Médecins de la Grande Guerre

Edith Anderson Monture, une infirmière iroquoise en France

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Edith Anderson Monture, une infirmière iroquoise en France

Edith Anderson Monture dans l’île d’Ellis

       Ellis Island, cette petite île jouxtant l’îlot où trône la célèbre statue de la liberté a longtemps servi de poste frontière pour contrôler l’immigration aux Etats-Unis. De 1892 à 1954, près de douze millions de migrants venus d’Europe passèrent par Ellis Island pour entrer aux Etats-Unis !



       Tous les immigrés y étaient débarqués et devaient subir plusieurs formalités dont un examen médical rapide qui devaient exclure notamment les malades mentaux, les contaminés par la tuberculose, la diphtérie, le trachome.



Médecins à Ellis Island : en deux minutes, leur diagnostic changeait la vie des gens

       Les personnes atteintes de ces maladies étaient soit isolées dans l’hôpital de l’île, soit renvoyées… chez eux. Triste constatation, plus de 3.500 candidats à l’immigration moururent dans cet hôpital à proximité de la terre dont ils rêvaient ! Parmi les agents de l’immigration se trouvaient un employé, Sherman Augustus (1865-1925 qui était passionné par la photographie. On lui doit plus 250 clichés de migrants qui seront légués au musée de l’île par sa nièce à la fin des années soixante. Ses clichés émouvants en disent long sur les millions de gens venus du monde entier pour trouver un autre monde.



Augustus Sherman, Femmes protestantes de Hollande, sans date © Courtesy the Statue of Liberty National Monument, the Ellis Island Immigration Museum, and the Aperture Foundation

       Pendant la première guerre mondiale, l’afflux d’immigrés se tarit et l’île va alors rendre de nombreux services à l’armée lorsque les Etats-Unis déclareront la guerre à Guillaume II le 6 avril 1917[1].




Edith vers 1910.


       C’est dans cette île que se constitue notamment tout le personnel du « 23 Base Hospital »[2] qui va venir en appui aux troupes américaines en France. Parmi les volontaires, de nombreuses infirmières dont Edith Anderson Monture née en 1890. Cette jeune femme est remarquable, de nationalité canadienne et issue de la nation des Iroquois de la tribu Mohawk, elle avait été empêchée par la discrimination envers les nations autochtones, d’entamer des études d’infirmière au Canada. Elle ne se découragea pas et posa sa candidature à l’école de la « New Rochelle Nursing School » à New York. Edith fut acceptée et en 1914, elle termina ses études en tête de sa promotion en devenant ainsi la première infirmière autochtone diplômée du Canada. Lorsque peu après les Etats-Unis rentrèrent en guerre contre l’Allemagne, elle se porta immédiatement volontaire pour faire partie de l’hôpital américain, le 23 Base Hospital, destiné à s’établir en France à Vittel. Edith devint ainsi la première femme autochtone du Canada à servir dans l’armée américaine. Son diary décrit ses préparatifs de départ et une partie de son séjour en France. Avant de partir pour la France, Edith Monture retourna sur sa réserve des Six Nations. C’est là qu’on lui aurait remis des vêtements cérémoniaux kanyen’kehà:ka (mohawks) à porter en cas de décès outremer. Sa communauté ne s’attend pas à la voir revenir, car la guerre fait de nombreuses victimes.

       Ce fut le 24 janvier qu’elle rejoignit l’île d’Ellis, point de ralliement du personnel de l’hôpital destiné à s’embarquer bientôt pour la France. C’est à cet endroit qu’elle fit connaissance avec ses consœurs qui allaient partager son sort. Chaque jour, elle devait répondre à l’appel du matin mais ensuite elle pouvait employer son temps à sa convenance. Jusqu’au 24 février elle disposera ainsi de temps libre qu’elle consacrera à des voyages pour New-York pour y acheter une malle et divers objets de nécessité, pour retourner dans son ancienne école de New Rochelle, aller au théâtre ou se rendre dans les locaux de la Croix-Rouge pour être équipée et passer devant le tailleur pour les mesures de son uniforme qu’elle recevra le 13 février. Edith mentionne que la plupart des filles s’empressent de le revêtir immédiatement. Le 14 février, l’autorité leur interdit de quitter l’île et, le 16, Edith et tout le personnel hospitalier quittent Ellis pour rejoindre le paquebot qui quitte le port à 16heures.

Edith Anderson Monture à Vittel

       Le 17, elle écrit qu’elle a chanté sur le pont puis a assisté à une réunion en commun avec les hommes. Le 18 février, à Halifax, le paquebot rentre en bon ordre dans un convoi qui est protégé par des destroyers. La vie sur le bateau est plaisante. Concert donné par les hommes, soirées dansantes, l’organisation d’une collecte pour les marins, etc... Elle note cependant que pendant deux jours, ordre fut donné de garder sur soi la ceinture de sauvetage avec laquelle elle parvint même à danser ! Le 4 mars, le navire atteint Liverpool. La France est atteinte au Havre deux jours plus tard puis le personnel de l’hôpital embarque en train pour atteindre finalement Vittel le 10 mars. L’hôpital se répartit dans de nombreux locaux dont l’hôtel Continental et les infirmières sont logées dans des villas. Commence progressivement la vie d’infirmière d’Edith ponctuée de nombreuses activités parallèles : conférences (notamment sur Jeanne d’Arc, sur le problème irlandais, sur Guillaume II…), cours de français, promenades à pied ou en voiture avec des officiers, soirées au club YMCA, bals (dont un masqué le 9 avril). Le 27 mars, Edith mentionne la chute d’un ballon d’observation allemand à Vittel et la ruée de beaucoup pour l’observer et essayer de découper un fragment de la toile comme souvenir ! Toutes ces distractions ne doivent pas faire oublier le travail de plus en plus important avec le nombre croissant de patients au fil des jours.

       Dans son journal, elle a décrit peu ses activités médicales mais, le 16 juin, elle décrira son immense chagrin lors du décès d’un jeune soldat du nom d’Earl King, un patient qui la considérait comme sa grande sœur. Edith s’attendait à ce que ce soldat de 20 ans, atteint d’un projectile au cou, se rétablisse, mais une hémorragie survient tôt le matin, et il décèdera quatre heures plus tard. Edith Monture est bouleversée et écrivit dans son cahier : « J’ai le cœur brisé. J’ai pleuré presque toute la journée et j’ai été incapable de dormir. »



Les membres au complet du 23 Base Hospital à Vittel. Edith figure quelque part sur la photo.


L’hôtel continental était l’un des bâtiments de Vittel occupé par le 23 Base Hospital.

       Edith commandera des fleurs pour son enterrement. L’infirmière, accablée par la tristesse, écrira à la maman du jeune homme aux États-Unis, lui disant qu’elle était aux côtés de son fils quand il est décédé. Après la guerre, Edith fut invitée en Iowa dans la famille du jeune homme. Plus tard, les parents visiteront Vittel et, à leur retour en Amérique, rendront visite à la jeune infirmière.

       Après son retour sur le continent américain, Edith retournera sur sa réserve des six nations et épouse Claybran Monture. Le couple a quatre enfants : Bud, Helen, Ron et Don. Un cinquième enfant, Gilbert, meurt en bas âge en 1929.



       La réserve des Six Nations compte une population de 12 892 habitants en 2019, faisant d'elle la réserve la plus populeuse du Canada. Un total de 27 559 personnes est toutefois membre de la bande indienne rattachée à la réserve. Située à proximité de la rivière Grand, la réserve a une superficie de 184 km2, faisant d'elle la deuxième réserve indienne la plus étendue au Canada.

       Elle continuera sa carrière d’infirmière au sein de l’hôpital de la réserve jusque l’âge de la pension tout en militant pour que l’on offre de meilleurs soins aux autochtones. En 1939, elle est élue présidente honoraire de la Croix-Rouge d’Ohsweken.

       Edith Monture meurt sur la réserve des Six Nations en 1996, une semaine avant son 106ème anniversaire. Elle repose au cimetière anglican St. John’s, sur la réserve.





Une rue porte son nom à Brantford (Ontario) au-dessus d’une drève évoquant la Belgique

Dr Loodts Patrick

Fervent admirateur de l’âme indienne depuis sa tendre enfance.

 

 



[1] En avril 1917 quand les Etats-Unis entrent en guerre, il y avait seulement 403 infirmières militaires. Peu après, on en recruta plus de 21,000 ! 10.000 environ servirent outremer et 200 d’entre elles moururent en service. En dépit ses barrières raciales, 14 nurses indiennes servirent le service médical américain durant la Première Guerre mondiale.

[2] Cet hôpital militaire fut reconstitué pour prendre part à la Deuxième Guerre mondiale surtout en Italie. Le 13 Mars 1944, le médecin Major Benjamin C. Lyons, visita l’hôpital et y enseigna la méthode nouvelle pour traiter les blessures avec l’aide de la pénicilline, des transfusions et du débridement des plaies. Ce programme commença le 15 mars 1944 en même temps que l’on commença une banque de sang. Rapidement on vit alors une diminution drastique des complications chez les traumatisés.



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