Maria Eskens
vécut une longue vie de sacrifices
Maria était une petite femme de 1m52 de
22 ans, surnommée par ses proches « Mietje » lorsque la guerre éclata. Dans son village,
elle avait sacrifié sa jeunesse en veillant sur ses trois frères et sa sœur
privés de leur mère alors qu’elle-même n’avait que 12 ans. Deux de ses frères
étaient partis pour le front et à son tour Maria ainsi d’ailleurs que son
troisième frère voulurent s’engager. Maria, qui avait toujours rêvé de devenir infirmière,
parvint à rejoindre Londres où elle fut envoyée à l’école belge d’infirmière du
King Albert Hospital. Sa formation dura dix mois et
se termina en juin 1915. Elle reçut alors son ordre de marche pour la France avec
comme principal bagage son uniforme d’infirmière.
Maria Eskens en uniforme
C’est dans l’hôpital Bourbourg dans le
nord-Pas de Calais qu’elle exerça son métier. Cet hôpital militaire belge
venait d’être créé durant le mois de mai 1915. Au total, cet hôpital de 500
lits traita, jusqu’en mai 1919, 13.000 patients.
Bien vite ses collèges surnommèrent Maria « Poesje » à cause de sa personnalité toute faite de douceur. Elle a vite fait de se distinguer aussi
par son sang-froid, notamment durant les bombardements durant lesquels elle
continuait son travail comme si rien n’était. Insensible aux bruits des avions,
elle était cependant fort perturbée par le bruit de la scie lors des
amputations. Ses rares permissions, elle les passa à Londres ou à Locarno.
Un soldat du 12ème de Ligne,
Antoine Liesmons, écrivit que lorsqu’elle rentrait
dans la salle le matin, tous les cœurs des soldats se remettaient à revivre
après une nuit de souffrance. Un autre militaire écrivit, toujours sur son
cahier de poésie, ce quatrain
émouvant :
Le quatrain émouvant
Mais ce ne fut pas d’un de ces deux
soldats que tomba amoureuse « Mietje » mais de Frank Van Bauwel qui occupait un lit
en salle 11. Il avait été touché par un shrapnell
qui avait pénétré, par son dos, jusqu’à proximité d’un poumon.
Frank Van Bauwel
Cet instituteur s’était engagé avec ses
deux frères. Brave soldat, Frank n’avait pas peur de montrer son mécontentement
de recevoir les ordres uniquement en français. En novembre 17, après sa
convalescence, il saisit sa chance et accepta une formation d’officier en passant
par les centres d’instruction de Bayonne et puis de Gaillon. Sa formation fut
malheureusement interrompue quand la hiérarchie militaire s’aperçut que Frank
faisait partie du « Legercomiteit » qui
s’opposait à la suprématie de la langue française au sein de l’armée. Frans fut
donc renvoyé au front comme simple soldat. Il termina la guerre comme sergent
avec sept chevrons de front et décoré de la Croix de guerre. Depuis son hospitalisation,
Mietje et Frank s’étaient liés amoureusement mais il
fallait d’abord que Frank trouve du travail avant d’envisager un avenir commun.
Malheureusement, affilié au « Frontpartij »,
et considéré comme un tribun trop passionné par la cause flamande, il vit les
portes du métier d’instituteur se fermer devant lui l’une après l’autre. Un ami
lui conseilla alors de postuler pour un emploi dans les plantations de
caoutchouc d’Indonésie. Après avoir suivi les cours de l’école coloniale d’Anvers,
il s’embarqua en 1920 vers sa destination lointaine en laissant Mietje seule en Belgique, le temps pour lui de préparer son
arrivée. En 1923, le voilà revenu dans le village de Maria à Putte pour
demander officiellement sa main et se marier ensuite.
Leur mariage
Leur voyage de noce fut la merveilleuse
croisière que fit le couple pour rejoindre l’ile de Java. Mietje
y trouva le bonheur dans une nature exubérante qu’elle appréciait énormément. La solitude du couple était bien supportée.
De temps à autre, les amoureux roulaient jusqu’à Bandung pour faire leurs
courses et durant leurs loisirs ils parcouraient le « Preanger »
la région volcanique de l’ouest de l’île. Bientôt Maria se retrouva enceinte.
Elle avait décidé que la naissance se ferait chez elle avec, comme seule aide, celle
de son mari à qui elle avait donné des instructions. L’accouchement de Maria se
passa très bien et Maria coupa elle-même le cordon ombilical. Marie-Louise,
« Molly » vit le jour le 16 mai 1924.
La famille heureuse de Maria et de Frank quelques mois après la naissance de Molly
Frank en 1926 devint directeur de
l’exploitation mais malheureusement les blessures encourues dans les tranchées
ne le laissèrent pas tranquille. Il advint qu’une plaie s’infecta, sans doute
parce qu’un morceau de shrapnell subsistait en profondeur. Frank se fit réopéré
à Bandung mais rien ne s’améliora. Devenant inapte au travail, il dut accepter
son retour au pays. Le voyage en bateau fut cette fois un enfer car il dut
affronter de terribles tempêtes. Après 4 semaines, il arriva au Havre. Frank,
en Belgique, fut hospitalisé à Louvain et durant quatre mois lutta contre l’infection
mais, sans antibiotiques (ces médicaments n’étaient pas encore inventés), rien
n’y fit et il mourut le 23 juin 1927, à 32 ans ! Son enterrement se
déroula en présence de nombreux anciens combattants et militants qui
demandaient la fin de la suprématie de la langue française en Belgique.
Mietje
et sa fille furent alors hébergés par le père de Frank dans la maison où il avait
grandi, à wiekevorst. Mitje
plus tard la reconstruisit et la nomma Huize Melatidu nom
d’une fleur de Java. Sa maison s’orna des souvenirs ramenés de Java. Mietje mit beaucoup de temps à reprendre goût à la vie. En
1928, son beau-père mourut mais Mietje et sa fille ne
restèrent pas seules car son père et sa sœur vinrent habiter avec elle.
Un de ses anciens
patients revint souvent la voir. Il s’agissait de Jef Gerber. Jef avait été hospitalisé
à Bourbourg, blessé de toute part, sans doute au cours d’un bombardement. Sa
survie fut un vrai miracle mais il s’en sortit avec d’innombrables cicatrices
et une prothèse d’avant- bras. Un jour qu’il était en visité chez Maria, il
demanda à Maria de l’examiner car il avait au visage un gonflement localisé et
récent. Maria l’ouvrit et découvrit un fil de suture qu’elle enleva. Ce fut le
dernier patient qu’elle soigna !
En 1982, Maria reçut la
visite de son petit-fils qui était devenu diplomate et qui venait lui raconter
le voyage qu’il avait pu faire jusque la maison que sa grand-mère avait occupée
à Tjandjoer. Malheureusement, Maria réagit peu à la
conversation. Cette époque de bonheur était tellement lointaine et, pour éviter
le « spleen » elle avait au cours du temps, fait abstraction des
rares années où elle avait été heureuse. Maria vécut jusqu’à l’âge de 96
ans. Elle décéda en 1989. Sa vie fut
longue, celle de son mari courte mais leurs deux vies furent, l’une comme
l’autre, des vies sacrifiées par la
guerre.
Le lecteur intéressé pourra trouver dans le livre de Frieda Joris l’histoire plus complète
de Maria Eskens ainsi que d’autres récits aussi
passionnant les uns que les autres : « Groteliefdes in de Grote Oorlog », Editions
Davidsfonds, 2014. Les photos appartenant aux
descendants de Maria et figurant dans cet article proviennent de ce livre qui
n’existe qu’en néerlandais.
Couverture du livre de Frieda Joris
Article écrit, à l’occasion du 11 novembre 2021, par le Dr Loodts Patrick
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