Médecins de la Grande Guerre

Dépôt de convalescents belges du Minihic-sur-Rance et sa protectrice Thérèse Bourgeois de Jessaint

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Dépôt de convalescents belges du Minihic-sur-Rance et sa protectrice Thérèse Bourgeois de Jessaint


Thérèse Bourgeois de Jessaint

     En 1999, pour les 150 ans de la création de la commune, j’avais en charge de rechercher l’origine et, si possible, l’histoire de notre maison de retraite. Ce fut l’occasion de rencontres avec divers témoins, dont Félix Guillou[1] qui, au cours de notre conversation, me dit d’une façon tout à fait anodine : « Je me souviens d’une dame, qui venait, tous les jours de Dinard, visiter les soldats belges en convalescence, à l’hôpital. Elle montait son cheval en amazone, c’était ... (Un léger temps de réflexion)... Madame de Broqueville ». Félix avait 12 ans à l’époque, il est le seul, encore à ce jour, à m’avoir parlé de cette dame.

     En août 1914 éclata le premier grand conflit mondial. L’armée allemande envahit le Belgique pour attaquer la France par le Nord. Les combats sont meurtriers, l’avance est telle, que le gouvernement belge est contraint de quitter Bruxelles pour s’installer en France, à Sainte-Adresse, commune voisine du Havre.

     Les victimes des batailles de Belgique et notamment celle de Charleroi, Dinant, etc ...sont évacuées vers l’arrière du front. En Bretagne, mais aussi dans beaucoup d’autres régions, les bâtiments tels que : les maisons bourgeoises, les grands hôtels, les hôpitaux, sont réquisitionnés pour accueillir les blessés et les réfugiés.

     C’est ainsi que l’hôpital-hospice du Minihic-sur-Rance, qui venait d’être inauguré le 7 octobre 1914, a accueilli ses premiers occupants : des soldats belges. Blessés, ils étaient là en convalescence. Ils ont marqué la commune de leur passage par des relations naturelles avec la population qui, pour quelques-unes d’entre elles, se concluront en mariage ; par des animations communales comme les représentations théâtrales dans la salle du patronage ; par la fréquentation des commerces locaux ; par des aides diverses aux travaux de l’hôpital et parfois aux habitants ; etc ... Les forces vives de tous les pays concernés se mobilisent et s’organisent pour faire face à la situation préoccupante engendrée par ce conflit. Une part importante sera supportée par les femmes, entre autres les activités manuelles, sociales et sanitaires. Qui n’a pas souvenir de récits, d’illustration, de films, ... de travaux des champs et des usines, des ambulancières ou des infirmières donnant, sans compter, leur temps au service de la nation et des blessés. D’autres, peut-être mieux placés socialement, organisent et soutiennent les entreprises ou les structures d’accueil et de soins.

     La Belgique fait de son mieux pour les siens. Le Premier Ministre, en exercice, depuis juin 1911, le Comte Charles de Broqueville et son équipe gouvernementale, tiennent entre leurs mains les destinées de leur pays. Ce destin est lié au nôtre.

     Dans notre région, la « Fondation de Broqueville »[2] est présente à Dinard, Saint-Lunaire et Saint-Jacut. Mais qui est donc cette famille de Broqueville ? Quelle est la relation avec notre commune ?

     Dès les premières heures du conflit, en août 1914, dans un même élan patriotique, les cinq fils du comte de Broqueville s’engagent dans l’armée belge, pour la durée du conflit. Robert, le second des six enfants de la famille est alors capitaine dans l’artillerie. Lors d’un voyage en Suisse en 1912, il fait la connaissance, sur les pistes de ski, de Thérèse Marie Laure Bourgeois de Jessaint, née à Paris le 10 décembre 1886. Elle est la fille de Raoul Bourgeois, baron de Jessaint, sous-lieutenant formé à l’Ecole militaire de Saint-Cyr et de Marguerite Moret de Rocheprise, infirmière. A trois ans, Thérèse est orpheline de père, elle sera l’unique fille de cette famille.

     De sa rencontre avec Robert de Broqueville, viendront les fiançailles puis le mariage le 6 mai 1913. Elle deviendra, ce jour-là, la belle-fille du Premier ministre de Belgique. Elle conservera sa nationalité française.

     Mariés, ils ont acquis début 1914 une propriété en Normandie : le manoir de Grainville à Dozulé. En avril de la même année, le premier des quatre enfants : Bernard (1914-1936) verra le jour, puis ce sera Marguerite (1916-1990) qui sera religieuse ; ensuite Claude (1919-2000) également religieuse et Odile, jumelle de Claude.

     Thérèse de Broqueville avait le pressentiment qu’elle mourrait jeune, est-ce pour cela ou par tempérament que sa vie fut des plus active et dévouée aux justes causes ? Dès le début du conflit de 1914, elle s’est portée volontaire pour s’occuper des blessés, elle sera ambulancière. Ses capacités d’entreprise la porteront naturellement plus haut dans des fonctions de responsabilités. Elle administrera les centres d’accueil des convalescents dont celui du Minihic-sur-Rance où on trouve trace des marchés conclu avec les commerçants locaux et des proches environs pour les achats du pain et de la viande[3]. Domiciliée à Dinard, villa Nador (peut-être Nahant ?) elle visite les établissements et les convalescents dont elle a la charge. Ce qui a fait dire à Félix : « Je me souviens d’une dame, qui venait, tous les jours de Dinard, visiter les soldats belges en convalescence, à l’hôpital. Elle montait son cheval en amazone ». En juin 1915, il était recensé 48 militaires belges à l’hôpital complémentaire de Minihic-sur-Rance[4].

     À la fin de la guerre, en 1918, Thérèse de Broqueville et son mari rejoignent Bruxelles où leurs deux jumelles naîtront. Son dévouement sera récompensé des mains du Roi Albert Ier, qui lui remettra la haute distinction de Chevalier de l’Ordre de Léopold. Elle sera la Présidente fondatrice de « L’œuvre des Dentellières ». La maladie aura raison d’elle, à Paris, le 8 novembre 1924, elle n’avait que 38 ans. Le Roi Albert Ier et son épouse manifesteront, à nouveau leur reconnaissance, ils présenteront leurs condoléances à la famille.

     Discrète mais efficace, une grande dame a sillonné, pendant près de quatre ans, les chemins minihicois au service des militaires blessés dans leur chair et dans leur âme. La génération qui l’a connu est, aujourd’hui, disparue. Cet article n’a que pour seul but d’éviter que les personnes et les faits ne tombent dans le gigantesque trou sans fond, appelé : « L’oubli ».

Ces quelques lignes n’auraient pas pu être rédigées sans l’aide et la complaisance de Madame Odile de Briey et M. Charles de Broqueville ; Ils sont les descendants de M. Robert de Broqueville (1891-1983). Qu’ils soient ici sincèrement et vivement remerciés de leur collaboration.

Jean-Paul VIDAL

  

    



[1] Félix Guillou nous a quitté en novembre 1999. Il avait 93 ans et une mémoire fidèle qui faisait bien des envieux.

[2] Dr P. Loodts, Médecins de la Grande Guerre.

[3] Archives municipales du Minihic-sur-Rance. Répertoire des actes comptables n° 162 et suivants.

[4] Archives municipales du Minihic-sur-Rance. Délibération du bureau de bienfaisance du 10/06/1915.



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