Médecins de la Grande Guerre
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Le
sous-lieutenant Raymond Lodge témoigna à ses parents de la vie après la mort. Raymond (Sous la croix, l’épitaphe mystérieuse rédigée par le père de Raymond Lodge) “Raymond
Lodge who had helped many to know that death is not the end” « Qui aida
tant de personnes en leur faisant savoir que la mort n’est pas la
fin »
Voilà l’épitaphe mystérieuse écrite sur la pierre tombale du
sous-lieutenant Raymond Lodge qui repose au Birr Cross Roads
(parcelle 11.D.5) Cemetery non loin de l’endroit où
il fut tué le 14 septembre 1915 par un éclat d’obus. Cette inscription fut
dictée par ses parents convaincus d’avoir pu discuter avec leur fils après son
décès. Bien évidemment le récit de ces
discussions fut d’un grand réconfort pour les innombrables parents endeuillés.
Il parut rapidement pendant la guerre en Angleterre et donna lieu à une traduction
en français en 1921 sous le titre de « Raymond
ou la vie et la mort ».
L’auteur, son papa, sir Olivier J. Lodge était un savant bien connu pour ses
travaux sur l’électricité et l’électromagnétisme mais il était aussi un fervent
adepte de la « Société des Recherches psychiques » qu’il avait
rejoint peu après sa création en 1882. Cette société croyait aux communications
possibles avec les esprits des décédés. A ce titre, le savant avait, en 1889 et
1906, fait des expériences de communication avec un médium, Madame Piper
installée à Boston aux Etats-Unis.
Après avoir assisté à 83 séances avec Mme Piper, Olivier Lodge fut
convaincu que cette dame possédait des pouvoirs paranormaux bien que cela ne
signifiait pas l’existence d’une survie après la mort. Dans les années qui
suivirent, Lodge finit par accepter l’hypothèse de la survie après la mort.
Ses expériences et sa conviction finale furent alors relatées en 1909
dans son ouvrage : « The Survival of
man ».
Six ans plus tard, en septembre 1915, Sir Olivier Lodge reçut de Madame
Piper un étrange message. Alors qu’une personne (Miss Robbins ) la consultait,
la célèbre médium reçut un message assez énigmatique de Myers, ami décédé
d’Olivier Lodge. Il fallait qu’Olivier sache que son ami Myers prendrait le
rôle protecteur de « Faunus » tandis qu’Olivier aurait le rôle du
poète.
Après une recherche littéraire, Olivier Lodge comprit que Myers faisait
allusion au poème d’Horace dans lequel Faunus, le génie protecteur des poètes
prenait soin d’un poète ayant échappé à la mort de justesse. Suite à cette
communication, Sir Olivier s’attendit à recevoir « un coup dur » dans
les jours suivants, coup dur dont il se relèverait néanmoins grâce à la
protection que lui accordait dans l’au-delà son ami Myers. Sir Olivier
n’imaginait cependant pas la gravité de ce malheur. Il se révéla dans toute son
ampleur quand quelques jours plus tard, le 17 septembre 1915 quand il reçut la
nouvelle officielle de la mort de son fils. Très curieusement, l’épouse
d’Olivier participa le 25 septembre à une séance de table tournante chez un
médium, Madame Leonard, qu’elle ne connaissait pas. Elle y était pour le compte
d’une amie. La table dicta alors le message suivant provenant de Raymond :
– Dites à mon père que j’ai trouvé
ici des amis à lui.
Le médium demanda à la table un nom et Raymond parla à nouveau.
– Oui, Myers
Le 27 septembre, Sir Olivier consulta alors la médium à son tour et il
en résulta un échange très instructif entre le père et le fils. Raymond signale
qu’il est plus gai, plus heureux depuis un jour ou deux car au début, tout lui
paraissait confus dans l’au-delà. Ce qui est ajoute au mystère c’est que la
maman d’Olivier suivit le même jour une séance avec un médium nommé Peters
qu’elle ne connaissait absolument pas. Là aussi, le médium parla spontanément
de Raymond, le décrivant comme un jeune home s’occupant de chimie (ce qui était
sa passion) et décédé loin de son pays.
Sir Olivier Lodge et son épouse étaient maintenant convaincu que leur
fils voulait s’entretenir avec ses parents pour les rassurer. Olivier Lodge et son épouse, les parents de Raymond ( Source : Gallica, bibliothèque nationale de France)
Avec Raymond, se trouvait dans l’au-delà à ses côtés le vieil ami décédé
Myers qui avait fait savoir par Madame Piper qu’il soutiendrait Sir Olivier
Lodge dans son malheur.
Les séances avec le médium, Mme Leonard, se poursuivirent et Raymond pu
à plusieurs reprises décrire ses conditions de vie parfois très surprenantes
dans un corps réel mais sans organes qui, de plus, habitait dans de véritables
maisons et disposait de bibliothèques. Sa tache consistait à tranquilliser les
soldats morts dans leur voyage vers l’au-delà.
Bien sûr, tout cela ne consistaient pas une preuve formelle de la survie
de Raymond mais Sir Olivier Lodge et son épouse en escomptait une qui puisse faire
taire tous les sceptiques. Cette ultime preuve prit la forme d’une
photographie.
Le 17 septembre, le medium Peters fit part à madame Lodge de l’existence
d’une photographie de groupe dans laquelle figurait Raymond. Le medium ajouta
que Raymond tenait particulièrement à signaler l’existence de cette photo.
Le 28 novembre Madame Cheves, maman d’un officier sur le front écrivit à
Madame Lodge qu’elle avait eu connaissance du décès de Raymond et qu’elle
s’apprêtait à lui envoyer, si elle ne la possédait pas déjà, une photo de
groupe où l’on voyait son fils. Madame Lodge s’empressa de répondre qu’elle ne
possédait pas cette photo.
Le 3 décembre 1915, lors d’une séance de spiritisme chez la medium Mme
Leonard, Olivier entendit la medium lui faire la description de la photo.
Raymond se souvenait qu’il y
avait une douzaine d’officiers dont certains se tenaient debout derrière
lui ; l’un d’entre eux voulait s’appuyer sur lui. La photo était « pratiquement »
prise au grand air. « Pratiquement » parce que derrière le groupe, la
voyante se mit à dessiner des lignes verticales sur un fond sombre.
Le 7 décembre arriva, chez les Lodge, la photo dans l’après-midi. Elle put enfin être visionnée par les parents
qui reconnurent leur fils parmi les 21 officiers qui y figuraient. Derrière le
groupe se trouvait la cloison d’une construction provisoire qui avait été
décrite par la médium par des lignes verticales et un fond sombre. Le fait le plus remarquable fut de voir
qu’effectivement un officier s’appuie ou pose la main sur l’épaule de Raymond. Groupe d’officiers envoyé par Mr Cheves le 7 décembre 1915, montrant un officier reposant son bras sur l’épaule de Raymond Le capitaine Boast
donna plus tard des explications sur cette photo. Elle fut prise dans le
bataillon et le photographe était un pauvre belge qui avait vu son foyer
détruit par une bombe à Reninghelst. Il développa les
négatifs et les remit au Cpn Boast
qui les envoya en Angleterre chez MM. Gale et Polden
pour y être imprimées. Ces négatifs arrivèrent la 15 octobre bien après que le
médium Peters ait mentionné leurs existences le 27 septembre 1915.
En résumé Olivier Lodge écrit : Ce fait présente quelques traits d’une
correspondance crise de degré élémentaire. La photographie nous a été signalée
par un médium et, en réponse à notre question, la description nous a été donnée
par un autre médium absolument indépendant du premier. L’épisode sera publié
dans les comptes rendus de 1916 de la Société des Recherches psychiques. (...)
Pour ma part, il me semble que l’incident a une valeur exceptionnelle. Raymond
devait aussi la considérer comme probant car Peters dit le 27 septembre :
« il tient particulièrement à ce que je vous dise ceci ». (...) Ce
cas est remarquable, d’abord à cause de la complète ignorance dans laquelle
nous nous trouvions de l’existence de cette photographie, et ensuite parce que,
avant de l’avoir vue, nous avons pu noter les détails obtenus de façon
supranormale. Il est impossible d’attribuer au hasard ou à une coïncidence la
concordance entre la description préalable de la photographie et la réalité. D’autres séances de spiritisme renforcèrent la
certitude de la famille Lodge, notamment des séances où furent posés au médium
des questions concernant des lieux et faits qu’avaient partagés ensemble les
trois frères Lodge et dont seuls ceux-ci connaissaient la réponse. Là aussi le
medium ne se trompa pas et pu donner les réponses exactes soufflées par
l’esprit de Raymond. Un exemple parmi d’autres, pour qualifier Mr Jackson, le
médium employa le mot oiseau ce qui était juste puisque c’était le nom du
perroquet de Raymond lorsqu’il était enfant.
Bien entendu, le livre d’Olivier Lodge obtint un grand succès et connut
sept éditions mais s’il rendit de l’espérance à de nombreux pères et mères
endeuillés, fut aussi l’objet d’âpres controverses que nous ne débattrons pas
ici. N’oublions pas aussi que ce livre constitue un beau témoignage sur un
jeune sous-lieutenant de 26 ans. Ingénieur dans la vie civile, son courrier
reproduit dans le livre nous apprend qu’au front, il se faisait remarquer par
ses compétences dans la construction et la réparation des tranchées et abris,
activité qui finalement occupait la plupart de ses séjours en première ligne.
Raymond aussi manifeste dans ses lettres une bonne humeur, un flegme anglais
qu’il s’efforce de maintenir à tout prix. Arrivé sur le front en mars 1915, il y restera six mois, le plus souvent
dans les tranchées avoisinant le château et le célèbre cratère d’Hooge. Voici une de ces lettres : Jeudi
29 juillet 1915, 07h35 du soir Me voici dans les tranchées tout comme
autrefois et entièrement à mon affaire malgré l’agitation d’une permission. Je
ne puis quelquefois m’empêcher de rire tout seul. Le curieux aspect des choses
me frappe. Quoi de plus comique que la chasse à l’abri, comme s’il n’y avait
rien de plus naturel au monde ? Une fois cet abri trouvé, je m’y installe
étale mes affaires, et pour quelques jours le considère comme mon home. Puis,
un beau matin, mon ordonnance et moi, nous nous remettons en route, le bâton à
la main, comme des Bohémiens, et nous voilà en quête d’un autre champ, à un
mille ou deux. Nouvel arrêt, nouvelle installation. J’ai quitté avec regret mon abri de
première ligne. J’y avais combiné les choses à ma fantaisie, tourné la table
pour donner de la lumière etc. La table était taillée dans le roc et c’était
une affaire de se mouvoir. Il y avait aussi une chaise et un lit de sacs de
sable. C’était petit mais confortable. N’importe, mon nouvel abri n’est pas mal non plus. Il est vaste,
avec des fenêtres à barreaux (mais sans vitres), une table carrée sur quatre
pieds, trois chaises et un lit de sacs. Je suis donc heureux. Un lit de sac se
fait comme suit : « Mettez sur le sol des sacs plein de sable.
Couvrez-les de sacs vides, et le lit est fait. Si les creux et les bosses sont
bien disposés, les premiers au milieu et les autres à la tête, le résultat est
brillant. Naturellement, on couche habillé, couvert d’un manteau, avec sous la
tête un oreiller pneumatique. » Nous avons eu du mouvement dans les
tranchées. Je vous ai dit que j’ai vu un aéroplane ennemi tomber en feu dans
nos lignes. C’était dimanche. Le rapport officiel dit que les deux pilotes ont
été tués. Lundi, j’ai été dans une tranchée d’arrière prendre le thé et faire
un bout de causette avec Holden et Vestris (deux officiers de la compagnie c).
A 10 h1/4, un grand bruit d’explosion se fit entendre : notre abri fut
secoué pendant quelques secondes. Les Allemands avaient allumé une mine à
soixante pieds de notre tranchée pour faire sauter nos travaux. Je me précipite
vers les mitrailleuses ; les deux étaient intactes. Quel tapage !
Tous les hommes étaient montés sur le parapet et tiraient tant qu’ils
pouvaient. L’une des mitrailleuses tira 500 coups, l’autre 50. On m’a dit que les ennemis tentèrent de sauter
par-dessus leurs parapets ; mais notre fusillade leur enleva ces
velléités. Il fallut longtemps pour rétablir l’ordre. Quelques-uns de nos
mineurs étaient au travail quand la mine sauta. Heureusement leurs galeries en
étaient assez éloignées et ils ne furent pas atteints. La nuit dernière, ils ont encore fit
sauter une mine. Ils sont persévérants, n’est-ce-pas ? Cette fois c’était
une affaire de moindre importance mais l’explosion eut lieu tout près de notre
tranchée. Une partie de notre parapet tomba. Il fut bientôt reconstruit. Deux
de nos mineurs furent enterrés sous les éboulis ; on les retira vivants.
Comme l’autre jour nous n’avons perdu personne.
Six semaines après avoir écrit cette lettre, Raymond perdit la vie avec
son collègue, le sous-lieutenant Ventris au moment où
les deux officiers s’efforçaient de mettre leur compagnie à l’abri d’un
bombardement en les faisant évacuer une tranchée de première ligne à Hooge. Voici le témoignage du lieutenant Case.
Lettre du lieutenant Case à Brodie, le frère de Raymond Lodge Jeudi 23 septembre 1915 Oui, je connaissais très bien Raymond,
avec qui j’étais lié d’amitié. C’était un des plus charmants garçons que j’ai
jamais rencontrés. J’étais avec lui quand il est mort. D’après mes
renseignements, voici comment les choses se sont passées : La compagnie A
(la mienne) et la compagnie C étaient dans les tranchées. Nos artilleurs nous
annoncèrent un bombardement, nous conseillant d’évacuer la première ligne pour
les cas où le Hun nous répondrait. C’est au moment où la compagnie se réfugiait
dans la tranchée de communication que le fatal obus atteignit votre frère. Il
commandait la compagnie C et suivait les hommes, après avoir surveillé leur
sortie de la tranchée menacée. Son ordonnance Gray fut atteint le premier. Il
reçut à la tête une blessure dont il mourut. Lodge alla alors plus loin dans la
tranchée demander du secours au sergent-major. Pendant qu’il lui parlait, il
fut attient dans le dos, du côté gauche par un éclat d’obus, je pense. Le
pauvre lieutenant Ventris fut aussi blessé et tué.
J’accourus en apprenant ce qui venait de se passer. Je trouvai Lodge dans un
abri avec un homme près de lui. Je vis qu’il était dangereusement blessé.
J’essayai de le réconforter par quelques bonnes paroles. Il me reconnut et put
à peine m’adresser quelques questions. C’était à peu près un quart d’heure ou
vingt minutes après qu’il avait été frappé. Je crois qu’il mourut au bout d’une
demi-heure, et je ne crois pas qu’il ait beaucoup souffert, Dieu en soit
loué ! J’ai un grand, très grand chagrin de sa
mort. C’est un des plus gentils garçons que j’aie jamais rencontrés. Inutile de
vous dire qu’il était adoré de tous, des officiers comme des hommes. Je suis
resté près de trois mois avec votre frère dans la compagnie C, j’ai été à même
de juger son admirable sang-froid et sa compétence dans les questions
militaires. C.-A.-R. Case Conclusion. Je ne sais si le grand physicien Olivier Logde a pu convaincre scientifiquement de l’existence de
l’au-delà ! En tout cas, son livre
a gardé vivant pendant plus de 100 ans le souvenir de son fils Raymond mort à
25 ans dans le saillant d’Ypres en même temps que son ordonnance Gray et que
son très jeune ami, le sous-lieutenant Ventris[1].
Nous serions évidemment très heureux que ces jeunes
hommes puissent d’une façon ou d’une autre continuer à exister d’une autre
façon que dans nos cœurs. Dr P. Loodts |