Médecins de la Grande Guerre
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Le lieutenant Louis Boumal excella à décrire la souffrance morale du soldat
belge par la poésie Le lieutenant Louis Boumal
excella à décrire la souffrance morale du soldat belge par la poésie. Ce
talentueux écrivain, espoir de la littérature belge, mourut, hélas prématurément en octobre 18 emporté par la grippe. Louis Boumal est né le 11 mai 1890 à Liège. Il resta fils unique. Son père était ouvrier typographe, sa mère, malheureusement malade et impotente depuis sa naissance. Louis tenait le courage de son père et la sensibilité de sa mère. Louis Boumal A l’école, Louis se révèle très prometteur. Brillant élève au collège Saint-Servais, sa vocation poétique se révèle vers sa quinzième année. En rhétorique, Louis très sensible, tombe amoureux et les Jésuites s’effrayent de l’amourette de leur élève si prometteur. Ils l’envoient finir ses humanités comme pensionnaire dans leur collège de Tournai. Cet exil forcé de trois mois va murir le poète qui prend conscience de son talent. Revenu à Liège, affamé de romantisme, de littérature et de tendresse, Louis tombe amoureux une nouvelle fois mais cette fois de celle qui deviendra sa femme. Il perd sa mère en 1909, une mère malade depuis longtemps. Ce deuil le laisse désemparé mais ses études universitaires constituent un puissant dérivatif à son chagrin. Elu président du Cercle de philosophie et lettres, il s’affirme par des conférences, des publications de contes, des poèmes où chantent son amour, ses regrets et sa mélancolie. En 1910, il fait partie de la compagnie universitaire du cinquième de ligne et publie son premier livre, « Poèmes en deuil » qui fait référence au chagrin qu’il eût à surmonter lorsque sa mère mourut. Plus tard en 1913, il publiera une version originale de la légende de Tristan et Yseult sous la forme d’un poème en vers libres où il transpose quelques épisodes de la vie du héros en Wallonie et particulièrement dans la région liégeoise. L’année 1913 marque aussi la fin de ses études. Il est proclamé avec grande distinction docteur en philologie romane. Immédiatement, il se met à la recherche d’un travail et est engagé comme professeur au Collège de Bouillon. Il se marie en décembre. Il publie alors une série de poèmes (1910-1914) dédiés à sa femme et qu’il intitule « La chanson d’elle » puis qu’il rebaptise « Le jeu des regrets ». La mobilisation surprend le poète en plein bonheur, au moment où il s’apprêté à devenir papa. Louis Boumal contrairement à beaucoup d’écrivains-soldats,
ne relate pas la guerre au quotidien mais décrit abondamment ses sentiments
d’homme de lettres séparé de sa femme, de son enfant, de sa région natale. A la
lecture de ses poèmes, on s’aperçoit combien la nostalgie inspira mais aussi
fit souffrir Louis Boumal pendant quatre longues années. Jamais personne avant
Boumal ne décrivit aussi exactement les souffrances morales du soldat
isolé de son monde familier. Suivons les cheminements de l’âme du soldat-poète à la lecture de quelques
uns de ses poèmes. Le premier que je vous
présente fut écrit en France, à Gaillon, pendant qu’il suivait sa formation
d’officier. Le beau paysage de la Normandie ne le réjouit pas, car il lui
rappelle trop son ciel wallon : Aussi monotone et triste que
l'heure, Sous les seringas aux
parfums étranges Si loin de mon rêve, à
présent, tu passes, Gaillon, juillet 15 Quand ce n’est pas le paysage qui
l’inspire, c’est sa tendre épouse… Mais ce ne sera jamais la guerre et ses
soldats…. Tes chansons fusaient en
rimes légères. Puisque ma volonté pliait
sous tes caprices, Tandis que pour glaner
s'ouvraient tes mains agiles, Non, je ne pouvais pas
autrement me défendre, La Panne, 9 février 16 Le voici à Calais, pour y
suivre une formation d’officier signaleur téléphoniste. Louis compare la mer tourmentée à son cœur meurtri
d’un rêve déchiré. J'écoute passer l'heure et
la brume glisser Calais, 25-12-16. Le printemps, quelque part à
l’arrière, son unité au repos, lui inspire ces très beaux mais douloureux vers.
Louis se sent blasé car la guerre a cassé l’image qu’il avait de l’amour, un
amour qui devient dès lors un rêve parmi d’autres, un rêve manqué….. Encore un printemps !
J'ai vu Isenberghe, 14-3-17. Au front, seule la relève des
tranchées semble importante ! Qu’elle est triste, inhumaine et dégradante
la vie du soldat dont le désir se réduit à survivre ! Déjà les Pâques sont passées Comme il a neigé ce
dimanche ! Hélas ! les jours fêtés
nous ne les comptons plus Que si, dans notre âme
chrétienne, Alveringhem, 11-4-17 La guerre se prolonge, Louis
est si pessimiste qu’il est convaincu que, rentré un jour dans son foyer, son épouse
ne pourra l’empêcher de sombrer dans une tristesse permanente : L'humble jardin sans fleurs
où tremblent des cerises Et si tu viens alors,
relevant ta voilette, Fixant ta jupe à fleurs qui
montre ta cheville, Puis quand je serai seul,
quand ne bruiront plus Alveringhem, 29-7-17 Ce thème du retour au foyer
l’obsède à tel point que Louis publiera une petite pièce de théâtre « Quand
ils auront passé de l’ombre à la lumière » consacré à ce moment qu’il
attend mais qu’il redoute aussi. Le poète nostalgique,
l’officier pourtant aimé, n’est sans doute pas un compagnon très sociable car,
ainsi qu’il l’avoue dans ce poème, il est trop souvent plongé dans ses lettres
et ses livres : Lorsque tu recevras des
lettres de l'absente Et lorsqu'on te verra, selon
ton habitude, Mais toi, ne réponds rien.
Garde au fond de toi-même, Isenberghe, 24 août 17 Reste-t-il pour Louis un
recours dans la prière ? Sa réponse à cette interrogation est empreinte de
doutes mais malgré ces derniers, Louis
finit par « offrir » ses tourments : S’il est possible que je prie encore, J’ai croupi dans l’orgueil du rêve. Je voudrais frapper à ta porte, Sur mes jeunes ans, trop de lassitude Quel que soit le nom duquel tu me nommes, Pour faire taire sa tristesse,
pour rester fort dans la tourmente,
Boumal est parfois obligé de
mettre un peu d’ordre dans son cœur : Si le sort t'a marqué
l'épaule de son signe, Les maisons sur la route ont
leur porte mieux close. Ne prête plus au vent les
sanglots de ta voix, Reprends le livre sage où tu
l'avais ouvert ; La Panne, 18-11-17 L’amertume de Louis est réelle mais
toujours au sein de celle-ci subsiste la douceur, celle du pays wallon qu’il évoque si souvent, et
celle aussi de la jeune fille, de la femme aimée. Comment put-il tenir dans la bourrasque de la guerre ce poète si sensible ?
On reste pantois devant l’immense effort psychologique auquel le poète dut
s’appliquer pour ne pas sombrer dans une mortelle mélancolie ! Pour Louis Boumal, ces quatre années de
guerre sont des années entièrement perdues, des années de « non-vie »
qui ne présentent absolument aucun intérêt !
Louis s’attriste de voir sa sensibilité s’amenuiser de par la dureté et de la
cruauté de son existence. Vieilli avant l’âge et tourmenté, il est persuadé qu’il
sera incapable de s’émerveiller de la vie au retour de la paix. Cette race de soldats et de travailleurs têtus aura tôt fait de
reconstruire ses temples et d’ensemencer ses terres…Mais vous, bonheurs
anciens, rêves d’études et d’art, travaux abandonnés, calmes amours qui
remplissiez la vie, que serez-vous devenus ? La matière qu’on mutile, se
répare, mais l’âme qui a trop souffert ne connait plus la joie. Malgré le peu d’intérêt pour sa
vie militaire, malgré son immense nostalgie, le soldat Louis Boumal, au 5ème de ligne,
franchira tous les échelons pour accéder au grade de lieutenant. A Ramskapelle envahi par les
Allemands qui parviennent à traverser l’Yser en octobre 14, il parvient à
s’échapper de l’ennemi. Quelques jours plus tard, le 30 octobre, il est nommé caporal
pour avoir, à Lombardzijde, retiré des victimes ensevelis sous des décombres.
Plus tard en 1916, il se distingue à nouveau de la même façon, en portant
secours sous un bombardement intense à un groupe de soldats ensevelis dans leur
abri. Pour ce fait, il sera décoré de la croix de guerre. Quel moyen employa le poète si
sensible pour remplir son rôle de soldat sans faiblir ? Louis Boumal l’expliqua en quelques phrases :
c’est la totale conviction que la consigne qui
doit exclusivement guider sa vie aux tranchées est le mot « servir » : Et le soldat continua de servir. Servir !! C’est-à-dire rester à
sa place, dans son rang, porter le sac et le fusil, marcher sans haltes et se
battre sans fin, traverser les dernières provinces et se reformer ensuite dans
les sables et les plaines humides de la Flandre, creuser des tranchées et des
tranchées encore…Servir ! C’est-à-dire obéir aux chefs, s’anéantir, n’être
plus rien que cette chose manœuvrée qu’on va tout à l’heure lancer sur l’Yser,
face aux bataillons allemands. Servir ! C’est toute cette armée de soldats
en loques, d’officiers en lambeaux, dont quelques-uns n’ont pas encore quitté
le sac et le fusil. Servir, enfin, c’est toute la cohue en retraite, sans
canons et sans vivres, qui se retourne à l’appel du roi et qui triomphe de ne
pas mourir ! Qui n’a pas vécu cette heure de notre histoire n’a pas connu
le sens de la guerre. La passion pour la littérature conduisit Louis
Boumal à participer à une belle initiative en vue de promouvoir les lettres
françaises sur le front. Au printemps 1918, le poète liégeois Marcel Paquot,
que sa santé avait fait affecter à l’hôpital l’Océan à La Panne invita Louis
Boumal qui cantonnait à Boitshoucke à venir donner une conférence au cercle de
« l’Art au front ». Louis ne put atteindre à temps à La Panne pour
donner sa conférence. Arrivé néanmoins tardivement dans la nuit, Louis fut
hébergé dans la chambre de Paquot où se trouvaient aussi deux autres amoureux
de la littérature, Léon Herbois et Emile de Bongnies. Les quatre passionnés décidèrent au terme
d’une nuit de discussion de créer une revue.
Ils complétèrent le groupe de
fondateurs avec Lucien Christophe et Georges Antoine, le musicien compositeur
qui se trouvait en ce moment au camp du Ruchard. Marcel Paquot put compter sur
le soutien du Dr Depage, le patron de l’hôpital l’Océan. Louis Herbos, docteur
en philosophie qui officiait aussi à l’ambulance l’Océan comme caporal, se
chargea de l’administration des « Cahiers ». Les « Cahiers » parurent mensuellement à partir du mois de
juin et cela jusqu’en décembre 1918. En juillet, le deuxième numéro annonçait
fièrement que le premier était épuisé que le deuxième était tiré à 600
exemplaires. Le succès rencontré au front par cette revue répondait
manifestement au criant besoin de culture qu’éprouvaient les soldats universitaires. Cette initiative culturelle
fut hélas la dernière que Louis pu mener. Bientôt survint l’offensive finale.
Louis et ses hommes sortirent enfin des tranchées de l’Yser ! Hélas,
quelques jours avant l’armistice, un autre ennemi s’abattit sur lui, le virus
de la grippe espagnole. Atteint d’une
complication broncho-pulmonaire, Louis
fut hospitalisé à l’hôpital militaire de Bruges et après cinq
jours d’hospitalisation décéda le 29 octobre 1918 ! Louis ne connut donc
pas le retour au foyer si désiré mais en même temps si redouté. La mort de Louis Boumal fut une
perte immense pour la littérature belge. Il est certain que ce jeune poète aurait pu devenir au fil des ans un autre Emile Verhaeren. Robert Vivier, un de ses
compagnons, écrivit ce beau texte qui rend un magnifique hommage à l’œuvre prématurément close de Louis Boumal : « Le destin a voulu que « Le
jardin sans soleil » (le recueil de ses poèmes de guerre publié
après sa mort) restât comme une sorte de testament, de message. Cependant je ne
crois pas qu’à ce hasard soit due la prise que ces vers ont sur nous. Le
pathétique est en eux. Ce que tous les soldats vécurent d’une façon plus ou
moins consciente et vive suivant les ressources de leur être, Boumal l’a vécu
comme eux mais avec la sensibilité qui était la sienne, et, parce qu’il avait le
goût noble de la vérité et de la retenue dans la confidence, parce qu’il avait
aussi le don qui fait que le poète trouve les mots de l’homme, il a rendu de
façon inoubliable l’expérience de tous. Si personnel qu’il soit, l’aveu n’est
pas celui d’un seul. Voilà pourquoi, si même Boumal était revenu des tranchées,
son livre n’en serait pas moins testament et message : le testament des
milliers qui ne sont pas revenus, le message que ceux qui reviennent ont sur
les lèvres mais que, ne disposant pas des justes paroles, ils taisent
incompris.[1] »
Chers lecteurs, avant de quitter
Louis Boumal, ayons aussi une pensée pour sa jeune femme Marie-Thérèse Werth.
Qu’est-elle devenue après avoir manqué de si peu de revoir son mari ? Marquée
par un sort funeste, comment éleva-t-elle son enfant ? Retrouva-t-elle
progressivement la force de rire les journées d’automnes comme Louis le
demandait dans le poème ci-dessous ? Pâles sœurs aux yeux clairs
que mon discours étonne, N'attendez pas le soir qui
rallume les lampes, Vers les fruits qui sont
mûrs, élevez-vous, mes sœurs, Car le temps de cueillir à
chacun est compté, Alveringhem, 29-9-17 Au poète… Au soldat. Le lieutenant Louis Boumal fut
sans aucun doute le grand poète wallon qui sut mieux que quiconque exprimer le
désarroi et la souffrance morale du soldat sur le front. Puissent son œuvre et
sa vie être méditées encore aujourd’hui. Dr Loodts.P Mai 2013 [1] Lucien Christophe et Robert Vivier, « Les CAHIERS publiés au front », collection de la revue LE THYRSE, 1962, imprimerie Peeters, Léau |