Médecins de la Grande Guerre

Quatre ans de guerre avec un fusil saboté !

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Quatre ans de guerre avec un fusil saboté !


       Jean Giono  (1895-1970) fut un  grand écrivain français. Ce que beaucoup de personnes ignorent c’est qu’il fut un ardent pacifiste durant toute sa vie. Il déploya mille efforts pour convaincre l’opinion publique que la guerre était une « imbécilité » et cela surtout dans les dix années précédant la Seconde Guerre Mondiale. « Refus d’obéissance » paru en 1937  explique ses convictions intimes. On y lit cette surprenante déclaration :

       Je n'ai pas honte de moi. En 1913 j'ai refusé d'entrer dans la société de préparation militaire qui groupait tous mes camarades. En 1915 je suis parti sans croire à la patrie. J'ai eu tort. Non pas de ne pas croire: de partir. Ce que je dis  n’engage que moi. Pour les actions dangereuses, je ne donne d'ordre qu'à moi seul. Donc, je suis parti, je n'ai jamais été blessé, sauf les paupières brûlées par les gaz. (En 1920 on m'a donné puis retiré une pension de quinze francs tous les trois mois, avec ce motif : «  Léger déchet esthétique »). Je n'ai jamais été décoré, sauf  par les Anglais et pour un acte qui est exactement le contraire d'un acte de guerre. Donc, aucune action d'éclat. Je suis sûr de n'avoir tué personne. J'ai fait toutes les attaques sans fusil, ou bien avec un fusil inutilisable. (Tous les survivants de la guerre savent combien il était facile avec un peu de terre et d'urine de rendre un Lebel pareil à un bâton.) Je n'ai pas honte, mais, à bien considérer ce que je faisais, c'était une lâcheté. J'avais l'air d'accepter. Je n'avais pas le courage de dire : « Je ne pars pas à l'attaque. » Je n'ai pas eu le courage de déserter. Je n'ai qu’une seule excuse : c'est que j'étais jeune. Je ne suis pas un lâche. J'ai été trompé par ma jeunesse et j'ai été également trompé par ceux qui savaient que j'étais jeune. Ils étaient très exactement renseignés. Ils savaient que j'avais vingt ans. C'était inscrit sur leurs registres. C'étaient des hommes, eux, vieillis, connaissant la vie et les roublardises, et sachant parfaitement bien ce qu'il faut dire aux jeunes hommes de vingt ans pour leur faire accepter la saignée.

       Quel courage surprenant ! Quatre années de guerre en montant à l’assaut avec un fusil saboté pour ne pas tuer ! Une véritable chance de pendu quand on sait que Giono fut, avec son capitaine, l’un des seuls survivants de la 6ème compagnie de son régiment. Et ce ne sont pas les attaques hors des tranchées qui manquèrent : Les Eparges, Verdun, Noyon et Saint-Quentin, le chemin des Dames,  Pinon, chevrillon et pour finir le mont Kemmel !  Saluons donc le courage de ce jeune soldat préférant  mourir que  tuer !

       Giono retira de la Grande Guerre une grande source d’inspirations pour ses romans. Il fut un habile observateur de la société civile et militaire.  Quelques  exemples  ci-dessous vous convaincront du génie de Giono : une description originale et merveilleusement écrite du « drill », de  cette marche au pas cadencé qui soude, plus que tout autre exercice, les hommes d’un peloton ou d’une compagnie pour la vie et pour la mort ; la démystification du héros militaire et enfin ce qui pourrait être une conclusion de ses écrits, la vraie définition de la guerre !

La cadence

       On ahane après chaque jambe. La troupe s'allonge, s'étire comme un ver, puis se ramasse, puis s'étire, et comme ça jusqu'à cette route dure qu'on a trouvée tout d'un coup sous les pieds. Une route qui s'est trouvée là comme ça dans la nuit, avec ses arbres qu'on entend et sa cuirasse de pierre. Et doucement, tout doucement, une musique monotone ; comme si les taillis s'étaient mis à battre une cadence sur un tambour de feuilles, un rythme lie les pas aux pas. Ils sont là plus de vingt qui, d'instinct, marchent du même pas parce que cette cadence aide, parce qu'ainsi on n'est plus seul, on est tous les vingt à porter son poids et sa peine et, à vingt, c'est plus léger. Et la cadence ondule de loin en loin sous les pieds de la troupe comme un gros rat qui courrait ici ou là sous les pieds, entre les pieds, pour les délier de cette fatigue qui les entrave comme de lien d'herbe. Ça bat dans la nuit sur des kilomètres, cette cadence. Ça bat tout le long de la route, dans les détours, dans les montées, les pentes de cette route. Ça bat là-bas au croisement du chemin de terre et, dès que les hommes mettent le pied sur la route, ils prennent le pas et la cadence, et tout d'un coup ils vont, allégés de leur peine et de leur fatigue.

Ils ont tous mis l'échine sous la fatigue et ils l'ont soulevée ensemble, et ils la portent ensemble : une, deux, une, deux, une, deux, comme un gros tronc d'arbre maintenant allégé et dont les branches ne s'embarrassent plus dans la terre. (Jean Giono, Ecrits pacifistes, page 39. Editions Folio, n°5674)

Les héros de Verdun : d’abord  trouver le moyen de satisfaire ses besoins !

       On a soif. On voit là-bas un mort couché par terre et plein de mouche mais encore ceinturé de bidons ct de boules de pain passées dans un fil de fer. On attend que le bombardement se calme. On rampe jusqu'à lui. On détache de son corps les boules de pain. On prend ses bidons pleins. D'autres bidons ont été troués par les balles. Le pain est mou. Il faut seulement couper le morceau qui touchait le corps. Voilà ce qu’on  fait tout le jour. Cela dure depuis vingt-cinq jours. Depuis longtemps il n'y a plus de ces cadavres garde-manger. On mange n'importe quoi. Je mâche  une courroie de bidon. Vers le soir, un copain est arrivé avec un rat. Un fois écorché, la chair et blanche comme du papier. Mais, avec mon morceau à la main j'attends malgré tout la nuit noire avant de manger. On a une occasion pour demain : une mitrailleuse qui arrivait tout à l'heure en renfort a été écrabouillée avec ses quatre servants à vingt mètres en arrière de nous. Tout à l'heure on ira chercher les musettes de ces quatre hommes. Ils arrivaient de la batterie. Ils doivent avoir emporté à manger pour eux. Mais il ne faudrait pas que ceux qui sont à notre droite y aillent avant nous. Ils doivent guetter aussi de dedans leur trou. Nous guettons. L'important c'est que les quatre soient morts. Ils le sont. Tant mieux. Cela dure depuis trente jours. C'est la grande bataille de Verdun. Le monde entier a les yeux fixés sur nous. Nous avons de terribles soucis. Vaincre ? Résister ? Tenir ? Faire notre  devoir ? Non. Faire nos besoins. Dehors c'est un déluge de fer. C'est très simple : il tombe un obus de chaque calibre par minute et par mètre carré. Nous sommes neuf survivants dans un trou. Ce n'est pas un abri, mais les quarante centimètres de terre et de rondins sur notre tête sont devant nos yeux une sorte de visière contre l'horreur. Plus rien au monde ne nous fera sortir de là. Mais ce que nous avons mangé, ce que nous mangeons se réveille plusieurs fois par jour dans notre ventre. Il faut que nous fassions nos besoins. Le premier de nous que ça a pris est sorti ; depuis deux jours il est là, à trois mètres devant nous, mort déculotté. Nous faisons dans du papier et nous le jetons là devant. Nous faisons dans de vieilles lettres que nous gardions. Nous sommes neuf dans un espace où normalement on pourrait tenir à peine trois serrés. Nous sommes un peu plus serrés. Nos jambes et nos bras sont emmêlés.

       Quand on veut seulement plier son genou, nous sommes tous obligés de faire les gestes qui le lui permettront. La terre de notre abri tremble autour de nous sans cesse. Sans cesse les graviers, la poussière et les éclats soufflent dans ce côté qui est ouvert vers le dehors. Celui qui est près de cette sorte de porte a le visage et les main écorchés de mille petites égratignures. Nous n'entendons plus à la longue les éclatements des obus ; nous n'entendons que le coup de masse d'arrivée. C'est un martèlement ininterrompu. Il y a cinq jours que nous sommes là-dedans sans bouger. Nous n’avons plus de papier ni les uns ni les autres. Nous faisons dans nos musettes et nous les jetons dehors. Il faut démêler ses bras des autres bras, et se déculotter, et faire dans la musette qui est appuyée sur le ventre d'un copain. Quand on a fini on passe la saleté à celui de devant, qui la passe à l'autre qui la jette dehors. Septième jour. La bataille de Verdun continue. De plus en plus héros. Nous ne sortons toujours pas de notre trou. Nous ne sommes plus que huit. (Jean Giono, Ecrits pacifistes, pages 180-181. Editions folio N°5674)

La guerre ne crée que de la guerre

       La guerre ne crée que la guerre. La vérité est extrêmement simple. Le désarroi des esprits se mesure à la nécessité de redire des vérités les plus simples. La guerre est tout simplement le contraire de la paix. C’est la destruction de la paix. Une destruction ne protège ni ne construit ce qu’elle détruit. Vous défendez votre liberté par la guerre. La guerre est immédiatement la perte totale de votre liberté. Comment la perte totale de votre liberté peut-elle protéger la liberté ? Vous voulez rester libre et il faut immédiatement vous soumettre. (Jean Giono, Ecrits pacifistes, page 196. Editions Folio N° 5674)

Conclusion :

       Une des pires calamités qui peut  s’abattre sur le genre humain est effectivement la guerre et c’est pourtant une calamité parfaitement évitable. Les hommes qui clamèrent et clament cette évidence doivent être écoutés, réécoutés avec constance car il y a toujours aujourd’hui comme hier, au fond des cœurs la fausse croyance en une guerre à l’issue rapide pouvant résoudre les problèmes d’une nation ou d’un  peuple.  Giono nous rappelle, par son exploit, qui fut de combattre sans armes, qu’un pacifiste n’est en tout cas pas un lâche !

Dr P. Loodts

Mai 2014, alors que la Syrie souffre  toujours de la guerre et que l’Ukraine doit choisir entre guerre et paix !    

 



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