REMEMBER
Récits rimés de la Grande Guerre
1914-1918
par Théo ORBAN
1 – MOBILISATION
La ville est
en émoi ... la guerre est déclarée,
Tout le monde
est sorti, les rues en sont bondées.
Les vieux
parlent d'histoire ... évoquent Napoléon,
Et la
confiance règne dans le pays wallon.
N'avons-nous
pas les forts ? qu'ils viennent et l'on verrait !
D'ailleurs,
nous attendons nos amis les Français.
Les maires
dans les communes demandent aux habitants
D'aller faire
des tranchées là-bas au Sart-Tilman
Des soldats rappelés
regagnent la caserne,
On les
regarde passer ils lancent des balivernes,
D'autres plus
vieux déjà marchent nonchalamment
Et sont
accompagnés de leurs femmes et parents.
Les usines
sont fermées, on ne travaille plus
Et déjà dans
le ciel passent les premiers obus.
Peuple, trop
confiant ... hélas tu ignorais
Ce que c'est
que la guerre et ce qui t'attendait
&&&
2
– REFLECTIONS ...
Les peuples étaient amis, nous étions tous des frères
Lorsqu'un beau matin d'Août on déclara la guerre
Des gens qui hier encore cherchaient à s'entr'aider
Emploient tous les moyens pour pouvoir s'égorger.
Toutes les armes sont bonnes: gaz, grenades, artillerie.
Un cherche à supprimer le plus possible de vies
Des villages sont détruits, des villes ont brûlé,
Et dire que nous croyons être civilisés !
Je voudrais rouspéter, critiquer mais je n'ose
Il faut bien se résoudre à cette horrible chose !
J'aspire cependant que Dieu vienne sans arrêt
De l'immense charnier contempler les effets
J’espère qu'il se dirait, ma foi, j'ose le croire
Arrêtez donc la guerre, supprimez les victoires.
Mes enfants, pour vous battre, avez-vous donc placé
A la place du cœur un énorme pavé ?
&&&
3
– LES VOLONTAIRES
Avez-vous remarqué ces vaillants volontaires
Qui, un beau matin d'Août, s'enrôlèrent pour la guerre.
Ils étaient une légion de jeunes et de vieux
Formant des bataillons qui étaient bien joyeux,
Une fois équipés, qu'elle drôle de vision
Un soldat à lui seul formait une division.
On en voyait coiffés d'un bonnet de chasseur
Et ayant enfilé une culotte d'artilleur,
Et on les appelait tous volontaires crève-de-faim
Et les officiers même les prenaient en dédain.
On les fit donc partir un soir pour les tranchées
Les mettant les premiers en face de la mêlée.
Alors, à ce contact, on vit une chose bien belle !
Tous ceux qu'on appelait volontaires de gamelle
S'élancèrent sur l'ennemi comme de vieux troufions
Résistant aux assauts aux balles et aux canons
Faisant souvent alors appel à leur courage,
Dans toutes les attaques ils étaient à l'ouvrage.
Et dans tous les secteurs, tous les mauvais coins,
Allaient aux volontaires, cela était certain.
Un grand nombre d'entr'eux sont restés sur la plaine
Oui, ils sont morts là-bas, sans critique, sans haine.
Remerciez-les bien, Peuple, souvenez-vous
Qu'ils firent tout leur devoir, leur devoir jusqu'au bout.
&&&
4
– L'Armée belge en sabots
Depuis Liège en retraite, poussés par l'ennemi,
Nous allions tristement, fatigués, affaiblis,
Parmi-nous se mêlaient les civils qui fuyaient
Enfants, femmes et vieillards transportaient des paquets.
Nos uniformes sales parfois même en lambeaux
Car nous avions subi plusieurs rudes assauts.
Haelen, Anvers, Termonde nous avaient déjà vus
Tâchant de résister, mais nous n'en pouvions plus.
Les reins nous faisaient mal, les pieds étaient meurtris
Chaque pas que l'on faisait nous arrachait un cri
L'Yser se présenta petit cours inconnu
Mais nos chefs dirent halte ! on ne recule plus
Nous prîmes position à bout et terrassées
En jurant de mourir plutôt que de céder.
Le combat fut terrible et dura dix-huit jours
Cependant à la fin nous résistions toujours ;
Les souliers déchirés, sans capote ni képi.
Nous avions tout perdu ... sauf cartouches et fusils
On trouva dans les ruines paletots et chapeaux
Des soldats s'en allaient en jaquette, en sarreau.
L'inondation alors vint à notre secours
On s'en fut à Paris défiler un beau jour.
Toute la France était là qui pleurait à sanglots
Car derrière le drapeau nous marchions en sabots.
&&&
5
– L'INONDATION
Nous sommes à Ramscapelle, le ciel
est embrasé,
Les lueurs d'incendie y jettent une clarté.
Le vieux chemin de fer où nous sommes blottis
Subit depuis sept jours l'assaut de l'ennemi.
Les Français vont venir, oui mais en attendant,
Nous sommes bien décimés par le bombardement
On résiste cependant, on fait ce que l'on peut
Nous allons succomber car ils sont plus nombreux
Mais à ce moment-là surgit l'inondation
A travers les prairies monter nous la voyons,
Vite, on construit des digues, l'eau s'infiltre partout
Bientôt nous en avons presque jusqu'aux genoux
Les allemands s'arrêtent, par elle ils sont surpris
Et déjà dans la plaine les premiers ont péri.
En battant en retraite, ils laissent leurs blessés,
On les voit se débattre et enfin se noyer.
Comme nous sommes préservés, la scène nous contemplons
Ce jour nous fûmes sauvés ... grâce à l'inondation.
&&&
6
– PATROUILLE
Oui nous allons partir, nous attendons la nuit
Il nous faut reconnaître un avant-poste ennemi ;
L'officier nous lit l'ordre du jour du régiment
Et tâche de nous convaincre que c'est un jeu d'enfant.
Regardant à sa montre et comme l'heure a sonné
Sortant de nos tranchées on se met à ramper,
L'angoisse dans les yeux le cœur battant très fort
Sachant qu'au moindre bruit nous risquerons la mort.
Se terrant dans un trou on respire un moment
Nous voilà arrivés au milieu des deux clans :
Ils lancent des fusées qui jettent une clarté
Et retombent avec bruit dans les fils barbelés
Lentement on avance et encore quelques pas
Nous arriverons au poste qu'on aperçoit là-bas.
Quelques coups de fusil, les balles ont sifflé
Puis c'est la mitrailleuse qui se met à cracher.
En retraite mes amis car nous sommes découverts,
Nous crie le lieutenant, en se couchant par terre.
Au-dessus de nos tètes c'est un vrai ouragan,
C'est comme si la mitraille tombait du firmament.
Un des nôtre est touché, il jette un grand cri
Et l'on entend ses plaintes qui montent dans la nuit ...
C'est notre caporal, la poitrine trouée.
Qui fait des vains efforts pour gagner nos tranchées.
Pour pouvoir rentrer, chacun fait ce qu'il peut,
En confiant son âme à la grâce de Dieu.
Déjà le jour se lève, ouf ! voilà
nos abris ;
Un brancard a passé transportant un ami.
On s'endort tout heureux d'en avoir échappé.
Sur le front belge, ce soir rien à communiquer.
&&&
7
– LE TRAVAIL
Dans les rangs on se met, pour le travail on part,
Pour ce genre de corvée, les soldats en ont mare.
Le poste de génie distribue les outils ;
Des pelles et des pioches et nous voilà partis,
L'un porte des piquets, l'autre des fils barbelés.
A travers les boyaux on avance tout courbés.
La boue colle aux souliers, on marche difficilement,
L'un de nous est tombé ... se relève en jurant
On arrive. Tout proche faisant le moins de bruit,
Car nous ne devons pas éveiller l'ennemi.
Se mettant au travail, on n'a pas grand courage
Et pourtant il faut voir ce que l'on fait d'ouvrage
Trimant toute la nuit, nous sommes tout éreintés.
Et comme le jour se lève il va falloir rentrer.
Ce soir, j'ai entendu quelqu'un dire cette chose
Oh ... vivement la mort, que le corps se repose.
&&&
8
– LE RÊVE
J'ai rêvé, cette nuit, et mon rêve était beau,
Couché dans mon abri comme dans un tombeau,
Je restais là inerte, toujours sous l'impression
Des choses qui me hantaient aperçues en vision
J'avais revu les champs cultivés et fleuris,
Nous étions, à nouveau, devenus des amis
Nous marchions tête haute, on ne se cachait plus
Plus de balles, de tranchées, de grenades ni d'obus
Alors tous animés d'une ardente jeunesse
Nous allions retrouver nos parents, nos maîtresses :
Sur les routes, des colonnes s'avançaient en chantant
Plus de râles, plus de cris, ni de pleurs ni de sang
La guerre était finie ; en songe j'avais revu
Les hommes devenus sages et ne se battant plus,
Il ne restait plus rien de l'immense charnier
Et les cloches tintaient presqu'à tous les clochers…
Sortant de mon abri, mon beau rêve s'en fut.
Je revoyais les champs remplis de trous d'obus
Des villages détruits, des arbres déchiquetés
Là-bas sur un brancard se mourait un blessé
A travers les boyaux, des soldats s'en allaient
Et les balles sifflaient dessus le parapet
Hélas j'étais bien loin de la réalité
Et pensant à mon rêve, tristement j'ai pleuré.
&&&
9
– Rapport des Malades
Le réveil a sonné, les malades sont inscrits
Quelques hommes sur la paille crient ... sergent par ici
On les laisse bien tranquilles attendre le médecin
Qui passe d'habitude vers huit heures du matin.
Le voici, il arrive, il commence la visite
Comme il est très pressé, la chose ira très vite
Son aide l'accompagne, c'est un vieux brancardier
Qui porte les remèdes à l'avance préparés
Voyons, vous mon lascar vous avez mal au cou
C'est bon, vu et soigné, de suite apprêtez-vous
Ah ... l'autre a mal aux pieds, mais tu n'a rien non plus
Deux cachets d'aspirine ... et l'on n'en parle plus
Et toi mon vieux barbu, dame, tu me sembles accablé
Enlève donc ta chemise, que je puisse écouter
Ne fait rien aujourd'hui je t'exempte reste là
De la teinture d'iode et ton mal s'en ira
La visite terminée le docteur a fini ;
Les exempts se recouchent et les autres punis.
&&&
10
– DIXMUDE
On se bat, dans Dixmude tout s'écroule avec bruit
Au ciel montent des lueurs qui éclairent la nuit
Il y a douze jours que nous sommes là-bas
Et pas une minute s'arrête le combat.
Dans les vieilles maisons s'entassent les blessés
Ils y viennent souffrir, quelque fois expirer,
Tout n'est que flammes et sang ... un immense charnier
Les ruines demandent grâce et implorent piété,
Un mélange de soldats, cavaliers, fantassins,
Chasseurs, carabiniers et fusiller-marins
Affaiblis, harassés, luttent désespérément
Pour tâcher d'arrêter l'envahisseur allemand.
Couchés dans les fossés on leur demande encore
De tenir jusqu'au bout même jusqu'à la mort
Un grand chef les commande, l'espoir brille dans ses yeux
Et pour montrer l'exemple il combat avec eux
Il gagne la bataille, car ils n’ont pas passé
C'est du Général jacques, que je vous ai parlé.
&&&
11
– L’AMBULANCE
J'ai croisé ce matin revenant des tranchées
L'ambulance descendant lentement le chemin
Grinçant sur ses essieux, fortement cahotée
A travers son plancher coulait le sang humain,
Recouverte d'une bâche au fond de la voiture
J'ai vu la forme des corps qui jetés pêle-mêle en tas
Des corps tout mutilés et remplis de blessures
Et que l'on conduisait au cimetière là-bas.
A côté du convoi, marchait le conducteur
Le collet relevé, fumant la cigarette
Le cheval éreinté, traînant, tout en sueur
Je m'étais accroché à la vieille charrette
A présent sur le siège l'homme s'était assis
Et là à ses côtés déposant son fouet
Portant les mains en poche, tout-à-coup je le vis,
Histoire de se distraire, jouer du flageolet
A force de charrier des blessés, des mourants
Il remplissait sa tâche avec indifférence
Sur la route du front déjà depuis trois ans
Il transportait des morts avec son ambulance.
&&&
12
– La Joconde de l'Yser
Elle est là parmi nous et depuis bien longtemps
Sa maison est croulée sous le bombardement
Nous avons essayé de la faire partir
Quitter son vieux logis, elle aime mieux de mourir
Nous l'avons adoptée ... nous lui fîmes un abri
N'ayant plus rien à mettre, nous trouvâmes des habits
Se voyant habillée d'une capote de soldat,
Elle rit de toutes ses dents, oh elle ne s'en fait pas
Nous l'appelons grand'mère, rien ne l'étonne plus
Elle ne s'effraie même pas quand tombent les obus ;
Quand on va la trouver, elle réchauffe notre plata
Nous vend des cigarettes, du vin, du chocolat
Chantant même avec nous et dans nos distractions
Elle danse quelque fois au son de l'accordéon.
La joconde, mes amis, a les cheveux tous blancs
Et j'oublie de vous dire qu'elle a septante-cinq ans.
&&&
13
– LA LETTRE
Théo, mon cher ami, une lettre pour vous,
Pour moi ... depuis trois ans je n'ai rien de chez nous
Je saisis la missive, m'installant dans un coin
Cette dernière me hante et fait trembler mes mains
Que peut-on raconter dans mon très cher pays
Je ne comprends pas bien, c'est ma tante qui m'écrit ;
Ici, mon cher neveu, on manque de tout vraiment
Nous n'avons presque rien au ravitaillement
Ton père s'en allait tous les jours au matin
Attendre pendant des heures pour un morceau de pain
Oh ! il n'était pas gros et pour faire un repas
Je devais ajouter quelques rutabagas.
Il n'avait rien à mettre que son vieux costume gris
Et j'ai dû bien souvent réparer cet habit.
Courbé et bien vieilli car depuis ton départ
Regardant ta photo il pleurait chaque soir
Comme il ne savait pas si tu étais vivant
Il implorait pour toi les saints du firmament
Tous les jours s'attendant à te voir revenir.
En se réjouissant on le voyait sourire
Il était fier pourtant de te savoir là-bas
A ses yeux, tu étais le meilleur des soldats
Voilà mon cher neveu, ma main tremble bien fort
Car j'oublie de te dire que ton vieux père est mort.
&&&
14
– LA MAISON DU PASSEUR
Tous les soldats connaissent la maison du passeur
Hier encore bien belle, entourée de fleurs,
Regardant les bateaux qui passaient lentement!
Le maître du logis chantait tout en ramant;
Aujourd'hui c'est fini, rien ne reste debout,
Dans son joli jardin les bombes font des trous.
La guerre est arrivée et la maison n'est plus
Le passeur a dû fuir chassé par les obus,
Nous avons vu ses caves de cadavres remplies
Des belges, des zouaves, fantassins et génie,
Car pendant les combats elle fut bien disputée,
Nous fîmes l'assaut cinq fois dans la même journée,
Les ruines sont toujours là, elles nous servent d'abri
On n'est pas à son aise quand on y est blotti
Les canons ennemis connaissent l'emplacement
Et la tiennent nuit et jour sous leurs bombardements
Oh ! nous ne l'aimons pas, nous
l'avons en horreur,
C'est une mangeuse d'hommes, la maison du passeur.
&&&
15
– L'ATTAQUE
Pour partir à l'assaut, on attend, l'arme au pied
Et sur les officiers tous les yeux sont rivés.
Le cœur battant très fort, on ne parle plus.
Tous les canons vomissent des centaines d'obus,
Au bout de nos fusils brillent les baïonnettes.
Nous avons les grenades au fond de nos musettes.
L'heure H ayant sonné, nous marchons de l'avant,
Laissant à chaque pas des blessés, des mourants;
On a la gorge en feu, la poudre nous rend fous
Et leur tir de barrage nous frappe de partout.
Malgré toutes nos pertes, nous devons avancer ;
Voilà, nous arrivons dans leurs fils barbelés ;
Il faudra les franchir, mais ils sont bien épais,
Les mitrailleuses crachent derrière leurs parapets.
Dans un suprême effort, nous sommes enfin passés
Sautant dans leurs tranchées, on les fait prisonniers.
Craignant la contr'attaque, on est
sur le qui-vive ;
Nous l'avions bien prévu : la voilà elle arrive,
Nous jetons des grenades, nous tirons au fusil
Et nous restons les maîtres, les voilà déguerpis.
Je n'ose pas vous dire combien d'hommes sont tombés
Pour prendre une tranchée ... et quelques prisonniers !
&&&
16
– REPOS
Il est minuit, les gars, vite le sac au dos
Nous quittons les tranchées pour quatre jours de repos.
La relève est en route, Comme ce sont des nouveaux,
Il faudra les prévenir pour passer le boyau.
Attention! les copains, ne faites pas de bruit
Car leur poste est à peine à vingt mètres d'ici
Ah oui, cet endroit-ci est vivement repéré
Et nous y avons eu cinq des nôtres zigouillés.
On se souhaite bonne chance, puis, sans se retourner
Tous à la file indienne on se met à marcher,
Enfonçant dans la boue, trébuchant à chaque pas,
Car le chemin est long et nous sommes bien las.
Ouf ! on arrive enfin ! on ne l'a pas volé.
Jetant bac et fusil, on va vite au café
Et comme nous n'avons rien touché depuis midi,
On va pouvoir manger avec grand appétit
Un peu de féveroles, deux boulettes et du pain.
S'installant sur la paille, on commence le festin.
Le repas terminé, qu'il va faire bon dormir !
Mais le sergent-major crie, pour nous dégourdir
« A huit heures du matin ... les hommes, apprêtez-vous »
Le médecin passera l'inspection des verrous,
Théorie, exercice, Dieu ! ce qu'il
faut courir,
Le soir, pour le travail, il va falloir partir.
Par le même chemin, on remonte aux tranchées
Où l'on nous fait trimer jusqu'à la matinée,
Accomplissant vraiment un travail de forçat :
Emplir des sacs de terre et les placer en tas.
Parfois par une rafale l'un des nôtres est touché,
Mais on s'y habitue – c'est une banalité.
On déplore sa mort, en se disant pourtant
Demain, pas d'exercice, on fera l'enterrement.
Nous ne comprenons pas ce que veut dire : Repos,
Car c'est plus fatigant que de rester là-haut.
&&&
17
– LA CUISINE
Nous la voyons là-bas flanquée sur ses deux roues
Et pour y arriver, on marche dans la boue.
Le cuisinier prépare des repas succulents,
Nous le regardons faire en nous réjouissant
Comme la soupe a sonné, à la file on se met ;
On nous sert des féveroles avec un vieux sauret
Il y a bien deux mois qu'on est sans pommes de terre,
Paraît qu'elles ont gelé là-bas en Angleterre !
Et comme nous rouspétons, le fourrier se démonte,
Nous sommes trop exigeants, nous, à la fin du compte.
Nous montrant les tranchées, en riant, il nous dit :
Ce soir, vous recevrez des poulets tout rôtis.
Nous ne disons plus rien ... il faut se résigner !
Alors sans appétit, on se met à manger.
Un jour, encore petit, en sortant de l'école.
J'aperçus une vache qui mangeait des féveroles ...
&&&
A Miss Winierbofool.
18
– LA TENTE
Il était une femme, une anglaise, qui là-bas
S'en vint planter sa tente au milieu des soldats
Oh ! ce n'était pas loin, juste
derrière le front.
On y allait souvent, en guise de distraction.
Elle nous servait café, du thé, du cacao,
Du papier pour écrire, quelques airs de phono.
Par sa douce présence, elle nous faisait du bien,
Ce n'était pas grand'chose, mais
c'était plus que rien.
Puis elle partit un jour, on ne la revit plus.
Les poilus oublient vite, là-bas sous les obus.
Mais moi, chère madame, je n'ai pas oublié ;
La preuve, c'est que ces vers à vous sont dédiés,
Si, en les écrivant, votre image me hante,
C'est que je les compose ici sous votre tente.
&&&
19
– NOUVELLES TENUES
Nous sommes à Brédune, dans les
rangs on est mis,
On va distribuer les tenues kaki ;
Les officiers sont là, à côté du fourrier
Qui manipule un tas d'uniformes arrivés.
Voilà, c'est chose faite, nous sommes tous servis.
Nous partons vivement enfiler nos habits,
Cela nous semble drôle de nous voir équipés.
La casquette surtout ne plaît pas aux troupiers ;
Nous allons la changer, de quoi avons-nous l'air ?
S'emparant de ciseaux, on recoupe la visière,
On tâche de lui donner une forme qui plairait :
Les uns, c'est à la russe, l'autre
c'est à l'anglais.
On la porte sur l'oreille, sur les yeux, dans le cou.
Nous aimons d'être beaux, on est fier chez nous.
J'ai revu des casquettes qui, transformées ou non
Coiffaient des croix de bois dans tous les coins du front.
&&&
20
– L’ENTERREMENT
Hier encore tu étais … comme moi plein de vie,
Et tes chants amusaient toute la compagnie.
Nous étions tous les deux d'inséparables amis,
Partageant mêmes joies et les mêmes soucis,
J’étais ton confident et tu me racontais
Ce que tu allais faire si tu en réchappais.
Nous partîmes la nuit aux postes avancés
Toi comme sentinelle, tu étais désigné,
Pour guetter l'ennemi tu pris donc position.
Mais tu fus découvert et frappé en plein front.
Oh ! tu n'as pas souffert, tu étais
bien touché,
Car tes yeux se fermèrent, tu venais d'expirer
J'ai recueilli sur toi des choses qui me sont chères :
Ta médaille, ta photo, une lettre de ta mère.
La fosse est déjà prête, on va te déposer
A côté de tous ceux qui, comme toi, furent frappés
Adieu donc, cher ami, je ne dis pas toujours,
Car, peut-être demain, ce sera à mon tour.
&&&
21
– LES DISTINCTIONS
Le clairon a sonné, en tenue dans les rangs,
Et les officiers crient : à droite alignement !
Le chef du régiment nous lit l'ordre du jour,
Puis remet les médailles pour actes de bravoure.
Il y en a plusieurs de notre compagnie :
En les voyant partir, les autres les envient
Ils sont félicités et reçoivent l'accolade.
On défile devant eux, puis, finie la parade,
Rentrés au cantonnement, on y attend le soir.
Le cuisinier nous verse un bon quart de pinard.
Alors les décorés, montrant leurs distinctions,
Nous emmènent au bistro en guise de distraction,
Oh ! ils sont parfois drôles
les cabarets chez nous !
Et je vais me permettre de les décrire pour vous
Figurez-vous une place de quelques mètres carrés.
Un comptoir, deux trois tables, des bancs pleins à craquer
Dans un coin, un soldat joue de l'accordéon,
Dans l'autre, on bat les cartes en poussant des jurons.
On chante ... on crie ... on danse et l'on rit aux éclats
Mais il arrive aussi que parfois l'on se bat
Nous buvons du vin rouge, du blanc, du Saint-Dizier,
Quand la retraite sonne, la solde y a passé,
En se donnant le bras, on chante la Madelon,
Ce n'est pas tous les jours qu'on donne des distinctions.
&&&
22
– LE PETIT CRUCIFIX
Aux abords de la mer, était bâtie Nieuport,
Minime port de pêche, bonne ville flamande,
Maintenant effondrée, atteinte par le sort,
Subissant chaque jour la colère allemande.
Chez elle, tout a flambé ; rien ne reste debout,
On entend vers le ciel monter comme des plaintes,
Semblant dire, tout bas, rendez-moi, voulez-vous,
Mon pauvre vieux clocher dont la voix est éteinte.
J'ai trouvé dans les ruines un petit crucifix
Echappé par miracle au feu, à la mitraille,
Et dans la poudrière le montrant aux amis,
L'ai fixé gentiment à la vieille muraille
A présent, l'aumônier sortant son chapelet,
Devant ce crucifix chaque jour dit la messe.
Les soldats ont cessé farces et quolibets
Pour entonner des chants moins remplis de détresse.
Dans la nuit, sous la neige, nous avons dû partir ;
Nous montons à grands pas pour nos premières lignes
Nous allons y combattre et peut-être y mourir.
Vers le vieux crucifix, je fis un dernier signe.
&&&
23
– TROP COURT
Nous devons attaquer, c'est pour tout au matin,
Cela n'est pas grand'chose, une
ferme moins que rien.
Nous attendons l'heure H et que nos artilleurs
Déclenchent le barrage pour empêcher le leur,
C'est un rideau de feu qui doit nous protéger.
A mesure qu'on s'avance, ils doivent l'allonger
Le voilà déclenché : on saute le parapet
Et l'officier nous crie ; mes enfants on y est ;
Comme on a répondu, allons-y, lieutenant,
A son coup de sifflet, nous partons de l'avant.
Nous faisons quelques pas, mais de suite on s'arrête
Car voilà nos obus qui tombent à quelques mètres.
Nous avons des touchés, nous entendons leurs cris,
Bon Dieu, va-t-il falloir regagner nos abris ?
On lance une fusée pour qu'ils allongent le tir,
Mais hélas ! ils tardent trop à
combler nos désirs.
Nous rentrons, rouspétant contre les artilleurs.
Des yeux de l'officier, on voit couler des pleurs.
A l'attaque d'une ferme nous partîmes un beau jour,
Nous avons échoué, car ils tiraient trop court !
&&&
24
– FATALITÉ
Jean X était brave, c'était un bon soldat,
Car il était toujours premier dans les combats.
Oui, c'était un lascar et tous on s'amusait
A ses chants, ses tours, ses farces, ses quolibets.
Un beau jour, il reçut une lettre de chez lui ;
Nous ne sûmes que plus tard ce qui était écrit.
Oh ! il ne chantait plus, il était
bien changé ;
On l'entendait souvent dire : m… de j'en ai assez !
Comme il refusait tout, on le mit au rapport
Et l'officier lui dit: cela devient trop fort !
Voyons, mon cher ami, vous ne voulez rien faire,
Je dois vous proposer pour le Conseil de guerre.
Il haussa les épaules, il ne répondit rien.
Il sortit des tranchées, nous le vîmes fort bien
Se porter de l'avant criant à l'ennemi :
Mais, Bon Dieu, tirez donc, voyez je suis ici
Nous allâmes le reprendre : ses lèvres étaient muettes
Et dans une de ses poches nous retrouvâmes la lettre.
Nous pûmes nous rendre compte de ce qu'elle contenait.
Et voici quelques mots – ce qu'on lui écrivait :
« Mon pauvre petit fils, ta femme jeune et belle,
Je t'annonce, à regret, qu'elle ne t'est pas fidèle.»
&&&
25
– LE CAFARD
Que de fois j'ai senti, terrible et lancinant,
Ce mal me torturer, me faire bouillir le sang ;
J'ai cru devenir fou ... ne l'ai-je pas été ?
Que de fois dans la nuit, j'ai souffert, j'ai pleuré !
C'était surtout les jours où me remémorant
Ma vie de jadis, lorsque j'avais vingt ans,
Je pensais aux bons vieux, au village, au clocher,
A Suzon, à Jeannette, à leurs rires perlés,
A mon insouciance et à ma joie de vivre,
A ma jeunesse ardente, mes amis et mes livres.
Puis je me regardais, pauvre chair tourmentée,
Lancée à la dérive, sans cesse ballottée,
Et mon âme atrophiée et meurtrie à jamais.
L'illusion était morte, la douleur me rongeait,
J'ai souhaité mourir et pourtant j'avais peur
Et je me raccrochais, car au fond de mon cœur,
Restait par dessus tout, un immense désir
De chanter de nouveau, d'aimer et de chérir
Et je me redressais ... je chassais le cafard ...
Car soudain dans mon âme, renaissait tout l'espoir
D'un renouveau tout proche et d'un temps plus clément,
Reprenant mon fusil, je marchais de l'avant.
&&&
A mon regretté camarade LOUSBERGHE.
26
– LA PERMISSION
Lousberghe
était content car il allait partir,
La permission en mains on le voyait sourir,
Assis dans son abri, frottant ses vêtements,
Décrottant ses souliers en chantant doucement.
Nous étions à Boesinghe ; sitôt la
nuit passée,
Il allait donc quitter pour sept jours ... les tranchées.
Avec de vieilles gamelles, il avait fait des bagues,
En parlant de Paris, il nous lançait des blagues,
Hélas! sur son abri, un obus est tombé.
Et Lousberghe est parti pour
toujours en congé.
&&&
27
– DÉTENTE
Depuis hier on s'apprête, le jour est arrivé
Notre tour est venu de partir en congé
Quittant le cantonnement, on prend le vicinal ;
Nous gagnons Adinkerke enfin tant
bien que mal.
On arrive sur le quai, la permission en main.
Les gendarmes à grands cris nous poussent dans le train.
Déjà montent des chants, car la joie est au cœur
Et les yeux de chacun sont remplis de bonheur.
L'un va chez sa marraine, l'autre chez des amis
On rit on s'interpelle, voilà le train parti.
A mesure qu'il avance change le paysage ;
Des enfants jouent même là-bas dans un village.
Arrivant à Paris, des lumières, des boulevards,
On est vite accosté en sortant de la gare :
Alors les petits belges comment va-t-il chez vous
Offrez-nous donc un verre et causons voulez-nous ?
Histoire de rigoler on y va carrément.
Car nous n'avons plus vu de femmes depuis un an.
Ouvrons nos portefeuilles, notre pécule est petit
Mais on s'arrange toujours quand on est des amis,
Les filles sont jolies, le vin nous semble bon,
La ville nous appartient car nous venons du front,
On ne pense plus à rien, il faut bien s'amuser !
Et pourtant d'ici peu il faudra rembarquer,
Le congé est fini, on attrape le cafard.
Nous avons les jambes molles et voyons tout en noir ;
Avant d'y retourner faudra attendre un an
A moins que d'ici là, on ne soit plus vivant !
&&&
28
– STEENSTRAAT
De l'Yser, l'ennemi voulant gagner Calais,
Un beau jour à Steenstraat
préparait son forfait
Envoyant contre nous les gaz asphyxiants
La plus lâche des armes, inconnue à ce moment.
Nous ne pouvions rien faire contre la vague atroce
On se roulait par terre en pleurant comme des gosses.
Déchirant nos vêtements, l'épouvante dans les yeux
Car la respiration nous mettait l'corps en feu.
Certains de leur succès, alors les allemands
Croyant bien devant eux n'avoir que des mourants,
Ordonnèrent l'assaut et foncèrent sur nous
En criant : cette fois Calais sera à nous.
Ils avaient tout prévu, sauf qu'à ce moment
Se trouvait devant eux le 4e régiment !
Le général Bernheirn n'avait
jamais flanché
Et devant son appel, nous nous sommes relevés.
Nous fîmes une lutte atroce, un fameux corps-à-corps
Et la victoire à l'aube nous souriait encore
C'est alors que trop tard les troupes du kaiser
Dirent : en face du 4e, nous n'passerons pas
l'Yser
Paru
dans le Bulletin Brugeois.
&&&
29
– LA CASBAH
Chez nous, c'est le branle-bas, on s'embarque à grands cris,
Et notre division va au camp de Mailly.
Nous y allons apprendre tout comme nos alliés
Une nouvelle tactique pour pouvoir attaquer.
Nous arrivons là-bas ; à peine débarqués,
Sur une plaine immense, on nous fait manœuvrer.
Nous coudoyons des noirs, des Russes, des Français,
On se bouscule le soir dans tous les cabarets,
Un jour on distribue des bons pour la casbah ...
Nous ne comprenons pas ce que c'est que celà.
Ils nous demandent cinq francs ... cinq francs mais pour quoi faire
Pour moi ils deviennent fous, en voilà des manières !
Enfin, comme c'est un ordre ; dans les rangs on se met
Et le médecin passe l'inspection des sifflets
La visite terminée, le sergent nous conduit
Devant un bâtiment, cré bon Dieu,
quel fourbi
A l'entrée une loge, dedans une mégère
Qui réclame nos tickets, nous on se laisse faire
On est à peine entré qu'une fille tombe dans nos bras ...
Nous comprenons alors ce que veut dire casbah …
&&&
30
– LES CHIENS
Dans toutes les compagnies se trouve toujours un chien,
Il partage nos souffrances, nos joies et nos chagrins
Nous suivant aux tranchées, à l'exercice, partout ;
Le soir ou la journée il est là parmi nous
Comme il n'a pas de maitre, de l'un à l'autre il va,
Il nous lèche les mains, on lui donne du plata.
Au combat tout comme nous, il connait son métier.
Il baisse les oreilles si les balles ont sifflé.
Et si nous sommes surpris par le bombardement,
Dans un abri il rentre et se cache vivement.
Quant ! nous sommes à l'arrière,
avec d'autres il se bat,
Si on monte aux tranchées, il fait la guerre aux rats.
Parfois il est touché, il crève là par terre,
N'ayant pas comme nous les honneurs militaires.
Quand ce sera fini, je souhaite ardemment.
Que pour les chiens de guerre, on fasse un monument.
&&&
31
– NUIT DE NOËL AUX TRANCHÉES
Depuis trois jours la neige ne cesse de tomber,
Et dans les avant-postes on ne peut s'abriter.
On souffle dans ses doigts, ils sont tout engourdis,
Les pieds nous font bien mal et nous sommes transis.
Comme arrive minuit, on s'est agenouillé.
C'est Noël aujourd'hui et nous devons prier.
Sur le front il fait calme, pas de balles, pas d'obus,
Un soldat chante même le Crédo de Jésus.
Les boches l'ont entendu, en chœur ils ont repris,
On oublie un moment que nous sommes ennemis.
L'un d'eux parle français ; il nous dit qu'ils ont faim.
Ils nous jettent du tabac, nous leur donnons du pain.
Comme nous, ils sont bien sales et à moitié gelés,
Ils ont les mêmes souffrances ; mais en voilà assez,
Déjà le jour se lève, Noël est bien fini,
Au-dessus de nos têtes passent les coups de fusil.
&&&
32
– LES POUX
Nous sortons des tranchées, on rentre aux baraquements,
Allumant une bougie on enlève ses vêtements.
Comme cela démange ! nous sommes
remplis de poux,
La chemise, les chaussettes, nous en avons partout !
Retournons nos culottes, on regarde dans les plis,
On s'aperçoit alors qu'ils y ont fait leurs nids !
Pour s'en débarrasser, on cherche tous les moyens,
Les chassant aujourd'hui, ils reviennent demain.
De linge ont peut changer, à grande eau se laver,
Il n'y a rien à faire, ils ne veulent pas filer.
Je m'adresse aux savants, ceux qui ont inventé,
Les grenades, les lance-flammes, les gaz et les mortiers,
Travaillez jour et nuit pour trouver, voulez-vous ?
Un remède efficace pour faire partir nos poux.
&&&
33
– LES RATS
Les rats sont bien nombreux, il y en a partout,
On en a l'habitude comme on l'a pour les poux,
Oh ! ils sont souvent gros ...
parfois comme des lapins,
Ils ne sont pas méchants, mais ils volent notre pain.
On a beau prendre garde, le cacher n'import'où
Ils le découvrent vite et ils y font des trous.
D'ou viennent-ils, je l'ignore, je ne saurais le dire
Mais dans tous les abris, nous les voyons courir.
Et si pour se coucher, on prend la couverture,
Nous les sentons de suite passer sur la figure,
Tout comme nous, ils tiennent bon, oh ils ne s'en font pas.
Le long de la tranchée ils prennent leurs ébats.
Lorsque l'on a lancé des gaz asphyxiants
Les soldats furent malades … et les rats bien portants.
&&&
34
– FLEURS D’AUTREFOIS
Ce matin, j'ai rêvé, je me suis attendri,
En vision j'ai revu des choses de jadis.
Des choses qui s'estompaient un peu dans le chaos,
Où nous sommes enlisés comme dans un tombeau.
J'étais au parapet, accoudé et songeant,
Au carnage de la veille, aux râles des mourants.
La plaine qui s'étendait là-bas devant mes yeux,
Avait été couverte de sang, de cris affreux ;
Aujourd'hui le soleil avait séché la terre,
Plus rien dans la nature ne révélait la guerre.
Car en regardant bien, que vis-je devant moi ?
S'épanouir gracieusement quelques fleurettes des bois,
Germant dans le charnier, elles étaient le symbole,
De la force de Dieu dans toute son auréole,
Car Il avait permis que dans mon désarroi,
Je puisse contempler une fleur d'autrefois
&&&
35
– UN LASCAR
Il arriva un jour, venant je ne sais d'où,
Enfin toujours est-il qu'il est là parmi nous.
C'est un rude lapin et il sait bien s'y prendre.
Car pour les exercices, il ne veut rien entendre,
Je crois qu'il a passé par toutes les divisions,
Depuis l'infanterie jusqu'à l'aviation.
Il s'appelle Gustave Bronne, son
nom ne vous dit rien,
Je vais vous faire comprendre, donc écoutez-moi bien
On forme à Brédune un peloton
d'assaut,
Recrutant pour cela de drôles de numéros,
Ce sont pour la plupart des hommes gais et joyeux,
Qui comprennent très bien ce que l'on attend d'eux.
Je connais bien Gustave, il est parmi ceux-là,
Qui presque tous les jours doivent marcher au combat.
Hier la haie mystérieuse par nous fut attaquée,
Bronne par une grenade eut la jambe emportée,
Après avoir passé par toutes les divisions,
Au peloton d'assaut, il paie sa rançon.
&&&
36
– UNE TROUVAILLE
Regardez donc un peu ce que j'ai découvert,
Nous disait Vandevorde, en remuant
la terre.
Il avait dans les mains un bien drôle d'objet,
Une chose inconnue qui tous on contemplait.
C'était comme une boule, d'épines entourée ;
Nous n'avions jamais vu cela dans les tranchées.
Un de nous s'écria : mais c'est un hérisson !
Mets-le dans ta besace, tantôt nous le cuirons.
Comment allons-nous faire pour le déshabiller ?
Car il reste en boule et ne cesse de piquer.
On voudrait bien savoir comment il faut s'y prendre,
Car tous les hérissons ont la chair excellente.
Mais notre cuisinier, il doit bien s'y connaître,
Va donc le lui porter et qu'il arrange la bête.
Ce dernier l'a plongée dans un seau d'eau bouillante,
Tout en la préparant, il sourit et il chante.
Nous refusons la soupe et la boîte de plata,
Sachant que l'on va faire un excellent repas.
Mais il était trop tard ; quand nous sommes arrivés,
Le cuisinier l'avait servi aux officiers !
&&&
37
– LES INFIRMIÈRES
Bonjour, les vieux copains, je reviens de Cabour,
Oui, à cet hôpital, j'ai passé de beaux jours.
D'abord, je dois vous dire que pour les infirmières,
Elles connaissent leur métier, elles en font des manières.
Elles vous lavent, vous dorlotent, enlèvent les pansements,
Et trouvent toujours un mot à vous dire en passant.
Tenez, si vous souffrez, elles s'amènent près de vous,
Disant : allons nigaud, mais pourquoi hurlez-vous ?
La blessure vous fait mal, et elle vous fait pleurer ?
Allons, montrez cela, je vais vous la soigner.
Apprêtant les ciseaux, les pinces, tout leur fourbi,
Elles s'installent gentiment au pied de votre lit.
Leurs mains fouillent la plaie, parfois on serre les dents.
Mais on ne crie pas, on est bien content.
Tenez, moi, pour ma part, je souhaite de tout cœur,
D'être à nouveau blessé aux tranchées, tout à l'heure,
Et qu'on laisse finir le restant de mes jours,
Auprès des infirmières de l'hôpital Cabour.
&&&
38
– A LA MÉMOIRE
de mon bon camarade Julien Fabry ,
d'Esneux
un des braves du peloton d'assaut.
Bonjour, Monsieur l'major, je voudrais voir Julien.
Qu'on vous amena hier soir avec un bras de moins.
La salle là, tout à gauche, dans un des premiers lits.
Je vous en remercie je vous ai bien compris.
Alors, sacré veinard, pour toi finie la guerre,
Car avec ta blessure, tu iras à l'arrière.
Je parie que là vite tu nous oublieras,
Car on mène bonne vie où l'on t'évacuera.
Voyons, ne pleure pas, tu es comme un enfant,
Une petite blessure et tu te crois mourant.
Quand ce sera fini, chez toi tu vas rentrer,
On ne regardera pas que tu es amputé.
Nous leur dirons qu'ici tu fus un brave soldat,
Que c'est en combattant que tu perdis ton bras,
Et pour t'aider à vivre tu auras une pension,
Car on n'oubliera pas ceux qui auront fait le front.
Mais ouvre donc les yeux tu dors depuis des heures,
Je suis ton camarade du peloton d'patrouilleurs.
Attends, pour t'éveiller, je vais appeler l'major,
Ce fut chose inutile, mon ami était mort.
&&&
39
– A L’HÔSPITAL D’OPHSTRAAT
avec
mes douloureux souvenirs…
Oh ! hôpital du front, de toi je me
rappelle,
Je vois encore tes toits troués par les shrapnels.
Tu fus bâti un jour dans une plaine immense,
Et tes salles regorgeaient de petits lits de souffrance.
Nous allions tous vers toi chercher un peu de repos,
Parfois les yeux éteints et les chairs en lambeaux.
Le cimetière était blotti à tes côtés,
Où l'on expédiait ceux que tu avais ratés.
J'ai passé avec toi de longues journées atroces,
Car à ce moment-là, je n'étais qu'un grand gosse.
Et quand je me souviens de ta salle d'opérations,
J'en ai le cœur glacé de l'affreuse vision.
Non je ne t'en veux pas, car je te dois la vie,
On m'apporta chez toi un soir, à l'agonie.
Et je te félicite car, ma foi j'en revins,
Pas trop mal réparé des mains des chirurgiens.
Malgré toute ma rancœur je dois te pardonner,
Je t'envoie le salut d'un de tes mutilés.
&&&
40
– LE FILON
A mon regretté
camarade Pirotte,
cuisinier à la 6ème
Cie du 4ème de ligne.
Ce sont toujours les mêmes qui attrapent la carotte,
Disions-nous un beau jour en parlant de Pirotte,
Que notre capitaine venait de désigner
Pour aller à l'arrière faire le cuisinier.
Tout ce qu'il préparait pour nous n'était pas bon,
On l'accusait parfois de voler nos rations
Nous critiquions la soupe, le rata, le café,
Espérant que bien vite il serait révoqué.
Il avait de la veine, oui, c'était un malin,
Et nous commencions même à le prendre en dédain.
Un soir que, aux tranchées, il portait à manger,
Par un éclat d'obus, hélas ! il fut
fauché ...
On le retrouva mort le lendemain matin,
Et il tenait toujours nos gamelles en mains.
Mon pauvre ami Pirotte, de toi
nous nous plaignions
Tu étais un veinard tu avais le filon.
Paru dans le journal : L'Invalide Liégeois.
&&&
41 – RÉVEIL...
Aveugle ! je suis aveugle ... où
suis-je donc ce soir ?
Tout ce qui m'environne est plongé dans le noir.
Avant d'être blessé ... mais je voyais encore !
Et j'en ai échappé, pourquoi n'être pas mort ?
Lorsque je vais rentrer, que va dire ma mère ...
Je ne verrai plus rien, bon Dieu ... que vais-je faire ?
La nuit, toujours la nuit sans soleil et sans fleurs,
Je ne pourrai même pas reconnaître mes sœurs !
Il va falloir quelqu'un pour diriger mes pas,
La vie sans ne rien voir quel calvaire ce sera !
Oui, je maudis la guerre, je clame ma douleur,
Mais mes yeux sont fermés, on ne voit pas mes pleurs.
&&&
42
– AVANT L’ATTAQUE
Encore une demi-heure, puis nous devrons partir,
Car notre compagnie, ce soir donne l'attaque,
Les hommes ne parlent plus, le calme fait frémir.
Tout petit dans un coin, j'ai peur et mes dents claquent.
Je pense aux pauvres vieux, aux amis, au village,
Souvenirs qui pour moi, peut-être ne seront plus !
Car tout-à-l'heure, là-bas au
milieu du carnage,
Ma vie s'en ira, fauchée par un obus.
Je voudrais bien clamer la douleur qui m'oppresse,
Dire non, c'est impossible, je ne dois pas partir.
Je demande pitié, évoquant ma jeunesse,
Bon Dieu, épargnez-moi, je ne veux pas mourir,
Comme cela semble long, ces affreuses minutes !
L'angoisse me saisit, je sens mon cœur qui bat.
Franchir le para pet pour entamer la lutte,
S'en aller sans savoir si on en reviendra ...
J'ai tiré de ma poche une photographie,
Une nouvelle fois, j'en contemple les traits,
De mes yeux, brusquement, les larmes sont sorties.
Avec un léger bruit, tombent sur le portrait.
Encore quelques secondes, puis nous devrons partir.
Et notre sang là-haut, fera de grandes flaques ;
Quels sont ceux d'entre nous qui vont devoir mourir ?
Tout petit dans un coin, j'ai peur et mes dents claquent.
&&&
43
– UNE PLAINTE DANS LA NUIT.
Emmenez-moi les gars, je suis touché, voyons,
Regardez le sang coulé d'une blessure au front ;
Mes forces m'abandonnent. Oh ! Je me sens faiblir,
J'ai une Maman, bon Dieu, je ne veux pas mourir.
Je suis entre les lignes, incapable de marcher ;
Envoyez donc vers moi, vite, les brancardiers.
On ne vient pas, hélas ! ma voix
est donc éteinte,
Ils n'entendent pas mes cris ; ils sont sourds à mes plaintes.
Mais non, c'est impossible ! je
suis abandonné…
Et ma vie s'en va, mes veines vont se vider.
Je vois des fleurs là-bas, qui poussent dans les champs
Ah ! oui car aujourd'hui commence le printemps.
Mon cœur devait s'ouvrir maintenant à l'amour,
Mais pour moi, c'est trop tard, c'est fini pour toujours.
Je sens que lentement j'entre dans le néant,
Il va falloir mourir et je n'ai que vingt ans !
&&&
44
– UNE AUBAINE
Nous cantonnions à Furnes !, c'était tout au début,
Les civils fuyaient, chassés par les obus,
Nous, pour nous protéger du feu de l'artillerie,
Nous allâmes dans une cave, elle était bien garnie,
Car nous étions tombés dans celle d'un cabaret.
Qui portait comme nom, je crois, « Au Perroquet »
Craquant une allumette, découvrant les casiers,
Il y avait du vin, un fût de Saint-Dizier.
Oui, c'était une aubaine, nous buvâmes
à grands coups,
Sous l'influence du vin, on riait comme des fous.
Et bientôt dans la cave s'égrenèrent des chants,
On se fichait pas mal de leur bombardement.
&&&
45
– ELSENDAME
Elsendame,
chez toi, nous sommes en repos,
Le long de ton canal, on se trempe dans l'eau.
Et comme le soleil nous montre ses éclats,
On va pouvoir enfin tous prendre nos ébats.
Les uns déshabillés, ils ont enlevé tout,
Et minutieusement, ils font la chasse aux poux.
D'aubes nonchalamment plus loin sont installés,
Une baguette en mains, sont en train de pêcher
Le ciel est sillonné par quelques avions ;
Des boches, des alliés ; la chasse ils se font.
Tiens, voici un shrapnel, serions-nous repérés ?
Ah oui ! c'est bien cela, ils
commencent à tirer.
Tombant tout près de nous, ils tuent quelques soldats,
A Elsendame, un jour, nous
prenions nos ébats.
Paru dans le Journal de Seraing
&&&
46
– UNE NUIT…
Au redan du passeur, aux postes avancés,
Nous avions dans la nuit posé des barbelés.
A l'aube, ayant fini, avec Lambion
Fernand,
Nous cherchions un endroit pour dormir un instant.
« Regarde, vieux frangin, là, contre cet abri,
La place est excellente, nous y serons bien mis ».
Il faisait encore noir, on ne voyait pas clair,
Nous prîmes comme oreiller un sac rempli de terre.
Et, dépliant nos bâches et nos deux couvertures,
Otant nos ceinturons, nous couchâmes sur la dure.
Et comme le soleil venait de se lever,
Nous n'avions pas tardé à nous mettre à ronfler ;
Nous sentions quelquefois sur nous courir les mouches,
Comme elles persistaient, cela nous semblait louche.
Nous nous levâmes tous deux et juste à cet instant.
Le caporal nous dit: vous êtes dégoûtants.
Regardez donc un peu où vous êtes couchés,
Enlevez votre bâche et vous serez fixés.
Nous avons très bien vu la capote gris clair,
Et la pointe des bottes sortant encore de terre.
D'un bond, nous fûmes debout et d'effroi tout saisis,
Sur un cadavre boche, nous étions endormis !
&&&
47
– A MON REGRETTÉ CAMARADE DEGRIES
de KOEKELAER.
Degries
était chez nous un bon bougre de flamand,
Qui, du soir au matin, était toujours content.
Quand, au front il était, il montrait son clocher,
Que l'on apercevait de nos postes avancés.
Il parlait de sa ferme, du bétail et des champs,
Et souvent par temps clair, contemplait longuement.
Toute sa vie était là-bas dans son village,
Jusqu'alors épargné de l'horrible carnage.
Et pour mieux regarder, parfois il arrivait,
Qu'il dépassait la tête de notre parapet.
On avait beau lui dire : Degries,
cachez vous !
Il répondait toujours « lectem »
moi je m'en fous.
Cela lui fut fatal ; au poste de hérisson,
Un jour, il fut frappé d'une balle en plein front.
Il eut encore la force à nous de s'agripper,
Afin de dire adieu à son vieux clocher.
&&&
48
– UNE DEMANDE
Pardon, mon capitaine, si je viens vous trouver,
Mais le soldat Ridel doit partir
en congé.
Il ne possède personne chez qui il peut se rendre,
Et pas un sou en poche, c'est facile à comprendre.
Vous savez qu'en repos, je chante tous les soirs,
Et je fais des collectes pour me payer à boire.
J’amuse les camarades par mes chants, mes récits,
Cela distrait un peu, on oublie ses soucis.
Donc depuis trois semaines, je chante mais ne bois plus,
Je garde ma recette j'ai trente francs, mais pas plus.
Et je vais les porter à Ridel, mon ami,
Pour qu'il puisse se rendre en congé à Paris.
Voilà mon capitaine, il me manque vingt francs,
C'est la somme nécessaire à son hébergement.
Donnez-les, voulez-vous, et moi je vous promets,
De vous les rembourser lorsque je chanterai.
&&&
49
– L’ANNIVERSAIRE
Aujourd'hui j'ai vingt ans, c'est mon anniversaire,
C'est déjà le troisième que je passe à la guerre.
Je fus blessé deux fois, oui depuis le début,
D'abord par une balle, puis par éclats d'obus.
Chassé de l'hôpital, étant à peine guéri,
Tout de suite équipé, au front je fus remis.
Ici, j'ai beau leur dire : mon Dieu je n'en peux plus.
Ils répondent : un boiteux tire comme un bossu ;
Et je traîne mon corps tout le long du chemin,
A vingt ans, vous savez, on est encore gamin.
Si cela finissait, ma foi, j'ai la jeunesse,
Je pourrais regagner des forces, de la souplesse.
Ainsi parlait un jour un petit bruxellois,
Qui venait de s'asseoir à côté de moi.
Hélas, son beau rêve ne fut pas exaucé,
Hier à Stuyvekenskerke, à mort il
fut frappé.
&&&
50
– A MON AMI LAMBION.
Je t'ai connu, vieux frère, un soir à Ramscapelle,
Tu venais lentement en mangeant ta gamelle.
De gros sabots aux pieds et une écharpe au cou,
Dans cet équipement tu pris place parmi nous.
Et t'ayant demandé : d'où es-tu vieux copain ?
Tu repris aussi vite : moi je suis de Seraing.
Depuis ce jour nous fûmes de véritables amis,
Partageant nourriture, argent, tabac et lit.
Tu n'étais pas vaillant pourtant pour te lever,
Et sur cette question, l'on s'est bien disputé.
Au travail, s'il fallait découper du gazon,
Je devais te crier : remue-toi donc Lambion
On allait quelquefois s'amuser à l'arrière,
Il arrivait souvent que tu buvais mon verre.
De retour tous les deux, de vue on s'est perdu,
Et de ces choses-là on ne se souvient plus.
Je te fais ce poème, c'est pour te dire ceci :
Tu resteras toujours un de mes bons amis.
&&&
51
– FRATERNITÉ
Mathieu devait partir en patrouille le soir,
Mais il n'était pas gai, il voyait tout en noir.
La cause de son chagrin et de tous ses soucis
Le portrait de son gosse on lui avait remis.
Il pensait à sa femme, à ce cher petit être,
Qu'il n'avait jamais vu, car il venait de naître.
Retournant dans ses mains la lettre et la photo,
Il disait en pleurant : regardez mon petiot !
C'est alors qu'un ami, témoin de sa douleur,
Dit : mon vieux, reste-là, ne verse pas de pleurs,
En patrouille ce soir, je vais te remplacer,
Il n'en revint jamais, Mathieu l'a bien pleuré ...
&&&
52
– RÊVERIE…
La guerre, toujours, la guerre, des pleurs des plaintes, des
cris,
Vivre toujours cachés, poursuivis par la mort,
Par les mêmes chemins, gagner les mêmes abris,
A la grâce de Dieu, remettre notre sort,
Voir que rien ici-bas ne nous rattache au monde !
Nous en sommes séparés par un rideau de feu.
Le cafard nous étreint, partout le canon gronde.
Ruine et désolation, s'étendent devant nos yeux ;
Les tranchées sont gardées par une ardente jeunesse,
Des hommes pleins de santé, au teint resplendissant,
Des hommes qui ont quitté amis, parents et maîtresses,
Qui attendent leur tour pour pourrir dans les champs !
Résister, nuit et jour, au feu à la mitraille,
C'est effroyable les choses, que l'on nous fait subir !
Le soir, pour se coucher, n'avons qu'un peu de paille,
Dormir tout habillés, et rien pour se couvrir,
Comprendra-t-on enfin que nous sommes à bout !
Que nos nerfs sont tendus, que notre sang bouillonne,
Que c'est toute notre vie qui se révolte en nous,
C'est toute notre jeunesse qui chante et qui rayonne !
Oui, nous voulons aussi la tendresse et l'amour,
Fuir le contact des morts, fuir la boue et le sang,
Reprendre notre place et dire à notre tour :
Notre tâche est finie, à d'autres maintenant !
&&&
A la mémoire des frères Charles et Jacques COUMANS,
de
la 6eme Cie du 4eme de ligne.
53
– LES LIENS DU SANG
Charles et Jacques, deux frères, et d'Anvers, je le crois,
Engagés volontaires, quand la guerre éclata,
A notre compagnie avaient été versés.
On les voyait toujours en train de discuter,
Ils ne s'entendaient pas, souvent il arrivait,
Que Coumans sénior engueulait son cadet.
Un soir pour patrouiller, le plus jeune s'en fut,
Il y resta frappé par un éclat d'obus ...
Jacques qui l'entendait se plaindre et gémir,
Partit à son secours, criant : il va mourir.
Ayant fait cinquante pas en terrain découvert,
Nous le vîmes s'effondrer à côté de son frère.
Quelques instants plus tard, nous allâmes les chercher,
Hélas, nous les trouvâmes dans la mort enlacés.
&&&
54
– QUELQUES RÉALITÉS
C'est la fête aujourd'hui, on chante, on rigole,
Tout le village entier danse la farandole.
Au son de la musique des couples ont dansé,
Autour d'un feu de bois que l'on vient d'allumer.
Apportez donc le vin, il faut que l'on soit gris,
Pour que tous l'on danse et que tous l'on rie.
C'est la fête aujourd'hui, on chante, on rigole,
Tout le village entier danse la farandole.
C'est la fête aujourd'hui, la musique a joué,
Des marches militaires et des pas-redoublés.
Derrière cette musique, des hommes de vingt ans,
Qui viennent de quitter fiancées et parents.
Vers quel but marchent-ils, ils n'en savent encore rien,
Leurs mains serrent un fusil, au lieu du verre de vin.
C'est la fête aujourd'hui, la musique a joué,
Des marches militaires et des pas-redoublés.
C'est la fête aujourd'hui, mais la musique s'est tue,
Comme accompagnement, c'est le fracas des obus.
Les chants sont remplacés par les cris, par les râles,
Que lancent les blessés déchirés par les balles.
Et tout comme le vin, maintenant c'est le sang,
Qui fait les mêmes taches rouges et souillent les vêtements.
C'est la fête aujourd'hui, mais la musique s'est tue ...
Comme accompagnement, c'est le fracas des obus !
C'est la fête aujourd'hui, l'armistice a sonné,
Derrière la musique marchent les rescapés.
Mais ils ont bien changé, tout courbés, l'œil hagard,
Ils sont méconnaissables, on dirait des vieillards !
Peuples, découvrez-vous devant ces mutilés,
Inclinez-vous bien bas en, les, voyant passer.
Et qu'ils servent d'exemple à toutes les nations,
Qu'elles ne fassent plus de guerre et brisent leurs canons !
Paru dans le Bulletin Brugeois.
&&&
55
– L’ARMISTICE
Sur les fronts alliés on a pris l'offensive,
L'ennemi bousculé s'en va à la dérive.
Pourtant pour résister, il fait de vains efforts,
Tentant de réagir et de tenir encore.
Mais c'est peine inutile, nous les tenons enfin,
Des villages, des villes sont repris ce matin.
On se bat sans arrêt, le désir nous rend fous,
Nous sentons que bientôt nous rentrerons chez nous.
A travers l'ouragan, on entend le clairon,
Dès les premières notes, ont cessé les canons.
Alors monte vers le ciel une immense clameur,
Des rires, des chants, des cris, on s'embrasse et l'on pleure
La guerre était finie ! amis, ennemis, sans haine,
Déposant nos fusils ... nous dansâmes sur la plaine
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56
– AU ROI SOLDAT
Il était à la tête d'un peuple de héros,
Dont le nom pour toujours est gravé dans l'Histoire.
Il a su dire un jour, l'âme fière, le front haut.
Aux boches qui voulaient fouler son territoire,
Conscient de ma mission en cette heure tragique,
Fidèle à mon serment, aux devoirs, à l'honneur,
Je dresse mon armée pour sauver la Belgique !
Mon peuple contre vous marchera de tout cœur.
Il se couvrit de gloire et pendant les combats,
Rivalisant d'audace de Liège jusqu'à l'Yser,
Il se trouva toujours parmi ses fiers soldats,
Vivant la même vie d'exil et de misère.
Par son intervention, la France fut sauvée
Le monde s'étonna devant sa belle action,
Son armée, très petite entre les alliés,
Fut pourtant la plus brave de toutes les légions.
Aujourd'hui ce grand chef n'est plus que chose inerte.
Car Il vient de passer de la vie au trépas :
Montant sur un rocher d'un pas toujours alerte,
Frappé par le destin, la mort Le prit, hélas !
Tu peux dormir en paix, noble chef héroïque,
Ton nom dans nos mémoires à jamais restera.
Si Tu étais pour nous le Roi de la Belgique,
Pour l'univers entier, Tu fus le plus grand Roi.
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57
– LE MARÉCHAL JOFFRE
Toi qui es à présent illustre maréchal,
A la guerre, je te vis campé sur ton cheval,
Oui, on peut t'appeler un soldat, un héros,
Car tu n'avais pas peur et tu risquais ta peau.
Souvent tu employais, ta fameuse tactique,
Massant tes cavaliers comme au concours hippique.
Commandant tes poilus, les faisant attaquer,
Tous indistinctement se couvraient de lauriers.
Puis on te confia, commandement suprême.
Nous ne le nions pas, notre joie fut extrême.
Nous partîmes à l'assaut le lendemain matin ;
L'attaque les surprit, et ils levèrent les mains.
C'est à toi, maréchal, que l'on doit la victoire,
Et il faut que ton nom soit gravé dans l'Histoire.
&&&
58
– A L’AUMÔNIER de BERT
du
3ème bataillon du 4ème de ligne.
Nous t'avons bien aimé, vaillant prêtre-soldat,
Du début à la fin, tu nous accompagnas.
Au péril de ta vie, tu allais de l'avant,
Secourir les blessés, communier les mourants.
Ne t'avons-nous pas vu par une rude journée,
Quand notre bataillon était à l'Yperlée.
Te lancer en plein jour près d'un poste ennemi,
Ramener parmi nous le lieutenant Demailly.
Tu étais bon pourtant et pas de préférence,
Et dans nos distractions tu chantais à outrance.
Pardonne de tout cœur tous nos égarements,
Nous n'étions pas très sages dans les cantonnements.
Quand nous parlons de toi, tu as notre respect ;
Nous nous sommes quittés, c'est avec grand regret.
Nous te remercions, car à la compagnie,
Par ton dévouement tu sauvas bien des vies.
&&&
59
– A MON CAMARADE JEAN GABRIEL.
Mon vieil ami Gabry, oh j'allais
t'oublier,
Il faut que je te couche aussi sur mon cahier.
Tu m'apparus un jour et, soit dit sans offense,
Tu avais l'air bien beau en tenue d'ordonnance.
Ta capote, je le crois, t'habillait à merveille,
Ton bonnet de police retenu aux oreilles ;
Tu marchais rouspétant derrière notre peloton !
On t'aurait confondu avec Napoléon.
On t'avait surnommé le roi des carottiers,
Car devant les corvées, tu étais vite filé.
Le soir, ta place était dans un petit bistro,
Devant un Saint-Dizier faisant le gigolo !
Et bien plus d'une fois, lorsque tu étais saoûl,
Il fallut une brouette pour te ramener chez nous.
Des poux, tu en avais pour toute la compagnie,
Car avec toi, ma foi, ils vivaient en famille.
Quand tu jouais aux cartes, tu avais le filon,
Tu parvenais toujours à gagner notre pognon.
Etant en meilleurs termes avec notre capitaine,
Quand il te punissait c'était pour une semaine.
Si tu avais dû faire, tous tes jours d'arrêt,
Tu n'aurais pas fini, je crois, à l'heure qu'il est.
Mais tu es revenu et tu avais raison,
Et comme pendant la guerre, à ta santé buvons.
&&&
60
– AU COLONEL BONNEVIE.
Pardon, mon colonel, je dois te dire ceci ;
A l'attaque sous tes ordres, je suis un jour parti
Oui, à ce moment-là, tu étais capitaine,
Tu avais rassemblé tes hommes dans la plaine.
Et comme pour attaquer nous attendions le soir,
Dans tes yeux rayonnaient la confiance et l'espoir.
Tu avais bien raison, nous avons réussi,
Nous avons capturé une centaine d'ennemis.
De moi, mon colonel, tu ne te souviens guère,
Mais je suis un de ceux qui te les ramenèrent.
Je ne dis pas par là que je suis un héros,
Non je suis un ancien du peloton d'assaut.
&&&
61
– AU CAPITAINE COYETTE.
De vous, mon capitaine, je dois aussi parler,
Car notre compagnie vous avez commandé.
Quand vous êtes arrivé, oh je me souviens bien !
Vous étiez très sévère, punissant pour un rien.
Nous savions cependant que vous avez grand cœur ;
Quand l'un de nous tombait, vos yeux étaient en pleurs.
Vous étiez comme un père commandant ses enfants,
Lorsque l'on se trouvait dans un mauvais moment.
Je ne sais capitaine si vous lirez ceci,
Mais c'est de tout mon cœur que je vous l'ai écrit.
&&&
62
– AU LIEUTENANT MAQUIELS
Nous avons eu un jour un très bon lieutenant,
Il s'appelait Maquiels, il n'était
pas bien grand.
C'était un bon flamand, à Bruges étant né,
Et il y est encore je crois comme chapelier.
C'était un rude lascar ; quand il nous commandait,
Nous faisions de tout cœur tout ce qu'il nous disait,
Et dans nos distractions, souvent on put le voir,
S'amuser avec nous et nous payer à boire.
Mais il fut appelé chez les cyclistes, hélas !
Avec les larmes aux yeux un jour il nous quitta ...
Ah oui, mon lieutenant, tes amis nous étions.
Nous avons regretté ton départ du peloton.
Voilà, mon cher Maquiels, ce que j'ai à te dire,
Espérant que ceci un jour tu pourras lire.
&&&
63
– A L’ADJUDAND de LARIVIÈRE.
avec mes meilleurs souvenirs.
J'étais simple soldat, il était adjudant,
Comme il ne m'aimait pas, j'étais toujours dedans,
Dans les baraquements, on ne pouvait fumer
Il voit ma cigarette et me voilà pincé,
Il me met au rapport afin d'être puni,
Et à de Larivière, je tiens ce langage-ci,
Quand ce sera fini, on se retrouvera,
Je te prie de croire que tu t'en souviendras.
J'ai revu l'adjudant : nous fixant dans les yeux,
En se serrant la main, on s'embrassa tous deux.
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64
– AU SOLDAT INCONNU.
Bonjour, mon camarade, je ne sais qui tu es,
Et je viens sur ta tombe prier avec respect.
Mais je ne rêve pas ! tu voudrais me parler,
Commence donc à ton aise, je vais tout écouter.
Tu me dis être mort sans soins de tes blessures,
Et que ton pauvre crâne montre encore ses fissures.
D'abord quand tombas-tu au début ? à
la fin ?
Est-ce au bord de l'Yser, ou au fort de Loncin,
Tu aurais bien voulu rester près d'tes amis ?
Tu n'es donc pas content d'être inhumé ici ?
Oui, je te saisis bien, tu ne veux pas de gloire,
Alors que tous les autres s'effacent de l'Histoire.
Tu ne comprends pas bien qu'on fasse différence,
Pour ceux qui endurèrent les pareilles souffrances.
Allons, mon pauvre vieux, ne nous accuse pas,
Car nous n'en pouvons rien si tu repose là ...
Quoi que racontes-tu, ta mort n'a pas servi ?
Car, à l'heure actuelle, tout tombe dans l'oubli.
Tu as peur que les peuples ne veulent recommencer,
Et tu crains que ton fils ne soit mobilisé ?
Eh bien, de tout mon cœur, inconnu, je te plains,
Car au fond de ta tombe, tu ne dors pas en paix.
&&&
65
– L’OUBLI
Cédant à mon désir de revoir le front,
Je partis un matin avec mon baluchon.
D'abord, je vis l'Yser toujours lui, aussi calme,
Oh rien ne lui rappelle les journées du grand drame
Si elle n'avait sur ses rives les monuments aux morts,
Plus rien n'évoquerait hélas ! les
jours d'alors.
Tiens donc, voici Houthulst, la forêt légendaire,
Où tant de nos soldats mordirent la poussière.
A part aussi chez toi quelques arbres déchiquetés,
Tu ne portes plus la trace du lugubre passé.
En passant par Dixmude, je vois la minoterie,
Formidable repaire, un vrai nid d'artillerie.
De toi je suis content, tu montres aux visiteurs,
Combien nous dûmes lutter contre tes défenseurs.
A ta droite, je vois le boyau de la mort,
Et j'y vais de ce pas, car il existe encore.
J’emprunte ta passerelle ; tiens des fils barbelés,
Mais tu as bien bonne mine, Dieu que tu as changé !
De notre temps, nos abris étaient tous effondrés,
Et ton vieux parapet regorgeait de macchabées.
Combien d'hommes as-tu vus s'écrouler à tes pieds ?
Ils sont bien trop nombreux, tu ne peux les compter.
Oui, on a cru bien faire, on t'a mis neuve peau,
Reprends ta vieille tenue, tu étais bien plus beau.
La maison du passeur, l'Yperlée
l'arbre fourchu ?
J'ai beau chercher partout, cela n'existe plus.
Je suis resté longtemps à contempler les champs,
Il m'a semblé entendre la voix de nos mourants.
Ils disaient : oui, mon vieux, tout passe, tout s'oublie,
C'est ici que pourtant nous fîmes don de la vie ...
Vas, retourne chez toi, retrouve tes amis,
Mais raconte-leur bien que ceux qui dorment ici.
Demandent humblement dans leur sombre demeure.
Qu'on vienne de temps à autre leur apporter des fleurs.
Paru dans le Bulletin Brugeois.
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66
– LA RENCONTRE
Mes chers amis, on se retrouve,
Après dix ans, terme assez long,
Vous dire le bonheur qu'on éprouve.
A votre bonne santé, buvons !
Nous allons évoquer notre passé de guerre.
Quand nous étions blottis dans les boues de l'Yser.
Citons donc quelques noms : Dixmude, Bousinghe,
Nieuport,
Où tous on a vécu, unissant nos efforts.
Là-bas, rappelez-vous que malgré nos souffrances,
Dans nos avant-postes mêmes nous chantions à outrance.
Et l'on se souvient tous que le sergent Begon,
Tout proche de l'ennemi jouait l'accordéon.
Souvent pour la patrouille nous étions désignés,
Pendant des heures entières il nous fallait ramper,
Pareils à des bêtes fauves cherchant une victime,
Ou à des assassins prêts à commettre un crime.
Au travail, nous allions remplir des sacs de terre,
Pour en faire des tranchées, des boyaux, des tanières
Nous rouspétions toujours lorsque l'on y allait,
Et beaucoup d'entre nous très souvent carottaient.
Quand au camp de Mailly, notre
division s'en fut,
Au seuil de la Casbah, on voyait des poilus.
Ils étaient là une foule, baïonnette au canon,
Qui pour pouvoir entrer se lançaient
des jurons.
Et les belles soirées qu'on passait à l'arrière !
Où nous faisions couler Saint-Dizier à pleins verres !
Dépensant en une heure notre solde tout compris,
Qui était de trois francs, s'on n'était pas puni ...
Le sympathique Gabry, s'il était éméché,
Pour dire « vingt ans après » commençait à gueuler.
Le grand Fernand Lambion, surnommé
le taillor,
Le fracas des obus ne l'éveille pas encore.
Cartiaux, ah ! le pitre de notre peloton,
Pour tirer sa carotte, il avait le filon.
On ne voyait jamais cesser ses maladies ...
Qu'à l'heure de la soupe, ou les corvées finies
Le caporal Pattyn, chef de notre escouade,
Quand il nous commandait, on se portait malade ;
Mais il était malin, pour pouvoir nous grouper,
Il nous donnait toujours de l'argent à prêter.
Et le vieux Rondelet, parisien, l'as des as
Que les bandes molletières pressaient les godasses.
Il se distinguait même, souvent dans les assauts,
Qu'il fit sur la cuisine pour avoir du rabiot.
Quelques mots sur Behet, un autre
vieux de la vieille,
Qui, avec Vandevorde, s'entendait à merveille :
Il mettait dans son sac, peut-être craignant la faim,
Dix boîtes de plata et deux grosses-boules de pain,
Là- bas, Flamands, Wallons, dans la joie, la souffrance,
Nous sommes restés groupés dans toutes les circonstances.
Pensons un peu aussi à nos amis tombés.
C'est un devoir pour nous de ne pas oublier.
Et, si nous sommes ici, contents d'être revenus,
Tout comme pendant la guerre, quand nous étions poilus,
Et dans l'espoir prochain de nous revoir encore.
Mes chers amis, buvons, chantons jusqu'à l'aurore.