Médecins de la Grande Guerre

Le pilote Gaston De Ruyter, jeune poète de l’amour inassouvi

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Le pilote Gaston De Ruyter, jeune poète de l’amour inassouvi



       Né à Huy le 23 décembre 1893. Le 4 août, il s’engage comme volontaire au 12ème de Ligne. Il prit part aux combats de Beerongen, Moll, Rethy et Ramskapelle. Il est nommé sergent puis adjudant le 28 février 1915. Il demande alors de passer aux mitrailleurs où il commandera une section jusqu’en mars 1918. Il renonce à ses galons pour entrer à l’école d’aviation de Juvisy où il conquiert rapidement son brevet de pilote et le grade de sergent. Il repart pour le front le 2 octobre 1918. Le 7 du même mois, chargé d’une mission de chasse au-dessus des lignes ennemies, il est abattu entre Bukscamp et Furnes.

       Deux recueils de vers portent son nom : Chansons ardentes (1919) et Chansons vielles sur d’autres airs (1918)



       La poésie de Gaston est essentiellement dédiée aux jeunes femmes. C’est l’amour passé et l’amour à venir qui fait vivre le poète. La guerre n’est qu’un intermède et ne fait pas la « une » de son recueil. En cela, Gaston est semblable à la plupart de ses compagnons d’armes, jeunes gens sortis depuis peu de l’adolescence et dont la principale aspiration est de rencontrer l’âme sœur qui leur permettra de goûter aux joies de l’amour. « Je pensais qu'il est bien doux d'écouter battre et vibrer un cœur aimé » nous dit le poète. Gaston, dans ses recueils, nous parle principalement de l’amour que lui inspirent les jeunes femmes qu’il a rencontrées. Son âme amoureuse, hélas, ne verra cependant pas la concrétisation de ses rêves car la « mort hideuse au ricanement drôle » ne lui laissera pas le temps de les accomplir ! Les poèmes de Gaston nous rappellent la grande misère de la guerre qui coupa court aux aspirations normales de millions de jeunes hommes. Bien évidemment, Gaston n’est pas uniquement un rêveur car il connaît et accepte aussi les sacrifices qu’on exige de lui. Quant à la haine de l’ennemi, elle existe mais, toujours, sur sa tombe doit subsister le pardon : « Ci-git quelque inconnu à l'uniforme gris, Belge, prie et pardonne à ceux qui t'ont trahi ! Et près de la croix noire ou repose cette âme, Coquelicots et boutons d'or dressent leurs flammes ! ».

       Gaston, l’amoureux, est manifestement un héros. Bien en avance sur l’heure de sa mort, il écrira pour ses proches un poème de consolation pour le cas où il ne reviendrait pas, un poème dont les derniers vers : « Ah ! Que la mort est belle à l'âge de vingt ans, quand on tombe, frappé d'une balle en plein front » ne furent certainement pas pensés mais donnés en offrande à ses parents pour qu’ils puissent supporter la vie en son absence.

 

Chers lecteurs, voici ci-dessous les poèmes de Gaston De Ruyter qui m’inspirèrent pour rédiger cet hommage à un jeune gars de chez nous.

CHANSONS ARDENTES

Poème XIV

Pour que l'accueil soit doux et divin ton sourire,
J'ai fait belle la chambre aux persiennes bien closes,
J'ai mis partout des fleurs, toutes fraîches écloses,
Et j'attends qu'à la porte éclate, frais, ton rire.

Tu viendras simplement et comme au premier soir
Où tu m'offris ta chair et tes premiers émois,
Tu prendras les baisers que garde pour toi,
Car je viendrai, soumis, à tes côtés m'asseoir.

Et tu sauras comprendre et saisir ma souffrance
Et puis me pardonner, car tu sais les désirs,
Et ton cœur s'ouvrira, lorsque mes repentances
Viendront sonner le glas trop profond de soupirs.

J'ai fait la chambre belle et mes baisers virils,
Reviens vers mon étreinte et donne-moi ta chair;
Dans tes bras oubliant l'esclavage servile,
Viens, je retrouverai l'éclat de tes yeux clairs !

J'ai fait la chambre belle en y mettant des fleurs
Et voilà que ces fleurs s'effeuillent déjà lasses
Et que mon cœur se serre et que mon rêve meurt
Au seuil noir de la nuit où ton ombre s'efface !

Tranchées de Dixmude, le 25 septembre 1917

Poème XIII

Elle est à la fenêtre et m'attend
Et son rêve sans doute
Vient vers moi, lentement,
Avec son clair regard qui questionne la route !

Elle est là pour me voir venir par le chemin
A l'heure où l'habitude
Me fait chercher le salut de sa main
Et qu'auprès d'elle cesse ma solitude.

Elle est là pour savoir
Si c'est la réussite ou la défaite
Des projets énoncés à deux, hier au soir ;
Et mon retour est pour elle une fête.

Elle viendra tantôt, et pour m'ouvrir la porte
Elle aura des baisers à m'offrir;
Et sans voir la douleur que je porte,
Elle saura m’aider à souffrir !

Elle est là, pensive et femme,
Avec ce geste d'amour
Qui les feront toujours
Les Béatrices de nos âmes !

Elle est à la fenêtre et je la vois
Qui se penche et me tend la promesse
De vivre avec ferveur sa plus belle jeunesse
Sous l'aile de ma foi !

Bray-Dunes, le 26 février 1918.

CHANSONS VIEILLES SUR D'AUTRES AIRS

Prends-moi la main et nous irons
Nous perdre, là-bas, dans les dunes
A l'heure où s'assombrit le lointain horizon
Et que s'allument les étoiles, une à une.

Nous nous enfuirons loin du bruit
Chercher le franc et large espace,
Pendant que tomberont les ombres de la nuit
Sur les heures du temps que jamais rien ne lasse.

Nous passerons sous les sureaux
Où je baiserai ton visage,
Et nous n'entendrons plus le bruit d'airain de l'eau
Ni la plainte du vent, là-bas, sur le rivage.

Quand nous serons lassés d'errer,
Contre mon cœur et ma poitrine
Tu viendras t'endormir et longuement rêver
Pendant que les flots lents berceront des ondines.

Une chapelle dresse au détour du sentier
Le rustique refuge
Où la Vierge des pitiés
Prie, à genoux, le Divin Juge.

Et nous viendrons, veux-tu,
Prier un soir à côté d'elle ?
La bonne Vierge des cœurs déchus
Nous appelle.

Une chapelle dresse aux vents
Le toit branlant de son auvent
Et l'ouragan s'arrête
Et se calment les tempêtes.

Et nous viendrons aux soirs d'orage
Nous mettre à deux genoux,
Avec la Vierge auprès de nous
Et des larmes à nos visages !

La chapelle se dresse au bout de nos chemins,
Notre-Dame la Vierge en priant nous appelle ;
Laisse-moi prendre tes deux mains,
Nous suivrons le sentier qui nous mène vers elle !

Une chapelle dresse au détour du sentier
L'accueil et le refuge
Où la Vierge des Sept pitiés
Prie inlassablement Celui qui juge !

La Chapelle des Dunes, le 2 août 1917.



EXTRAIT DE « PENSÉES »

       Elle m'a pris par la main. Le soleil mettait sa claire lumière dans ses cheveux blonds que la brise ondulait. Nous marchions ainsi dans le chemin, tous deux également illuminés de cette auréole de lumière qui nous suivait comme pour symboliser notre commune confiance dans le présent et dans l'avenir. Nous marchions ainsi sans rien nous dire puisqu’il est des moments où le silence est la meilleure conversation des âmes, et je pensais au bonheur de l'aimer.

       Au bout du sentier, le temple ouvrait son porche modeste, quelques lumières falotes scintillaient au fond du chœur. Je pensais qu'il est bien doux d'écouter battre et vibrer un cœur aimé.

       Elle m'a pris la main et m'a dit : « Venez, nous irons prier ». Elle pensait à toute la Vie pendant que j'écoutais le plaisir du présent qui me disait d'oublier le sacrifice. Ah ! Je me souviendrai de cette prière, la même, et que nos lèvres murmuraient ensemble pendant qu'elle marchait vers les félicités suprêmes et que je souffrais de ne l'avoir pas mieux comprise, auparavant

PAYSAGE AGRESTE

« Pardonne à la main qui te frappe... »
Jésus-Christ

Cent mètres de terrains séparent nos tranchées
De la ligne ennemie et de la terre aimée.
Dans l'herbe déjà haute, on discerne un sillon
Dont le temps ne peut faire oublier l'abandon,
Car on peut voir aussi, fendant l'argile nue,
Se dresser, fier encor, le soc d'une charrue.
L'acier en est rouillé, des éclats de shrapnells
Ont brisé la ferrure et peut-être, cruels,
Tué les deux grands bœufs, dont l'effrayant squelette
Où les corbeaux, le soir, en croassant s'arrêtent,
Semble se reposer comme au jour de leur mort,
Alors qu'ils ruminaient après leur dur effort.
Et plus loin, à dix pas, se dresse une croix noire.
Triste et dernier vestige après la Mort sans gloire !
« Ci-git quelque inconnu à l'uniforme gris,
Belge, prie et pardonne à ceux qui t'ont trahi ! »
Et près de la croix noire ou repose cette âme,
Coquelicots et boutons d'or dressent leurs flammes !

Tranchées de Noordschoote, le 3 avril1916.

LETTRE D'AVANT LA BATAILLE

                                                                                                          A mes Parents.

Parents, frères, amis, pour qui mon cœur ouvert
Déborde d'affection et d'immense tendresse,
Ce soir, alors que le parfum des bourgeons verts
Fait oublier le temps et met au cœur l'ivresse,

Il faut qu'en cet instant, de beaucoup et de peu,
Je vous parle en bon fils, en soldat de Belgique !
Père, soyez-en fier et vivez bien heureux !
J'ai fait le sacrifice en mon âme énergique

De ce sang généreux que vous m'avez donné,
Et je verrai sans peur venir la Mort hideuse,
Car ce sera pour vous, pour votre liberté,
Que votre gars mourra dans cette heure glorieuse !

Mère, que vos grands yeux ne versent pas de pleurs,
Et qu'au jour du retour, en apprenant le drame,
Le récit de ma mort, redressant votre cœur,
Appose un léger baume au chagrin de votre âme !

Adieu, frères, parents, et peut-être Au revoir  !
Rêve et Espoir ! Demain nous livrerons bataille !
Je voudrais que, pareille aux senteurs de ce soir,
Le doux parfum des fleurs, sur le champ qu'ils assaillent,

Grise tous nos soldats de carnage et de sang
Pour qu'à jamais nos fils haïssent les Teutons !
Ah ! Que la mort est belle à l'âge de vingt ans,
Quand on tombe, frappé d'une balle en plein front.

Tranchées de Noordschoote, le 1er avril 1916.

Article écrit en Janvier 2019 par Dr Patrick Loodts à Fumal.

 

 

 

Source :

1)     Anthologie des écrivains Belges morts à la guerre, préfacée par le Général Jacques le 25 juillet1922, La Renaissance du livre belge, 144 boulevard Adolphe Max, Bruxelles.

2)     « chansons ardentes », Gaston De Ruyter, Jouve et Cie Editeurs, 15, rue Racine, Paris, 1919.

 

 



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