En souvenir de ma
grand-mère Gabrielle Gervais
qui connut la Grande Guerre et qui
aima la lecture du livre de Jacques Mortane consacré
à Pierre Godart.
Dr P. Loodts
Pierre Godart,
un drôle de « missionnaire » derrière les lignes allemandes !
Introduction
Jacques Mortane
fut le chroniqueur des aviateurs de la guerre 14-18. Il recueillit leurs
témoignages et les retranscrivit avec beaucoup de talent. On lui doit tout une
série de livres et aussi une revue parue dès 1916 et consacrée à l’aviation
militaire. Jacques Mortane, s’il souligna le courage
de ces héros, n’oublia pas pour autant les hommes qui partagèrent les risques
de la guerre aérienne en accompagnant les pilotes dans leurs aéroplanes. Il
s’agit des observateurs aériens mais aussi d’une catégorie de combattants que
l’on appela très vite « les missionnaires » et qui avaient pour
mission d’espionner l’ennemi après avoir été déposé derrière les lignes
allemandes. Le travail était risqué tant pour les pilotes que pour les « missionnaires ».
Pour le pilote, il s’agissait de déposer en sécurité leur compagnon mais aussi
de venir le rechercher quelques semaines après au rendez-vous fixé. Il fallait
déjouer l’aviation ennemie en même temps que les troupes au sol, vite alarmées
par le vol d’un biplan à basse altitude. Pour les « missionnaires »,
leur espionnage présentait de multiples risques et beaucoup ne purent se
présenter au rendez-vous qui devait les ramener au pays.
Beaucoup d’entre eux furent pris par
l’ennemi, condamnés et souvent fusillés. Un « missionnaire » fut
aussi acheté par l’ennemi et livra bon nombre de ses compagnons. Jacques Mortane se passionna pour les aventures de ces curieux
« missionnaires », la plupart d’anciens douaniers. Il recueillit les
confidences de nombre d’entre eux et les retranscrivit dans plusieurs livres, à
savoir « Douaniers en mission »,
« Au poteau », « Un héros Pierre Godart ».
C’est ce dernier livre que nous avons résumé ci-dessous.
Un héros : Pierre Godart
Pierre Godart
est un douanier de 36 ans à Fromelennes quand la
guerre éclate. Ce corps de fonctionnaires en cas de mobilisation était considéré
comme militaire et était chargé de surveiller les frontières. Ainsi le 22 août,
on retrouve Pierre Godart patrouillant avec des
gendarmes pour essayer de retrouver des hussards de la mort aperçus dans les
environs. C’est finalement à Winennes en Belgique que
les hussards sont signalés. Sans hésiter une petite troupe de Français se
dirige vers cette localité. Ils parviennent à surprendre l’ennemi qui s’enfuit
avec ses blessés et en laissant sur le sol un bonnet à poils appartenant au
lieutenant Vogel qui contenait de nombreuses lettres et cigares. Godart et ses compagnons se replient alors sur Givet. Plus
tard, le douanier, avec quelques compagnons tiennent l’ennemi sous leur feu à Fromelennes et cela pendant toute une après-midi. Mais les
assaillants reçoivent du renfort, Godart et ses
compagnons doivent à nouveau se replier sur le fort Charlemont
à Givet.
Givet – Le Fort de Charlemont et la Caserne Rouge
Ils aident alors les soldats assiégés à
porter secours à leurs camarades ensevelis par l’explosion d’une soute de
poudre et obus. De là, ils sont envoyés en reconnaissance sur la rive gauche de
la Meuse mais peu après, les clairons sonnent le « cessez de feu ».
C’est la reddition de la ville sous condition de payer une indemnité de 300.000
francs. Le fort lui tiendra encore un peu jusqu’au premier septembre. Godart ne veut pas être pris par l’ennemi et décide alors de
rejoindre l’armée française. Commence alors, pour lui, une vie d’errance jusqu’au
mois de janvier 1915. Pierre cependant ne parvient pas à traverser les lignes
allemandes et est contraint de se transformer en homme des bois, vivant dans
des huttes de branchage et passant son temps à transmettre du courrier d’un
village et à fuir l’ennemi qui recherche dans les bois les soldats cachés.
C’est ainsi qu’il marche avec son compagnon dans l’espoir de rejoindre Verdun
de Haute-rivière à Bohan, La Chapelle, Sedan où ils n’ont pas d’autres
possibilités que de faire demi-tour pour se cacher tout en haut des rochers des
« Dames de Meuse », à proximité de Monthermé, puis de se séparer.
« Les dames de Meuse » au sommet desquelles se cacha Pierre Godart
Godart a les
pieds perclus de rhumatisme et va se reposer en Belgique dans un bois de sapin
avant de tenter de rejoindre sa femme et son enfant. Il y parvint en ce début
de mois de décembre, reste quelques heures puis repart. Il reste huit jours
avec les bûcherons de Mesnil-Sainte-Blaise mais, malade, il s’en retourne dans
son village et se cache dans les grottes de Nichet puis dans le cimetière.
Fromelennes, le village du douanier Pierre Godart
Fromelennes – Les Grottes de Michet – l’entrée
Finalement, en janvier 1915, Pierre
décida avec son ami Hamaide de rejoindre l’armée française
non plus par le sud mais via la Hollande. Les deux hommes épuisés, quand ils
atteignirent Fléron, s’en allèrent demander de l’aide au curé qui les fit
rencontrer Guillaume Joly, un retraité des mines qui accepta de les guider. Les
trois hommes traversèrent Visé puis Fourons-le-Comte où ils allèrent repérer
les sentinelles gardant la frontière avant de s’installer dans un café qui
jouxtait les fils barbelés. Guillaume Joly s’en retourne alors chez lui tandis
que Pierre et son ami, attendent la relève de la garde pour sortir du café par
le jardin qui donne sur la frontière. Ils parviennent en rampant jusqu’au fil,
passent dessous et franchissent encore une haie avec succès avant de se
retrouver sain et sauf en Hollande. Les évadés rejoignent Eisden puis le Consulat Général Rotterdam qu’ils
atteignent le 11 janvier et où on leur remettra des passeports pour Folkestone
d’où ils rejoindront la France. A Paris, ils sont reçus par le directeur des
douanes qui leur remet à chacun cent francs et qui les félicita. Leur odyssée
est racontée par les journaux et c’est ainsi que Madame Godart
par des journaux français passés en cachette via la Belgique apprit la survie
de son mari.
Première mission
Après quelques semaines de repos, les
deux hommes sont affectés au 5ème bataillon de douanes. Au mois de
mai, ils se portent volontaires pour des missions spéciales dans les lignes
ennemies demandées par la 5ème armée. Le 1er juin, Pierre
est présenté à ses chefs et le soir même il allait visiter le champ d’aviation
de Rosnay. Début juillet, il fait connaissance du pilote Jean Navarre, chargé
de le droper. Les deux hommes sympathisent et étudient ensemble les cartes de
la région de l’Aisne où il devait opérer. Le 1er juillet Navarre
initie Pierre au vol. Il l’emmène comme passager et monte à 600 mètres afin
d’effectuer les figures les plus variées de ses cabrioles. Pierre résiste au
mal de l’air et est félicité par Navarre. Le départ en mission est fixé au 3
juillet mais le brouillard retarde le départ qui finalement ne se fera que le
19 juillet. L’atterrissage est fixé à la ferme des mille arpents entre Neuville
et Signy-le-Petit près de la frontière belge. L’avion atterrit dans une pâture.
Godart débarque avec ses pigeons et son équipement et
les cache dans les fougères. Il se met en contact avec M. Augoubard,
le fermier, mais malheureusement la ferme est étroitement surveillée. Godart se rend alors à Malgarni
de Wattignies où il trouve une aide précieuse en la personne de monsieur Brugnion avec qui il s’aventura jusqu’à Hirson pour
surveiller, à la gare, l’embarquement de troupes allemandes. La mission devait
durer 21 jours. Trois jours de suite, Navarre survola le terrain qui avait été
choisi pour l’atterrissage mais les environs étaient surveillés et Godart ne parvint pas à étaler le drap au sol qui devait
servir de signal. Navarre abandonna et l’on considéra alors Godart
comme prisonnier ou fusillé.
Jean Navarre surnommé la « Sentinelle de Verdun »
Godart se
résolut alors à retourner en France, une nouvelle fois via la Hollande. Le 21
août, il est à Liège, au moment où il aperçoit un Allemand dans son wagon de
tram. Il descend à l’arrêt suivant, prend un autre tram et finalement arrive
rue Paul Janson où il rentre dans un débit de boissons « A l’arrêt du tramway ». Il arrive à faire comprendre à la
patronne qu’il cherche à rejoindre son pays et Madame Houbeau-Hazo va lui faire rencontrer l’entrepreneur Lambrecht qui charge son contremaître Arthur Davis d’aider
le fugitif. Ce dernier se mit en contact avec les frères Mardaga
qui organisaient le passage en Hollande à As à partir de leur débit de boisson.
Godart et Davis devait les y retrouver quand on vint
leur annoncer que la famille Mardaga avait été
dénoncée et que la police cernait leur café. Mardaga parvint à se sauver en Hollande mais il fallut changer de plan. Pierre, se
faisant passer pour contremaître de Monsieur Lambrecht,
réussit à se cacher dans un puits de la mine de la société Cockerill à – 670
mètres aux environs de Genk. Il y passa quelques jours puis rejoignit un
village où il connaissait l’existence d’un autre passeur, l’instituteur Gérard.
Mais là aussi, juste au moment où il devait partir avec son guide, on lui
annonça que Gérard et ses frères et sœurs venaient d’être arrêtés. Pierre alors
se dirigea vers Neerpelt, cherchant à cet endroit le passage vers la Hollande.
Il traversa le pont surveillé par un poste de garde en faisant semblant d’être
un journalier agricole qui suivait une charrette de foin tout en ramassant les
gerbes qui tombaient.
Le poste le laissa passer mais, grosse
déception, Pierre s’aperçoit qu’il doit encore franchir un canal et il ne sait
pas nager !! Il fait demi-tour et retourne au village. Avec l’aide d’un
patron de café, il met au point un nouvel itinéraire. Il se mêle, muni d’une
faux, à des paysans partant travailler, et atteignit ainsi les environs de Budel, terre promise hollandaise non sans avoir dû ramper
pendant de longues heures. A Budel, il est reçu par
Monsieur Martens, bourgmestre de Bree et réfugié en Hollande. La réception est
émouvante. Après s’être reposé quelques heures, il rejoignit Rotterdam puis
Folkestone et de là, Boulogne-sur-Mer. Ayant rejoint ses chefs, il fut félicité
et décoré le 13 octobre de la médaille militaire.
Godart dut alors se remettre de toutes ses émotions qui
l’avaient rendu malade ! Il lui fallut pas moins de quatre mois pour
reprendre ses forces et guérir d’un « empoisonnement du sang » grâce
à un régime de panade et de lait !
Lorsqu’il fut guéri, il demanda
d’apprendre la T.S.F puis se porta volontaire pour une nouvelle mission de
« missionnaire ». Ils étaient à ce moment 8 hommes à vouloir partir.
Un de ceux-ci nommé Poma voulut réaliser une photo de l’équipe. On lui posa
comme condition de ne jamais emporter cette photo en mission. La photo fut
effectuée mais Poma ne tint pas sa promesse. De retour derrière les lignes
allemandes, il passa à l’ennemi et trahit la plupart de ses compagnons en
livrant la photo des « missionnaires » aux autorités allemandes. Les
« missionnaires » Simon et Mariani furent arrêtés et envoyés dans un
camp. Mariani mourut en 1922 à la suite des souffrances endurées en captivité.
Paul Denis fut passé par les armes le 29 mai 1916. Un autre « missionnaire »,
Sylvain Duval fut aussi arrêté et fusillé le 12 août 1916.
L’escadrille MS 12 en 1915 : Commandant, pilotes, observateur, mécaniciens et « missionnaires »
Deuxième mission
Le 1er
août, Pierre est désigné pour aller saboter les voies ferrées des environs de
Nouvion-en-Thiérache. C’est Sénart, son pilote qui le dépose tout près de Chapelle
de Malzy, entre La Capelle et Guise. Rapidement, il
rencontre un berger, Désiré Diot qui va l’aider
pendant quatre mois. Pierre après deux jours se dirige vers La Chennevière puis
s’abrite dans le bois de La garenne où il cache ses vivres et munition. Le 22
aout, il pleut à torrent et Pierre Godart essaye de
profiter du déluge pour détruire la voie ferrée qui va d’Hirson à Busigny.
Arrivé près
de la voie après de longues heures de marche, il entend des factionnaires se
rapprocher et doit se cacher dans un fossé plein d’eau. Les cartouches de
dynamite sont en place mais doivent être fixées quand, il entend des coups de
sifflet et voit des lampes électriques qui s’éclairent. Le douanier n’a le
temps que de fuir et de voir arriver le train qui aurait déraillé s’il avait pu
achever son travail. La locomotive traîne des wagons surchargés de femmes et
jeunes filles : ce sont des Lilloises que l’ennemi dirigeait vers Laon et
La capelle pour la moisson. Pierre est finalement content d’avoir raté sa
mission. Les jours suivants, il fera d’autres tentatives mais il est contraint
à chaque fois d’abandonner, ne parvenant pas à déjouer la surveillance des
voies. Il retourne alors à Hennepieu où Mme Moreau et
Monsieur Fauchard l’aidèrent en lui fournissant réconfort et vivres dans sa
hutte. Atteint de fièvre et de gonalgies, il doit patienter un mois avant de
guérir. Pierre reprend alors ses activités de renseignements au cours desquelles
il parcourut la région jusque Vervins et Hirson pour suivre le mouvement des
troupes qui entamaient en ce moment une retraite stratégique. Un jour, cependant
il fut surpris dans les bois, près de sa hutte par deux gendarmes allemands
mais au prix d’une course folle, il parvint à leur échapper. Peu de temps
après, craignant que sa hutte n’ait été découverte, il alla chez M. Larive au Vert-buisson dans la commune des Leschelles. Pierre va alors continuer à moissonner le plus
de renseignements possible et à donner conseils aux jeunes Français pour fuir
la zone occupée via la hollande. Il organisa aussi des actes de sabotage à la
gare de Nouvion grâce aux jeunes gens qui y faisait du travail obligatoire.
Cette existence, Pierre Godart la mena pendant onze
mois qui comprirent le terrible hiver 1916-1917. Plusieurs fois, il fut menacé
d’être découvert notamment lorsqu’il soignait le fils de son protecteur Larive qui souffrait de furonculose. Des gendarmes vinrent
un jour visiter à l’improviste le malade pour constater la véracité de son
exemption au travail obligatoire. Pierre réussit en dernière extrémité à se
cacher dans la chambre elle-même !
Début
juillet, 17, les troupes devinrent plus nombreuses dans la région. Pierre
passait alors pour être domestique dans la maison Larive
où il était hébergé et avait sans cesse l’occasion de discuter à table avec des
militaires ennemis. Mais il décida un jour qu’il en savait assez et qu’il était
prêt à retourner dans son unité pour prendre de nouveaux ordres. Il n’hésita
donc pas à tenter de franchir pour la troisième fois la frontière hollandaise.
Sur son chemin, il s’arrête à Fromelennes pour revoir
sa femme et son enfant.
Les
contacts sont brefs car un Allemand réside dans la maison en face de son
domicile. Pierre est obligé de reprendre la route rapidement. Il atteint à
nouveau Seraing et retrouve Monsieur Houbeau qui
l’avait aidé pendant son précédent passage. Le 20 juillet 17, un guide vient le
chercher chez Monsieur Houbeau. Les voilà marchant
dans un dédale de rues à Liège approchant soldat factionnaire. Pierre croit que
son guide sait ce qu’il fait ! Mais arrivé devant le factionnaire, le
guide saisit le bras de Pierre tandis que le soldat le met en joue. Pierre
vient de tomber dans un traquenard. Le « missionnaire spécial » est
arrêté. Emmené à Bruxelles, on lui annonce que ses bienfaiteurs Houbeau, son épouse et Lambrecht
ont aussi été arrêtés.
Prisonnier
C’est ensuite la prison de Saint-Gilles
où il finit par apprendre que c’est grâce à la photo du traître Poma qu’il a
été arrêté. Le 29 septembre, il est jugé à Liège. Son défenseur, Engerer, le défend avec conviction et finalement, Pierre Godart est condamné à un an de prison alors qu’il
s’attendait à être fusillé. Le 17 octobre, Pierre part pour la prison d’Elberfeld. Il occupa là diverses cellules jusqu’au 20
juillet 1918. Sa vie de prisonnier, il la résume ainsi : « Jugez de notre vie dans cette chambre,
abritant 48 hommes, où il n’y avait que deux tinettes, l’une pour uriner et
l’autre pour les autres besoins. Ces récipients n’étaient vidés qu’une fois par
jour. Dans la nuit ils débordaient et les paillasses à même le sol étaient
noyées dans le liquide impur. Nous étions nous-mêmes trempés par l’urine qui
coulait à terre. Et nous étions tellement affaiblis que beaucoup ne se rendait
plus compte, n’allaient même pas jusqu’aux tinettes. »
Le 11 novembre sonne la fin du calvaire
pour Pierre. Le premier geste de Pierre est d’aller saluer la famille de ses
bienfaiteurs qui avaient été emprisonnée pour le sauver. Le 15 novembre, il
était enfin chez lui. Plus personne dans son village le reconnaît tant il a
maigri. Même sa femme ne le reconnait pas quand, jouant la comédie, son
camarade demande pour deux ex-prisonniers l’hospitalité. Mais son fils Lucien,
qui n’avait cessé de le dévisagé, se mit à crier « papa ».
Pierre après les retrouvailles
familiales voulut aller à Paris se mettre au service de son administration.
Personne ne l’interrogea sur sa dernière mission. Il fut dirigé vers l’hôpital Després où il séjourna trois semaines. Démobilisé le 6
février, il reprit le service le 27 février, ce fut la seule faveur qu’on lui
accorda. Pierre avait espéré la Légion d’honneur mais le maréchal d’Esperey demandait que cette proposition soit établie
« par le chef qui vous a commandé ou par l’aviateur qui vous a
conduit ». Le Maréchal avait oublié que le chef qui avait commandé Godart, à savoir Nivelle, était mort ainsi que les pilotes Navarre
et Védrines. Quant au pilote Sénart, Godart le
croyait mort… alors écrit, Jacques Mortane, qui
aurait pu établir une proposition sinon le chef suprême ?
Conclusion
A travers la vie de Pierre Godart, Jacques Mortane essaya de
rendre justice aux héros souvent méconnus des « missionnaires ».
Voici pour terminer, les mots osés et courageux qu’il écrivit dans la préface
de son livre « Douaniers en mission »
:
Les
missionnaires spéciaux furent parmi les plus grands héros de la guerre. Leur
travail ne fut jamais mis en évidence. Certes, il valait mieux, pendant les
hostilités, ne pas insister sur leur tâche. Mais depuis, j'ai, dans « Missions
spéciales », essayé de décrire les exploits accomplis par ces purs patriotes,
d'une incroyable bravoure autant du côté des passagers descendus dans les
lignes que du pilote qui les y conduisait. Dans ce nouvel ouvrage, j'ai décrit
la plus grande mission spéciale collective, organisée durant la campagne, en
septembre 1915. On verra comment les douaniers s'y distinguèrent. Car, le plus
souvent, les missionnaires étaient des volontaires appartenant à
l'administration des Douanes. Le lecteur appréciera la beauté des tâches
sollicitées et réussies par ces anonymes de la gloire, mais il saisira mal la
parcimonie adoptée pour l'attribution des récompenses. Il est même des
douaniers missionnaires évadés, auxquels des commandants de recrutement qui
n'ont sans doute pas soupçonné ce qu'était la guerre, refusent la carte de
combattant. Pour eux, être douanier, c'est se borner à demander à la porte des
gares si vous n'avez rien à déclarer. A l'usage de ces officiers qui ont sur la
réalité des principes si rudimentaires, je dédie ces pages d’héroïsme.
Peut-être, avec quelque retard, comprendront-ils ! Mais il y a plus encore
que la carte du combattant.
Pourquoi
ne pas avoir décerné des médailles militaires et des Légions d'Honneur à ces
missionnaires qui les avaient si bien gagnées ? Il en est un, Henri Champeaux,
fusillé par les Allemands, le 24 août 1915, qui n'a même pas eu de
citation ! Pourquoi ne pas avoir attribué des décorations posthumes ?
Pourquoi
avoir oublié les vivants ? Est-ce-Parce qu'il s'agit de modestes fonctionnaires
? Je me suis efforcé, dans cet ouvrage et dans le prochain, d'attirer
l'attention sur ces vaillants. On trouvera dans ces livres des actes d'un
incroyable courage. Si les pouvoirs publics les connaissaient, ils tiendraient
sans aucun doute à réparer maintes injustices. Sait-on que sur 11.936 douaniers
appelés sous les drapeaux, pendant la guerre, 142 furent tués, dont 5 fusillés
par l'ennemi, 381 moururent de leurs blessures ou de maladie contractée en
service, et 198 disparurent ?
Quant à
ceux qui furent décorés, 176 reçurent la Légion d'Honneur, 670 la médaille
militaire. Est-ce le bilan d'embusqués ? Est-ce l'arme à laquelle on peut, sans
honte, refuser la carte de combattant, alors qu'on l'accorde à celui qui,
durant toute la campagne, resta au dépôt d'un régiment du côté de Perpignan ou
de Narbonne ? Nous verrons que ce corps d'élite, composé de patriotes, esclaves
du devoir, a fourni des héros dans les autres armes, mais tous admirent
particulièrement ceux des leurs qui se consacrèrent aux missions spéciales en
territoire ennemi ou ils vivaient dans une perpétuelle angoisse.
Et ce
sont ceux-ci qui furent les délaissés, traités avec une rare ingratitude. On le
constatera dans presque tous les chapitres de cette étude. (…)
Les
douaniers n'ont jamais reculé devant le danger : ils ont toujours réclamé
l'honneur de partir, même sachant qu'ils n'avaient aucune chance d'échapper à
la mort. Si on l'oublie, qu'est-ce donc que la justice ?
(Jacques Mortane)
Sources :
1 Jacques Mortane, Un héros, Pierre Godart,
Editions Baudinière, Paris
2 Jacques Mortane,
Douaniers en mission », Editions Baudinière,
Paris
3 La douane et son histoire