Médecins de la Grande Guerre
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DINANT… 23 AOUT 1914 Comment ma (future) maman, alors âgée de 10 ans, a échappé in extremis à la furie teutonne (par son fils cadet Francis ROUARD) 1 Une petite « piqûre
de rappel » historique : A. Naissance de la
Belgique après des siècles de domination étrangère : Rappelons tout d'abord que les provinces sud des Provinces-Unies (Hollande) conquièrent leur indépendance territoriale et politique en 1830, indépendance reconnue internationalement par la conférence de Londres en janvier 1831. Les grandes puissances (France, Angleterre, Autriche, Prusse et Russie) imposent au nouvel Etat de droit une totale NEUTRALITE, avec leur garantie d'une assistance militaire en cas de viol de ce statut. A charge pour le jeune Etat de constituer une armée capable de le défendre dans un premier temps. Après de longues discussions, les signataires se décident pour une MONARCHIE (au lieu d'une république) et placent sur le trône le prince allemand Léopold de Saxe Cobourg Gotha, qui prêtera serment – sous le nom de LEOPOLD 1 – devant les Chambres et le peuple, le 21 juillet 1831. B. Le conflit
franco-prussien de 1870 : En 1870, pour des raisons trop longues à expliquer ici, la France déclare la guerre à l'Allemagne (en fait, à une coalition de petits Etats allemands, « unifiés » par la Prusse). Heureusement, la neutralité de la Belgique ne sera pas violée car les combats auront lieu essentiellement en France, surtout en Alsace et en Lorraine. Les Français, mal préparés et dirigés par des généraux incompétents, subiront défaite sur défaite, pour finalement capituler après la bataille de Sedan. Toutefois, durant ces quelques mois de conflit, les armées prussiennes durent affronter sporadiquement les tirs de civils armés, qu'ils appelèrent des « Franktireurs ». Ce conflit rapide (six mois) eut au moins deux conséquences politiques importantes : la France de Napoléon III céda la place à un régime républicain pérenne (la 3e République) ; tandis que, du côté allemand, s'enclencha le processus de l'unification allemande et la victoire militaire fit tomber l'Alsace et la Lorraine dans l'escarcelle de l'Allemagne, ce qui resta durablement en travers de la gorge des Français... II. La première Guerre
mondiale. L'assassinat de l'Archiduc François Ferdinand, frère de François-Joseph (83 ans) empereur d'Autriche et roi de Bohème et de Hongrie, ainsi que de son épouse, à SARAJEVO, le 28 juin 1914, par un jeune nationaliste serbe, mit le feu aux poudres dans les Balkans, zone de troubles et de conflits territoriaux et politiques depuis plusieurs décennies. Mais, très rapidement, ce conflit va s'étendre à une bonne partie de l'Europe, suite au jeu des Alliances : la Triple Entente (France, Angleterre et Russie) contre la Triple Alliance des empires centraux (Allemagne et Autriche-Hongrie). D'autres pays viendront rejoindre ces deux camps, même au-delà de l'Europe. Notre « petite » Belgique refuse.au Kaiser Guillaume II de passer à travers
notre territoire pour atteindre la France. A la suite de quoi l'Allemagne
envahit notre territoire, le 04/08/1914 : les quelque 117.000 soldats belges,
mal armés et mal entraînés, devront résister au million de « Boches. Et, contre
toute attente, ils le feront avec une détermination et un héroïsme remarquables,
qui mettront en fureur les Allemands qui avaient pour objectif essentiel
d'atteindre rapidement Paris, après une « balade de santé » à travers la
Belgique. Cette résistance inattendue les conforta dans l'idée que, vu les
faibles effectifs de l'armée belge, des civils armés avaient dû se comporter en
« Franktireurs » ... comme en 1870. Comme l'Allemagne a déclaré officiellement la guerre à la France le 03 août et pénétré en Belgique le 04 août, les Français viendront prêter main-forte aux fragiles troupes belges, certes en vertu des accords de Londres (signés par la Prusse, ne l'oublions pas !), mais aussi parce que l'occasion est belle de récupérer les territoires perdus en 1870. III. Les massacres du
23 août à DINANT. C'est ainsi que les troupes françaises et allemandes se retrouvèrent face à face à DINANT, lieu de passage obligé dans le plan d'invasion allemand. Résumons les phases essentielles de cette violente confrontation : # Le 15 août, les Allemands, venant de Ciney sur la rive droite, s'emparent de la citadelle, d'où ils seront délogés par les Français, en fin d'après-midi, au prix de combats au corps à corps acharnés. # Entre le 15 et le 23 août, les Dinantais se virent dans l'impossibilité de passer la Meuse pour rejoindre la rive gauche, et ainsi tenter d'échapper à la furie teutonne. Et, dès le 20 août, les Allemands sont persuadés que des civils ont participé aux combats du 15 août[1]. # Dans la nuit du 21 au 22 août, les Allemands tentent – sans succès – de s'emparer du pont, incendient le pied de la rue Saint-Jacques (qui, toujours actuellement, est la porte d'entrée de Dinant en venant de Ciney) et commettent leurs premiers crimes contre les civils, terrés dans leurs caves. LA JOURNEE SANGLANTE
DU 23 AOUT Tôt le matin, en ce
dimanche ensoleillé du 23 août, les troupes saxonnes déferlent du plateau sur
la ville par les quatre axes routiers le permettant : les Fonds de Leffe – la
rue Saint-Jacques – la Montagne de la Croix et le Froidveau. Plan général de l’invasion allemande de Dinant. D’après Horne J. et Kramer A., 1914. Les atrocités allemandes, Paris, 2005 : Services informatiques de la Province de Namur. Les soldats allemands investissent donc la ville de toutes parts, semant immédiatement la terreur et la désolation : incendies, prises d'otages et exécutions sommaires, tout cela sous les tirs sporadiques des fantassins français, embusqués derrière la ligne de chemin de fer Givet-Namur (rive gauche). Les habitants, terrorisés, se réfugient dans leurs caves, abris ô combien précaires dont ils seront aisément délogés. Des civils (hommes,
femmes et enfants, même des bébés !) sont massacrés à la filature de Leffe,
devant l'abbaye de Leffe (Prémontrés), dans le quartier Saint-Pierre, au mur
Bourdon (Rivages) et au mur Tschoffen (quartier Saint-Roch). Les grandes
tueries auront lieu entre 17 et 18h. Détail géographique Les fusillés du Mur
Tschoffen « Dans le quartier
Saint-Nicolas, situé à l'opposé de celui de Leffe, les habitants, expulsés de
leurs caves à coups de crosse et de baïonnette, subissent, depuis le matin, les
mêmes sévices qu'ailleurs. Ils sont rassemblés dans la prison (place d'Armes)
et dans l'écurie de l'ancienne forge Bouille (rue en Ile). L’écurie Bouille (à droite). Accroché sur le mur, un panneau en bois commémore la mort de 19 victimes. Carte postale, année 1920 Vers 18 heures, le long du mur du jardin du procureur du Roi, Maurice
Tschoffen, des éléments du 100e régiment des grenadiers de la Garde,
commandés par le lieutenant-colonel et comte Kielmannsegg, disposent sur quatre
rangées une centaine de suspects arrachés à leur famille. Après un moment
d'hésitations, le peloton improvisé s'acquitte de sa basse besogne. La fusillade du Mur Tschoffen. Dessin d’Alexandre Daoust. (Collection famille Claes) Il tire à bout portant sur les prisonniers, achevés à coups de revolver. Trente-deux d'entre eux, salement amochés, parviennent toutefois à s'éclipser à la faveur de l'obscurité. Ils porteront, plus tard, le titre peu envié de « rescapés » ou d' « échappés ». (Michel Coleau) C'est dans un de ces groupes que sont poussés violemment la petite Henriette MARCHAL (née le 02 mai 1904) et son papa Victor MARCHAL (1877-1940). Que s'est-il exactement passé au mur Tschoffen ? 1. Récit de ma maman
Henriette MARCHAL : Je ne sais plus quand ni
dans quelles circonstances ma maman m'a raconté ce qu'elle a vécu au mur
Tschoffen, mais voici ce que ma mémoire a retenu. Toute sa vie, maman a revécu cette scène et n'a jamais oublié l'image de ce grand officier uhlan, très mince et très droit sur son cheval, à qui ma sœur, mes frères et moi devons la vie. Quoi qu'il en soit, maman en a gardé longtemps un violent traumatisme : selon ma sœur Juliette, un seul mot allemand entendu suffisait à la précipiter, toutes affaires cessantes, vers la toilette la plus proche. Sans commentaires. Né en 1947, je n'ai jamais constaté pareil comportement. 2. Que penser de ce
témoignage ? Depuis un siècle et surtout dans la perspective des commémorations de 2014, de nombreux témoignages ont été récoltés et des historiens – notamment locaux – ont essayé de faire la lumière sur les massacres dinantais, et particulièrement sur les événements du Mur Tschoffen. Même s'il reste encore des zones d'ombre, on peut quand même affirmer que le témoignage – très émotionnel (on le comprend aisément!) – de ma maman est « entaché » de deux erreurs : La première est qu' »aucun enfant ou adolescent n'a été envoyé au mur pour y être exécuté. Par contre (...), tous les civils en cortège ont bien été stoppés au moment où ils atteignaient le mur, et à tout le moins, les femmes et les enfants y ont été séparés des hommes. Il est très plausible que le père, voyant ce qui se préparait et ignorant qu'une sélection allait être faite, ait donné pour consigne à son enfant de se laisser tomber au moment du tir, pour le couvrir de son corps et le protéger ainsi des balles. (...) La seconde erreur porte sur la localisation d'une mitrailleuse à cet endroit précis – et non à proximité – car c'est un peloton d'exécution constitué de soldats allemands alignés qui commet la fusillade meurtrière. » (Clarinval) En réalité, une
mitrailleuse (en témoignent d'autres « échappés ») était bien présente mais
avait été placée en face du Mur Tschoffen, en position surélevée sur une
terrasse où poussaient des arbres fruitiers, car il n'y avait pas de maisons
construites à cet endroit, comme le montre le cliché ci-dessous. Cette
mitrailleuse a servi à « arroser » les cadavres déjà entassés, pour y supprimer
tout signe de vie ... La rue Léopold et le mur du jardin M. Tschoffen. Cliché pris en 1919 D'un autre côté, différents témoignages évoquent un cavalier, portant un aigle bicéphale sur son casque de couleur argentée et dorée, qui a fait arrêter la tuerie. Sur ce point précis, le témoignage d'Henriette MARCHAL doit être pris en considération. 3. Mais qui était donc
cet officier supérieur ? Des recherches récentes permettent
d'évoquer la piste de MAX de SAXE (1870-1951), propre frère de l'empereur
GUILLAUME II. Grand Aumônier des Armées, Max de Saxe avait donc le grade
d'officier supérieur et, à ce titre, avait le pouvoir d'arrêter la tuerie, au
nez et à la barbe d'un lieutenant-colonel présent sur place. Son arrivée à
cheval par la Montagne de la Croix (située à une centaine de mètres du Mur
Tschoffen) ne fait aucun doute. Le chemin escarpé de la Montagne de la Croix. Carte postale vers 1900 Ceci dit, des historiens (et non des moindres) ne cautionnent pas ipso facto l'identification de Max de Saxe. Ainsi M. Axel TIXHON, professeur d'histoire à l'U Namur et actuel bourgmestre de Dinant, sans rejeter totalement cette hypothèse, se montre prudent car, dit-il, « il s'agit de mémoire orale. Les souvenirs de famille sont parfois un peu surprenants. Quand on les collecte, un peu partout, ça ne colle pas tout à fait. » (L’Avenir du 10/04/2014). Quant à Michel COLEAU, historien lui aussi et archiviste de la Ville, il considère qu' « il ne s'agit que d'une hypothèse parmi d'autres » et en propose une autre: « Ce qui s'est sans doute produit, c'est que les Allemands ont cru à l'arrivée impromptue de troupes françaises. Voilà comment les otages enfermés à la prison, devant être amenés au mur, ne l'ont pas été. » (L’Avenir du 10/04/2014). Alors, qu'en penser ?
Personnellement, je crois « dur comme fer » (jusqu'à preuve(s) du contraire,
évidemment) que ce cavalier salvateur est bien MAX de SAXE. En effet, M.
CLARINVAL, poursuivant son enquête, a pu entrer en contact avec le professeur
Iso BAUER, biographe du prince-abbé, au long de trois gros volumes de mille
pages chacun (!). On y découvre un personnage extrêmement HUMAIN, avec un
courage frondeur, une honnêteté et une résolution déterminées, une serviabilité
et une disponibilité à toute épreuve, une simplicité confinant à l'abnégation
la plus entière ... (...) En outre, le prince Max était convaincu des méfaits
et avait vu de ses propres yeux les horreurs commises par les troupes
allemandes. (...) Pour le prince Max, les expériences faites pendant cette
campagne de guerre restaient indélébiles dans sa mémoire, et son attitude de
pacifiste convaincu s'en trouvait fortifiée. » (Bauer) Ainsi confia-t-il à un
collègue aumônier, dès septembre 1914 : « S'il y a un Dieu juste dans le Ciel,
nous devons perdre la guerre à cause des horreurs que nous avons commises en
Belgique. » (Hoffmann) Le prince Maximilien de Saxe (en allemand, Maximilian Wilhelm August Albert Karl Gregor Odo Prinz von Sachsen), né le 17 novembre 1870 à Dresde, et mort le 12 janvier 1951 à Fribourg, troisième fils et septième des huit enfants du roi Georges 1er de Saxe et de Marie-Anne de Portugal, est un membre de la Maison de Wettin, un prêtre de l’Eglise catholique et un auteur de langue allemande Quoi qu'il en soit, ce
cavalier sauva d'une mort certaine quelque 300 à 350 civils dinantais enfermés
dans la prison de Dinant, et parmi eux donc Henriette et Victor MARCHAL. Au
total, 674 civils (dont 107 au Mur Tschoffen) perdirent la vie en ces journées
sanglantes, après les villes de Visé, Andenne, Tamines, Aerschot et Leuven. En
outre, 950 maisons furent incendiées, soit les 2/3 du bâti originel. L’ampleur des destructions sur les deux rives. Cliché photographique, de Hubert Pirot-Schwartz, en septembre 1914. (Collection de l’auteur) 4. Les prisonniers de
Kassel : Mais les Allemands n'en
restèrent pas là : le 23 août encore, dès après les massacres rapportés
ci-dessus, les Allemands rassemblèrent des hommes de toute condition sociale,
parmi lesquels le bourgmestre de Dinant Arthur Defoin, le conseiller communal Léon
Sasserath, le procureur du Roi Maurice Tschoffen, des substituts, des juges...
et un certain Victor MARCHAL ! Au total, 416 civils, sous les coups et les
brimades, furent emmenés à pied jusqu'à la gare de Melreux où les attendaient
des wagons à bestiaux qui les transportèrent jusqu'à Kassel (28 août, vers 3h
du matin). Les prisonniers (toujours suspectés d'être des « Franktireurs »)
y vécurent jusqu'à la mi-novembre, dans des conditions très inhumaines ;
certains n'en revinrent pas. Photo de famille prise sans doute en 1941. Au centre maman entourée de Victor 16 ans et Juliette 10 ans, avec sur ses genoux Eddy (né le 28 novembre 1940) BIBLIOGRAPHIE Ouvrages, journal et revue consultés 1) « 1914-1964. 50e anniversaire des massacres de DINANT »,
n° spécial, Dinant, Administration communale, 1964, 58 p. [1] A cette conviction mortifère vient s’ajouter le fait que ces journées d’août 1914 sont particulièrement torrides et que les soldats ont très soif. Comme circule rapidement une rumeur selon laquelle l’eau des fontaines a été empoisonnée par les Dinantais, ils vont dévaliser les caves de leurs réserves de vin et d’alcool : ainsi, la plupart des soldats sont ivres dès poteron-minet. |