Médecins de la Grande Guerre

L'odyssée des pantalons rouges cachés dans les Ardennes après la bataille des frontières du 22 août.

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L’odyssée des « pantalons rouges » cachés dans les Ardennes après la bataille des frontières du 22 août.


Le pantalon rouge. (photo du web)

       Le 22 août 1914, l’armée française tenta d’arrêter la percée allemande en Belgique. Le choc se produira principalement en Gaume et  dans les Ardennes. Le combat dans la forêt de Luchy  se solda par une défaite sanglante de l’armée française, cependant, la forêt permit aussi à de nombreux soldats de se cacher et d’éviter un long emprisonnement. Certains vécurent  plusieurs mois dans les lignes Allemandes grâce à l’aide de la population locale. Beaucoup d’entre eux parviendront finalement à rejoindre la France via la Hollande ! Ce sont les exploits de quelques uns d’entre eux que je vous résume ici !  D’abord ceux de l’adjudant Vernet puis ceux du lieutenant Victor Guilhem-Ducléon et de ses hommes. Nous terminerons par l’aventure exceptionnelle de 120 soldats français qui sous le commandement du sous-officier Jean Laurent restèrent armés et en uniforme cachés  dans les lignes allemandes pendant près de trois mois.

A Ochamps, le poète Vernet[1]


Manœuvre à Caylus : camp militaire de Tarn et Garonne où la plupart des soldats de Midi-Pyrénées passaient avant la guerre. Ce camp existe toujours et est aussi en activité. (coll. Michel Florens)

       L'adjudant Vernet (1891-1916) compte parmi les nombreux soldats qui errèrent dans les bois en échappant à la boucherie. Avec six compagnons, il se cacha à Ochamps à proximité de la ferme de Maubeuge où résidait la famille Degand.  Quand le temps était trop  rude, le garde Nicolas les faisaient venir dans un hangar. Le soir les soldats recueillaient en un lieu fixé les victuailles et les douceurs que la population leur offrait pour survivre. L'abbé Bastin leur procura des passeports pour  traverser la Belgique et rejoindre la Hollande Le baron Coppée de Roumont prêta aux sept hommes 100 francs. Maurice Vernet était instituteur et remis avant son départ en Hollande son calepin de notes à la jeune fille de la ferme de Maubeuge, Juliette Degand.  Celle-ci  espérait revoir Maurice après la guerre, mais hélas ce dernier périt dans l'ambulance 13/6 de Moreuil le 10 septembre 1916. Aujourd'hui il repose dans la nécropole nationale de Montdidier. Dans le carnet de l'instituteur se trouvait écrit le très beau poème relatant la bataille du 23 août :


Equipe de Rugby du 11e Ri de Montauban. Maurice Vernet se trouve au second rang 2e en partant de la gauche. (coll. Michel Florens)

Le régiment s'est mis à l'aurore,

aucun de nos soldats n'a vu le feu encore.

Aussi plaisantaient-ils gaiement tout en marchant.

Pourtant les chefs ont dit: L'objectif est Ochamps

Et si nous rencontrons l'ennemi sur la route.

Il nous faut l'attaquer coûte que coûte.

Mais nos joyeux pioupious, quand ils ont su ces mots,

ont senti le lourd sac s'alléger sur le dos.

Car ils brûlent d'envie au cours de la bataille

De lancer des brocarts aux éclats de mitraille.

Le canon sourdement tonne dans le lointain.

Nos petits fantassins n'ont depuis le matin

Pris qu'un quart de café et qu'une croûte, et dame,

Depuis quelques instants leur estomac réclame.

Soudain, volant très haut dans le ciel nuageux,

Deux avions ennemis, oiseaux majestueux,

Planant au-dessus de nos troupes.

Voilà la faim calmée et l'heure de la soupe

Aussitôt oubliée. On s'attarde aux avions.

Bientôt, pour voir plus nettement nos positions,

Un des aviateurs, plein d'une rare audace,

Aborde imprudemment une zone basse.

Immédiatement partent de tous côtés

De rès nombreux coups de eu des soldats arrêtés

Et bientôt on peut voir le vaste aéroplane

Atteint dans son moteur, victime d'une panne,

Faire de grands efforts en vain pour tenir l'air

Et aller se poser en quelque endroit désert,

Mais une balle au front a tué le pilote

et l'appareil oscille, atterrit et capote.

Nous reprenons la marche et trouvons un village.

C'est Bertrix dont les gens vont sur notre passage

Nous offrir en riant et nos  encourageant

Du pain, du café chaud, du tabac, -sans argent-

De la bière ou du lait, des tartines de beurre.

et de petits drapeaux que nos soldats sur l'heure

Arborent avec joie au bout de leur fusil.

Faisant ainsi flotter en guise de merci.

Le rouge, jaune et noir de la noble Belgique

a côté des couleurs de notre République.

Français, n'oublions pas ce chaleureux accueil

Et si Dieu nous permet de châtier l'orgueil

De ce triste empereur qui n'est qu'un bien triste homme

Et ne vaut certes pas qu'en des cers on le nomme

Nous pourrons expliquer chez nous à nos enfants

Que si nous avons pu revenir triomphants

C'est grâce à la vertu, au courage héroïque

Des amis que la France a trouvés en Belgique.

Midi. Les hommes cependant ne pensent pas

Qu'il est grand temps de prendre leur repas.

Ils vont réconfortés par cette aimable fête

Que la population en passant leur a faite.

La route de nouveau poudroie au fond des champs.

L'ordre est enfin donné de cesser tous les chants.

On s'arrête, on repart et l'on s'arrête encore.

Plus d'un prend un biscuit qu'à la hâte il dévore

Car il se pourrait bien qu'avant la fin du jour

On trouvât les Prussiens dans les bois d'alentour.

Pourtant dans la forêt le bataillon pénètre.

Le vingtième de ligne est devant et peut-être

On pourrait traverser sans encombre le bois.

Mais voilà qu'on entend en trois ou quatre endroits

Quelques coups isolés puis une fusillade.

"Le bal va bientôt commencer, me dit un camarade.

-Halte! commande-t-on, serrez dans le fossé!"

Et notre général sur ses étriers dressé

Passe au triple galop de sa monture grise

Pour aller pallier l'effet de la surprise.

Derrière lui, sa suite est lancée au grand trot.

Au tournant du chemin voici presqu'aussitôt

Les robustes canons que notre artillerie

Sans perdre un instant va mettre en batterie.

Car ces soixante-15 à l'air inoffensif

Pourront semer la mort au moment décisif.

Mais on avait compté sans l'ennemi qui veille

Et dont les gros canons pointés depuis la veille

Dessus nos artilleurs ont bien vite craché.

"Ils n'ont dans leurs obus que du papier mâché",

Dit avec un sourire éclairant sa figure

Un jeune lieutenant qui passe à toute allure.

Cependant le combat devient rude, acharné;

Nous pénétrons sous bois et l'assaut est donné;

Ils sont quatre conte un. Leurs canons nous acculent,

Mais devant notre ardeur leurs bataillons reculent.

Les balles en passant sifflent lugubrement

Et les éclats d'obus pleuvent à tout moment.

Nombreux sont les sapins dont la cime est fauchée

Et dont une maîtresse branche est arrachée;

Et nombreux sont aussi les soldats que la mort,

Sans leur laisser le temps de finir leur effort,

Fait soudain chanceler et s'écrouler à terre.

La gueule des canons semblable à un cratère

Crache et vomit sans cesse au-dessus des guerriers

Et de la fonte, du fer, et du plomb meurtriers.

Bientôt, avec le soir, le crépuscule arrive.

La lutte continue, aussi âpre que vive.

Mais le nombre triomphe et nos braves soldats

Sont enfin obligés de rompre le combat.

Avec la rage au cœur, ils battent en retraite

Se défendant encore à coups de baïonnette,

Livides, affamés, pâles, blessés, hagards.

Un courage farouche enflamme leurs regards.

Les Prussiens à leur tour poussant des cris sauvages

Avancent. Leurs canons font d'horribles ravages

Dans nos rangs décimés. Malgré de grands efforts

Les nôtres sont noyés sous l'afflux des renforts

Que l'adversaire lance à droite par la route

Afin de transformer notre échec en déroute.

Du vingtième de ligne, il ne reste plus rien,

Et notre bataillon qui luttait en soutien

Débordé, pris de flanc, attaqué par derrière

Ne pouvant déjà plus revenir en arrière

Résiste dans le bois et combat sans espoir.

La nuit vient, nuit sans lune enveloppant de noir

Et les monceaux de morts et les blessés qui pleurent

Et ceux qui dans leur sang agonisent et meurent.

Maubeuge, le 15 novembre 1914

Maurice Vernet.


Avis de décès retranscrit par la ville de Montauban pour un de ces enfants mort à Luchy. (coll. Michel Florens)

A Graide: l'incroyable survie pendant quatre ans de 6 militaires Français[2]

       Le lieutenant Victor Guilhem-Ducléon écrivit ses mémoires[3] . Lui et cinq compagnons élurent domicile à quatre mètres sous terre, au fond d'un ancien puits de mine aux abords de la dernière maison du village de Graide sur le chemin qui va à Gembes. Mais l'abri menaçant ruine, à partir du 16 novembre, ils allaient vivre jusqu'au 15 novembre 18 dans les annexes d’une petite ferme. D'abord pendant six mois dans un trou creusé dans le foin de la travure, si réduit qu'ils ne purent s'y étendre, puis dans une cachette au-dessus du fournil sous le toit puis, à nouveau, dans le tas de foin nouvellement rentré. Enfin leur dernier abri fut le fournil lui-même jusqu'à la fin de leur réclusion. A partir de février 1916, la nuit et  à la moindre alerte, les soldats se coulaient au fond d'un gourbi creusé sous le pré et accessible  par la porcherie. La nourriture consistait en pommes de terre bouillies avec un peu de lard et toujours trop peu de pain. Les conditions de vie dures étaient aggravées par un sentiment d'inutilité. Quatre années à se cacher : le temps semblait interminable ! L'officier avait bien tenté d'organiser des cours de mathématiques pour ses soldats mais la tentative fut vite abandonnée.

       Finalement le lieutenant parvenait toujours à meubler son temps mais pour les cinq autres qui étaient des paysans, l'inaction pesait. Deux d'entre eux restèrent inoccupés quasi pendant toute la durée de la guerre. Scier du bois et peler les pommes de terre étaient les seules travaux auxquels ils s'adonnèrent avec régularité ! Leur inaction prit cependant fin à la fin de la guerre quand le lieutenant et ses hommes montèrent un petit atelier de menuiserie qui livra différents objets dessinés par l’officier. Etuis à aiguille, tonneaux, nécessaires de voyages, ronds de serviette obtinrent un succès commercial certain puisqu'ils furent même diffusés par Grand Bazar de Liège !

       L'entente restait acceptable entre les soldats français, sans doute à cause de l'officier qui veillait à une cohésion minimale malgré le fait que les cinq soldats s'étaient divisés en deux groupes rivaux qui parfois ne voulaient pas se parler !

       L'entente envers la famille de paysans qui les cachait n'était pas non plus toujours au beau fixe et les Français soupçonnèrent le fils de 28 ans de détourner à son profil toutes sortes de marchandises qui leur étaient destinées.

       La seule alerte qu'ils durent assumer se passa le 25 mars 17 quand les Allemands débusquèrent dans la forêt deux autres Français qui s'y dissimulaient à savoir, Ernest Chapalan et Jean Grall. Ce dernier fut pris mais Chapalan  s'échappa en blessant affreusement à la tête un agent de la police secrète. Les 11 communes voisines, dont Graide, furent dès lors  soumises  à des perquisitions. Comble de malchance, la maison du Père Clovis dans laquelle se cachaient nos soldats fut choisie par les Allemands pour abriter un poste transitoire de gendarmerie comprenant 15 hommes et trois chiens ! Pendant une semaine, les Français se tapirent entre le plancher et le sol de la maison voisine puis, Ils purent regagner leur abri souterrain qui s'ouvrait dans la porcherie du Père Clovis. Ils  vécurent dans cet endroit sordide durant trois semaines ! Etendus, ou assis, ils durent résister à l’humidité constante et s’accommoder de l’odeur provenant de la porcherie et de leur seau. Pour nourriture, une seule marmite de pommes de terre leur parvenait pendant la relève du poste. Le temps semblait interminable et il fallait, comme l’explique l’officier dans ses notes, ruser avec lui pour ne pas sombrer dans la dépression : « Pour occuper mon esprit, pour aider l'écoulement du temps, je m'étais créé une série de consignes, d'obligations tombant à des moments fixes. Considérés isolément, ces diverses parties de mon règlement de vie étaient absurdes : comme à tel heures, faire un quart d'heure de gymnastique, lire de tel moment à tel moment, etc... Semblable à l'homme légèrement ivre qui essaie de suivre le bord du trottoir pour ne pas aller se casser la tête contre les murs, j'avais tracé une ligne qui m'empêchait de tomber dans la paresse, la démoralisation ou l'apathie de la brute »   

       Finalement, les hommes tinrent les quatre années de guerre dans des conditions inimaginables. Le lieutenant, pendant toute la durée du conflit,  n'eut de véritable distraction que pendant les rares visites qu'il osa faire à une famille de Redu (Madame Dubois, sa fille et sa nièce qui occupaient le domaine de Pinval).

       Le 15 novembre 18, le lieutenant quittait Graide pour rejoindre enfin son pays !

       L'exploit du lieutenant lui valu la Légion d'honneur. Le 22 novembre 19, il revint une fois à Graide en 1920 pour l'inauguration d'une chapelle privée  construite  par la famille du Père Clovis L.  en signe  de reconnaissance à la vierge Marie  pour sa protection durant la guerre.

       Victor Guilhem-Ducléon eut 7 enfants d'Anne-Marie Goujon qu'il avait épousée le 30 avril 14.Il, participa à la deuxième guerre mondiale comme capitaine de réserve et, juge au Tribunal de Commerce de Bordeaux, il s'éteignit le 7 janvier 1970.

L'aventure  remarquable des 120 soldats armés  qui résistèrent derrière  les lignes allemandes pendant deux ans[4]!

       Il avait l'esprit de commandement ce Jean Laurent, sergent -major de la 3ème compagnie  du 1er bataillon du  11ème régiment d'infanterie qui, après le combat du 22 août dans la forêt de Luchy, parvint à rassembler une centaine de  survivants et à les commander pour essayer de rejoindre les lignes françaises.

       Le 23 et 24 août, il fut impossible de sortir de la forêt. Laurent organise sa troupe de survivants  en sections et escouades et  leur impose la discipline militaire. Il  décide de laisser les blessés graves  aux bons soins des  Belges  et  de rejoindre les lignes françaises  en rejoignant Givet.


Le rocher aux voleurs (marqué d’une croix) est situé à l’ouest de la station E.S.A le long de la Lesse.

       La première étape doit  les conduire à Maissin mais il faut traverser Paliseul où un spectacle effroyable  attend l'avant-garde. De loin, celle-ci aperçoit en effet   les Allemands  dépouiller des  cadavres de soldats français gisant sur le champ de bataille. Elle croit aussi apercevoir  des blessés au sol  que l’on   achève sans pitié.  Bouleversée, l'avant-garde reflue et s'abrite avec le reste de la troupe dans les bois. Le 26 août, Laurent et ses hommes se remettent en route et déambulent entre Maissin et Porcheresse dans un paysage de désolation. Ils aperçoivent des : corps en décomposition sur le sol, une ferme en feu et flottant sur un étang des cadavres de soldats français. Une patrouille est envoyée par Laurent reconnaître la ferme : il semble que celle-ci a servi d'ambulance. L'ennemi a attaqué, massacré et noyé ceux qu'il a trouvés.

       Laurent et ses hommes quittent ce spectacle d’apocalypse en  traversant  l'Our. Ils s’abritent ensuite dans un moulin abandonné. Le bâtiment est heureusement  assez vaste pour  tout le monde! Quel réconfort !  Après ces jours dantesques, c'est un endroit miraculeux où l'on peut allumer un feu, se réchauffer et enfin dormir en sécurité ! Le 28, la troupe reposée reprend sa fuite et atteint, à Neupont-Wellin, la demeure de Monsieur  Herman, garde du domaine de Mohimont propriété d’un industriel de Bruxelles, Mr Henriot. Madame Herman  chauffe du lait et parvient à distribuer un quart à chacun de soldats. C'est la première boisson chaude qu'ils boivent  depuis le 22 août. Après cet agréable intermède, le garde Herman guide  la troupe dans la bonne direction. Les  abords du  village de Boursigne-Vielle sont atteints et quelques soldats partent au village pour en  ramener des vivres que Laurent répartit ensuite  le plus équitablement possible. La nuit  est passée dans le bois mais au matin à l'appel, Laurent constate avec amertume que certains soldats ont déserté. Laurent donne  une dernière fois l'occasion à ceux qui le désirent l'occasion  de le quitter  mais demandent à ceux qui décident de  rester avec lui de se plier à la plus stricte discipline! Le lendemain,  les soldats atteignent les abords d'Hargnies.  Deux hommes  sont envoyés en reconnaissance mais  un seul revient car son compagnon a été capturé  par une patrouille allemande. Le village est entièrement  occupé par l'ennemi. Laurent constate dès lors qu'atteindre Givet devient très risqué et que la sagesse recommande de faire demi-tour afin de rejoindre la France plus au sud!   Le village d'Hargnies est tourné pour atteindre  un hameau abandonné de la vallée du Risdou. Un champ de pommes de terre fait le bonheur des hommes et quelques pots de confiture trouvés dans les maisons abandonnées font office de dessert. La marche reprend ensuite jusqu'à  Monthermé où des bateliers leur font traverser la Meuse.  A Monthermé, l'accueil chaleureux  des habitants fait oublier aux soldats  les neuf jours de souffrance subis. Les hommes sont abrités dans la clouterie Chaillot et gâtés par les habitants qui leur apportent selon leurs  possibilités des objets et vivres  de première nécessité.  Le boulanger offre une fournée spéciale, le boucher, de la charcuterie, le brasseur, deux fûts de bière.  Après une nuit de repos, Laurent remet sa troupe en ordre de marche. Château-Regnault, Braux, Nouzon.... Mais devant ce dernier village, le maire en fonction, monsieur Crepel, vient les avertir que les Allemands sont partout et que la seule manière de rejoindre les lignes françaises est de se faire passer pour des civils. Armes et uniformes doivent être abandonnés ! Laurent acquiesce finalement à ce plan et les hommes par petits groupes sont menés à un hangar où les habitants leur fournir des vêtements civils. Quelques hommes se chargent ensuite de cacher les armes et uniformes puis les soldats sont répartis dans différents cantonnements : cinquante hommes à Charleville, 40 à Nouzon, 25 à Braux, 25 à Joigny.

       Mais bientôt la prison dorée dans lequel ils se trouvent se révèle au fil des heures  trop dangereuses. Rapidement des rumeurs de dénonciation parviennent aux oreilles de Laurent l'obligeant  de reprendre la route sans trop tarder. Des ordres sont donnés et le lendemain soir, au lieu de ralliement, 137 soldats rendaient un émouvant adieu à la population de Nouzon. La troupe va maintenant être guidée par un couple de patriotes, monsieur et madame Malicet. Madame Malicet était belge et connaissait merveilleusement les Ardennes pour avoir sillonné toutes ses routes avec son père, marchand de chevaux.

       108 hommes de la troupe sont en tenue militaire dont 80 possèdent des armes. Les autres, des soldats récupérés, au fil des jours sont en civil. La Meuse est retraversée à Monthermé  par les hommes répartis en deux sections composées chacune de quatre escouades. Les habitants de Monthermé accueillent une nouvelle fois les braves soldats en les invitant à se restaurer avant de reprendre la route vers Villerzie. Laurent apprend que la Kommandantur de Charleville a lancé à ses trousses une vaste chasse à l'homme. Nouzon avait été abandonné juste à temps car, le lendemain de leur départ, un convoi avait amené 500 soldats allemands au centre du village. Le maire, Mr Crepel, qui avait si bien aidé les fugitifs, tint bon pendant son interrogatoire.

       La troupe de Laurent n'est plus très homogène. Les soldats en civil sont pour la plupart des soldats appartenant à d'autres unités que celle du régiment de Laurent. Laurent s'en méfie et préfère se séparer d'eux, leur enjoignant de tenter leur chance par  petits groupes. 

       Convaincu aussi que rejoindre les lignes françaises par Charleville devient une tâche  impossible, il change radicalement de plan et décide de rejoindre  la Hollande.  Les "120" se dissimulent dans un bois de Fromelenne puis atteignent Vonèche où une ferme les abrite. Le couple Malicet est en avant-garde, interrogeant la population, prenant des renseignements sur la présence ennemie. Le 10 septembre, les Malicet annonce une bonne nouvelle : le baron et la baronne Van der Straten-Vaillet, châtelains d'Honnay, s'offrent à recevoir et à abriter l'entièreté de la troupe. C'est en colonne par quatre que la troupe disciplinée pénètre un peu plus tard dans la cour du château.  Dans les dépendances du château le gîte est organisé. Le château avait été au moment de la bataille transformé en ambulance. La baronne, une nouvelle fois, se transforme en infirmière et soigne plusieurs soldats de Laurent atteints de fièvre. Le soldat Bazenti fut notamment veillé presque toute la nuit par la généreuse bienfaitrice !

       Le lendemain, il faut déjà quitter le château. Le  soldat Bazenti et deux autres malades y  sont laissés. Un moulin abandonné le long de la route Dinant-Wellin constitue l'abri suivant puis,  le lendemain, un camp de baraques auprès de puits de mines. Le groupe des 120 y reste deux jours pendant que des patrouilles sont lancées pour reconnaître l'endroit idéal pour traverser la Lesse. Le 14 septembre, la Lesse est traversée, et  la troupe atteint Laleux-Frandeux. L'abbé Dispaux, curé de l'endroit, fait stationner les soldats dans un pré afin de donner le temps aux habitants d'y   apporter vivres et boissons. Pour la nuit, Laurent et ses hommes reçurent l'hospitalité du baron de Bonhomme à Frandeux. Le 15 septembre, la troupe atteint Mont-Gauthier. Près de la ferme Saint-Philippe, un civil se présente, c'est le père Godet de l'abbaye de Chevetogne.  Une véritable bénédiction du ciel car peu après l'économe, le père Neyret livre lui-même une charrette remplie de vivres aux soldats : pain, beurre, porc, œufs, confiture et un baril de 50 litres de bière ! Sous le conseil des moines, la troupe se remet en route pour s'abriter dans la forêt, au nord du château de Ciergnon, à proximité du village de Mont Gauthier, dans une maison de garde appelée la baraque du champ-des-murs[5].  Les " 120" ont la main heureuse en trouvant pareil abri. Laurent ne veut pas s'y éterniser mais les patrouilles de reconnaissance reviennent l'une après l'autre avec de mauvaises nouvelles.  Les environs sont remplis d’ennemis car à six kilomètres de là, se trouve le camp d'instruction allemand d'Haversin !  Si les Français sortent de leur cachette, s'en est fait pour eux ! Il faut donc se résoudre à la patience ! Pour maintenir le moral des hommes, chaque matin, à la première heure il y a l'appel en carré et la répartition des tâches. Toute oisiveté est interdite. Le deuxième problème de taille est de pouvoir nourrir 120 hommes ! Fameuse gageure mais les Pères de l’abbaye de Chevetogne, aidés des habitants des communes de Custinne, Mont-Ghautier, Feuffe, Rochefort, Villers-sur-Lesse,  y répondent !


Château de Honnay

       Les malades sont soignés à Mont-Gauthier par deux sœurs de la Providence originaires de Peltre en Lorraine : Mlles Blanche Santé, en religion Sœur Louise-Philomène et Elisabeth Bernard, Sœur Marie-Placide. La comtesse Van der Steen, les Pères de Chevetoge, M. Gheude (surveillant de l'administration des chemins de fer de l'Etat belge à Rochefort qui s'était mis à la disposition de Laurent),  recueillent les aides de la population ainsi que tous renseignements utiles pour les soldats Français. Ils se rendent souvent à la baraque pour encourager les "120".

       Un incident ou plutôt une imprudence met malheureusement fin au séjour à la baraque du champ-des-murs. Constant, un gradé qui cependant avait toute la confiance de Laurent, se met en tête de faire prisonnier un officier allemand. Il apprend en surveillant les abords du château de Ciergnon, que souvent y vient chasser un Allemand qu'il croit être un  officier. Avec une patrouille, Constant le surprend dans le parc de ce château portant, le fusil en bandoulière, des bouteilles de vin volées. L'affaire tourne cependant mal et les Français sont obligés d'ouvrir le feu. Grièvement blessé, l'homme est soigné par le maire de Houyet, le Dr Leurquin. Ce denier fait transporter le blessé au bâtiment de la Croix-Rouge de sa commune.  L'attentat ameute évidemment l'ennemi !  Laurent, au courant de la bévue commise par Constant, ne se sent plus en sécurité dans la baraque du champ-des-murs. Il décide de la quitter et de déplacer son camp à 1.500 mètres de là et, à cet effet, fait construire des huttes de branchages dans un fourré.

       Au bout de quelques jours de mauvais temps et croyant l'alerte passée, Laurent autorise le retour à la baraque. Quelle n'est pas la surprise des Français de constater que toutes ses ouvertures avaient été scellées par des planches. Sans doute l’œuvre de gardes-chasses qui veulent décourager le retour des soldats ! Les hommes de Laurent ont cependant vite fait de rendre les lieux à nouveau habitables. L'attentat continue cependant à provoquer  un grand émoi car la population de Houyet est en effet  sommée de dénoncer un coupable. En attendant la dénonciation, soixante otages et une amende de 100.000 francs sont exigés du maire, le docteur Lurquin. Ce dernier montre alors aux Allemands une déclaration signée par le moribond  « J'affirme avoir été attaqué et atteint par des soldats français ». Cette déclaration devait plaider pour l’innocence des villageois mais rien n'y fait et 60 otages civils sont livrés à l'ennemi qui les emmène à Givet. Le docteur Leurquin doit lui rester à Houyet pour continuer ses soins au blessé. Il le soigne 19 jours au terme desquels le blessé est transféré à Givet. Il y décèdera.

       Tous ces événements suscitent chez Laurent l'idée qu'il faut à nouveau se remettre en route. Le 12 octobre à 3 heures du matin, après 29 jours de survie dans la baraque, l'ordre est donné de reprendre la route. Les « pantalons rouges » reprennent la marche parfaitement reposés. Lessive est atteint rapidement. La fuite avait été déclenchée de justesse car Laurent apprend que les Allemands interrogent, à leur sujet, tous les notables de la région, y compris les Bénédictins de Chevetogne. Des fouilles sont même effectuées dans de nombreuses maisons et finalement le 15 octobre, le gouverneur allemand de Namur, von Longchamp en personne, arrive à la baraque du champ-des-Murs, et la fait incendier sous ses yeux ! Non content de cet acte de vengeance, il fait  aussi abattre tous les arbres qui portaient des inscriptions sculptées par les soldats français désœuvrés !

       Les Français ont fui donc à temps et ont retrouvé un abri non loin de là. A Chanly, des fermiers généreux, le ménage Lequeux leur renseignent en effet une baraque abandonnée dans le domaine de Mohimont, la baraque Sainte-Marie. Les soldats s'y réfugient. Laurent ensuite, demande de l'aide au maire de Daverdisse. Les gardes-chasse Cassart du village de Séchery et Herman du village de Neupont vont se révéler constituer une aide précieuse pour la collecte de renseignements et de vivres. Les Allemands, quant à eux, recherchent toujours avec assiduité la trace de l'armée fantôme et font publier dans différents journaux (notamment l'ami de l'ordre de Namur) le 19 et 20 novembre 14 l'appel ci-dessous :

       Proclamation à l'officier, aux sous-officiers et soldats du groupe des militaires français (140 environ) cachés dans les forêts des Ardennes belges et françaises.

       Nous savons où vous êtes restés les 12, 13, 14,15, et 17 octobre 17. Nous connaissons les endroits où vous vous rendez la nuit, où vous allez chercher des vivres. Nous avons aujourd'hui ,18 octobre 14, fait prisonniers plusieurs de vos camarades, qui étaient exténués et démoralisés. Nous savons, qu'en partie , vous êtes déguisés en civils, qu'en partie vous êtes encore en uniformes militaires, que vous avez des armes et des munitions, des cartes et des boussoles pour vous orienter. Nous avons la description générale de vos personnes et, surtout, de l'officier qui vous commande. Nous vous prévenons que nous avons strictement défendu aux communes, aux moulins, aux fermes et aux habitations isolées de vous donner des renseignements, des vivres et le logement sous peine d'être faits prisonniers, et même d'être fusillés. Nous battons les champs et bois avec trois compagnies d'infanterie et un escadron de uhlans, ainsi que trois mitrailleuses, pour vous déloger, et nous sommes aidés de chiens policiers pour vous retrouver tous.

       Nous reconnaissons particulièrement l'intelligence et la bravoure de l'officier commandant ce groupe, et son dévouement vis-à-vis de ses hommes et de son pays: nous l'admirons loyalement. Nous lui demandons de ne pas sacrifier inutilement la vie de ses frères d'armes, ni celle des habitants du pays hospitalier belge où ils sont. Nous comptons qu'il viendra en civil et sans arme, en parlementaire avec le drapeau blanc, chez  le bourgmestre de Beauraing, et lui jurons, qu'à défaut de s'entendre, et après cette entrevue, il pourra retourner librement vers ses hommes.

       S. Birnbaum, commandant du détachement à la poursuite des soldats égarés dans les bois    

       Laurent et ses hommes se sentent de plus en plus menacés de trahison. Parfois un évènement surprenant  met un peu de baume au cœur. Laurent apprend ainsi l'existence de quelques Français cachés près de Porcheresse. Il prend la route et parvient à trouver leur repaire tout près de la ferme des Herbois : il y a là un sous-lieutenant d'infanterie en garnison à Montauban et  avec quelques soldats. Laurent propose à l'officier de rejoindre sa troupe et d'en prendre le commandement. L'officier accepte mais Laurent ne le verra jamais rejoindre son camp. C'est finalement un soulagement pour les 120 qui veulent conserver Laurent comme chef !

       Il n'y a cependant  pas  de répit pour les soldats français.  Monsieur Henriot propriétaire du domaine de Mohimont  vient rendre  visite à  Laurent en compagnie du garde-chasse Herman. Une nouvelles  est particulièrement alarmante! Herman  raconte que sa femme vient de recevoir  la visite de deux officiers allemands qui lui ont affirmé savoir que son mari ravitaille des soldats français se trouvant à la baraque Sainte-Marie. Vraisemblablement, les Français viennent  donc d'être trahis! Laurent donne aussitôt l'ordre de quitter la baraque pour se dissimuler durant la journée dans la sapinière au lieu dit Ranisse. Le soir, le groupe peut néanmoins  regagner sa baraque.

       Le 24 octobre la situation s'aggrave considérablement car cette fois  les Allemands reviennent  en force chez le garde-chasse et l'oblige à les guider jusqu'à la baraque. Vers 16 heures, un des hommes de Laurent  le prévient  dans la sapinière  que les Allemands fouillent la baraque. L'alerte est donnée, les hommes s'équipent et sont prêts à réagir mais, bonne nouvelle, voilà que les Allemands s'éloignent de la baraque  bredouille ! Malheureusement on s’est réjouit trop tôt,  à la ferme, en montant dans leurs camions, un des chauffeurs vient d’apercevoir une mince colonne de fumée provenant de la sapinière. Aussitôt  15 soldats Allemands, sous la conduite d'un officier, oblige le garde-chasse à les guider jusqu'au foyer.  La colonne ennemie  arrive à trente mètres des Français et est accueillie par une fusillade. Les Allemands refluent  mais quand Laurent compte ses hommes, il constate avec déception  que la moitié de l'effectif s'est encourus.

       L'ennemi compte certainement  revenir en nombre  le matin  et une décision ultime s'impose à Laurent : celle de la dislocation du groupe pour échapper à l'ennemi. Lui-même et quatre de ses fidèles formèrent un petit groupe pour tenter leur chance. C'en était fini du groupe des  120 qui avait résisté durant deux mois et trois jours cachés  dans les lignes ennemies en tenue et en armes !

       Le  lendemain de cette nuit funeste, les Allemands reviennent comme prévu à  la baraque mais, à leur grande déception, plus un Français ne s'y trouve. Le garde-chasse Herman et les fermiers Lequeux font évidemment les frais de cette déconvenue et sont durement interrogés. Malgré chantage et menaces répétées pendant deux semaines, ils ne divulguent cependant aucun renseignement. Quant au couple Malicet, il arrive inopinément à la baraque le lendemain de la fuite des Français, rapportant d'une de leur reconnaissance un très gros sac de vivres. Voyant l'endroit cerné par l'ennemi, ils ont la bonne idée de se débarrasser des vivres dans un fossé. Arrêtés ensuite par une patrouille, ils s'en tirent à bon compte en expliquant qu'ils rejoignent à travers  champs  la maison de leurs parents. En s'éloignant, ils voient la baraque Sainte-Marie devenir la proie des flammes. Le couple Malicet sera malheureusement plus tard interrogé à nouveau et condamnés.


Livre de Jacques Mortane

       Laurent et cinq fidèles soldats vont  trouver refuge sur un rocher à mi-chemin entre le pont de Daverdisse et le village de Lesse  et qui  surmonte la  rivière de 80 mètres. Ce pic est nommé  le rocher des voleurs.  Le lendemain, deux des hommes de Laurent, Dieuzaide et Porterie,  poussent une reconnaissance jusqu'au village de Séchery où ils parviennent à rencontrer le garde-chasse Cassart. Ce dernier sait où se trouve Constant qui s’est caché du côté de Redu. Grâce au garde-chasse, Constant est prévenu de l'endroit où se terre Laurent, son ami et chef ! Il le rejoint au rocher des voleurs. Les soldats  fugitifs reprennent peu à peu confiance et explorent  leur nouvel  environnement Mais au cours d'une  reconnaissance, en bordure de la ferme Théblin, Laurent et le soldat  Bichon, deux lapins pris au collet tenus à la main, sont surpris par une patrouille d'Ulhans. Ils se font passer pour des braconniers belges mais les soldats Allemands les font attendre  toute une journée dans leur poste d'infortune établi au bord de la route. Un officier allemand arrive finalement  pour statuer de leur sort. Une  longue discussion commence entre les cavaliers et leur lieutenant. Finalement la décision tombe et l'officier  fait signe aux prisonniers de monter dans sa voiture. Et là, véritable coup de maître, tandis que les cavaliers se préparent à monter en selles, les deux prisonniers avancent d'un pas, font mine d'obéir puis, profitant du moment où les cavaliers ont le pied à l'étrier,  s'encourent chacun  dans une direction différente et s'enfoncent dans le bois. Onze coups de fusils mais aucun ne les atteint ! Laurent et Bichon sont sauvés encore une fois !

Sauvé par l'héroïque bûcheron Spetlevanée

       La troupe, au rocher des voleurs, trouve un protecteur  en la personne d'un bûcheron de Redu appelé Spellevanée qui leur apporte régulièrement des vivres. Il leur permet aussi de s'échapper une fois de plus en les avertissant  in extremis que les Allemands ont  retrouvé leurs traces. En un tournemain, Laurent et ses hommes s'arment et quittent le rocher des voleurs au moment exact où l'ennemi s'en approche!  S'apercevant que Spetlevanée a  prévenu le « gibier », les Allemands le frappe violemment et font  mine de le fusiller contre un arbre. Ensuite, les Allemands le chassent. Son calvaire n'est cependant pas terminé car, tandis qu'il s'éloigne en titubant, les soldats tirent dans sa direction. Le courageux bûcheron  fait alors  un ultime effort en zigzaguant vers  le bois  et parvient miraculeusement à s'en tirer !


La grotte des voleurs. (Photo Dr Loodts)

       Le 8 novembre, sauvés par le bûcheron, Laurent et ses camarades s'éloignent donc du rocher des voleurs et trouvent un abri dans une carrière abandonnée de Vresse. C'est un Français, monsieur Barré, qui va alors leur porter secours. Ce patriote est tourneur de métaux à Hautes-rivières et vient d'être averti de la présence des pantalons-rouges à Vresse par un de ses amis, Monsieur Manquillet, Français et forgeron de métier qui revenait de Belgique. Le fils unique de Barré est soldat au 18ème bataillon de chasseurs à pied et c'est en pensant au sort de son fils unique  dont il n'a pas de nouvelles (Jean Barré fut porté disparu au combat de Pargny-sur-Saulx le 10 septembre 14) qu'il décide de se porter au secours des pantalons rouges. Guidé par monsieur Barré, les Français  traversent à nouveau la frontière  et arrivent à Hautes-Rivières, dans le vallon de Nogival où deux huttes en bois et en terre  leur  servent d'abri. Hélas, le 21 novembre, le maire de Haute-rivières reçoit un officier allemand  qui l'interroge sur  les soldats français en fuite.  Le maire  nie connaître  ces soldats  puis va avertir Laurent de la nouvelle menace.


La grotte des voleurs. (Photo Dr Loodts)

       Les fugitifs doivent se remettre en route. Ils trouvent à s’abriter d'abord dans une caverne de Mohenterme d'où ils peuvent observer le sentier des douaniers et la grand' route Gedinne-Membre-Sur-Semois et où ils demeurent une semaine, ensuite dans  une hutte à hauteur de Linchamp. Le  20 décembre, le danger d’être pris semble s’amenuiser et ils retournent dans la caverne de Mohenterme.

       A la Noël, évènement difficilement compréhensible, sans prévenir Laurent, Constant, Blanc et Bichot quittent le campement afin de rejoindre la Hollande. Laurent décide alors de suivre leurs traces et veille à ce que les soldats Cazenac et Seignard, l'un malade et l'autre, mauvais marcheur, puisse  le précéder  à Liège grâce à un transport automobile fourni par des villageois. Hélas, arrivés à destination,  les deux hommes seront  pris par l'ennemi et internés en Allemagne jusqu'à l'armistice.


La grotte des voleurs. (Photo Dr Loodts)

       Le 31 décembre, Laurent et six de ces derniers camarades quittent Mohenterme et parviennent un peu plus tard à l'abbaye de Chevetogne où le Père Neyret est stupéfait de les revoir. Après avoir reçu à nouveau vivres et aides, les sept hommes atteignent Nettine où le curé les abrite. Ensuite, à la gare de Terwagne, les Français montent dans le train. Ils descendent à l'arrêt qui  précède celui de Seraing qu'ils rejoignent ensuite à pied. Le 5 janvier, un patriote belge les fait traverser  Liège. Laurent et ses hommes rejoignent ensuite à pied le village de Berneau. Ce village est à 1.500 mètres de la frontière Hollandaise. La liberté est toute proche. C'est finalement  à Fouron-le-Comte  que les fugitifs parviennent à traverser la frontière durant la nuit du 6 janvier 1915. Pendant 137 jours exactement, ils ont vécu traqués dans les lignes allemandes. Esden, Maestricht,  Rotterdam. Tout au long de ces étapes, Laurent retrouve d'autres fugitifs de son groupe initial ! Finalement, c'est près de trente soldats ayant fait partie des "120" qui se retrouvent réunis pour s'embarquer à Flessingue vers l'Angleterre. A Folkestone, Laurent passera une seule nuit de repos avant de prendre le bateau pour la France. A  Dieppe, les soldats  reçurent des ordres de transport pour leurs dépôts ! La guerre allait encore  se poursuivre  longtemps !


La grotte des voleurs. (Photo Dr Loodts)

Que devinrent-ils ?

La comtesse Van den Steen de Jehay, infirmière, rejoignit Ypres où elle secourut la population civile pendant l'hiver 14-15. Elle créa l'hôpital de Poperinghe qu'elle dirigea jusqu'à la fin de la guerre  et entretint des liens d'amitié avec la reine des Belges. Voir  mon article à ce sujet. 

Jean Laurent repartit au front où il devint rapidement lieutenant au 27ème bataillon de chasseurs alpins. Il reçut de très nombreuses décorations pour sa bravoure en Belgique. Il obtint le 13 juillet 1915 une citation sur le champ de bataille prouvant une nouvelle fois sa valeur :

Sous une grêle de balles, est allé porter secours à un chasseur grièvement blessé par une bombe, entre la tranchée allemande et la tranchée française, l’a ramené sur ses épaules, faisant preuve d’un grand courage et d’un grand dévouement. Signé : de Maud’huit.

L'aspirant Alphonse Constant  reprit le combat et le 10 mars 15 fut grièvement blessé alors qu'il se portait au milieu de ses hommes pris dans un intense bombardement. Il devint lieutenant et fut réformé à la suite de ses blessures.

Le soldat Dieuzaide fut tué à Perthes-les Hurlus

Le soldat Chammarty devint chef de musique et se distingua comme brancardier dans les combats en 1916 et 1918.

Les époux Malicet furent finalement arrêtés le 5 novembre 14. Condamnés à mort, leurs peines furent commuées en 10 ans de forteresse puis en dix ans de travaux forcés. Monsieur Malicet fut conduit en Allemagne et y resta jusqu'à l'armistice mais Madame Malicet qui était enceinte resta à Namur. Elle sut se faire libérer et rejoignit Paris en décembre 15. Elle entra ensuite dans le service sanitaire et quitta par après la France pour l'hôpital de Poperinghe tenu par la comtesse van den Steen de Jehay comme infirmière.   

Le baron van der Straten obtint une citation à l'ordre de l'armée française :

« Au cours de la guerre, a rendu des services signalés à des soldats français. A plusieurs reprises en a hébergé au péril de sa vie, faisant preuve des plus belles qualités de dévouement, de charité, et d'esprit de sacrifice. En particulier, en septembre 14, a recueilli chez lui pendant deux jours 120 soldats français. Ultérieurement a été condamné à 15 ans de réclusion par les Allemands. »

Le baron van der Straten cachait les isolés dans son château de Honnay où le Père Godet de Chevetogne les dirigeait. Plusieurs soldats du groupe des 120 y logèrent quelques temps avant d'être conduits à Ciney par le Père Godet et acheminés ensuite sur la Hollande par Mademoiselle de Monge. Trahis, Mademoiselle Gabrielle de Monge, le baron van der Straten et son valet furent arrêtés et jugés.

L'histoire de Mlle de Monge est assez extraordinaire. La jeune patriote originaire de Ohey et qui habite le château de Wallay, passa douze fois la frontière. Pour la treizième fois, elle choisit pour se faire la propriété à Bleyberg de M. Remy-Paquot. Le réseau de fils électriques passe au milieu de son domaine mais pour les travaux de ferme, le courant peut être coupé par la sentinelle dans le petit poste installé au château. M.Remy s'arrange avec le factionnaire pour que le courant soit coupé lorsque passe Mlle de Monge. Ainsi le 31 décembre, Mlle de Monge se met à courir avant de franchir les fils et attire l'attention des sentinelles. Elle est arrêtée et est conduite en prison sous le nom de sa fausse identité Julia Massage, 27 ans. Elle simule la folie, le médecin l'envoie dans un asile où elle passe quelques mois. Elle rentre à Liège et les Allemands apprennent sa véritable identité et l'enferme à nouveau, cette fois à l'hôpital militaire de Bruxelles. Finalement grâce au docteur allemand Rittershaus de Cologne qui déclare sa responsabilité atténuée, elle échappe au poteau d'exécution et, à son procès, est condamné à 3 ans de travaux forcés. Le conseil de guerre condamna Mlle de Monge à 3 ans de travaux forcés, le baron van der Straten à 15 ans, de Radigues à 3 ans, Ambroise Lambert à 15 ans, Alfred Moïse à 3, Madame Wills à trois ans. Mlle de Monge reçut après la guerre la Légion d'honneur et l'ordre de la Couronne de Belgique. Elle ne se remit jamais de son séjour en prison et mourut à Louvain chez les sœurs de charité de Lovenjoul le 17 mai 1929.

Le Père Neyret économe de l'abbaye de Chevetogne fut trahi et envoyé aux travaux forcés dont il revint la santé fortement délabrée.

Monsieur Gheude l'un des anges gardiens du groupe des 120 fut condamné à mort deux fois et sa peine commuée en travaux forcés. Il resta prisonnier jusqu'à l'armistice. Sa femme fit six mois de prison !

A Rochefort, le refuge des isolés était le Couvent du Carmel où la supérieure une française, Mlle Damet, en religion, Sœur Marie-Thérèse  cachait les évadés dans un petit logement conçu dans l'épaisseur du mur près de la chapelle. Les passeports étaient établis avec des faux cachets allemands propriétés de monsieur Gheude.

A Clavier, les réfugiés étaient cachés à l'hôtel du vicinal tenu par le ménage Dupont-Lawalrée.  Monsieur fut arrêté le 15 août 15 et condamné à deux ans et demi. Sa femme fut punie de la même façon  en novembre 15.

Parmi les soldats du groupe des 120,  il y avait un brancardier exceptionnel : Gaston Chammarty qui assura la relève des blessés dans les combats des 26, 27, 28 juillet 1916. Devenu chef de musique, il fit part de ses belles qualités encore une fois en octobre et novembre 18 en évacuant des soldats blessés.

Dr Loodts P.

Octobre 2011

 

 

 

 

 



[1]  D’après « Et ceux qui dans leur sang agonisent et meurent », Meuse et Ardenne, N°38, 2006, pp 155 à 157

[2] Source: « Les reclus de Graide » par Luc  Hiernaux, De la Meuse à l'Ardenne, 14 (1992) pp 25 à 38

[3] Service Educatif des Archives départementales de Lot-Et-Garonne, Quatre ans derrière les lignes allemandes pendant la Grande Guerre. Les Troglodytes de Graide. 1914-1918.Souvenirs et journal de Victor Guilhem-Ducléon, lieutenant au 20è R.I

[4] Cet article a été rédigé à partir du livre de Jacques Mortane, L'odyssée des "120", 292 pages, Editions Baudinière, Paris, 1939.

[5] Voici ce que l’on pouvait lire au sujet de cette baraque   dans le journal « La Libre Belgique » du 19/04/46 :

 Dans les Domaines royaux. Les Baraques.

A peu de distance du château royal de Ciergnon, se trouve deux modestes constructions, l’une en briques et assez confortable, dissimulée dans la forêt entre Ciergnon et Montgauthier et l’on appelle dans la région « la baraque des Français ». Fin août 14, elle donna asile à 120 soldats français de Mangin , coupés de leur corps, lors des combats de Maissin. Les fantassins en culottes rouges et capote bleue tinrent le maquis d’alors pendant un mois. Ils étaient ravitaillés par la population civile et l’abbaye bénédictine de Chevetogne.  Von Longchamps, gouverneur de Namur, envoya contre la troupe intrépide, un millier d’hommes de toutes armes. Les oiseaux s’étaient envolés. Ils avaient passés en Hollande, par Liège, guidés par une femme, Mme Malicet. Les Allemands, dépités incendièrent le pavillon qui fut reconstruit en 1928 et qui servit, dès le début de 1944 , d’hôpital aux maquisards blessés ou malades des camps environnants .Jamais les Boches ne soupçonnèrent ce qui se passait dans les profondeurs des grands bois où se glissaient journellement des médecins civils réquisitionnés par les patriotes.


La baraque du Champ-des-Murs se trouvait à cet endroit.

La seconde baraque est dénommée « la baraque des Princes » et se trouve à 3 km de la première, à 40 minutes de marche du château royal. Elle abritait les aviateurs alliés égarés .Fin juillet 44, neuf Américains s’y trouvaient réunis. Les agents des services des renseignements les y avaient amenés de différentes directions. Les aviateurs furent bientôt délivrés par les armées de Montgomery. Les maquisards, des hors-la-loi traqués, y trouvèrent aussi un refuge sûr. Maquisards  et aviateurs y furent fraternellement unis dans les mêmes dangers et l’accomplissement de leur devoir. (non signé)

 



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