Médecins de la Grande Guerre
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Le
sergent Van Espen fait 38 prisonniers à Waremme[1] Hardis !
Cavaliers et cyclistes, La chasse est
ouverte. On
lit à l’Ordre de l’armée du 4 septembre 1914 : Est
cité à l’ordre du jour, le sergent Van Espen Georges, du bataillon de
carabiniers-cyclistes. Etant chargé
d’une reconnaissance à Waremme, le 6 août 1914, attaqua courageusement, avec
cinq hommes, un détachement de dragons, qui laissa entre nos mains trente-huit
prisonniers dont un officier, dix blessés et quatre tués. Belle citation, n’est-ce pas ? Et
unique, si je ne m’abuse, dans le Livre d’Or de notre armée. Mais voici
l’histoire, plus belle encore. La division de cavalerie belge avait passé
la matinée de ce jour-là, massée près de Hannut, dans l’attente d’une division
allemande signalée la veille au soir vers Saint-Trond. Autour d’elle, nos
cyclistes faisaient bonne garde ; une compagnie était à Poucet, dont les
patrouilles infatigables roulaient par routes et chemins aux abords de Waremme.
Nos « Diables noirs » étaient joyeux. Depuis le 3, ils se faisaient
la main sur nombre d’éclaireurs allemands qu’ils abattaient, rapides et
insaisissables, avec un merveilleux entrain. Ils espéraient mieux, et
l’événement allait les servir à souhait. Dans l’après-midi, nos guides et nos
lanciers avaient dû se résigner à rengainer leurs sabres. L’ennemi, prudent, se
réservait et notre général, remettant à plus tard le combat désiré, prescrivait
aux cyclistes de Poucet de prendre gîte pour la nuit à Hollogne-sur-Geer, où
ils interdiraient aux cavaliers allemands la traversée de la rivière. Ils roulent allègrement sur la route de
Huy, mais en arrivant à Lens-Saint-Rémy, les éclaireurs de pointe voient des
paysans ameutés qui gesticulent. Ils sautent de machine et d’instinct font
virer leur fusil. -
Ils
viennent de passer ! -
Qui ? -
Les
cavaliers allemands. -
Par
où ? -
A
Tourinne. -
Où
ça, Tourinne ? -
Ce
clocher que vous voyez là-bas, à une petite heure. -
Combien
étaient-ils ? -
Beaucoup,
pour sûr deux cents. -
Et
par où allaient-ils ? -
Vers
Waremme, par la grand’ route. -
Vite ? -
Non,
au petit trop. Le colloque n’a pas pris quinze secondes.
Déjà un des éclaireurs, le nez sur le guidon, pédale à toute vitesse vers la
compagnie et informe le capitaine, qui décide sur le champ la poursuite.
Tourinne et Omal sont dépassés à grande allure. A hauteur de Grand-Axhe, on
fait halte ; les éclaireurs renseignent que les cavaliers allemands sont
arrêtés à 1500 mètres plus loin, au carrefour de la route de Huy. Le capitaine
est perplexe. Il a l’ordre d’aller à Hollogne-sur-Geer, où il a une mission à
remplir ; il a déjà poussé trop loin, il faut rétrograder. Il le dit à ses
officiers. Van Espen a entendu et s’approche : « Mon capitaine, voulez-vous me
permettre de continuer avec quelques hommes ? Je ne dépasserai pas Waremme. » « C’est entendu, à cette condition.
Tâchez d’identifier l’escadron. » Déjà il s’est éloigné ; il rejoint le
groupe des éclaireurs embusqués à 200 mètres des Boches, à la lisière d’un
boqueteau que borde la route, et regarde. L’un d’eux, son cheval fourbu, a été
pris. -
Quel
régiment ? -
17ème
dragons de Mecklembourg. -
Que
faites-vous ici ? -
Je
ne sais pas. -
Où
allez-vous ? -
Je
ne sais pas. Bon. – Van Espen ne
peut résister. Il épaule et fait feu dans le groupe. Erreur, sans doute, car il
l’avertit ; mais allez donc résister au plaisir d’en descendre au moins
un, tout de suite ! Et puis, rapidement, il arrête son plan. S’il les
poursuit en queue, les autres lui échapperont. Il va chercher à les devancer à
Waremme et aussitôt file avec cinq hommes vers la ville, par la route latérale
de Petit-Axhe. Il roule de toute la vigueur de ses jarrets de vingt ans,
tellement vite qu’il sème ses hommes. Un seul, Delattre, a pu le suivre de près
et les voici à deux qui s’engouffrent dans Waremme. Au chemin de fer, des
civils les arrêtent, leur conseillent de fuir, car «ils » arrivent au
galop. Van Espen et Delattre ne font qu’un bon jusqu’en haut du talus et
ouvrent un feu rapide sur la colonne. Ils voient enthousiasmés, tous leurs coups
porter, mais la trombe passe quand même et continue par la grand’ rue. Van
Espen dégringole le talus et court derrière, sans prendre le temps de rattraper
son vélo. Il entend des coups de feu dans la ville ; ce sont ses quatre
autres hommes qui, ayant perdu sa piste, ont continué et, servis par la hasard,
sont arrivés en haut de la grand’ rue, juste à temps pour canarder les
cavaliers allemands qui la montent et qui, soudain, disparaissent. Près de la gare, au tournant, un civil
interpelle Van Espen : « N’avancez plus, ils sont embusqués dans le
jardin du juge. » Notre sergent lui répond : « Un carabinier
cycliste ne recule jamais ! » Quelque temps après, Van Espen, qui me
narrait son aventure avec une simplicité bien belge, me disait : « Je continue donc ma course. Quelle
ne fut pas ma stupéfaction de voir flotter un drapeau blanc au bout d’une
lance ! Je dois avouer qu’à ce moment je n’étais pas fier. Je me trouvais
tout seul dans la rue et je me demandais si ce n’était pas une ruse de
l’ennemi. » Mais ces réflexions ne l’arrêtent pas.
Toujours courant, il a jeté son fusil au dos, tiré un révolver et atteint la
grille, restée ouverte, de la maison du juge de paix ; il la franchit,
embrasse le groupe d’un coup d’œil, se précipite sur l’officier allemand qu’il a
distingué, lui braque son révolver dans la figure et crie : « Si un
de vos hommes bouge, je vous abats ! » N’est-ce pas que c’est impayable ?
Non, mais ! Voyez-vous notre jeune sergent tout seul au milieu de quarante
cavaliers armés jusqu’aux dents et audacieusement les sommant de se
rendre ! Et le fait se passe le 6 août 1914. Plus
tard, sur l’Yser, quand nous serons plus aguerris, les blockhaus allemands
verront, au cours de nos raids, des scènes approchantes, mais celle-ci emprunte
à sa date une saveur et un relief incomparable... Van Espen, haletant, observe la troupe et
constate non sans surprise que son attitude n’a rien d’inquiétant. L’officier
est devant lui, moins déprimé qu’ahuri. C’est un beau garçon, plutôt grand,
très correct. S’attend-il, après les coups de feu de tantôt, à voir surgir
d’autres Belges ? Croit-il sa situation désespérée ? Toujours est-il
qu’il lui répond spontanément en français, sans effort : « Je me
rends ; voici mon épée. » Van Espen la saisit avidement de sa main
libre et regarde encore. A ce moment, les cavaliers, chevaux en mains, sont
calmes ; ils paraissent soulagés et satisfaits. Mais, peu après, un mouvement se
produit ; il semble que nos gaillards vont remonter à cheval et prendre le
large. Van Espen toujours seul sent que la proie va lui échapper. Un civil est
dans le jardin. Il lui fait signe de fermer la grille et, superbe d’aplomb,
ordonne à l’officier de faire desseller les chevaux ! Les hommes hésitent,
des voix s’élèvent. Van Espen ne bronche pas, répète l’ordre en criant de plus
belle, quoique doutant de l’exécution, quand il voit un cycliste apparaître à
la grille. C’est son brave Delattre qui rapplique, suivi bientôt de ses quatre
camarades, car la scène s’est déroulée en une minute. A leur vue, toute
velléité de résistance s’évanouit. Van Espen se voyant en force, - un contre
sept ! – est sûr de son coup. Il ordonne à nouveau à l’officier de faire
desseller et de déposer les armes, et ils le font, les dragons de Mecklembourg,
considérant sans doute que maintenant l’honneur était sauf. Il n’y a plus
désormais, dans la propriété du juge de paix, qu’un lot de prisonniers. Et voyez Van Espen, campé devant la
grille, les yeux étincelants de fierté, un poing à la hanche, l’autre au
revolver, dénombrant sa capture. Ils sortent un par un, honteux et confus
et se rangent sur le trottoir, devant les civils accourus qui n’en peuvent
croire leurs yeux. Ils sont trente-huit, les dragons, ni plus ni moins... La gare n’est pas loin. Ils y sont
conduits par nos hommes, dûment cadenassés en wagon et expédiés d’urgence à
Louvain, au G.Q.G. Van Espen confie les armes et les chevaux
à la gendarmerie de Waremme, saute sur son vélo que Delattre lui a ramené et
nos six « Diables noirs » roulent vers Hollogne-sur-Geer, où ils
regagnent leur compagnie. Leur absence a duré moins d’une heure. Le soir même, Van Espen présentait le
sabre de l’officier allemand au général de division et lui faisait son rapport.
Il fut – dois-je le dire – chaudement félicité. Le brave Delattre, nommé caporal, devait,
comme la plupart des vaillants de la première heure, tomber au cours de la
longue guerre. Il devint sergent et fut tué à l’attaque de la grand’ garde de
Reigersvliet, que nous reprîmes de haute lutte, en mars 1918. L’étoile de Van Espen ne s’éclipsa point.
Il est aujourd’hui capitaine. A quatre années de distance, le 5 octobre 1918,
il obtenait la Croix de Chevalier de l’Ordre de la Couronne, avec la deuxième
citation que voici : Officier d’un
courage, d’une bravoure et d’un sang-froid tout à fait remarquables. A
brillamment conduit, dans la nuit du 8 au 9 septembre 1918, l’attaque de postes
ennemis puissamment fortifiés et âprement défendus. A atteint tous les
objectifs qui lui étaient fixés ; a personnellement participé à la capture
de plusieurs prisonniers et d’une mitrailleuse. Mais la première demeure la plus belle, car
il avait vingt ans d’âge et trois jours de campagne. Horace conquit à moins sa renommée. [1]
M. & L. Tasnier – Récits de Guerre : Albert Dewit,
Libraire-éditeur 53, Rue Royale, Bruxelles - 1920 |