Médecins de la Grande Guerre

Des héros qui ne se trouvaient pas au front.

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Des héros qui n’étaient pas au front ![1]

       Les Allemands obligeaient, par la force brutale, des milliers de Belges à travailler pour eux, soit en Belgique, soit en Allemagne.

Ceux qui refusaient étaient punis cruellement ; on les laissait sans nourriture et on leur faisait subir toutes sortes de tortures physiques et morales.

       Beaucoup de ces Belges se disaient : « Travailler contre mon propre pays, non, jamais ! » et ils essayaient de fuir et de chercher un asile en France ou en Hollande. Cela offrait bien des dangers, et malheur à eux s'ils tombaient entre les mains des Allemands.

       Les hommes demeurant près du littoral bravaient l'ennemi en s'embarquant, au milieu de la nuit, dans des barquettes, pour gagner par mer Dunkerque, Calais ou Cadzand et Flessingue.

       Ceux qui étaient envoyés de force en Allemagne, refusaient d'ordinaire avec une énergie héroïque de travailler pour l'ennemi.

M. Oor, aumônier hollandais, fut autorisé à visiter les camps de déportés en Allemagne. Au spectacle de leurs souffrances, il crut faire acte humanitaire en engageant les Belges à travailler pour le pays ennemi. Le récit de ses entrevues avec les déportés nous émeut vivement :


Camp de Guben (Bradebourg). Au premier plan la chapelle russe.

       « ... Au camp de Guben, 12.000 déportés étaient rassemblés ; le commandant du camp, un général, nous déclara que, les déportés refusaient tout travail, et « qu'il ne savait plus que faire de ces Belges ». Il nous raconta qu'un soir il entendit du bruit dans le camp. Il alla voir, et aperçut les Belges défilant en un long cortège à travers le camp, chantant la Marseillaise et précédés d'un drapeau rouge. Comme punition, le général les laissa trois jours et trois nuits enfermés dans leurs baraquements, au pain et à l'eau. Il leur était même interdit de sortir pour satisfaire leurs besoins naturels. Que l'on s'imagine leurs baraquements en bois, longs, étroits et bas, mal éclairés, peu ou pas aérés où il n’y avait place que pour trois cent cinquante hommes entassés. Le médecin-chef du camp me communiqua, plus tard, qu'il avait pu constater qu'au moins 10 % des déportés étaient « inaptes au travail » à l'arrivée ; ou malades, ou trop faibles...

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       » Le commandant me dit : « Il faut que ces chômeurs travaillent ; au besoin, ils seront    » transportés de force dans les chantiers, où ils regretteront leur refus ; s'ils sont récalcitrants... » Le général n'acheva pas, mais il fit le geste du soldat abattant l'homme à coups de baïonnette !...

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       » Ces malheureux souffraient de la faim, et des gardiens me racontaient que des déportés allaient chercher de quoi manger dans la rigole qui débouchait des cuisines. »

       Pour pouvoir se mettre en rapport avec tous les groupes, M. Oor pria les déportés de désigner des délégués :

       « Je leur dis la profonde émotion que me procurait celle prise de contact dans de telles circonstances. Je leur promis de faire toujours de mon mieux pour améliorer leur sort.

       » Bien intentionné, je leur demandai s'il ne valait pas mieux, en présence des privations de toute espèce, de la faim, du froid, des maladies et de la mort, que tout au moins les jeunes et les valides acceptassent du travail, afin de rendre, par ce moyen, la vie moins insupportable à ceux qui resteraient ?

       » Le porte-parole des délégués se leva et déclara :

       « ... Au nom de tous les Belges présents dans le camp, nous préférons mourir dans les    »lazarets, plutôt que de mettre la main au travail pour les Prussiens, car nous prendrions la »place d'un Allemand qui se rendrait au front pour y combattre notre pays. »

       Plus tard, M. 0or fit une nouvelle et dernière tentative :

       « J'avais écrit à l'archevêque de Cologne. Je vins dire aux déportés que j'avais fait une démarche très sérieuse en leur faveur, mais que j'aurais plus de chance d'aboutir vite si un nombre assez considérable d'entre eux voulaient travailler. Je demandai aux déportés encore robustes de faire un sacrifice pour que leurs camarades pussent rentrer en Belgique. Je leur dis :

       « Que ceux qui veulent m'aider lèvent la main ! » Pas un homme ne leva la main. Un silence de mort régnait. Tous me regardaient.

       » Une émotion profonde m'envahit ; et je vis que j'avais devant moi des héros, prêts à mourir pour la Patrie, comme les  soldats de l'Yser ! »

 



[1] Notre Livret d’Or de H.-N. Van Kalken. Office de publicité – Anciens Etablissements J. Lebegue & Cie, Editeurs,  page 106



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