Médecins de la Grande Guerre
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Le Docteur Sauerbruch.[1] Le Dr Sauerbruch. Introduction : Au 19ème siècle toutes les opérations sur les poumons étaient vouées à l'échec. Les chirurgiens savaient en effet qu'après avoir ouvert un thorax et dégagé les poumons, ces derniers ne se remplissaient plus d'air ...L'opéré anesthésié mourrait alors rapidement d'asphyxie. La raison en est simple: l'inspiration ne peut en effet se faire que si les poumons sont entraînés par les mouvements des plèvres auxquelles ils sont intimement liées. Les plèvres d'autre part sont accolés à la paroi musculaire thoracique et sont entraînés par ses mouvements respiratoires. Lorsque l'on ouvre un thorax pour mettre les poumons à nu afin de les opérer, les plèvres perdent leurs accolements avec la paroi thoracique. Il s'en suit que les poumons ne peuvent plus se remplir d'air lors des inspirations. Le génie du Dr Sauerbruch est d'avoir compris que si l'on opérait les poumons dans un lieu où règne une pression d'air négative (le visage de l'opéré restant lui dans une atmosphère d'air à pression normale) les poumons pouvaient se remplir sans avoir besoin des plèvres. Sa découverte ouvrit un nouveau champ thérapeutique à la chirurgie qui osa alors intervenir sur les poumons (extractions de corps perforants, ablation de lobe ou de poumon en cas de cancer ou de graves saignements etc...). Aujourd'hui, il n'est plus nécessaire d' opérer les poumons sous une tente où règne une pression négative car les anesthésistes peuvent compter sur des appareils respiratoires modernes qui insufflent directement de l'air dans les poumons.. Le Dr Sauerbruch est né en 1875 à Barnem en Allemagne. En 1903, il est engagé comme assistant dans le service du célèbre Professeur von Mikulicz à Breslau. Le Professeur von Mikulicz était à ce point connu et accablé de travail qu’il ne vivait pour lui-même que la nuit. S’il invitait quelqu’un à venir le soir, il donnait rendez-vous vers onze heures du soir, parfois même à minuit. Il lui arrivait d’éveiller ses propres enfants au milieu de la nuit, afin de pouvoir jouir quelques instants en leur compagnie. Il n’y avait pas d’automobiles à l’époque, et malgré l’équipage à deux chevaux ses visites lui faisaient perdre un temps infini. C’est avec un tel homme que le jeune Dr Sauerbruch va s’initier à la chirurgie. Rapidement il va consacrer son énergie à l’étude des raisons qui condamnaient à l’échec toute opération chirurgicale thoracique. Une phrase prononcée par son célèbre patron était à l’origine de sa vocation : « Des centaines de milliers d’hommes meurent de tuberculose uniquement parce que l’on ne peut pas opérer à l’intérieur du thorax ». Il fallait trouver un moyen permettant d’opérer sans exposer les patients à l'asphyxie.. Comment
vint la grande découverte… Une nuit je me
réveillai brusquement vers trois heures du matin et me levai titubant. Mon cœur
battait la chamade. Soudain une solution possible m’était apparue. (…) La pression plus
basse à l’intérieur de la poitrine était une nécessité vitale. Le poumon devait
coller à la plèvre comme deux plaques de verre collent entre elles. La
respiration ne pouvait se faire qu’à cette condition. Les mouvements de la cage
thoracique entraînaient la plèvre élastique. Mais, et ceci m’apparut
brusquement avec une clarté aveuglante, on pouvait soumettre la cage thoracique
du malade à une pression d’air plus au moins égale à la pression habituelle
pendant une période nettement suffisante pour qu’il fût possible d’intervenir.
(…) Je voulus
procéder à ma première expérience en utilisant un chien. (…) Je tirai du lit
deux garçons de laboratoire et assis parmi les objets du fourre-tout de mon
laboratoire, j’expliquai comment j’avais l’intention de construire une caisse
de verre, une sorte de tambour. (…) La partie la plus
difficile était de pourvoir cette chambre de verre d’une pompe qui aspirerait
l’air (…). Nous prolongeâmes notre veillée en établissant les calculs
nécessaires et à l’aube les deux garçons partirent chacun de leur côté. Le
premier rendit visite au verrier. Le second alla chercher le caoutchouc et les
soupapes. (…) Quand je pus
glisser les deux mains dans le tambour, manipuler librement mes instruments à
l’intérieur de celui-ci, sans faire pénétrer de l’air extérieur, les conditions
préliminaires de l’expérience me parurent satisfaites. Comme première victime,
nous prîmes césar, bâtard peu poilu et d’humeur douce qui aimait beaucoup l’ un
des garçons de laboratoire. (…) Puis nous
introduisîmes le chien, anesthésié au préalable. J’incisai jusqu’aux côtes,
puis nous abaissâmes le pression à l’intérieur du tambour : l’un de mes
aides aspirait régulièrement l’air avec un tube de caoutchouc. Je continuai
tranquillement à opérer…et le pneumothorax ne se produisait pas. Je voyais le
poumon se gonfler normalement au gré de la respiration. Quelques instants après
je recousais la plaie de César. (…) Les deux hommes
qui m’avait aidé étaient assis silencieux, à mon côté. L’un deux caressait le
tête de l’animal endormi. L’autre me regarda longuement, se leva, me tendit la
main et dit : « Eh bien, Monsieur le Docteur, je vous félicite. Que
dira le professeur ? ». (…) A cette époque,
j’envoyai dans mon enthousiasme une carte postale à une personne de mes amies
qui était au courant de mes travaux. Je lui écrivis ces quelques mots : « Il
vit, il mange, il boit, il fait l’amour ». Le chien avait survécu à une
intervention chirurgicale au cours de laquelle je lui avais enlevé un poumon. Ce que
dit le professeur Mikulicz : Sauerbruch voulut refaire l’expérience devant son
patron mais la pauvre bête tourna un peu la tête et expira sur
le champ. Je pâlis car j’avais saisi immédiatement la raison de cet échec.
J’avais cru entendre un léger sifflement, ce qui démontrait qu’il y avait eu
quelque part une infiltration d’air dans le tambour. Je voulus l’expliquer au
professeur mais n’en eus pas le temps. Mikulicz se
retira d’un mouvement brusque du tambour de verre comme si mon appareil lui
avait inspiré du dégoût. Il saisit la tête du lapin et demanda d’une voie
étranglée : « Qu’est-ce que vous faites là ? « Et, sans
attendre ma réponse, il éclata soudain : « Vous êtes un
aventurier ; comment osez-vous me traiter ainsi ? Partez
immédiatement, laissez tout de suite ces sottises ! quittez cet endroit ! ».
(…) Le soir, les deux
garçons de laboratoires, les deux seuls êtres qui m’étaient restés fidèles
apportèrent mes valises dans ma chambre meublée. En m’endormant, je pris la
ferme résolution de ne pas m’écarter de la voie où je m’étais engagé. Je me
rappelai encore l’existence de ce propriétaire d’une petite clinique qui avait
eu recours à mes services à plusieurs reprises, avec l’autorisation de mes
chefs .Peut-être consentirait-il à m’aider dans la poursuite de mes
expériences. (…) Il voulut bien
m’autoriser à faire usage d’un local. (…) Tout d’abord je
dessinai le modèle d’une chambre où l’on pourrait faire régner une pression
d’air inférieure à normale et qui permettait à celui qui faisait l’expérience
de se tenir à l’intérieur. Lorsque la nouvelle
chambre à vide fut terminée Sauerbruck l’expérimenta
avec succès devant le Docteur Anschütz qui supplia le
découvreur de se réconcilier avec von Mikulicz. Cinq heures plus tard, le professeur amené par Anschütz assistait à la réussite
d’une nouvelle opération et lorsque celle-ci fut terminée, il tendit la main à Sauerbruch en lui disant : Mon cher, nous
allons signer un accord : vous ne m’en voulez plus et je ne vous en veux
plus. » Au grand étonnement de tout le personnel, Sauerbruch
regagna alors aux côtés du grand patron l’hôpital qu’il avait quitté d’une
manière si précipitée. D'abord un terrible échec qui se conclut par la mort d'une malade…[2] Une femme qu’on
avait transporté dans notre clinique souffrait d’une tumeur maligne située dans
la partie inférieure de l’œsophage. Le Professeur von Mikulicz avait décidé qu’elle
serait la première a être opérée dans la chambre isolante. On ne pouvait la
sauver que par une intervention chirurgicale désespérée. Nous répétâmes
l’opération à faire sur treize chiens successifs. Tous les treize survécurent.
Aussi le patron résolut-il de franchir le pas décisif. En traversant les
couloirs de la clinique pour me rendre à la salle d’opération, je constatai que
tout le monde attendait avec impatience et une certaine émotion le résultat de
l’entreprise. On m’accueillit comme un guerrier qui s’en va au combat, un
combat qui intéressait tout le monde. En pénétrant dans la salle, je vis ma
chambre isolante qui s’élevait au milieu de la pièce. Tous les médecins que
leur service ne retenait pas de façon urgente l’entouraient, impatients de
voir ce qui allait se passer. J‘entendais mes collègues chuchoter
entre eux. Puis un grand calme se fit. J‘avais refermer la porte de la chambre.
J’étais seul. J’allumai la lampe, vérifiai une fois de plus le dispositif tout
entier. Tout fonctionnait parfaitement. Selon toutes les prévisions humaines,
tout était en bon ordre. Je levai la tête, on venait d’amener la malade sur le
chariot. A présent, le Patron et le chef de clinique apparurent à leur tour.
Ils s’étaient préparés pour l’opération. Je sortis de la chambre de verre et
regardai von Mikulicz qui
me fit un petit salut et de nouveau je me rappelai la phrase qu’il m’avait
dite : « Des centaines de milliers d’êtres humains meurent de
tuberculose pulmonaire uniquement parce que l’on ne peut pas opérer dans le
thorax. On apporta les instruments. On les plaça dans la cage où le chef de
clinique entra. On fit pénétrer la malade endormie. Nous l’attachâmes solidement,
en plaçant la partie inférieure de son corps dans un sac de toile, fixé par des
courroies à la paroi inférieure de la chambre. L’on avait pris cette précaution
pour empêcher la malade de faire un mouvement brusque qui risquerait de
desserrer le col de caoutchouc qui lui entourait le cou… Après quoi le
Professeur von Mikulicz
pénétra dans la chambre. Le médecin chargé de surveiller l’anesthésie s’était
rapproché de la tête de la malade. Quant à moi, j’avais les mains placées sur
les leviers de mon appareil. Soudain tous les spectateurs, parmi lesquels il y
avait de nombreux étudiants, commencèrent à se rapprocher en silence afin de
pouvoir suivre l’opération. Le cube de verre fut entouré de dizaines de
visages. Au premier rang plusieurs spectateurs avaient plié un peu le genou
pour permettre à ceux qui se trouvaient derrière de voir. Ce n’est que du côté
où se trouvait le médecin surveillant l’anesthésie qu’il n’y avait personne.
Partout ailleurs je voyais des visages , jeunes, vieux, barbus, glabres, à
lunettes. Tous les regards étaient fixés sur nous, les uns sceptiques, les
autres remplis d’attente, d’espoir, ou de curiosité. L’anesthésiste nous fit
signe que nous pouvions commencer. Le Professeur fit la première incision.
L’assistant lui passa les instruments nécessaires. A présent c’était à moi de
diminuer la pression d’air. Je le fis en regardant la manomètre. La pression
baissa. J’étais satisfait. Tout semblait marcher à volonté. Je n’osai pas
tourner le regard vers le chirurgien qui continuait à travailler.
Mais, soudain, je fus saisi d’une peur épouvantable. Ayant jeté un regard
rapide sur les spectateurs, je vis l’expression angoissée de leurs
visages ; je me retournai vers le manomètre et constatai que la pression
commençait à monter. Je compris que la chambre se remplissait d’air à la
pression normale. Je savais que la cage thoracique de la malade était ouverte.
Je prévoyais la catastrophe…Les personnes qui entouraient la chambre s’étaient
détournées lentement. A présent, je ne voyais que leurs nuques. Je levai les
yeux sur mon Patron, et compris que le malheur était arrivé : la malade
était morte. Enfin le
succès L’ingénieur de
l’hôpital étudia la chambre pendant plusieurs jours mais ne parvint
à déceler l’origine de la panne. Pour éliminer tous risques inutiles on reconstruisit
cependant toutes les parties de la chambre qui pouvait encore être améliorées.
Quant cela fut fait, le professeur von Mikulicz résolut donc de tenter une nouvelle opération. Il y avait dans
sa clinique privée une malade âgée de quarante ans qui souffrait d’un cancer
situé sous le sternum. Le Professeur avait l’intention d’enlever cette tumeur
par une intervention dans la cage thoracique. Cela exigeait une grande
ouverture dans la région de la poitrine .Il est impossible d’expliquer combien
l’initiative du Patron paraissait importante, même en laissant de côté la
question de la sûreté que présentaient ma chambre isolante et son
fonctionnement impeccable. A présent elle fonctionnait parfaitement. Les lois
de la physique ne peuvent être régulièrement compromises par un hasard
inexplicable. L’opération à laquelle nous avions l’intention de procéder était
unique dans son genre pour d’autres raisons. En effet, personne n’avait encore
de connaissances suffisantes concernant les interventions chirurgicales dans la
cage thoracique grande ouverte. Nous trouvions sur un terrain
médical inconnu, et notre entreprise était vraiment audacieuse. De nouveau des
visages se pressèrent contre la paroi de verre, et une fois de plus, je pris
place devant l’appareil. Je diminuai la pression de huit millimètres. Von Mikulicz fit une large incision, puis enleva la quatrième
et la cinquième côte, après avoir pratiqué une ouverture d’environ dix
centimètres. La cage thoracique de la malade était béante. Mais le poumon
restait gonflé. Aucun phénomène d’asphyxie ne se produisait et le cœur
fonctionnait normalement. Le Patron parvint à la tumeur qu’il enleva
méthodiquement et recousit avec soin les tissus. C’est alors seulement que je
levai les yeux vers la salle et je vis des visages exprimant un étonnement sans
bornes. En 1905, le
professeur von Mikulicz
mourut d’un cancer. En 19O9, Sauerbruch était nommé
professeur ordinaire à l’Ecole de Médecine de Zurich et Directeur de la
clinique Chirurgicale de l’hôpital Cantonal. Il mit là au point une technique
d’ ouverture de la cage thoracique simple et efficace appelée « ouverture
intercostale ». Sa clientèle fut huppée et on vint de loin le consulter. Sauerbruch raconte même comment il arracha une
dent à un de ses étudiants qui assistait à son cours malgré la souffrance
entraînée par une fluxion provenant d’une rage de dent.
En sortant de l’Hôpital Cantonal, après mon cours, je retrouvai
l’étudiant sur un banc devant l’édifice. Je lui demandai pourquoi il
n’allait pas voir un dentiste. Il n’avait pas d’argent. Je procédai personnellement
à l’extraction : ce client du dentiste improvisé s’appelait alors
Oulianov. Il devait s’appeler Lénine un jour… Chirurgien
sur le front, sur le sol Belge Quand la guerre de
1914, le docteur Sauerbruch est mobilisé.
Il va connaître le travail intense de chirurgien au front : Près
d’Ypres, où il m’arrivait souvent de travailler dans une ambulance située à
proximité des lignes, je vis une fois des soldats blessés lors d’un assaut. Je
remarquai surtout un jeune lieutenant. Son bras gauche pendait inerte et son
uniforme était couvert de sang. Cependant l’homme marchait droit et ne semblait
pas souffrir. Je lui adressai la parole et tandis que je m’occupais
de son bras, je lui demandai de me conter les événements auxquels il avait pris
part. Il me fit un récit très vivant de l’attaque à laquelle il avait
participé. Je l’incitais toujours à continuer en lui posant des questions.
Entre temps, je parvins à lui enlever le bras sans qu’il s’en fût rendu compte.
L’opération était terminée et il n’avait rien senti. (…) Faut-il ajouter
qu’il est un homme que j’ai toujours envié, comme l’élève peut envier le
Maître, Larrey, médecin personnel de Napoléon ? (…) On amputait alors
sans anesthésie. Seules la puissance spirituelle, la personnalité du
médecin pouvait agir sur le malade et l’aider à surmonter « le
choc ». Il ne faut pas croire que les hommes d’aujourd’hui soient plus
douillets, moins résistants que ceux de jadis. En revanche, je crains que les
médecins d’autrefois n’aient su, mieux que nous, traiter leurs malades, les
diriger plus sûrement, les calmer, leur redonner confiance. L’exemple de Larrey
le démontre mieux que tout autre. Aujourd’hui, la personnalité du médecin n’est
pas un facteur déterminant et c’est dommage. La guerre stimule
son imagination et Sauerbruck parvint à réaliser une
prothèse de main révolutionnaire : je perçais un canal dans le
centre du moignon et le tapissai d’un tissu d’épiderme. J’y introduisais
ensuite une tige en ivoire. Celle-ci « suivait » tous les mouvements
musculaires . Si le centre associatif commandait aux muscles de se contracter,
la tige remontait. S’il leur ordonnait de se détendre la tige descendait. La
main artificielle était rattachée au centre d’énergie artificiel, et reliée à
la tige en ivoire. Les résultats
étaient probants mais Sauerbruck voulut encore
améliorer son système : je voulais construire des appareils qui
permettraient l’exécution de mouvements giratoires complexes. J’essayai donc de
percer plusieurs canaux dans le centre d’énergie artificielle. J’espérais que
le centre associatif pourrait bien mettre en mouvement non plus une mais
plusieurs tiges d’ivoire. Ce qui était en effet possible. En 1929, c’est à dire
beaucoup plus tard, je fis procéder à une enquête relative aux
résultats obtenus par mes appareils de prothèse. Les statistiques démontrèrent
que, sur 539 invalides pourvus de mes appareils, 92,4% travaillaient de leur
métier… Professeur
à Munich : il réussit de nouveaux exploits Le Dr Sauerbruch fut nommé à la fin de la guerre
Professeur à l’université de Munich. Peu de temps après son arrivée, il réussit
une nouvelle prouesse chirurgicale en opérant un patient atteint d’
une péricardite si opaque aux Rx que la
radiographie semblait montrer un véritable « cœur de pierre » : J’ouvris
la cage thoracique au-dessus du cœur. Je découpai une grande fenêtre
en rejetant le battant vers la gauche. J’atteignis tout de suite le cœur.
J’enlevai lentement l’enveloppe séreuse, arrivai à la couche calcaire. Cette
couche, je l’enlevai morceau par morceau avec mille précautions.
Merveille ! au fur et à mesure de mon travail, le cœur s’agrandissait, se
mettait à battre de façon puissante et régulière. (…) L’opération
n’était pas terminée. Une surprise affreuse nous attendait. Nous constatâmes
l’existence d’un rétrécissement dans la partie droite du péricarde. Quand
j’enlevai les plaques calcaires à cet endroit, l’accident se produisit :
le cœur droit se fendit de haut en bas et le sang gicla à flot. Mon assistant
plongea la main dans la cage thoracique, souleva le cœur vers moi et je
commençais alors à recoudre l’énorme déchirure. Personne d’entre nous ne
croyait au succès. (…) Deux mois plus
tard, le cœur fonctionnait normalement et l’homme retournait au travail. Tout pouvait
être tenté à cette époque comme témoigne cet autre exploit
chirurgical expliqué par le professeur à ce jeune homme atteint d’un
sarcome du fémur : Nous enlèverons
donc, en haut à la hanche, l’os du fémur ; nous ferons de même au genou,
puis nous couperons le pied car nous n’en avons plus besoin. Ensuite, nous
prendrons la jambe inférieure et nous la plaçons parmi les muscles restés à
l’endroit de la tête du fémur. Nous recoudrons le tout. Après quoi, le tibia se
fixera à sa nouvelle place, et, avec un peu de chance, il reprendra la fonction
du fémur. L’os s’articule à la hanche et nous sommes sauvés. Dans un an, à peu
près, tout est cicatrisé. Alors on te fait un appareil de prothèse, avec une
rotule et tu pourras marcher et retravailler comme à présent. Cette opération fut
réalisée avec succès et fut appelée « substitution par
renversement ». Une fête
mémorable En 1925, le
Professeur à l’occasion de ses cinquante ans décida
d’organiser une fête mémorable. La veille de son anniversaire, ses étudiants
avaient organisé une retraite aux flambeaux. Les sous-titres des journaux
affirmaient : « La circulation dans les rues de Munich paralysée par
la retraite aux flambeaux en l’honneur du professeur Sauerbruch ».
On s’avait s’amuser à l’époque comme en témoigne le joyeux
quinquagénaire lui-même : Cette fois, je reçus dans le jardin de
ma villa non seulement les étudiants mais tous les membres du gouvernement et
plusieurs personnalités officielles.(…) A l’aube, les
messieurs d’un certain âge essayèrent de se dérober, mais ils n’y réussirent
point car l’ayant prévu, j’avais fait fermer toutes les issues. Ce
n’est que lorsque le soleil printanier se fut levé et brilla haut dans le ciel
que je fis ouvrir la porte cochère. Un camion chargé de café et de pâtisserie
entra dans la cour , et mes invités ne me quittèrent qu’après avoir pris le
petit déjeuner chez moi. Une opération importante m’attendait à huit heures.
Beaucoup de mes invités se trouvaient dans la même situation. Des
religieuses en veulent au Professeur Si le Professeur
s’avait s’amuser, il pouvait aussi se fâcher comme le prouve ce fait divers
qu’il raconte dans son livre : A l’époque, les sœurs n’étaient
que mal remises du choc que je leur avais donné. A l’occasion d’une hémorragie
postopératoire, excédé, j’avais, en effet, jeté à la porte l’une des
religieuses et fermé à double tour la porte dans l’espoir de n’être plus
dérangé. Ce faisant, j’avais coincé, sans m’en apercevoir la jupe de la Sœur
entre le chambranle et le panneau. La pauvre fille demeura donc dans le couloir
la jambe découverte et n’osant pas bouger. Cela devait durer une bonne heure.
On m’en voulut très longtemps. Quand un
chirurgien suspend par les pieds un vieillard de 80 ans Parfois Sauerbruch se laissait aller à suivre
les fantasmes de ses patients. Il en fut ainsi pour le célèbre peintre allemand
Liebermann qui âgé de plus de 80 ans appela le professeur en urgence à son
domicile pour une hernie étranglée. Hospitalisé en urgence le peintre demanda
alors : Que fait-on de ma hernie ? Lorsque je commençai mon
exposé, écrivit Sauerbruch, il fit
un geste de protestation : que faisait-on autrefois avec ces hernies
là ? Au moyen âge, expliquai-je, on ne ménageait pas le malade.
Dans un cas comme le vôtre, on vous aurait suspendu par les jambes. Mais
c’est magnifique, Professeur ! s’écria-t-il ; voilà une bonne idée,
tout glisse naturellement et se remet en place ! alors qu’attendez-vous,
suspendez moi par les jambes ! » Je protestai,
mais il ne voulut pas céder. On le suspendit par les jambes. Je me
tenais à ses côtés, le cœur battant, et observant ses traits. Tout à coup il
s’écria joyeux : « Professeur, mon ami, décidément vous ne remarquez
rien, tout est maintenant rentré dans l’ordre. Nous le dépendîmes ; on lui
fit un bandage et je téléphonai à Mme Liebermann pour lui annoncer que le
Maître était de nouveau en parfait état ! Quand le professeur dut faire face à Hitler En 1940, le Dr Sauerbruch est envoyé
inspecter les formations sanitaires en France. En 1942, il est chargé d’une
tâche similaire en Crimée mais ce voyage fut interrompu de façon dramatique par
Hitler en personne : Je me trouvai à
l’hôpital militaire de Krasnodar, lorsque, une nuit, je fus appelé au
téléphone. J’avais à me tenir prêt le lendemain matin, cinq heures. Une voiture
me transporterait à l’aérodrome. Un avion m’y attendait pour me conduire au G.
Q. G. du Führer à Vinitza. Le Führer désirait me
parler immédiatement . (…) Le Grand Quartier
Général du Führer était installé entièrement sous terre. Par hasard je
rencontrai d’abord le Professeur Brandt, médecin personnel d’Hitler. Je
connaissais bien Brandt qui avait jadis été médecin-assistant chez moi. Que me
veut-il ? lui demandai-je. - Je n’en ai pas
la moindre idée répliqua Brandt, mais dépêchez-vous, de grâce… Ce grand
quartier ressemble à un asile d’aliénés et uniquement parce que vous n’êtes pas
arrivé à temps ! (…). Introduit dans le bureau vide d’Hitler, Sauerbruch
patiente quand soudain une porte s’ouvre et livre passage à un énorme chien. Celui-ci m’ayant
aperçu, aboya furieusement, montra les dents et se précipita sur moi en se
levant et en rapprochant sa gueule de mon cou. Je sais comment il faut se
comporter avec les chiens ; mais j’étais assez effrayé par cette attaque
soudaine. Il était clair cependant qu’il ne fallait pas bouger. Aussi me
contentai-je de lui adresser quelques mots plus ou moins idiots :
« allons mon vieux, lui dis-je, laisse ces bêtises ! » En même
temps je le caressais doucement. La bête se calma immédiatement, s’assit et me
tendit la patte. C’est à cet instant qu’Hitler entra dans la pièce. La scène
qui suivit fut la plus terrible de ma vie. Lorsque je me levai de ma chaise,
tandis que le chien me faisait des grâces, Hitler s’arrêta comme pétrifié. Ses
yeux lancèrent des éclairs. En serrant les poings il se précipita vers moi et
s’écria : « Qu’avez-vous fait à mon chien ? « Hitler
vociférait : » Vous avez détourné de moi le seul être qui me soit
vraiment fidèle !… Je ferai tuer ce chien ! ce chien ne s’approche d’habitude
que de moi seul… Ce n’est qu’à moi qu’il est attaché « Ce » chien est
le seul être au monde qui ne me trahisse pas ! » Sa voix ; de
plus en plus stridente, semblait remplir le souterrain. Il criait :
« Je suis entouré de généraux félons, de traîtres idiots, d’officiers
stupides. J’ai des soldats qui foutent le camp… Personne ne m’aime sauf ce
chien. Je ne veux plus le voir ! Prenez-le, je vous le donne ce sale
cabot ». Le chien était
assis. Il continuait à me tendre la patte. D’après moi, le moment était venu de
réagir. Je déclarai sèchement que je n’avais pas l’intention d’écouter des
insultes dirigées contre l’armée. Car enfin je portais moi-même l’uniforme et
deux de mes fils étaient sur le front. Aussi lui dis-je en pleine conscience de
ce que je faisais : –
Je
m’en vais, car je ne veux plus entendre ce que vous dites. –
Qu’est-ce
que vous vous imaginez ! cria-t-il, parce que vous êtes un médecin
célèbre, vous croyez pouvoir vous permettre de faire des remarques ?
D’abord, vous ne venez pas lorsque je vous appelle, et puis vous devenez
grossier ! Je vous ferai arrêter. –
Certes
vous pouvez me faire arrêter, répliquai-je On
ne peut calmer des sujets de cette sorte qu’en les exaspérant de plus en plus.
Il ne sert à rien d’être peureux ou conciliant. J’avais raison ; sa crise
de rage se calma soudain. (…) Comme si de rien n’était Hitler commença à m’expliquer
l’affaire pour laquelle il m’avait convoqué. Il s’agissait de la maladie du
Ministre des Affaires étrangères de la Turquie, Numan
Menemenicioglu que j’avais opéré jadis. Le ministre
avait exprimé le désir de me voir à Ankara pour pouvoir me consulter. Sa
demande avait été transmise à Hitler par voie diplomatique. Hitler me déclara
qu’il était nécessaire de donner suite à cette demande. Le complot Le
professeur Sauerbruch soigna le comte de Stauffenberg
et gagna sa sympathie. Un jour il fut contacté par téléphone par son
patient qui lui demandait la permission d’organiser au domicile du professeur
une réunion ultra-secrète avec les généraux Olbricht et Beck. Le Dr Sauerbruch
accepta. On sait ce qu’il advint de l’attentat contre Hitler. Le chef de
sécurité Kaltenbrunner accusa Sauerbruch d’avoir
été au courant de la conspiration. Heureusement un de ses anciens élèves, le Dr
Gebhart (ce médecin ainsi que le Dr Brandt furent
condamnés à mort au procès de Nurenmberg), affilié à
la S.S. et qui avait Himmler parmi ses patients, réussit à convaincre Hitler de
l’innocence du professeur Sauerbruch. Après
la guerre, le Professeur Sauerbruch fut citer devant
un tribunal de « dénazification ». L’un des juges lui demanda de
citer les personnes qui seraient prêtes à témoigner en sa faveur. Le Dr Sauerbruch répondit : « J’espère
que tous les blessés et tous les malades que j’ai soignés et à qui j'ai sauvé
la vie témoigneront en ma faveur… » |