’adresse en anglais à l’officier belge.
Quels propos échangèrent-ils ? On ne sait : « Vous ne passerez
pas ! » Crie tout à coup Marchand. Et alors les officiers allemands,
jetant le masque, font feu précipitamment. Les commandants Marchand et Vinçotte
ripostent. Trois des officiers allemands tombent. Alvensleben se précipite vers
la porte d’entrée, mais Vinçotte, à bout portant, lui tire quatre coup de
revolver dans le flanc et le major s’écroule, la tête en avant ; à ses
côtés roule le dernier officier allemand, assommé à coups de crosse par le
capitaine Lhermite. A l’exemple de leurs chefs, les soldats
ennemis ont ouvert le feu, le crosse du fusil à la hanche et leurs balles, mal
dirigées, écornent les murailles. De la voiture-bureau, le commandant Sauber
s’élance dans la rue, met le genou en terre et décharge son browning sur les
assaillants. Un Allemand se glisse le long du trottoir, s’abrite derrière les
automobiles stationnées et vise Sauber. Ses balles passent au dessus du
commandant et vont frapper Marchand qui s’affaisse, atteint à la nuque et à la
poitrine. A ce moment, une vingtaine d’Allemands
tournent le coin de la rue Saint-Léonard et viennent prêter main-forte à leurs
camarades. Dissimulés derrière une barrière Nadar, ils tirent dans les croisées
et dans le couloir d’entrée. Le colonel Stassin, chef d’état-major, travaillait
avec le lieutenant-général Leman dans une pièce d’arrière du rez-de-chaussée.
Au bruit des détonations, il traverse le corridor, malgré une grêle de balles,
et gagne la rue. Quel spectacle ! Dans une mare de sang gît le commandant
Marchand et autour de lui quatre officiers belges luttent intrépidement contre
une trentaine d’Allemands. Le colonel n’hésite pas : avant tout, il faut
sauver le gouverneur ! Il rentre dans le bureau et entraine le général
dans la fonderie royale, qui est attenante ; puis, aidé des capitaines de
Krahe et Lebbe, les deux officiers supérieurs escaladent le mur de clôture et,
par la rue Saint-Léonard, ils gagnent la gare de Vivegnis. De là, un wagonnet
les mène au fort de Loncin où le gouverneur se retire. Pendant ce temps, le commandant Vinçotte,
afin de couvrir la retraite du général, rassemble les soldats et les gendarmes
de garde et les mène à l’attaque, secondé par les capitaines Buisset et
Lhermite et par le lieutenant Renard. Ramassant un fusil dans la rue, le
commandant Hautecler fait le coup de feu de son côté. Les Belges sont dix
contre trente ! Néanmoins ils soutiennent le combat avec avantage. A
genoux sur le pavé, accroupis sur le trottoir, abrités derrière les portes, ils
évitent les balles ennemies, tandis que leur feu bien dirigé frappe de
nombreuses victimes. Une dizaine des assaillants tombent. Les autres, blessés
pour la plupart, prennent la fuite. Seul, un dernier, plus acharné, posté
vis-à-vis de l’hôtel de l’état-major tire obstinément dans les fenêtres. L’adjudant
Burlet l’abat du balcon. Indécis sur la direction à prendre, les Allemands s’arrêtent
au coin de la rue Saint-Léonard. Quelques-uns agitent des drapeaux blancs. « En
avant », crie Vinçotte, et à la tête de sa vaillante petite troupe, il s’élance
à la poursuite de l’ennemi. Dans la rue Saint-Léonard, deux Allemands sont
encore massacrés ; malheureusement les Belges ne sont armés que de revolvers,
ce qui permet aux derniers Boches d’échapper à la mort. Après avoir placé des postes aux
extrémités de la rue, les officiers reviennent à l’hôtel de l’état-major et
transportent le corps du commandant Marchand dans une salle du rez-de-chaussée.
Le malheureux officier ne donne plus signe de vie. Il porte une affreuse
blessure à la nuque et sur sa poitrine s’étale une large tache de sang. Une
seconde victime, le gendarme Houba, est placée à son côté. Dans une pièce
voisine deux soldats blessés sont rapidement pansés. Ensuite les cadavres
ennemis sont relevés et fouillés. Dans la poche du manteau du major von
Alvensleben on trouve une carte de Liège au 1/60.000 sur laquelle est tracé au
crayon bleu un itinéraire de Hermée à Corommeuse. Les Allemands ont-ils suivi
cette voie ? Sont-ils parvenus à passer inaperçus dans les terrains vagues
des Vignes et à s’introduire dans la ville ? C’est possible. En tout cas,
leur départ fut aussi mystérieux que leur arrivée et, sur aucun point de l’enceinte
fortifiée, on ne signala ni l’entrée ni la sortie d’une troupe ennemie. Aussi
semble-t-il plus vraisemblable qu’ils préparèrent leur expédition, cachés à l’intérieur
de la ville, et la version suivante, qui courut dans le public, se rapproche
sans doute de la vérité. Quelques jours avant la déclaration de guerre,
raconte-t-on, des Danois louèrent un appartement à Thier à Liège ; dans la
soirée du 5 août, ils réglèrent leur note et déclarèrent à leur propriétaire,
une brave femme sans défiance, que la ville n’offrait plus aucune sécurité et
qu’ils partiront la nuit suivante. Vers 3 heures du matin, entendant du bruit,
la propriétaire se lève pour souhaiter bon voyage à ses locataires. A sa
profonde stupeur, elle les trouve revêtus d’uniformes allemands. Etaient-ce
Alvenleben et ses amis ? Quels qu’aient été les moyens employés, le
coup de main tenté contre les bureaux de la 3ème division fut
audacieusement combiné et sans l’héroïque résistance des officiers de l’état-major
et des soldats de garde, les Allemands auraient sans doute réussi à capturer le
gouverneur de la place fortifiée et à s’emparer des dossiers relatifs à la
défense. |