Médecins de la Grande Guerre
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Nos
infirmières au quotidien.[1] L’infirmière sera aussi à son poste
pendant les quatre années qui vont suivre la bataille de l’Yser. Dès novembre
1914, les services s’organisent, les hôpitaux belges s’improvisent partout en
France et même en Angleterre ; sur le front, les ambulances se sont
installées à demeure, les hôpitaux de La Panne, de Coxyde, de Cabourg,
d’Hoogstaede commencent à fonctionner régulièrement. A Londres, à Calais, les
médecins accueillent les nouvelles volontaires accourues et les instruisent
rapidement. Et de l’autre côté de l’Yser, nos vaillantes sœurs en imposent aux
barbares ; celles qui peuvent encore être utiles à la cause du Droit et de
l’Honneur, même sous le joug abhorré de l’ennemi, restent au poste. Elles
auront, de Miss Cavell, le courage tranquille et l’inébranlable fermeté, même
jusque dans la mort ; les autres risquent leur vie en s’évadant du pays
pour rejoindre l’armée. Qu’importe à l’infirmière que sa tâche
soit dure et pénible, que son rôle, quoique sublime, soit effacé. Elle ne fait
pas métier de sa charge, elle est volontaire sans conditions. Car, pourquoi le
taire ? Aucune loi n’a assuré son recrutement, à aucun instant l’Etat n’a
dû l’appeler, ni par voie de propagande, ni par journaux, ni par affiches.
L’infirmière s’est présentée d’elle-même, mue par le seul souci d’être utile.
Ce n’était point l’appât du gain qui l’attirait, car elle n’était nourrie,
logée et payée que comme le soldat ; ce n’était point la gloriole, car son
rôle était obscur et sa vie était toute recluse. Ce n’était point le souci de
la sécurité, car elle venait s’offrir aux dangers du front et des bombardements
de la région de Calais, où la brute allemande jetait systématiquement ses
bombes d’avions sur nos hôpitaux. Et j’en appelle ici au chef du Service de
Santé, pour témoigner de ce qu’il n’a jamais pu donner suite à toutes les
requêtes des infirmières réclamant leur désignation pour le front. Je vous disais tantôt que le rôle de
l’infirmière était pénible et effacé ; voici en effet, pour elle, le
régime moyen d’un hôpital du front comme de l’arrière : Normalement, à
chaque lazaret (un lazaret abrite 30 blessés), trois infirmières devaient être
affectées ; elles assuraient le service par équipe, l’équipe de jour de 8
à 20 heures, composée de deux infirmières, et l’infirmière de nuit de 20 à 8
heures. Les infirmières de service ne pouvaient quitter leur salle sous aucun
prétexte, sauf à tour de rôle et pendant une demi-heure aux repas principaux et
un quart d’heure au déjeuner ou au lunch. Toutefois, quand tout allait bien,
les infirmières de jour pouvaient prendre du repos, l’une de 14 à 17 heures,
l’autre de 17 à 20 heures. Au début d’un mois, l’infirmière de nuit
permutait avec l’une des infirmières de jour. Et ce régime était le bon régime, le
régime du calme. Mais hélas ! Voici que l’une des trois infirmières
s’avise de contracter quelque bronchite, pneumonie ou autre maladie qui la fera
peut-être évacuer vers l’arrière, mourante, sur le brancard qu’on ira, par la
nuit pluvieuse, déposer dans le train sanitaire. Voilà huit jours, voici même des semaines
que la malade n’a pu être remplacée et que l’équipe de trois est réduite à deux
femmes ! Si, au bout de huit jours, de quinze
jours, la malade à peine sur pied et bien faible encore reprend son service,
les deux femmes uniront leur courage et leur faiblesse pour assurer leur charge
sans souci de leur belle santé qu’elles sacrifient à la ténacité de leur
vaillance calme et souvent insoupçonnée : il leur fallait tenir, en effet,
tenir comme tenaient nos « jass » dans les tranchées, comme tenaient
les nôtres que l’ennemi opprimait là-bas derrière le rideau de feu, en Belgique
occupée. Il fallait quand même consoler, distraire,
encourager ceux qui, dans les trente lits de la salle, gisaient et souffraient
pour la Patrie ; il fallait rire et sourire durant douze heures par jour,
mais le soir, dans le dortoir sans feu, bien lasse, si lasse qu’elle avait à
peine touché à sa ration, la jeune infirmière tirait alors clos les rideaux de
son alcôve et sanglotait en appelant « sa maman » qui la gâtait si
fort et la soignait si bien, elle, la pauvre gosse à peine sortie elle-même de
l’enfance. Mon âge m’a permis de découvrir de ces heures de « cafard »
et de consoler de mon mieux ces gros chagrins qui s’évanouissaient vite et
toujours devant les devoirs de demain. Oh ! Le cafard ! Qui ne l’a pas
eu à la guerre ? Ce n’était point de la défaillance, c’était la réaction
due à l’acharnement journalier dans cette lutte de quatre longues années ;
c’était la rançon de la vaillance, car la gamine qui, le soir, dans son alcôve,
pleurait en appelant sa maman, je l’ai vue superbe de courage et de sang-froid
quand les obus ou les bombes tombaient bien près, trop près de l’hôpital, dans l’enclos
même de celui-ci, quand les obus sifflaient bien bas et faisaient tant de
fracas, quand les blessés, cloués dans leurs lits et affaiblis, claquaient des
dents et imploraient du regard ; je l’ai vue alors crânant, riant et
plaisantant devant ses chers gosses qu’elle appelait ses « poltrons
décorés », tellement sûre d’elle-même, tellement convaincante et peut-être
convaincue elle-même, que le malaise disparaissait de la salle bien avant la
fin du bombardement. Et ces autres jeunes filles infirmières,
refusant d’être relevées après des mois de garde,- vous lisez bien, des mois de
garde,- qu’elles venaient de passer dans l’un des postes chirurgicaux avancés,
à quelque cent mètres des Allemands, dans des abris qui étaient blindés, il est
vrai, mais dont la sortie, le jour ou la nuit, pouvait leur être funeste à
elles comme aux médecins et aux brancardiers qui y avaient trouvé glorieusement
la mort. J’ai vu encore ces infirmières de Calais
toutes les nuits, bravant les odieux bombardements par avions, qui eux
n’épargnaient aucun quartier de la ville ni aucun hôpitaux. L’exemple, il est vrai, était donné chaque
jour par cette petite Reine si bonne et si simple qui venait si souvent
encourager, aider – je n’exagère point – qui laissait toujours un peu de soleil
et de baume dans les salles de souffrance, de cette petite Reine aux yeux si
souriants, si doux et dont les mourants, sur qui elle se penchait, emportaient
la vision dernière d’une mère et d’une femme qu’on aimait tant et qu’on ne
reverra plus. Courrier
de l’Armée. Les
mains bénies (Aux
dévouées infirmières de la Grande Guerre) Comme elles sont douces vos mains Qui nous soignent aux lendemains De nos tueries ! Comme elles s’empressent vers nous Avec des frôlements si doux, Vos
mains d’amies ! Et qu’elles sont blanches aussi, Et si fines, toutes, et si Patriciennes ! Comme elles ont de petits doigts Courageux, vifs, malins adroits, Vos
mains de reines ! Qu’elles sont bonnes quand, le soir, Nos plaintes montent dans le noir, Mal étouffées, Et qu’avec des gestes jolis Elles bordent nos petits lits, Vos
mains de fées ! Et qu’elles sont tendres encor Quand, nous disputant à la mort Et de sang teintes, Elles refont un pansement... Si doucement... si tendrement, Vos
mains de saintes ! Et voilà pourquoi tous nos gâs Se croyant revenus, là-bas, Dans leurs chaumières, S’endorment en disant : « Maman ! » Tout en serrant, dévotement, Vos
mains de mères ! Th. Botrel. [1]
Par Louise C. tiré du livre « Nos Héros
& Nos Martyrs de la Grande Guerre » par Hubert Depester. Duculot,
imprimeur – éditeur – Tamines. 1922 |