Médecins de la Grande Guerre
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Tiré du livre « Pages de Gloires ». Ecrit par M. Paul Dessart, Avocat à la Cour d’Appel de Liège. Dessin de Raphaël Clédina. LA NAISSANCE DE L’HOSPITALITE. C’était au début de l’affreuse guerre qui vient de finir. L’arrêt brusque du travail dans les usines et les charbonnages amena rapidement la gène dans les ménages, qui n’avaient pu faire des économies pendant les bonnes années ; bientôt ce fut la misère pour beaucoup. Des comités nombreux s’organisèrent en vue d’aider la classe ouvrière par des distributions de soupe, de vêtements, et d’autres objets. Mais si ces secours atténuaient, dans une certaine mesure, les nécessités des grandes personnes, ils étaient impuissants à conserver aux petits enfants les bonnes grosses joues d’avant-guerre. Parents, instituteurs, médecins, tous se lamentaient sur le sort des écoliers qui s’anémiaient de jour en jour. C’est alors que deux Frères des Ecoles Chrétiennes de Sainte Marguerite, à Liège, les Chers Frères Léonard et Félix, conçurent l’idée de s’adresser aux cultivateurs et de leur demander de prendre un enfant chez eux pendant les vacances. Idée hardie, il est vrai, mais rien n’arrêtait, dans leur zèle pour le bien, ces vaillants disciples de Saint Jean-Baptiste de la Salle. Ils firent part de leur projet au Comité Scolaire de Liège Ouest, ainsi qu’à feu l’abbé Detroux, révérend curé de la paroisse qui, tous deux, les encouragèrent. En sorte qu’un beau matin – c’était un dimanche, au début de l’été 1916 – les deux Frères se mirent en route vers la Hesbaye, où ils connaissaient deux prêtres particulièrement dévoués, MM. les abbés Thonon et Coopmans, respectivement curés de Fize-le-Marsal et de Crisnée. Ceux-ci accueillirent l’idée avec enthousiasme et, pour donner l’exemple, s’inscrivirent les premiers. Les Frères parcoururent alors, une à une, les fermes des deux villages et lorsque, le soir, harassés, par cette marche sous un soleil torride, ils regagnèrent Liège, leur cœur était plein de joie, car ils avaient obtenu quatorze promesses de placements ! Vite le Comité Scolaire se mit à l’œuvre pour organiser la propagande : des lettres furent envoyées à plusieurs prêtres, des démarches furent faites, si bien qu’au début d’août 1916, le succès le plus complet était garanti. Nous nous rappelons très bien que fin juillet, parlant de cette œuvre naissante, nous avions dans un discours exprimé l’espoir de placer durant l’été une centaine d’enfants. Des sourires sceptiques se dessinèrent sur les lèvres des auditeurs. Ceux-ci ignoraient, en effet, trois choses : le dévouement des Chers Frères et des membres de l’œuvre, la charité des cultivateurs et surtout la puissance de la Providence. Il y eut près de trois cents enfants hospitalisés, cet été-là ! LES PREMIERS DEPARTS POUR LA CAMPAGNE. C’est un enthousiasme inattendu ! A Liège même, lorsque les Frères sortent de l’école avec leur petite troupe, un inconnu s’approche et dit : « Je regrette de ne pouvoir adopter un enfant, mais voici pour l’œuvre », et il remet vingt cinq francs. Quelques jours après c’est un négocient Hesbignon qui se présente et déclare qu’il ne partira pas sans enfant. On lui fait remarquer que les écoliers, désignés pour les cures d’air, ne se trouvent pas rangés en classe comme des chapeaux à un étalage : le brave homme ne veut rien entendre. Comme nous le connaissons, nous lui amenons un enfant. Il le toise, lui parle, et le trouvant à son goût, il l’enlève séance tenante dans sa carriole, lui laissant à peine le temps de faire ses préparatifs. Hélas ! Le 15 septembre arriva bien vite et marqua le retour des quelque trois cents enfants qui avaient été placés, non seulement en Hesbaye et dans le Sud du Limbourg, mais encore dans le pays de Herve. Il fallut des trams spéciaux pour rapatrier tous ces bambins. Si vous aviez vu leurs bonnes grosses joues et leur santé florissante ; si vous aviez entendu les histoires merveilleuses qu’ils racontaient ; et surtout, si vous aviez dû porter leurs colis, vous auriez senti que les adoptants n’avaient pas fait les choses à moitié ! Pendant ce temps, les enfants moins débiles n’avaient pas été négligés : le Comité Scolaire avait organisé à leur intention des collectes de pommes de terre ! Voici comment on s’y était pris : on avait obtenu de différents instituts catholiques de la ville l’autorisation de placer un panier à l’entrée de l’établissement, et, chaque matin, les élèves y déposaient une pomme de terre. On put faire ainsi une moisson merveilleuse. D’autres enfants furent secourus par les dîners familiaux. A l’initiative d’un membre du Comité, M. Janssens, pharmacien chimiste, à Liège, certaines familles aisées furent priées d’accepter à leur table, chaque midi, un écolier pauvre. Bientôt, une cinquantaine de familles de la paroisse eurent leur petit hôte. L’œuvre se répandit en ville, et grâce à la recommandation de Sa Grandeur Monseigneur l’Evêque, puis de son Eminence le Cardinal Archevêque de Malines, des milliers de jeunes Belges purent prendre, chaque jour, en Belgique, un repas réconfortant. L’hiver passa, très dur pour les pauvres gens, et déjà bien difficile pour ceux qui avaient connu jusqu’alors une certaine aisance. Comme la grande offensive libératrice n’arriva pas au printemps 1917, il fallut de nouveau songer à trouver place pour les enfants débiles. EN 1917, IL Y EUT UNE DOUBLE HOSPITALITE. Le succès de l’Hospitalité Liégeoise avait attiré l’attention de la Fédération Scolaire, qui entreprit de compléter les placements dans la province de Limbourg. Bientôt, sous l’habile direction de M. René Somzé, des avalanches d’enfants s’abattirent sur cette province. Le premier village qui accueillit alors nos écoliers fut Geystingen, village natal de notre auguste Evêque. Que de traits charmants on pourrait signaler ! N’en citons qu’un seul : il montre la charité des populations flamandes pour nos pauvres Liégeois. « Pourquoi donc, Monsieur le Curé », disait une Limbourgeoise qui, malgré un revenu insuffisant, voulait adopter un enfant, « ne voulez-vous pas me donner un de ces petits ? Je mendie pour trois ; j’arriverai bien, en faisant un effort, à mendier pour quatre ! » L’été s’écoula rapidement, trop rapidement au gré des écoliers et des bienfaiteurs, car sur les deux mille deux cents enfants qui furent placés dans cette province privilégiée (il n’y avait presque pas de villages sinistrés, et l’aisance y était restée plus grande qu’ailleurs), quelques centaines seulement revinrent. Les autres ? On ne voulait pas les laisser rentrer chez eux : « Ils sont bien ici, » disaient les adoptants ; « Ils ont à manger et ils profitent du grand air ; qu’ils restent jusqu’à la fin de la guerre ! » Et les parents Liégeois, que cette séparation attristait pourtant, acceptèrent avec reconnaissance dans l’intérêt de leur enfant. Cette belle œuvre devait porter ombrage aux Allemands, qui tentèrent de la détruire : ils avaient constaté avec dépit qu’elle établissait des liens d’amitié entre les Wallons et les Flamands ; cela contrecarrait leur politique qui cherchait à diviser le pays et à exciter nos deux races l’une contre l’autre. Heureusement que Sa Grandeur Monseigneur l’Evêque intervint énergiquement et arrangea les choses. Enhardi par son succès de l’année précédente, le Comité de Liège Ouest se mit de nouveau en campagne et envisagea des placements dans le Sud de la Belgique. Que triomphe en quelques mois ! Depuis les gras pâturages de Rémersdael jusqu’aux bruyères de la lointaine Ardenne, en passant par les sapinières de Francheville et les blés d’or de Fize-le-Marsal, un millier d’écoliers firent savourer le wallon liégeois à des centaines et des milliers de bienfaiteurs. En Ardenne ce fut la section de Vielsam qui s’inscrivit première sur nos tablettes. Par un beau dimanche, des voitures pavoisées vinrent nous prendre gracieusement à Stavelot, par économie. Lorsque nous arrivâmes à Vielsam, une foule énorme nous acclama joyeusement devant la maison de notre déléguée. Mais, lorsque les enfants, quelque peu déconcertés, s’en allèrent avec leurs adoptants respectifs, bien des personnes ne purent retenir leur larmes ; elles songeaient, en effet, à la pauvre maman qui, au logis, pleurait peut-être de devoir se séparer de son enfant pour qu’il ne meure pas de privations. Et c’était une scène bien triste vraiment, malgré l’accueil enthousiaste, le site charmant sous le soleil de juillet, les notes argentines du carillon désespérément impassible… Grâce à une suggestion heureuse de Monsieur le Baron Henry Delvaux de Fenffe, Haut Commissaire Royal, Cherain, suivi du tenace Sommerain, lancèrent l’oeuvre sur les Hauts Plateaux d’Houfalize. Bientôt, ce furent Nadrin et Wibrin avec leur merveilleux Hérou, puis Ferrières, où des Religieuses françaises évacuées adoptèrent une petite Liégeoise, puis…nous n’en finirions pas si nous devions citer tous les villages où nos écoliers furent reçus, cajolés, choyés ! Quel accueil partout ! Quel enchantement chez les adoptants qu’étonnaient l’intelligence ouverte, la complaisance, le répertoire musical varié, la bonne humeur des Liégeois ! Que de prêtres, qui avaient d’abord redouté l’influence de la ville, nous dirent ensuite toute leur admiration pour la piété et la bonne conduite de nos enfants ! Hommage plus réconfortant pouvait-il être rendu à nos écoles de Frères et de Sœurs ! Et à ce fermier ardennais qui, stupéfait de voir une gamine de douze ans fort résolue pour son âge, nous disait un jour : « Jamais fillette ne m’a parlé de la sorte ! » comme nous répondîmes fièrement : « Monsieur, c’est que vous n’avez jamais parlé à une Liégeoise ! » UN RETOUR, PLACE DES GUILLEMINS A LIEGE. Hélas ! il fallut, un vilain jour, quitter ces pays de Cocagne. Ce fut dans les larmes qu’on se sépara, mais ce fut aussi au milieu d’un encombrement de paquets comme les Allemands (qui s’y entendaient pourtant à rapporter beaucoup de choses), n’en avaient jamais vu ! « Quels sont donc ces enfants ? » demandaient, intrigués, les gens qui nous voyaient débarquer à Liège avec des troupes de petits lutins joufflus, basanés, croulant sus des sacs énormes et étouffant sous les baisers de leurs parents, dont les regards enthousiasmés savouraient à la fois et le visage florissant du bambin et le gros sac mystérieux. « Ce sont nos écoliers qui rentrent de la campagne », expliquions-nous alors avec orgueil. « Ce ne sont plus des enfants maintenant ! Voyez-vous cette grande fille de quinze ans, près de la femme en deuil ? Elle a appris à coudre, cet été, et a fait des menus ouvrages, afin de rapporter quelques francs à sa pauvre mère…onze francs ! Bon petit cœur, va ! Et cet écolier qui reforme pour la quatrième fois son paquet ; il a deux lapins…et ce gros-là, qui peut à peine se remuer : ses doublures sont bourrées de grain. Regardez-moi ces trois gaillards ; ils sont habillés de neuf par Monsieur le Curé de …qui a adopté les deux aînés. Cet autre, qui était chez un notaire, nous dit avoir procédé hier, en voiture, à une vente d’immeubles. Il trouve cela très gai ; il sera notaire. Par contre, ce solide gars, là-bas, à droite, qui examine le cheval, il sait traire, turbiner, labourer, conduire un attelage, envoyer, rien qu’en sifflant, le gros Tom aux vaches. Il veut être fermier, (entre nous, c’est le plus malin !) » Et les spectateurs s’en allèrent, émerveillés d’entendre et de voir des choses si extraordinairement charmantes…Mais soudain, ils s’arrêtèrent, bouche bée, devant une gamine, ronde comme une citrouille, que sa mère ne reconnaissait pas, et pour cause : en quatre mois elle avait gagné dix-huit kilos ! Sûrement que Joséphine a mérité le premier prix avec un diplôme d’honneur dû au meilleur artiste de l’Ecole Saint Luc ! LA GUERRE CONTINUANT, UNE TROISIEME ANNEE DE PLACEMENTS
FUT NECESSAIRE. De même qu’aux crépuscules dorés d’été les légers nuages qui veinent l’azur de ciel annoncent un beau lendemain, de même les petits écoliers, qui avaient passé, nombreux, l’hiver chez leurs bienfaiteurs, présageaient pour l’œuvre un renouveau de succès. 1918 fut digne de ses prédécesseurs : il les dépassa même. Ecoutez cette histoire : ce jour-là, le vicinal Marche Bastogne avait une voiture bondée d’enfants. Monsieur le Chanoine Mainguet, qui s’apprêtait à monter dans le tram, à Bande, fut invité par nous à visiter la colonie liégeoise. Il fut tellement touché des attentions maternelles d’une déléguée envers un enfant malade, qu’il nous pria de donner une conférence sur l’Œuvre au petit séminaire de Bastogne dont il est le supérieur, ce que nous acceptâmes avec joie. Après la conférence, qui eut lieu le lendemain, Monsieur le Chanoine nous retint mystérieusement quelques instants, jusqu’à ce qu’on apportât une boite à cigares. Vous vous trompez si vous croyez que cette boite contenait d’excellents havanes : c’était mieux que cela. Il en sortit des billets de banque pour plus de cinq cent cinquante francs, produit de la collecte qui venait d’être organisée à notre insu ! Ce fut l’un des plus beaux quarts d’heure de notre existence : nous l’appelons depuis lors, à l’Hospitalité, le quart d’heure de Monsieur le chanoine. Ce quart d’heure vaut mieux que l’autre… Si l’Hospitalité faisait sienne la pensée de Carnegie, le grand philanthrope américain, « soyez roi dans vos rêves ! » elle voulait ne pas devoir dire, avec le poète désabusé : « Ma vie est en retard sur mes rêves de flamme ». Aussi la propagande fut-elle poussée avec une ténacité nouvelle, en sorte qu’à la fin de l’été, non seulement toute la province de Luxembourg, rattachée au Gouvernement Général Allemand, et la province de Liège, mais encore une partie du Brabant et de la province de Namur, constituaient un vaste champ d’action où des centaines et des centaines d’enfants liégeois gagnaient de grosses joues, en même temps que la sympathie des adoptants. L’Hospitalité, elle, gagnait des soucis nouveaux à chaque voyage. Ce n’était guère chose commode, que d’organiser des expéditions de cinquante, septante cinq, et parfois même cent enfants. Les années précédentes, on atteignait généralement les villages en un seul jour, mais en 1918, les trains étaient plus rares, beaucoup de trams étaient supprimés, et puis, on s’éloignait de Liège : on allait jusque Bouillon, d’heureuse mémoire ! Tout était à prévoir : alimentation, logement, pannes en pleine campagne, correspondances ratées, voie la moins coûteuse, etc., etc. Vous devinez s’il fallait force combinaisons pour en sortir honorablement ! Savez-vous comment des enfants de Huy, patronnés par notre œuvre, furent, un jour, conduit dans la région de Gedinne, au sud de la province de Namur ? Ils partirent un samedi après-midi de Huy, d’abord en voiture jusqu’à Ampsin, puis en bateau jusqu’à Jemeppe, logèrent à Liège, entendirent le lendemain la messe, puis, avec d’autres contingents, prirent le train pour Marche. Ce jour-là, il n’était pas possible de passer la nuit à Gérimont-Beauplateau, près d’Amberloup ; Il fallut bien trouver gîte à Bastogne, où l’on arriva assez tard. Le troisième jour, on revint sur ses pas jusqu’Amberloup, prendre un nouveau tram jusqu’à Bertrix, où certains enfants furent remis à leurs adoptants ; d’autres logèrent encore une fois en route, et ce fut le quatrième jour seulement qu’ils arrivèrent au terme de leurs pérégrinations ! Comme les chefs d’armée, l’Hospitalite jouait des chemins de fer. Le croiriez-vous ? Ce voyage de quatre jours nous a coûté moins cher que le retour, qui a dû s’effectuer par la voie directe, car nous avions pu, à l’aller, utiliser beaucoup des vicinaux sur lesquels nous avions le parcours gratuit. Mais toutes ces combinaisons n’étaient possibles que si nous trouvions à l’endroit propice, des maisons charitables, accordant aux enfants l’hospitalité et souvent les repas du soir et du matin. Chose consolante, ces « relais » ne nous ont jamais fait défaut : qu’il s’agisse de Marche, où les habitants se disputaient le plaisir de recevoir les petits Liégeois, de Gérimont-Beauplateau, où ils étaient hébergés au château et au couvent, de Bastogne, où les séminaristes les conduisaient chez les adoptants d’une nuit, avec un billet de logement de notre délégué régional, etc., etc., partout l’accueil fut on ne peut plus exquis. Quand reviendrez-vous ? Demandait-on à chaque départ. Ne sont-ils pas de Bastogne, ces Religieux, qui, réduits à la portion congrue de leur établissement, par suite de l’occupation allemande, nous ont dit : « Mettez-nous deux, trois écoliers pour la nuit ; plus, si c’est nécessaire. S’il le faut, nous donnerons nos lits. » Que de réponses semblables nous avons reçues ! LES RECEPTIONS FURENT AUSSI CHARMANTES QUE LA PREMIERE
ANNEE. Connaissez-vous celle de Les Fossés-Assenois, dont les enfants une rose à la main, vinrent, sur des chars pavoisés, nous prendre à la gare ? Selon le protocole établit par le clergé, en même temps qu’ils offriraient la rose, les garçons devaient donner l’accolade aux petits Liégeois, et les filles, embrasser leurs nouvelles amies. Mais dans l’émoi de cette première rencontre, les choses se passèrent tout autrement. Nous ne dirons pas que les enfants se sont trompés de destinataires – car ce serait relater un fait, qui pourtant vraisemblable, serait néanmoins une contre-vérité historique, - mais, le garçon de Les Fossés, qui devait donner le signal fut déconcerté par l’allure gaillarde du premier Liégeois qu’il aperçut, et il n’osa commencer ; la petite villageoise, non plus, et la cérémonie en resta là. N’est-il pas aussi à signaler le dévouement de ce digne curé, qui, pour nous prendre à Marloie, avec trois voitures, dut faire un voyage de deux jours : septante kilomètre aller et retour ! Et celui de ce père d’une famille de treize enfants qui nous dit : « Mettez-en deux, cela en fera quinze ! » Et cet adoptant, qui, ému de la faiblesse de son protégé, lui acheta un âne et une voiture pour qu’il pût se promener sans fatigue ; et ce brave forgeron, qui, après avoir accepté un enfant, se décida à prendre également son petit ami, en disant : « Bah ! On donnera chaque soir un coup de plus sur l’enclume, et les gamins ne manqueront de rien ! » HEUREUSEMENT, GARCONS ET FILLETTES FURENT BIEN SAGES. Il y eut pourtant quelques enfants récalcitrants, mais ils
furent ramenés chez eux immédiatement. En général, les éloges les plus
consolants nous ont été décernés sur le compte de nos protégés : chacun
s’efforçait, en effet, de suivre, dans la mesure du possible, le règlement de
l’hospitalité. Comme celui) ci présente de l’intérêt pour tous les enfants,
nous croyons utile de le reproduire ci-dessous. Fédération des Œuvres Scolaires Catholiques. Je suivrai bien les conseils qui m’ont été donnés. 1° - DEVOIRS RELIGIEUX. Je dirai bien mes prières le matin et le soir, avant et après les repas. Autant que possible, j’irai à la messe chaque jour avec mon livre et mon chapelet et je prierai pour mes bienfaiteurs, mes parents, la Patrie, etc. Je communierai souvent et aurai la plus grande piété à l’église. 2° - JOURNEES. Debout de bonne heure, je mettrai ma chambre immédiatement en ordre. Je ne resterai jamais sans rien faire, surtout les premiers jours, car je m’ennuierais. En toutes occasions, je serai un enfant bien élevé et aimable, et spécialement un élève modèle. Toujours, je chercherai à être agréable aux bienfaiteurs et à les aider selon mes aptitudes, même si je ne travaillais pas chez moi (ménage, couture, travaux légers, etc.) ; J’apprendrai des choses utiles qui seront une surprise agréable à mes chers parents. 3° - PATIENCE. Il me faudra peut-être
quelques temps avant de m’habituer à la vie de campagne qui, à certains points
de vue, est souvent moins confortable que chez nous, mais j’aurai la patience
nécessaire, car ma santé l’exige ; d’ailleurs, si je rentrais chez moi, on
ne me replacerais plus. Je n’aurai jamais d’exigences et ne demanderai pas ce
qu’on ne m’offrira pas. 4° - POLITESSE. Je dirai bien « Bonjour, Bonsoir » à toute la famille. Quand je dirai « oui, non, pardon, merci, etc. » j’ajouterai « Monsieur, Madame, Mademoiselle ». Je ne me permettrai pas de familiarité déplacée ; je surveillerai mon langage et me retirerai chaque fois que mes bienfaiteurs recevront une visite. Quand je verrai Monsieur le Curé, j’irai le saluer très poliment. 5° - OBEISSANCE. J’obéirai à mes bienfaiteurs qui remplacent mes parents, même s’ils sont plus sévères, car ils n’envisagent que mon bien. Je passerai la plus grande partie de mon temps chez eux ou comme ils me diront de faire. Si je désire sortir, voir des camarades ou en ramener, je demanderai la permission. Celle-ci est surtout nécessaire s’il s’agit de sortir du village. Si les bienfaiteurs ne donnent pas leur accord, je n’insisterai pas et me soumettrai de bonne grâce. Je rentrerai toujours à l’heure fixée. Je ne puis déloger sans le consentement de Monsieur le Curé. Il m’est interdit de revenir voir mes parents. Je serai toujours sincère. Si j’ai mérité une punition, je demanderai pardon, ferai la punition et me corrigerai. 6° - PROPRETE. Je serai toujours propre, spécialement aux repas. J’aurai grand soin de mes vêtements et chaussures, mes parents ne pouvant m’en acheter de nouveaux. Je soignerai ma chevelure tous les jours ; si je suis trop jeune, je prierai mes bienfaiteurs de bien vouloir le faire, car si les Directrices de l’œuvre constataient que ma tête n’est pas propre, l’Inspection Médicale me ferait renvoyer chez moi : je veux éviter cet affront à mes bienfaiteurs et ce malheur à moi-même. 7° - ATTENTION. Jamais je ne toucherai à ce qui ne m’appartient pas (fruits, fleurs, etc.) et ne boirai l’eau dont on ne m’aura pas garanti la pureté. Je ne ferai rien qui puisse me faire punir par le garde-champêtre ou les Allemands. Je ne mangerai pas à mon appétit tous les jours, car je pourrais en devenir malade. 8° - INTERDICTION DES VISITES DES PARENTS. Depuis le 15 août 1918, toute visite est interdite, même en cas d’invitation et même si mon départ est antérieur à cette date. Mes parents et moi, nous ferons ce sacrifice dans l’intérêt de ma santé : c’est d’ailleurs à cette condition que l’œuvre me place ou me laissera à la campagne. Je rappellerai la chose à mes parents, car on pourra me renvoyer chez moi si je reçois une visite. C’est seulement en cas de maladie grave ou de première communion que Monsieur le Curé pourra demander une exception au Comité. – Celui-ci se réserve tous droits. 9° - CORRESPONDANCES ET COLIS. Le premier jour et puis
chaque dimanche, j’écrirai ou ferai donner des nouvelles à mes parents. Je
montrerai toute ma correspondance à mes bienfaiteurs. Ceux-ci et les
directrices de l’œuvre (rue Ste Marguerite, 64) feront savoir à mes parents
comment des colis pourront m’être envoyés, car mes parents ne peuvent les
apporter eux-mêmes. L’ECOLIER LIEGEOIS MAIS LE SOLEIL DESCEND AU FOND DE TOUS LES CIEUX. Et le grand coup de Foch qui brisa les deux ailes de l’aigle germanique ébranla aussi notre Œuvre. Vite, il fallut rapatrier le petit monde. Sur les douze cents enfants qui avaient été placés, rien que dans le Sud, il en restait au moment de l’armistice près de sept cents ! Que de difficultés à surmonter : désarroi sur les chemins de fer, suppression de plusieurs trains, plus de service postal, et par-dessus le marché, la funeste grippe, qui clouait au lit nos zélatrices, parfois au milieu d’un voyage en Ardennes. Heureusement, grâce à d’habiles combinaisons, au dévouement de chacun et surtout avec l’aide du Bon Dieu, tout se passa sans accident. L’armistice amena la fin de notre troisième année de placements. L’œuvre devait-elle continuer en 1919 ? Nous posâmes la question à nos médecins : ils répondirent qu’un séjour à la campagne s’imposait encore à nombre d’enfants. On se remit donc encore à la besogne. Ce fut dans le sud du Luxembourg, dans la Basse Semois, au pays de Virton, à Leignon, etc., que la plupart des enfants furent placés par nos soins, car nous ne parlons pas du demi millier d’enfants qui retournèrent seuls chez leurs anciens adoptants dans nos quatre provinces et dans le Limbourg. LE GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG ACCUEILLE AUSSI UNE CENTAINE
D’ENFANTS. Voici l’Hospitalité qui devient internationale : elle avait eu la bonne fortune d’obtenir le concours particulièrement zélé du Procureur d’Etat de Diekirch, M. Schaack, et du Directeur du Pensionnat d’Echternach, M. l’Abbé Hülsemann, si bien que, par un beau jour d’été, une joyeuse troupe d’enfants quitta Liège pour la région de Diekirch. En cours de route, quelle ne fut pas notre agréable surprise, en voyant monter dans notre tain le bon Procureur (il y a, en effet, des procureurs qui savent faire autre chose que poursuivre les méchantes gens). Il venait nous souhaiter la bienvenue, une gerbe de fleur à la main ! Ce fut un événement que notre arrivée dans ce pays privilégié, où tant de braves gens allaient procurer des vacances charmantes aux petits Liégeois ! Ceux-ci furent bien, d’abord, par-ci par-là, quelque peu dépaysés, car il ne comprenaient pas le luxembourgeois, mais le sourire était si doux aux lèvres des adoptants, et leur cœur était si généreux, que tout se passa au mieux : en quelques jours, ils étaient là comme chez eux, que dis-je ! mieux que chez eux. Aussi, lorsque les vacances prirent fin, nombreux furent les yeux qui se mouillèrent… C’est ainsi que finit, en automne 1919, la quatrième année de placements. L’œuvre, qui n’avait même pas songé à prendre un nom en 1916, avait été baptisée en 1917 et avait ajouté chaque année un prénom, en sorte qu’elle s’appelait finalement : l’HOSPITALITE LIEGEOISE, LUXEMBOURGEOISE, BRABANCONNE, NAMUROISE et GRAND-DUCALE : elle avait patronné plusieurs milliers d’enfants, sauvé la vie à un grand nombre, procuré aux campagnes l’occasion de faire le bien, mis en relief le dévouement du clergé et le zèle des écoles catholiques, fait preuve de la plus grande tolérance, en plaçant également des enfants des écoles neutres, etc. Dieu a certainement béni ceux qui ont collaboré à cette œuvre qui fut l’une des plus belles de la guerre. A QUOI DONC ATTRIBUER SON SUCCES ? Certainement à une foule de causes qu’il est aisé de découvrir, mais aussi et surtout à la distinction, au dévouement sans bornes, a l’esprit débrouillard des jeunes filles liégeoises, qui avaient accepté de constituer les contingents d’enfants, d’organiser et diriger les expéditions, d’assurer la surveillance, etc. Jamais il ne fut fait appel en vain à leur courage et à leur abnégation, car il fallait posséder ces vertus à un haut degré pour faire partie dignement de l’Hospitalité. Ne devaient-elles pas, ces demoiselles, posséder une énergie peu commune pour passer la nuit sur une banquette de gare ou sur une chaise, et faire à pied, le lendemain, vingt cinq à trente kilomètres en portant, sur un parcours de dix à douze kilomètres, des colis volumineux ou un enfant ? Ne fallait-il pas aussi une audace et une ténacité spéciales pour, après avoir manqué le tram à Marloie, le suivre à course jusqu’à l’arrêt suivant et, étant arrivée trois minutes trop tard, continuer seule, à pied, son chemin jusqu’à Jemelle, y assister à la messe, prendre ensuite place dans un train de marchandises allemand et se trouver à Libramont, deux heures avant l’arrivée du tram amenant les enfants et les autres directrices ? Faut-il signaler aussi ce retour pénible de deux zélatrices qui, à la suite d’un affolement imprévu chez les enfants, durent rapatrier cinquante sept de ceux-ci ? Le train attardé les débarqua à minuit au Guillemins, alors que personne ne les attendait. Ces pauvres filles cherchèrent asile chez les sœurs Franciscaines, rue de Joie, et ne voulurent pas prendre de repos, avant d’avoir casé le dernier enfant chez les Religieuses ou dans les maisons voisines. Le lendemain, l’une d’elles était malade et ses dents claquaient de fièvre. Elle ne consentit à rentrer chez elle que lorsque tous les écoliers furent rendus à leurs parents (il était alors deux heures de l’après-dîner), mais ce fut pour se mettre au lit et garder la chambre pendant une semaine. Cinq jours après, elle repartait pour l’Ardenne. Ah oui ! Toutes ces jeunes filles furent admirables ! Alors que leurs frères soldats montaient la garde à l’Yser et abattaient l’ennemi, elles-mêmes, tenant le front de l’intérieur, relevaient l’enfance débile. Tandis que les premiers accomplissaient le devoir de justice, les secondes réalisaient celui de la charité et ainsi la Patrie toute entière, bien que séparée en deux tronçons par des tranchées, s’unissait dans le même geste de dévouement pour son Dieu et son Roi. Pareille abnégation et semblable zèle n’auraient pu durer, si ces jeunes filles n’avaient tenu constamment devant les yeux un grand Idéal. Celui-ci se résumait en trois pensées : La première, purement religieuse, Charité et Travail pour
Dieu. La seconde, bien connue de certaines élèves des Filles de la
Croix : Le devoir d’abord, le plaisir des autres ensuite, le nôtre,
s’il en reste. Enfin, une boutade liégeoise – l’œuvre n’était-elle pas
liégeoise ? Faire gaiement les choses sérieuses et sérieusement les
choses gaies. …Et c’est ainsi, qu’avec un enthousiasme égal dans les jours pénibles comme dans la joie, sous un soleil torride comme sous les rafales de neige, l’Hospitalité fit son devoir pendant la guerre, tout simplement – à travers tout. Paul Dessart,
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