Médecins de la Grande Guerre
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Le
gros canon de Predikboom[1] Le général Pontus, à qui l’on doit un de
nos meilleurs livres de guerre : Dixmude,
a écrit dans la Revue Belge, un
article particulièrement intéressant sur les bombardements subis par Dunkerque
d’avril 1915 à octobre 1918 et les tirs effectués par l’artillerie franco-belge
sur la pièce à longue portée ennemie. Il s’agit, en ordre principal, du canon de
marine de 380, Krupp, modèle 1914, n° 154, d’une longueur totale de 17 m. 13,
pesant 77.630 kilogrammes ; on l’avait surnommé « la grosse
Bertha », du nom de la fille du fameux usinier d’Essen. Le général Pontus fait remarquer que ce
canon, placé dans les environs du Cap Gris-Nez, entre Calais et Boulogne,
aurait pu détruire le beau port de Douvres et ravager le littoral britannique,
le détroit du Pas-de-Calais n’ayant que 36 kilomètres de largeur ! Loin de moi de compléter l’étude du
général. Mais j’ai retrouvé dans mon journal de campagne, sous la date du 26
avril 1915, la note suivante : « Un énorme obus a éclaté dans la
prairie de la ferme occupée par la compagnie. Les balles retrouvées ont la
grosseur d’un œuf de pigeon ; la paroi de l’éclat mesure 7 centimètres et
demi. » Et mes souvenirs de cette journée
affluent. La 5ème Division d’Armée tenait,
depuis fin février 1915, le secteur de Dixmude ; elle comportait alors
trois régiments : le 1er de Ligne, les 2ème et 3ème
Chasseurs à pied. Deux compagnies de mitrailleuses renforçaient l’infanterie
régimentaire. Le 2ème Chasseurs à pied avait le coquet village
d’Alveringhem comme cantonnement de repos, les mitrailleurs occupaient Forthem,
gros hameau, situé sur la rive gauche du canal de Furnes à l’Yser. La 1ère compagnie (capitaine
adjoint d’Etat-major Hans), était dans une grosse ferme, à 600 mètres au nord
du pont ; ma 2ème compagnie cantonnait également dans une
ferme, mais sur la grand’ route Alveringhem – Oude-Capelle, à 800 mètres à l’ouest
du pont. Le séjour était plutôt agréable, surtout par contraste avec le service
de garde aux tranchées. A Dixmude, nous étions à 25 mètres des
Boches et ceux-ci à l’affût dans les énormes murs pantelants de la Minoterie,
nous causaient journellement des pertes sensibles. A Forthem, c’était le repos (avec un grand
r). Les mitrailleurs jouissaient d’une certaine indépendance. Les chefs
savaient que l’on pouvait compter sur eux et ils ne les em... pas ! La prairie de la ferme de Forthem servait
de plaine de jeu, la grange de réfectoire, de salle de théorie, de chant, de
magasin, de dortoir ! Le « baes », comme tous ses
confrères du « Bach in de Cup », était grognon, âpre au gain. Veuf et
laid, avec ses deux vieilles filles acariâtres, ils formaient un trio peu
réjouissant ! Les Grenadiers que nous avions relevés
avaient dit d’eux pis que pendre. Ils n’avaient pas menti ! Les débuts du
cantonnement furent durs. Chaque jour, il y avait palabre. Est-ce à mon
cuisinier que j’ai dû la tranquillité relative qui régnait à partir du mois d’avril ?
Cela serait bien possible. Il était joli garçon, débrouillard et entreprenant.
Comme tout Liégeois, il chantait la romance et savait parler « aux filles ».
Mais, glissons... C’était le renouveau ! De sa tiède
haleine, avril embaumait toute la terre. On vivait d’espérance ! Le 22 avril, première surprise : les
gaz asphyxiants. Le 26, la deuxième : l’énorme obus dont j’ai noté la
chute. L’attaque surprenante de Steenstraete
avait, le même jour, été expliquée. Docteurs et pharmaciens avaient
diagnostiqué la nature des gaz toxiques, mais la provenance des gros obus
tombés à Forthem et environs restait une énigme. Quand dans le petit café situé derrière la
grosse église d’Alveringhem on vint nous annoncer que Bergues et Dunkerque
étaient bombardées, ce fut plus que de la stupeur. Des artilleurs brevetés
discutaient calibre, angle de tir, etc..., mais aucun n’admettait le bombardement
par canon terrestre. Les obus ou bombes devaient provenir d’un avion ou d’un
canon de navire. Les paris furent ouverts. Le lendemain, le communiqué allemand mit
tout le monde d’accord. L’ennemi annonçait, en termes grandiloquents, qu’il
avait pris Dunkerque sous le feu de son artillerie ! Il ne situait pas
celle-ci ; en France, on crut que les Belges avaient lâché l’Yser ! Bien vite on repéra la pièce fabuleuse.
Elle se trouvait installée à « In het Predikboom Cabaret », borne 12
de la route Dixmude – Poelcapelle. Une contre-batterie puissante fut bientôt
organisée et elle fut assez heureuse. Deux fois, elle mit la pièce hors de
service ; il en résultat pour celle-ci deux périodes d’inactivité totale,
l’une de quarante-deux jours, l’autre de quarante-huit. Le 9 août 1915 marque son dernier tir. La
contre-batterie du néanmoins continuer des tirs d’entretien, car il fallait à
tout prix empêcher les Allemands de réfectionner l’emplacement et de le
réarmer. En octobre 1916, débuta une activité
extraordinaire, à l’ancien emplacement de Predikboom. Notre service
photographique aérien donnait, avec netteté, les moindres détails de l’organisation
nouvelle. Des tirs nombreux et bien ordonnés furent
exécutés par la contre-batterie. Plus d’un coup de canon ne fut tiré par les
Allemands. Le 7
mai 1917, le capitaine Jaumotte, au cours d’une reconnaissance aérienne,
découvrait l’emplacement d’un nouveau canon de marine de 380. C’était la « grosse
Bertha » de Leugenboom (3200 mètres au nord de Couckelaere). Elle entra en
action le 27 juin et le 17 octobre 1918, nos soldats s’en emparèrent. Le 27
septembre, veille de l’assaut libérateur, la « grosse Bertha » avait
encore tiré sur Bergues. Le gros canon, dont le général Pontus a
détaillé l’action, se trouve encore[2]
dans la position spéciale que lui donnèrent les Allemands pour le faire éclater
peu de temps avant sa prise. Les deux pièces de Predikboom et
Leugenboom firent subir à Dunkerque trente-deux bombardements, au cours
desquels 411 obus de 380 tuèrent 114 personnes et en blessèrent 185. En réalité, ce que vous venez de voir, c’était un gros canon surnommé « la grosse Bertha » par les Français. La « grosse Bertha » qui servit contre trois forts de la ceinture de Liège était un type de mortier lourd de 420 mm, la longueur du tube de 5 m. « Grosse Bertha » en batterie. |