Médecins de la Grande Guerre
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Paul Peltier, grand bienfaiteur des réfugiés
belges à Paris Dédicacé à ma chère épouse Bernadette Michel, présidente
dévouée du « Collectif Logement » de Hannut. Septembre 1914, des milliers de
Belges fuient leur pays. Arrivés à Paris, ils trouvent un immense réconfort en
la personne d’un commissaire de police du sixième arrondissement de Paris, Paul
Peltier. Ce magnifique idéaliste obtint du conservateur du musée du Luxembourg
de pouvoir disposer du séminaire de Saint-Sulpice pour offrir logement d’urgence
aux réfugiés arrivant en masse dans la capitale et dont la majorité provient
de Belgique. Rappelons ici que l’immense séminaire avait été confisqué par
l’Etat en 1906 suite à la loi Combes, loi qui obligea de nombreuses
congrégations religieuses à abandonner leurs couvents et à fuir à l’étranger. La séparation de l’Eglise et de l’Etat. Paris – Expulsion des Séminaristes du Grand Séminaire de Saint-Sulpice le 14 décembre1906 (lartnouveau.com) Le « Secours de Guerre » au Séminaire de Saint-Sulpice Au moment où la guerre
éclate, le bâtiment avait été attribué au Musée du Luxembourg qui escomptait
sur ces locaux pour s’agrandir. Certaines collections y étaient déjà
entreposées. Le commissaire Peltier, pour aménager l’ancien séminaire, fonda
une association baptisée « Secours de guerre », qui démarra avec un apport
financier modeste des gardiens de la paix des sixième
et quatorzième arrondissements (chaque policier fit en effet un don de 20 sous,
ce qui donna au total 800 francs !). Par après, un mécénat d'un groupe
important d'industriels et de commerçants de la rive gauche de la Seine
compléta le financement. L’association remit en état les bâtiments laissés à
l’abandon depuis qu’ils avaient servis à accueillir les victimes des
inondations de 1910. Plus de trois mille mètres de canalisations d’eau durent
aménagées ainsi que 450 mètres d’égout. Une cuisine fut aménagée et permit de
donner 4.000 repas journaliers aux réfugiés répartis dans plus de 600 chambres
et dortoirs. A cela s’ajouta un service médical, une pouponnière, un service d'assainissement,
une section de quarantaine ainsi qu’une garderie pour les enfants de deux à six
ans et un service de réinsertion professionnelle. Le Secours de guerre accueillait déjà
700 réfugiés début décembre 1914, et avait servi quelque 55.000 repas ; en
janvier 1915, il en accueillait le double. Le total des journées d’hospitalisation
depuis le 10 août 1914 atteignit 671.691 en août 1916, et 1.774.278 en décembre
1918. L’hygiène y était d’avant-garde. Les bâtiments étaient divisés en 8
secteurs qui chacun était désinfecté tous les trois jours. Le sol au moyen de crésyl,
les rampes d’accès, boutons de porte à l’eau de javel, les endroits
difficilement accessibles (fonds de placards, coins de plafond) par du
bichlorate de Hg projeté par pulvérisateur. De plus à
chaque départ d’occupants, la chambre était désinfectée à l’aide d’acide
sulfureux ou à l’aldéhyde. Un local était aussi attribué pour la désinfection des
habits à l’acide sulfureux. Toutes ces mesures s’avérèrent très efficaces et la
preuve en fut donnée lors de l’épidémie de grippe espagnole fin 1918 avec très
peu de victimes à l’intérieur de Saint-Sulpice. Une telle situation de surpopulation et
de cohabitation d’œuvres d’art et de réfugiés dans un même bâtiment devait
inévitablement engendrer des conflits. La bienveillance initiale de Léonce Bénédite, le conservateur du Musée du Luxembourg, à l’égard
de l’action du Secours de guerre cessa bientôt. Bénédite
et Peltier s'accusaient mutuellement à coup de rapports. L’un veillant à
l’intégrité de ses œuvres, l’autre arguant de la valeur supérieure de la vie des
réfugiés. La presse, quant à elle, se réjouissait que les bâtiments de
Saint-Sulpice aient retrouvé une vocation plus sociale que la conservation
d’œuvres d’art. Le conservateur était convaincu que s'il cédait trop de terrain
au Secours de Guerre, il anéantirait ses espoirs de réaliser son musée d'art
moderne. En janvier 1915, le musée disposait encore des salles où étaient
entreposées de nombreuses sculptures en bronze, du matériel et environ 2.000 ouvrages
provenant de la bibliothèque du musée. Cependant, au plus tard en avril 1915, Bénédite avait déjà commencé à rapatrier au musée du
Luxembourg certaines des œuvres déposées au séminaire, en raison des risques
d’incendie liés à la présence de poêles chauffés à blanc, de « cellules occupées
par des réfugiés qui fument s’éclairent le soir avec des lampes ou des bougies
», de fils électriques courant dans les couloirs, etc. Des mesures avaient
toutefois été prises contre ces risques d'incendie : installation de postes
d'eau, de pompes portatives, d’extincteurs et rondes effectuées par les gardiens
de la paix. Finalement, après de nombreuses disputes, l’évacuation complète des
œuvres vers le musée du Luxembourg, mais surtout vers les galeries Mollien et
Denon au palais du Louvre s’acheva le 4 novembre 1916, après avoir mobilisé
pendant quinze jours une trentaine de gardiens de musée et trois marbriers. Le
mois suivant, le musée fut contraint de céder au Secours de guerre les deux
dernières salles dont il disposait au séminaire. Le conservateur du Musée du
Luxembourg abandonna alors définitivement ses projets concernent Saint-Sulpice.
Le « Secours de guerre » pu alors garder la jouissance des locaux
pendant toute la guerre. Après l’armistice, c’est finalement le ministère des
Finances qui, en 1920, hérita des prestigieux bâtiments. A la recherche des parents. L’enquête. Sur cette carte postale, il est plus que vraisemblable que c’est Monsieur Peltier qui est représenté. Il y a peu de témoignage sur le travail
incessant que réalisa cet étonnant commissaire de police. Non seulement, il
répondait aux demandes des réfugiés mais, on l’a vu plus haut, il dut
constamment batailler ferme pour conserver l’ancien séminaire. Monsieur Paul
Peltier est bien vite tombé dans l’oubli. Nous ne disposons pas de documents
sur ce qu’il advint de lui après la guerre et, à ma connaissance, aucun
monument ne garde son souvenir. Seule une plaque fixée sur l’ancien bâtiment de
Saint-Sulpice rappelle l’aventure du Secours de Guerre mais sans mentionner le
nom de son fondateur ! Bâtiment sur lequel vous trouverez les plaques commémoratives Il est cependant une écrivaine, madame Magdeleine du Genestoux, qui lui rendit
hommage dans le récit qu’elle écrivit en 1917 et qui concerne les péripéties de
l’exil d’une petite réfugiée belge appelée « Noémie Hollemechette ».
Ce livre qui était destiné aux enfants est consultable gratuitement sur le web :
Les illustrations de ce livre sont très belles et sont l’œuvre de Georges Dutriac. L’histoire
de Noémie débute à Louvain. Son papa est un libraire très connu dans la cité
universitaire. Peu de temps après la déclaration de la guerre, les membres de la
famille Hollemechette se séparent. La maman,
accompagnée de Noémie et de sa petite sœur Barbe quittent Louvain tandis que le
papa et la fille aînée restent dans leur maison. Le fils, quant à lui, est
parti rejoindre l’armée du Roi Albert. Le chien de la famille « Phoebus » est réquisitionné pour devenir un chien de
mitrailleuse. Il jouera un grand rôle dans le récit. La famille Hollemichette sert de prétexte pour l’écrivaine de raconter
les premiers mois de la guerre en Belgique. Le martyr de la ville de Louvain
est évoqué ainsi que la résistance d’Anvers puis la fuite de l’armée belge vers
l’Yser ainsi que le calvaire des réfugiés. Phoebus, chien de mitrailleuse (illustration de Georges Dutriac) Dans le livre de madame du Genestoux se trouve cette illustration (de Georges Dutriac) très parlante de deux hommes traînant un vélo sur lequel on a installé deux enfants et un sac de vêtements. L’on suit particulièrement l’exode de madame Hollemichette qui débarque à Paris avec deux de ses filles.
Deux évènements adoucissent le sort de la famille dans leur exode. A Dunkerque,
les réfugiées retrouvent leur chien Phoebus dans un baraquement
consacré aux soins vétérinaires. Le chien Phoebus
s’est conduit bravement sur le champ de bataille ; il a sauvé son maître
et a pu empêcher que la mitrailleuse ne tombe aux mains de l’ennemi. Blessé
cependant à une patte, il est amputé puis renvoyé à l’arrière à Dunkerke. C’est donc avec une joie indescriptible que Noémie
et Barbe retrouvent leur chien qui est démobilisé et que l’on munit d’une « patte de bois »
(La couverture du livre illustre bien Phoebus avec sa
patte de bois). Phoebus va d’ailleurs être très chanceux
car notre romancière, en faisant ici un peu de science-fiction, lui fait
rencontrer le célèbre Dr Carrel, Prix Nobel de Médecine, qui parvient… à lui greffer une nouvelle patte. Le deuxième
évènement qui adoucit le sort des réfugiées Hollemechette
est la rencontre avec un personnage providentiel, Christian Peltier qui leur
offre un logement transitoire. Je n’hésite pas à vous transcrire cet épisode
raconté par Madeleine du Genestoux. Petite remarque, monsieur
Pelletier est nommé « Le Peltier » par l’écrivaine. Après cette
scène, suivra le compte rendu de la visite de Suzanne, jeune femme bénévole
du Secours de guerre, aux réfugiées. Ces
deux épisodes montrent bien l’ambiance qui régnait au séminaire Saint-Sulpice. La petite Noémie
Hollemichette raconte son arrivée à
Saint-Sulpice : Lorsque nous nous sommes trouvées, le
premier soir, à la gare du Nord, nous ne savions où aller. La maman du petit
Pierre se rendit chez des amis ; une dame nous dit d’aller au séminaire de
Saint-Sulpice où l’on nous donnerait des chambres. «
Prenez l’automobile qui est là, il emmène beaucoup de femmes et d’enfants qui
viennent de Belgique et du Nord et vous pourrez coucher vos petites filles au
moins pour cette nuit.» Mais
devant la grande automobile, il y avait un agent de police qui, en voyant Phœbus, s’écria : « Pensez-vous que nous abritions les
chiens, non... mais....» Maman lui expliqua que Phœbus avait eu la jambe emportée par un boulet à la
guerre. « Oh ! moi, je
ne vous dis pas le contraire, mais je ne peux pas laisser monter votre chien
dans l’auto.» Barbe commença à pleurer en
prenant le cou de Phœbus qui, lui, s’était assis
tranquillement et nous regardait avec ses bons yeux qui semblaient dire : « Toutes
ces conversations me sont égales, car je sais bien que je resterai toujours
avec mes petites maîtresses ; je les ai retrouvées après des aventures
autrement terribles qu’un voyage en auto et la rencontre d’un méchant agent de
police ». La dame qui avait parlé à maman,
s’approcha de l’agent et lui dit : « Prenez ce chien et parlez à
M. Le Peltier de ma part ; il arrangera cela sûrement. — Bien, bien », dit l’agent,
et il aida Phœbus à s’installer près du conducteur. Quand nous sommes arrivées au
séminaire, quelle histoire ! Les agents se mirent à rire
d’abord et entourèrent Phœbus pour savoir son
histoire, puis on appela M. Le Peltier : c’est celui qui reçoit les réfugiés.
Il a l’air très gentil et il demande à chaque enfant son nom et son âge. » Monsieur, nous allons bien garder Phœbus (illustration de Georges Dutriac) Il
parut s’intéresser beaucoup à ce que maman lui raconta, et il nous regardait
avec attention. Barbe lui
dit : « Monsieur, nous allons bien
garder Phœbus, n’est-ce pas ? — Mais, ma petite fille, il
n’y a pas de chiens dans le séminaire. — Eh bien, il y aura Phœbus. C’est mon toutou et celui de papa. — Où est-il, ton papa ? — Il est à Louvain, et il
viendra bientôt ici. — Oui, il faut l’espérer. Pour
l’instant, je ne sais pas où mettre ton toutou. Veux-tu me le donner ? — Non, je ne veux pas te le
donner ; tu es méchant.» Je tirai Barbe par le bras en
lui disant de se taire ; M. le commissaire se mit à rire et il réfléchit. Maman
s’était assise, elle avait l’air si fatigué ! « Écoutez, dit M. Le Peltier ;
je vais vous donner une chambre un peu éloignée des autres ; elle est très
grande et vous prendrez votre chien avec vous. Seulement il faudra le sortir souvent
et prendre garde qu’il ne gêne personne. » Il nous conduisit lui-même à
travers les beaux couloirs du séminaire ; il marchait en avant avec maman ;
moi, je donnais la main à Barbe et Phœbus nous
suivait très heureux. Ce soir-là nous nous sommes
couchées bien vite ; nous avons fait une bonne prière pour remercier le bon
Dieu et lui demander de préserver papa, Madeleine, Tantine Berthe et la Belgique
! (…) Noémie Hollemichette raconte la visite de Suzanne à Saint-Sulpice : Eh ! Je ne veux pas dire
que nous sommes abandonnées : je serais bien ingrate et je n’oublie pas
que Mlle Suzanne nous fait toujours une visite quand elle vient au séminaire. Mademoiselle Suzanne vient chaque jour au Séminaire de Saint-Sulpice (illustration de Georges Dutriac) Elle arrive tous les matins à huit heures ;
elle lave et peigne les enfants, elle emmaillote et promène les bébés, nettoie
des biberons, sert la soupe ; ensuite elle fait la classe aux plus grands et
raccommode leur linge et leurs vêtements. J’aime beaucoup à rester auprès
d’elle. Il y a une grande pièce avec des
armoires tout autour ; dans la journée, il y a plusieurs dames qui y viennent
pour travailler. On a demandé à maman d’aider, et naturellement maman a bien
voulu, elle parle avec ces dames et je vois bien que tout le monde l’aime. Je m’assois toujours à côté de Mlle
Suzanne qui m’apprend à coudre, à faire des ourlets. (…) Bien
entendu, l’histoire de la famille Hollemichette,
destinée à un public d’enfants, se termine bien. Désiré, le fils aîné a été
blessé au combat mais se relèvera de ses blessures et, finalement, la famille
entière pourra se réunir car Monsieur Hollemichette a
pu rejoindre le Havre où il se dévoue pour le gouvernement belge en exil. Ci-dessous
vous trouverez, un dernier extrait du livre de madame du Genestoux
dans lequel, Noémie raconte la remise à sa maman, par monsieur Peltier, d’une
convocation de la légation belge de Paris. Noémie raconte
la visite de Mademoiselle Suzanne : 23 septembre. Hier, maman a reçu une « convocation » de
la légation de Belgique. Quand M. Le Peltier a remis cette lettre
à maman, elle est devenue toute pâle, et moi j’ai pensé que c’était peut-être
une mauvaise nouvelle de papa ou de Désiré. Je n’ai pas osé le dire à maman,
mais je l’ai suppliée de m’emmener avec elle. « Je t’en prie, ma petite maman,
prends-moi avec toi, je veux savoir et, s’il le faut, je te donnerai du
courage.... — Ma petite Noémie, tu es
une bonne fille et tu m’aimes bien, mais il vaut mieux que tu restes avec
Barbe. — Moi je la garderai, dit Pierre, avec Phœbus, et vous verrez, nous serons très sages.» Je partis donc avec maman. A la légation
un jeune homme très gentil nous reçut en disant : « C’est vous madame Hollemechette ? Le bureau de Furnes, où se trouve le Roi, a
fait parvenir au bureau belge de Dunkerque un pli pour vous, que nous a envoyé
le sergent Vandenbroucque. Votre fils, Désiré Hollemechette, après s’être battu courageusement près de
Malines, et avoir été blessé, a été décoré par le roi Albert de la Croix de
Léopold. Nous pouvons ajouter qu’il est en voie de guérison. » Sur ce dessin de Georges Dutriac, Noémie est représentée avec Phoebus
qui possède une patte greffée par le Dr Carrel ! Malheureusement la patte greffée n’était pas
de la même que les trois autres ! Nul doute que les aventures du chien de
Noémie attirèrent sur lui la sympathie de beaucoup de jeunes lecteurs ! Conclusion Madame du Genestoux devint une écrivaine pour enfants, célèbre en son temps. Son
premier livre fut « Noémie Hollemichette ».
L’histoire de cette petite réfugiée belge fit connaître à beaucoup de petits
français les tribulations de la Belgique pendant la Première guerre mondiale. Ce
livre fut couronné par l’académie française. Par après, madame du Genestoux écrivit beaucoup de récits avec comme vedettes les
personnages crées par Walt Disney. Elle fut considérée comme une deuxième
« Comtesse de Ségur ». Paul Peltier continua son œuvre
après-guerre. Je n’ai, hélas, pas de précisions à vous donner sur la suite de
sa carrière et ce qu’il advint de lui et de sa famille. Sachez cependant
qu’il s’occupa encore longtemps d’un petit
garçon réfugié esseulé car non accompagné de sa famille. Cet enfant, quatre
ans, à son arrivée à Saint-Sulpice en 1917, grandit dans la famille Peltier
jusqu’en 1926, date à laquelle on retrouva sa mère.
Cette histoire émouvante confirme la générosité de la famille Peltier. Beaucoup de réfugiés provenant de la Belgique et du
nord de la France furent aidés par Dr Loodts Patrick Sources : 1) HAL 2) Faustin Foiret, « Le Secours de Guerre dans l'ancien séminaire de
Saint-Sulpice », Bulletin de la société historique du VIe
arrondissement de Paris, tome XXIII, 1922, p. 98-105. 3) Nordmann, Charles. “ REVUE SCIENTIFIQUE: UN MODÈLE
D'ORGANISATION : LE SECOURS DE GUERRE.” Revue Des Deux Mondes (1829-1971), vol.
50, no. 4, 1919, pp. 935–946. JSTOR, Revue scientifique
Accessed 23 July 2021. |