Médecins de la Grande Guerre
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La bataille et le
massacre de Rossignol[1] La commune
de Rossignol fut, le 22 août 1914, témoin d’une formidable bataille qui fera
certainement époque dans les annales militaires allemandes et françaises. C’est
le terrible contre-coup de cette lutte, en tant qu’il fut ressenti par la
population du petit village, qui sera raconté ici. Déjà le 19
août, des soldats prussiens étaient venus rançonner la paisible localité. Un
habitant, qui avait été dépouillé de tout ce qu’il possédait, fut abattu d’un
coup de fusil dans le vestibule de sa maison, pour n’avoir pas pu donner des œufs
à deux brutes de l’armée du Kronprinz. Le 21 août,
plusieurs milliers de Français arrivèrent à Rossignol. Malgré les
avertissements des habitants, ils continuèrent, le lendemain matin, leur marche
sur Rulles, où ils tombèrent dans l’embuscade allemande. C’est en vain que les
Français se battirent comme des lions. Leurs adversaires, cachés dans la forêt
et dans les carrières, firent parmi eux de terribles hécatombes. Pendant dix
heures, Rossignol fut le centre de la bataille, au cours de laquelle sept
maisons furent détruites par les obus. Vers le soir, les Allemands entrèrent
dans le village. Le château
et l’école, transformés en ambulances, regorgeaient de blessés, soignés par les
habitants portant tous le brassard de la Croix-Rouge. Peu après
leur arrivée, les Allemands mirent le feu à deux maisons, sous prétexte
d’éclairer le camp de leurs prisonniers français et le passage de leurs propres
convois. Le 23 août,
quelques groupes de soldats français, qui n’avaient pu suivre leurs camarades
dans la retraite, assaillirent courageusement divers postes allemands,
notamment près de l’école, où trois Prussiens furent abattus par un Alsacien.
Fait prisonnier, le petit Français fut fusillé. Ils étaient donc bien
convaincus que ce n’étaient pas des civils qui leur résistaient. Mais il
suffisait que ces civils fussent les alliés de leurs plus redoutables
adversaires pour leur faire payer les pertes sérieuses qu’ils avaient éprouvées
en cet endroit. Aussi, bientôt on entendit les cris traditionnels :
« Les civils ont tiré ! » et ce fut le signal d’incendies qui,
en un clin œil, s’élevèrent de toutes parts. Les habitants qui s’étaient
réfugiés dans leurs caves depuis le commencement de la bataille, s’enfuirent
épouvantés dans la direction de l’église, où ils furent enfermés, après avoir
été l’objet de menaces et de simulacres de fusillade. Mais le vraie destruction
du village par le feu ne commença que le soir, à 8 heures, ainsi que l’avait,
du reste, annoncé un soldat allemand dès le matin. On n’attendit pas la nuit
pour commencer les assassinats : un octogénaire, M. Maron, qui était allé
chercher des pommes de terre dans son champ, fut abattu d’un coup de fusil
auprès de sa brouette. Le 24 août
fut consacré en grande partie à l’enterrement des morts du champ de bataille et
au transport des blessés allemands, qui furent déposés dans l’église après que
les civils en eurent été expulsés. Après les avoir exposés mourants de faim et
de soif au soleil torride d’une journée caniculaire, on sépara les hommes des
femmes et des enfants. Ceux-là allèrent rejoindre les prisonniers français dans
l’enclos baptisé, dès le premier jour, de « camp de la misère », qui
en dit long sur les souffrances qu’y endurèrent nos malheureux frères d’armes.
Parmi eux, se trouvait un femme, Mme Hurieaux, mère de trois enfants.
Elle avait été précédée, au poteau fatal, par son mari. Dans la
matinée du 25, quatre jeunes gens de Rossignol, qui s’étaient réfugiés à
Marbehan, rentrèrent chez eux avec un sauf-conduit. Ils furent arrêtés et jetés
dans un train de prisonniers français. Arrivés en Allemagne, ils furent exhibés
à la foule comme francs-tireurs et accueillis de la même manière que de
nombreux Belges qui furent à cette époque exposés là-bas à la vindicte
publique, sous l’œil paternel des policiers allemands. Un
conseiller communal, qui avait été réquisitionné pour enterrer les morts, fut
arrêté avec les huit hommes qui l’accompagnaient, et jeté dans le camp des
prisonniers. Durant ces
incidents, l’incendie faisait rage à Rossignol et détruisait soixante-douze
maisons, soigneusement pillées au préalable. Ce que
furent les scènes tragiques qui se déroulèrent ces jours-là en cent endroits
divers du village, la plume se refuse à les décrire. Racontons un fait entre
mille[2].
Un homme courageux continuait à remplir son rôle d’infirmier dans les locaux
scolaires, lorsqu’au milieu de la nuit un officier allemand lui annonça qu’on
allait tout brûler. Il s’empressa de chercher sa femme et ses enfants et,
durant la nuit, ils demeurèrent cachés dans une porcherie. Vers le
matin ils quittèrent leur abri en rampant. Tout autour d’eux les balles
passaient en sifflant. « Mes enfants, dit-il alors, il faut faire un acte
de contrition, nous allons tous mourir. » « Oh non, papa, moi je ne
veux pas mourir », s’écria une fillette de onze ans. Et les yeux hagards,
son petit corps tout secoué d’un frémissement convulsif, elle se leva
brusquement pour s’enfuir. Ils regagnèrent alors leur abri jusqu’au moment où
les Prussiens les découvrirent et les obligèrent à sortir. Le père retourna
alors à ses blessés qu’il soigna en compagnie d’un infirmier allemand. A un
moment donné, un officier déchargea son revolver sur la porte vitrée du
corridor de l’école où se trouvait notre infirmier. Quelques instants après, un
sous-officier, escorté de plusieurs soldats, faisait irruption dans l’école. A
son tour, il braqua son revolver sur l’infirmier et fit feu. L’ambulancier
allemand fit heureusement dévier le coup et démontra sans peine à son
compatriote l’innocence de son confrère d’occasion. En face de
l’école, dans le parc boisé du château, une cinquantaine de Français étaient
parvenus à se dissimuler. Et, tout à coup, leurs mitrailleuses partent fauchant
littéralement une compagnie allemande ! L’ennemi se précipite vers
l’école, devant laquelle il installe ses canons et devant ceux-ci il plante
notre infirmier, son père, son fils et d’autres civils. Les mitrailleuses
françaises se turent... Un fils de
notre infirmier, âgé de dix-sept ans et qui lui aussi faisait partie de la
Croix-Rouge, fut arraché de l’ambulance du château et fait prisonnier.
Profitant d’un moment d’inattention de la sentinelle, il s’enfuit, bientôt
poursuivi par les balles. Il se dirigea vers la Semois, y pénétra et, caché derrière
un buisson où il s’était cramponné, il s’y maintint toute la nuit ayant de
l’eau jusqu’à la ceinture. Les Allemands ne le trouvèrent pas. Un échevin
et un comptable, sur l’ordre des Allemands, étaient allés enterrer les morts,
quand survinrent un capitaine et deux cavaliers qui les accusèrent de pillage.
En vain essaient-ils de se justifier. On les oblige à se mettre en ligne les
bras en l’air et on les abats ! Le comptable, M. Jacque, n’est que blessé
au bras. Il se laisse tomber à côté de son camarade et, lorsque les brutes ont
disparu, il se panse sommairement. Aujourd’hui témoin irrécusable, il raconte
comment le capitaine, après avoir lu leur permis de circuler, commanda à son
ordonnance de leur arracher les brassards. Le 25, les
prisonniers, au nombre de plus de cent, furent emmenés à Marbehan, où on les
entassa dans un train de bestiaux qui fut dirigé sur une voie de garage près de
l’entrepôt d’Arlon. Le mercredi
26, le colonel von Heidemann, du bataillon de Gotha, est mis au courant de
l’arrivée des prisonniers de Rossignol. « Envoyez-les travailler à
Trèves », dit-il, puis se ravisant : « Ce sont des canailles,
qu’on les fusille ! » Le capitaine von Putkammer lui fait observer qu’il
y a parmi eux des vieillards, des infirmes, une femme. « Qu’on les fusille ! » On les
fusillera. Dix par dix, ils s’avancent et tombent, au nombre de cent-dix-sept,
près du pont de Schoppach. Par un
raffinement de cruauté, Mme Huriaux est fusillée la dernière. Elle avait été
précédée au poteau fatal d’un vieillard de quatre-vingt ans, de huit septuagénaires,
d’un jeune homme paralysé qui fut enterré avec sa béquille. Ce jour-là il y eut
à Rossignol soixante-quatre veuves, parmi lesquelles six jeunes femmes mariées
en 1914, et cent-quarante-deux orphelins. Lorsqu’on
compare la rigueur du châtiment à l’inanité de l’accusation, nous ne disons pas
la faute, car celle-ci reste à prouver, on demeure abasourdi. Un soldat a été
blessé par un civil ( ?) avec
des plombs de chasse, dit le Livre blanc
(p. 36), et on ne cite ni le nom du soldat, ni le nom du civil. Des civils
ont tiré sur des porteurs d’eau, répète-t-il ailleurs (p. 42), sans en
atteindre aucun évidemment, sans quoi on l’eût bien dit. Mais les civils furent
arrêtés. Enfin, on a trouvé un soldat allemand mort dans une maison du village.
Il avait la tête brûlée. Or, dans la même maison on trouva – oh ! crime
abominable ! – un flacon de pétrole et une bouteille remplie de benzine.
Donc, conclut l’informateur du Livre
blanc (p. 82), on a entraîné ce soldat dans la maison, on lui a versé du
pétrole et de la benzine sur la tête et on a cherché ensuite à brûler le
malheureux !! Et c’est à
la suite de cette hypothèse tout à fait gratuite qu’on a incendié tout un
village et fusillé plus de cent personnes. On voit que
ce n’était pas une figure de rhétorique qu’employait l’empereur allemand quand il
s’écriait : « Malheur à qui touchera à un cheveu d’un Allemand ! »
Il aurait dû ajouter : « Malheur à celui qui sera suspecté d’avoir
touché à un cheveu d’un Allemand ! Malheur à lui, aux siens, à tous ses
concitoyens ! |