Médecins de la Grande Guerre

La Reine-Mère.

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LA REINE-MÈRE

       Elle se maria à Munich, le 2 octobre 1900. Le soir tombait, une douce soirée d'automne bavarois, un air aussi léger qu'à Vienne et où se profilaient, chantournées, rococo, baroques dentelles de pierre, les façades des palais, les fontaines bondissantes, joufflues, et mille grâces désuètes, Munich enfin, le 2 octobre 1900, blonde comme sa bière, moussante, gaie, candide, regards de faïence des filles aux tresses fraîches, géants pacifiques dont un rire enfantin fendait les joues roses. A 20 h. 30, devant le palais royal, on vit déboucher trente chorales.

       Chaque chanteur portait une torche, deux musiques militaires s'alignèrent et de tous ces cuivres, de toutes ces bouches jaillit un hymne de Beethoven.

       La duchesse Elisabeth parut au balcon, le prince Albert à ses côtés, interminable, la poitrine barrée du Grand Cordon de Saint-Hubert, vieil ordre de chasseurs et de chevalerie.

       Perdu dans la foule, un reporter de l'Indépendance Belge notait, en hâte, ses impressions : « La duchesse a les traits fins et le profil volontaire.  

       » Elle paraît à la fois mutine et sérieuse.

       » Sur ses cheveux, châtain-clair, est posé un diadème de brillants ».

       Soudain, il y eut un immense silence. Seules les torches grésillaient, éclairant de longues lueurs, pourpres et bleues, des milliers de visages.

       Un homme se détacha de la foule.

       Il portait, à la main, un grand papier.

       C'était le délégué général des orphéons, des chorales et des fanfares.

       Un personnage presque un ambassadeur de la vraie Bavière, celle des grosses valses, sonores comme un baiser de paysan, alanguies telles de vespérales confidences.

       Un gros sentimental, un monsieur qui officiellement, représentait les sentiments bavarois avec la mission de les exprimer, en toute simplicité, à la petite duchesse, lointaine et proche à la fois, derrière le balcon de pierre.

       Il s'approcha, salua bien bas, la main serrée sur son parchemin et ses paroles s'élevèrent dans la nuit : « Puisse notre chère enfant princière, qui va quitter les lieux où se passa son enfance, aimer sa nouvelle patrie d'une affection sans bornes.

       » Mais qu'elle n'oublie pas le bruissement de nos forêts, le verdoiement de nos montagnes aux jours de mai, ni la fidélité de nos cœurs bavarois ».

       Deux larmes glissaient vers sa moustache rousse.

       Il se retira et tandis qu'il rejoignait les rangs de la foule, celle-ci entonna un lied séculaire : « D'une jolie brunette, je suis tombé amoureux ... ».

       L'auberge du Cheval blanc, la grande-duchesse de-Gerolstein, des dignitaires aux favoris à la François-Joseph, d'énormes princes bonasses et chamarrés, tout un décor d'opérette et de film historique, mais authentique, vivant, exquis.

       Munich devait à Louis 1er les marbres d'Egine et les frasques de la volcanique Lola Montès.

       En 1886, lors d'une exposition, on y montrait au public une locomotive, symbole du progrès, mais si sonore que les huit éléphants d'un cirque voisin rompirent leurs entraves et se ruèrent à travers la cité, écrabouillant quelques échoppes de fleurs et deux ou trois marchands de beignets. L'ombre altière et folle de Louis II hantait encore les souvenirs.

       Il aimait Wagner et disparut, mystérieusement, dans les eaux du lac de Starenberg.

       Elisabeth de Bavière, solitaire ancêtre de la petite princesse, tentera la plume de Barrès et, plus tard, celle de Jean Cocteau, sous le signe de l’Aigle à deux têtes.

       Plus haut, dans les siècles, on rencontre Jacqueline de Bavière, toujours amoureuse, toujours malheureuse, chevauchante, guerroyante, traquée, adorée, haïe, proie des uns, idole des autres et qui disait : « Il m'est inné d'avoir soin du bien de mon peuple et de la défense de mes villes ».

       Plus tard, c'est Maximilien-Emmanuel de Bavière qui gouverne la Belgique.

       Perruque à la Louis XIV, généreux, franc buveur, grand lecteur mais à la diable, amateur d'art, de châteaux, de chasses et qui communiquait son allégresse à ses sujets.

       Les Wittelsbach sont aussi anciens que les Bourbon ou les Habsbourg et beaucoup plus que les Hohenzollern.

       Elisabeth qui n'avait guère quitté, durant sa jeunesse, les halliers et les champs de Possenhofen connaissait l'étonnante histoire de sa lignée.

       Mais sa famille ne régnait pas.

       Son père, le duc Carl-Theodor, ressemblait à un Faust bienfaisant.

       Le front olympien, l'esprit large, très libéral, plus proche des idées d'où surgirent les barricades de 1848 que des préjugés des princes de la Sainte-Alliance, Carl-Theodor était un oculiste célèbre.

       Sa fortune, il l'avait consacrée à créer des hôpitaux où il traitait, gratuitement, une vaste clientèle d'indigents.

       Le droit divin des monarques, le cérémonial, l'étiquette, les intrigues et les susceptibilités étaient, rigoureusement, inconnus à Possenhofen. On y lisait Taine, Maupassant, Marx à l'occasion, Darwin, Fabre, Hugo.

       On était libéral, humanitaire et de gauche. On pratiquait un catholicisme ouvert, aéré, tolérant.

       Mais le mariage d'Elisabeth se déroulait selon le protocole et le faste des cours auxquels les libéraux titrés de Possenhofen sacrifiaient, en toute gentillesse, pour ne point peiner le Régent du Royaume, le beau et mélancolique cousin qui régnait sur la Roumanie et tout le bon peuple que cavalcades, cortèges et uniformes impressionnaient très agréablement.

       Le palais de Munich était immense : onze cours entourées de kilomètres de bâtiments. Sur le grand escalier de marbre noir, on avait étendu un tapis rouge.

       A la Cathédrale, la maîtrise de la Cour, dirigée par Rüber joua l’Ave Verum de Mozart et le Te Deum de Franz Lachner.

       On entendit aussi Mme Weckerlin, chanteuse de chambre de la Cour.

       Le mariage civil se déroula dans un salon blanc et or, meublé en style Empire.

       Un détachement de mousquetaires rendait les honneurs.

       Casques à plumes blanches, habits bleus cousus de brandebourgs d'argent.

       Bottés de gris clair, également de bleu vêtus, mais portant des casques d'or surmontés d'un lion, les pertuisaniers avaient aussi belle allure.

       Ils se raidissaient au garde à vous, frappant le sol de leurs armes noires incrustées d'or. Le reporter de l'Indépendance Belge écrivait à son journal : « Cette façon de saluer est grandiose dans sa simplicité barbare ».

       Elisabeth parut ravissante dans sa toilette de satin blanc au corsage échancré et orné d'une berthe en dentelle.

       Sur sa robe était épinglé un bouquet de myrthe vert; un page en maillot blanc et justaucorps bleu, les couleurs bavaroises, portait sa traîne, longue de quatre mètres.

       Pendant ce temps, à Bruxelles, le Peuple, organe du Parti Ouvrier Belge, imprimait : « Massez-vous sur le parcours du cortège princier, dimanche, à 1 heure, pour manifester en faveur de l'amnistie et du suffrage universel ».

       Aussitôt, la presse de droite riposta. Comment, disait-elle, toutes les écoles assisteront à la Joyeuse-Entrée des princes et les infâmes socialistes vont, par leurs appels à l'émeute : « mettre en péril de pauvres petits enfants ? ».

       C'était pathétique.

       On craignait des incidents, il n'y eut que des vivats et des acclamations.

       A Herbesthal, Elisabeth descendit du train. « Toute rose dans sa robe de soie blanche brodée, elle semble plus fraîche encore que les bouquets dont les ramages ornent cette robe.

       « Celle-ci est serrée à la taille par une large ceinture de soie vieil-or et un chapeau de paille blanche à plumes d'autruche complète l'élégant costume de voyage de la princesse ». Cette description enchanta nos parents.

       A Liège, ce fut du délire, comme toujours. Aux Guillemins, où s'arrête le 'convoi : « Les drapeaux, les bannières, les mouchoirs, les sabres, les fusils, les chapeaux se lèvent comme mus par un seul ressort ».

       L'accueil de Bruxelles allait être aussi chaleureux.

       Dans la foule, les camelots hurlaient : « Le portrait du prince Albert et de sa dame pour dix centimes ! ».

       Mais à la gare du Nord, on dut expulser de force des officiers de la Garde-Civique qui, pour ne rien perdre du spectacle s'étaient glissés dans les rangs des compagnies qui rendaient les honneurs, le long du quai. De sa future capitale, Elisabeth gardera toujours trois souvenirs.

       Tout d'abord, un joyeux défilé d'écoliers portant chacun, au bout d'un ruban bleu et blanc, une médaille où un A et un E entrelacés et surmontés d'une couronne avaient été gravés par M. Léopold Van Strydonck, le sculpteur en vogue.

       Au balcon du palais, Elisabeth adressa deux gracieux baisers à la foule.

       Enthousiasme, émotion, les journalistes deviennent romantiques : « Les couleurs de Bavière qui ont une pâleur de lavis semblent représenter la grâce et la faiblesse de la jolie princesse, se mettant sous la protection de nos couleurs belges dont la tonalité est plus rude, moins pâlotte.

       » C'est un mariage de couleurs ! ».

       Beulemans chavirait dans un tendre pathos.

       Mais la Princesse dut, aussi, paraître à La Monnaie.

       On joua Lakmé et Sylvain Dupuis dirigeait l'orchestre.

       La Princesse portait une robe de tulle rose avec des entrelacs de dentelles noires. Pendant tout le premier acte, un gros papillon de nuit vola, en vrombissant, de la scène aux loges.

       « Le va et vient affolé de ce lépidoptère nocturne amusa fort l'assistance » notait un savant chroniqueur musical.



S.M. le Roi Albert. Rendant visite, le 16 janvier 1912, à M. Philippe Demoulin décédé à Feluy-Arquennes, le 14 février 1912.

       Enfin, Elisabeth serra la main aux résistants de l'époque, les cinq derniers volontaires de 1830.

       « Le plus jeune d'entre nous n'a que quatre-vingts ans » lui déclara leur chef, petit Mathusalem ratatiné, conscient et babillard.



M. Philippe Demoulin dernier combattant de 1830, décédé à Feluy-Arquennes, le 14 février 1912 à l’âge de 103 ans. (collection Jean Wouters)

 

Source : Jo Gérard – Tempête sur le Palais – Pierre Blanc, éditeur.

 

 



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