Médecins de la Grande Guerre
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Millicent
duchesse de Sutherland à Namur Millicent, duchesse
de Sutherland (1) était issue d'une des familles les plus riches d'Angleterre.
Elle avait épousé très jeune le duc de Sutherland puis, au décès de
celui-ci, s'était remarié avec un brillant officier le major Percy Desmond Fitzegerald du X1ème Hussards qui s'était fait remarqué
dans la campagne militaire en Afrique du Sud. Millicent Sutherland eut
l'honneur de porter le dais de la reine d'Angleterre lors de son couronnement
en 1911. La duchesse était célèbre pour sa générosité. Elle avait notamment
créé dans un de ses nombreux châteaux une association au profil de ses ouvriers
et fonda même un hôpital pour les enfants malades de son personnel. Dès
la déclaration de la guerre, quand elle apprit que les ambulances (2)
manquaient sur le front, cette femme énergique décida de se mettre au service
de Le 17, toute
l'équipe médicale rejoignit Namur et s’installait
dans le couvent des sœurs de Notre-Dame, bien connues en Belgique pour l'enseignement de qualité qu'elles prodiguaient à la jeunesse. Millicent
organisa rapidement l'ambulance qui, outre les infirmières et le Dr Morgan, disposait
aussi d'un véhicule de transports de
blessés dont le chauffeur était un certain monsieur Winser.
Une compatriote, Miss Louise Grabowski, qui travaillait déjà à Namur pour J'éprouvai
une étrange impression, le lendemain en me trouvant dans ce vieux couvent, au
milieu du jardin rempli de fruits et clos par des murs élevés, tandis que les
religieuses, les novices, les postulantes passaient dans les allées tenant à la
main leurs rosaires et leurs petits livres. Elles faisaient si peu de bruit
qu'on avait peine à s'imaginer qu'il pût y en avoir près de deux cents dans
cette maison. (4) En attendant l’arrivée de blessés, les infirmières s'organisèrent et confectionnèrent une provision d'attelles, de coussins et de sacs de sable pour les mises en tractions
des fractures. Le 21 août la panique commença à Namur. Millicent témoigne: A 7h30, une bombe fut jetée d'un aéroplane
allemand à peu de distance du couvent. Elle était destinée au collège des Jésuites
qui servait temporairement de quartier d'artillerie mais elle manqua son but et
éclata près de l'Académie de musique, brisant toutes les fenêtres, faisant un
grand trou dans la salle et blessant grièvement quatre artilleurs. Un soldat
conduisant son cheval passa près de moi en pleurant. Cela faisait une étrange
impression. Il venait d'apprendre que son frère avait été tué. A midi, le
ciel s'obscurcit et une religieuse me donna un morceau de verre fumé pour
regarder l'éclipse partielle du soleil, environ les six dixièmes de la sphère
solaire étaient couverts; cette obscurité ajoutait à l'horreur de la situation.
(4) Le
lendemain, 22 août, le bombardement resta intense et les infirmières ainsi que les
enfants de l'école durent s'abriter dans
les caves du couvent pendant 24 heures. Miracle, la vénérable Mère parvint à
nourrir les 200 nonnes et les enfants ! Le 23 août, le
bombardement cessa soudainement mais c'est l'affluence de blessés amenés par
six automobiles. Millicent décrivit ses
premières impressions d'infirmières de temps de guerre : En moins de 20 minutes,
nous avons 45 blessés. Un certain nombre d'entre eux avaient été atteints par
de shrapnels, quelques-uns par des balles; mais beaucoup par bonheur, seulement
par des éclats d'obus. Ceux-ci font de terribles entailles, mais si la blessure
est soignée à temps, elle est rarement mortelle. Les blessés étaient tous
belges ou français. Notre jeune chirurgien, M. Morgan, de même que nos
infirmières furent d'un calme remarquable. Ce dont, auparavant, je me fusse cru
incapable me semblait alors tout naturel: laver les blessures, enlever les
habits et les loques tachés de sang, tenir des cuvettes pleines de sang, calmer
les gémissements des soldats, soutenir un soldat recevant l'extrême-onction
entouré des religieuses et du prêtre, tant il paraît près de mourir, tout cela
devint un devoir facile à accomplie. Toute la soirée on nous amène une quantité
de blessés. (…) Un grand nombre de ces
malheureux sont dans un tel état de prostration voisin de la démence qu'il me
paraît plus d'une fois que je vis dans un cauchemar. Séparés comme nous le
sommes du monde entier, je comprends soudain quelle bénédiction est notre
ambulance. (4) Dans les
salles je prends les chapelets que les blessés ont dans leur porte-monnaie, car
ils veulent les avoir dans leurs mains ou autour de leur cou. Par terre, c'est
une confusion d'uniformes, de képis et de vêtements de dessous que nos
religieuses essaient de trier. C'est à désespérer. (4) Le 23, les Allemands occupaient donc Namur. Millicent eut la bonne idée d'enterrer
son révolver sous un pommier du jardin. On frémit à l'idée de la punition que
l'occupant eût pu appliquer à Millicent découverte en possession d'une arme! Ce jour là, la
sonnette du couvent tinta sans interruption. Cette fois, ce furent des blessés civils qui réclamaient des
soins. Femmes, vieillards et jeunes garçons s'étaient rendus sur Après quelques jours de nursing,
les infirmières anglaises commencèrent à mieux connaître leurs blessés. Elles
leur avaient donné des surnoms
affectueux; il y avait notamment Silly
Billy « Nicodème », Bonny Boy
« le joyeux garçon », Baby boy « le bébé ». Les
bombardements semblaient définitivement arrêtés quand, le 27, à 10 heures du
soir, une terrible fusillade éclata dans les rues du centre. Le brancardier de
l'ambulance, Monsieur Winser se précipita en criant
"Mon dieu, duchesse, ils sont mis le feu à la ville!". Effectivement
l'hôtel de ville, le marché ainsi de
nombreuses maisons de Namur étaient devenus de terribles brasiers (6). Par miracle l'incendie s'arrêta
le long des murs du couvent qui fut ainsi, de justesse, épargné. Le tocsin retentit
toute la nuit. Ce fut pendant cette terrible nuit qu'un officier allemand dérangea
les occupants du couvent et pria Millicent de le guider daredare à la
citadelle. Celle-ci n'eut pas peur de refuser: Je demeurai ferme et fis
observer que j'étais étrangère, anglaise, et que de ma vie je n'avais été à la
citadelle, ce qui me permit d'esquiver une corvée désagréable. Il nous déclara
que quelques civils avaient tiré sur les soldats par des fenêtres, non
éclairées et ajouta que la ville entière serait brûlée. (4) La
duchesse se rendit le lendemain au grand quartier général allemand établi
à l'hôtel de hollande. Elle s'entretint avec le général von
Bullow sur l'avenir de son ambulance. Le lendemain
comme pour rassurer la duchesse, le général vint rendre visite à l'ambulance en compagnie d'un de ses
officiers, le baron Kessler. Ce dernier avait composé le scénario de Les Allemands me donnaient
le sentiment d'une force écrasante par leur nombre effrayant. Une vielle
légende assure que Namur ne souffrira jamais de grands désastres grâce à la
protection de la vierge dont la statuette est entourée de fleurs. Ce dut être
sous l'influence de sainte Julienne de cornillon que j'étais allée à Namur. Elle
disait « allons à Namur, c'est le refuge des exilés ». (4) De crainte des francs tireurs, l'occupant
donne des ordres formels. Millicent les décrit et explique comment le général
van Bullow
assouplit pour le couvent les mesures imposées. A Namur les
ordres de l'occupant sont stricts. Aucune maison ne devait être fermée la nuit.
Après 8 heures du soir, trois fenêtres devaient être éclairées dans chaque
maison. Toute personne trouvée dehors après cette heure devait être
fusillée. Les Allemands
permirent d'abord aux habitants de Namur de conserver leur bourgmestre mais
lorsque le général von Bullow
eut quitté la ville peu de jours après, le commandant qui le remplaça rapporta
cette décision. Le bourgmestre était désespéré. Tant que le général von Bullow fut dans la ville,
tout alla bien dans le couvent et dans notre ambulance. Les allemands nous faisaient
force protestations et promesses, et nous avions finalement pu obtenir de
fermer les portes du couvent pendant la nuit. L'ordre signé de von Bullow fut affiché sur la
porte. Au-dessous, en allemand était apposé cet autre avis: "Là demeurent
174 femmes". Je ne pouvais m'empêcher de sourire chaque fois que je lisais
cette inscription en allemand. (4) La faim bientôt tenailla tous les Namurois. La duchesse essaya
d'améliorer l'ordinaire devenu très pauvre de son ambulance en envoyant
Monsieur Winser, son brancardier, chercher, avec
l'ambulance automobile de la Croix-Rouge, des vivres à Bruxelles. Il rapporta
un jambon, un fromage et de la marmelade. La comtesse Jacqueline de Pourtalès profita de l'occasion pour quitter Bruxelles et
rendre visite à la duchesse à Namur. Elle rapportait des nouvelles importantes
à savoir que les Anglais combattaient à Mons et que Miss Angela Manners et Miss Nellie Hozier
avaient organisé une ambulance à Mons. Curieusement, cette ambulance avait
même reçu des Allemands l'autorisation d'être appelée « Ambulance
Wiston Churchill »! La duchesse avait un
grand désir de soigner des compatriotes et c'est pourquoi elle obtint le 4
septembre l'autorisation de partir en automobile pour Mons. Arrivée dans la
cité du doudou, elle visita la petite ambulance anglaise mais ne s'attarda pas.
En revenant à Namur, elle s'arrêta toutefois à l'ambulance de Maubeuge dans
l'orangerie de la maison du comte Maxime de Bousies
de Harvengt. Ce dernier y soignait vingt soldats
anglais. De retour parmi ses infirmières, la duchesse apprit que
le médecin allemand Schilling avait ordonné la fermeture de nombreuses
ambulances namuroises afin de regrouper les blessés et ainsi d'éviter les évasions des soldats
blessés avant leurs transferts comme
prisonniers en Allemagne. La duchesse
reçut peu après l'annonce de cette nouvelle, l’ordre de transporter ses blessés dans une salle du collège des Jésuites. Le
transfert de ses protégés signifiait hélas
pour elle et ses infirmières la fin de l’aventure de son ambulance ! Millicent
exprima dans ses notes son grand désarroi à ce moment : Prières
et larmes n'eurent aucun effet sur les autorités allemandes. Je n'ai jamais vu
autant de courage qu'en montrèrent nos blessés français et belges. Il n'y eut
que celui que nous avions nommé Baby-Boy, un petit chimiste français de 19 ans
qui pleura. Les infirmières et moi nous
accompagnâmes les brancards et les voitures qui emportaient les blessés au collège
des Jésuites. Les frères furent très bons; ils étaient très affligés. Ils
trouvaient que les Allemands transportaient ces blessés dans un état pitoyable.
Quelques uns venaient d'être opérés et avaient de la fièvre. Dans le hall, il y
avait un grand nombre de parqués. Les frères faisaient tout ce qu'ils
pouvaient, mais c'était, cela va de soi, bine différents de notre hôpital. (4) Voici la lettre qu'adressèrent
deux soldats à l'une des infirmières. A sœur
Héron Warson. L'Union fait
la force Deux
étudiants de l'université de Louvain, blessés au siège de Namur et transportés
à l'hôpital des Anglais, se font un plaisir de remercier la petite sœur
écossaise des bons soins qu'elle n'a cessé de leur prodiguer. Ils conserveront
d'elle un souvenir reconnaissant et la prient de rapporter au noble pays des
Highlanders l'affectueux salut de deux soldats du petit peuple ami et allié.
Dick and Flap God save
the King Dieu sauve La duchesse, les infirmières et le docteur Morgan, l'ambulance fermée,
n'eurent pas d'autre possibilité que d'essayer de rejoindre l'Angleterre. Ils
passèrent la frontière hollandaise en compagnie du journaliste américain
Jim Barnes. Le 18 septembre après avoir été photographiés par un certain
monsieur Sutherland qui, bien que Hollandais portait aussi le vieux nom
anglais, les membres de l'ambulance quittèrent Rotterdam pour rejoindre
l'Angleterre. Pour la duchesse la guerre
n'était pas terminée. Revenue au pays, elle reconstitua une équipe destinée
d'abord au transport des soldats « The
Millicent Sutherland ambulance Car Convoy ».
Débarquée en France, cette ambulance oeuvra d'abord à Malo-les-Bains près
de Dunkerke puis à Bourbourg. En octobre 1915, l’ambulance
fut transférée à Calais et devint « N° 9 Red
Cross Hospital Millicent Sutherland Ambulance ».
En janvier 1916, cet hôpital pouvait traiter 100 patients. Il fut pionnier
dans le traitement des blessures par la méthode Carrel-Dakin. Cette méthode
avait été conçue par le Dr Carrel qui put l'expérimenter sur une
grande échelle à l'hôpital l'Océan de Après la
guerre Millicent retourna à sa vie civile. Elle rédigea un rapport sur
son ambulance en mentionnant qu'elle avait soigné 2.000 soldats français ou
Belges et six mille Britanniques. En récompense de ses services, elle fut
décorée de Dr Loodts P. (1) Millicent de Sutherland née Lady Millicent Fanny St.Clair-Erskine (1867-1955). Mariée en 1884 avec le duc de Sutherland (1851-1913) de qui elle aura quatre enfants. La plus âgée, Victoria, mourut à l'âge de trois ans. En 1914, se remaria avec le Major Desmond Percy Fitzeral (qui devint plus tard général de brigade) dont elle divorça en 1919. Elle se maria pour la troisième fois avec le Lt.Col. George Hawes dont elle divorça en 1925. Lady Millicent était connue pour ses positions progressistes et ses talents littéraires. Elle écrivait sous le nom d'emprunt d'Erskine Gower. (2) Le mot ambulance en 1914 ne signifiait pas le véhicule permettant de transporter des blessés mais bien une petite formation hospitalière ambulante comprenant matériel, personnel et véhicules. (3) Dr Morgan (1889-1981) Diplômé médecin en 1913. S’engagea pendant quatre ans au service de l’ambulance crée par la duchesse de Sutherland. Après la guerre devint un chirurgien des yeux renommé qui, en 1954, présida la société d’ophtalmologie d’Angleterre. (Ophtalmic Society of the United Kingdom). Après 11 ans de mariage eut le malheur de perdre son épouse. Devint peu après ce triste événement un spécialiste des fleurs qu’il cultivait avec passion en accumulant sur elles une connaissance impressionnante …Un véritable écologiste avant l’heure qui respectait avec admiration toute créature vivante… Etait fort aimé de ces patients, étudiants et collègues ! (4) Extraits tirés du récit écrit par la
duchesse sur son ambulance à Namur : "Six semaines à la guerre". Le
texte complet peut être consulté sur: www.greatwardifferent.com/Great_War/Nurses_6/Sutherland_01.htm (5) Relation
de l’incendie de Namur du 24 août 1914
et de la mort de 75 civils Source : « Le 23 août, vers 18h30, soudain une rafale d’obus
s’abattit sur la ville tuant une trentaine de personnes, dont une douzaine de
soldats allemands, et en blessant une cinquantaine d’autres. C’était le
résultat d’une erreur, comme le proclamait le soir même par une affiche le
général en chef De Hülsen,
qui profita de l’occasion pour remercier les habitants de l’accueil réservé aux
troupes. Le lendemain lundi 24 se passa calme. Cependant vers
10h30 du soir alors que tout le monde s’apprêtait à jouir enfin d’une nuit de
repos, une pétarade éclata tout à coup et se répercuta à travers toute la
ville. Des bandes des soldats ivres parcouraient les rues en hurlant comme des
sauvages, tirant au hasard dans les portes, les fenêtres, les soupiraux, ne
visant que les rares passants attardés quoi se trouvaient encore dans les rues.
La fusillade fut méthodiquement suivie
de l’incendie. En cinq endroits, mais surtout au centre les édifices
flambaient. Place d’armes, on commença par le magasin dénommé « A la ville
de Paris ». L’incendie de cet immeuble doit être attribué à son
enseigne : c’était une miniature du grand tableau que devait constituer
quelques jours plus tard l’incendie de la vraie « ville de Paris ». (…)
75 civils périrent du 23 au 15 août, parmi lesquels 23
furent fusillés, 36 moururent à la suite de leurs blessures, deux femmes furent
carbonisées dans leur maison, deux cadavres n’ont pu être identifiés et un
certain nombre de personnes disparurent dans laisser de traces.109 maisons
furent incendiées. Il devint presque banal de répéter qu’ici encore les
Allemands accusèrent les habitants d’avoir tiré sur eux. (6) Relation par un témoin, L. Moulin, d’une partie des évènements qui se sont
déroulés place d’Armes les 23 et 24 août. Les détails concernent surtout
l’immeuble N°34 occupé par lui-même, son épouse, sa fille et sa servante. (Source : Jules Delaize, « Châtiments sans crimes, crimes sans châtiments », pages 133-142, Edition Picard-Balon, Namur 1921. La ville fut bombardée durant une heure chaque jour les
vendredi 21 et samedi 22 août. Pendant ces journées, il y eut peu de changement
dans l’existence. Le dimanche 23 août devait être particulièrement mouvementé
car le bombardement recommencé vers une heure de l’après-midi, dura jusqu’à 5
heures ; c’est à cause de cette prolongation que la famille Moulin et leur
servante ont été contraints de se réfugier dans les caves. Jusque là les dégâts
constatés furent minimes. Peu après les Allemands qui s’étaient emparés de la
ville y firent leur entrée. On prit alors son parti pour une nouvelle existence
toute de résignation commandée par la prudence. Au moins pouvait-on espérer la
tranquillité d’autant plus qu’on s’était conformé à l’ordre de rouvrir les
vitrines. L’esprit de la population paraissait bon, puisque lorsque les troupes
envahissantes se furent rangées du côté
de l’hôtel de ville en chantant leurs airs nationaux, les cafetiers et
boulangers portèrent silencieusement aux soldats toutes sortes de choses.
Nous-mêmes étions sur la porte du magasin pour empêcher l’envahissement quand,
à 6h1/2 ou 7 heures du soir, tomba au milieu de La panique fut inimaginable. Quantité de gens dont
beaucoup de blessés, se précipitèrent chez nous
et dans les alentours ; nous les avons fait se réfugier dans les
caves. L’épouvante a gagné la plupart des habitants des rues avoisinant Dans l’incertitude, nous avons préféré rester chez nous et
surtout surveiller notre demeure. Une affiche placardée quelques heures plus
tard diminua les craintes et redonna un peu de courage : on la croyait
sincère ! De sorte que beaucoup de gens réintégrèrent leur domicile. Cette
affiche était conçue à peu près dans ce sens. « Le général von Bullow, gouverneur allemand de Namur faisait part de son
regret de ce qui s’était passé la veille dans la soirée (il s’agissait du
dernier bombardement qui était dû entièrement à une erreur, disait-il). Il
ajoutait qu’il constatait le calme de la population, duquel il la
félicitait. » Fausseté boche. La journée du lundi 24 se passa tant bien que mal, et à
neuf heures du soir, nous fermions notre magasin. (…) Nous avions disposé la
sale à manger pour y passer la nuit sur des fauteuils ainsi que notre servante,
tous ayant revêtus des vêtements du matin et très ordinaires. Nous commencions
à peine à sommeiller quand tout à coup, des clairons sonnant l’alarme ainsi
qu’un vacarme effroyable nous réveillèrent
en sursaut. Presque au même moment des mitrailleuses tiraient sur les
maisons, ce qui s’entendaient fortement contre nos volets en fer. Nous nous sommes
précipités dans la cave, mais constatant qu’on pouvait être atteint par des projectiles
à travers les soupiraux, nous avons préféré nous blottir dans l’escalier en
pierres d’où , à un moment donné, nous avons aperçu
une grande lueur ; impossible de définir d’où elle venait. En même temps,
nous entendions un bruit semblable à une pompe. Lorsque nous avons remarqué
qu’on ne tirait plus, nous avons essayé
de trouver un refuge dans les maisons voisines donnant sur la cour, (note
immeuble n’avait aucune sortie sur la rue des Brasseurs) appelant de toutes nos
forces : « Mr Lefèbvre et Mr Declerck ». Personne ne nous répondit ; nous
avons appris depuis qu’ils étaient dans leurs caves. Bref, de plus en plus
intrigués par la clarté intense, j’ai risqué de m’aventurer au premier étage,
me glissant le long du mur pour voir ce qui se passait ; j’ai alors
constaté que le magasin des Galeries Namuroises était en feu du bas en haut et,
chose inouïe, au milieu de Enfin à minuit, on vint nous dire qu’on allait entrer dans
la salle des Pas-Perdus, d’où on voyait le feu de propager d’une façon
effrayante (endroit probablement choisi à dessin). A sept heures du matin,
après une nuit passée sans sommeil sur les dalles (sans sièges) n’ayant même
pas de couvertures, on nous mena à l’hôtel-de-ville ; il fallait voir la
stupéfaction et l’air navré de plusieurs
personnes nous connaissant en nous voyant traverser la ville dans
l’accoutrement qu’on nous avait forcé d’avoir (et entourés de brutes sous
l’uniforme de soldat). Nous n’étions pas les seuls. Nous fûmes entassés avec un
foule qui y était déjà et toujours, comme on pouvait s’y attendre de la part de
semblables sauvages avec force coups de poing et de crosses .alors, il nous a
été donné de constater les ravages d’une nuit sans secours : toute Du manège, on apercevait
par les ouvertures le progrès de l’incendie des alentours et on pouvait
craindre, non sans raison, l’encerclement. On vint annoncer que les femmes
pourraient partir à 2 heures après-midi, mais qu’on conservait les hommes
(était-ce pour les fusiller comme les malheureux de la nuit précédente ?)
Le moment était si critique qu’on s’est fait certaines recommandations
suprêmes ! Enfin on a conservé tout le monde (ces menaces étaient
pour nous torturer) et toujours sans
pouvoir manger ; du reste, on avait pas faim. On
avait la faculté de boire de l’eau puisée dans un seau, ce qui convenait le
mieux car on avait plutôt la fièvre. A 7 heures du soir, probablement à cause
de certains dévouements, on nous a libérés, donnant à chacun une boîte de
sardines. Quel soulagement ! Si après tout cela on n’est pas devenu fou, c’est qu’on
avait la tête plus forte qu’on le supposait : on s’est ressenti tout de même
des suites de semblables secousses, principalement Mme Moulin qui après avoir
stoïquement les 24 et 25 août a été quinze jours après, terrassée par les
émotions et le chagrin ; elle n’est pas encore remise. Rien n’a pu être sauvé 34, Place d’Armes :
marchandises, meubles, vêtements, linge, valeurs etc. Nous n’avons à signalé
comme épargné que le linge de la quinzaine qui était encore chez notre
blanchisseuse, Madame Dassy. Les murs calcinés se
sont entièrement écroulés, l’action des pompiers ayant été paralysée dès
l’origine du feu par les teutons qui avait crevé les tuyaux. De plus les voûtes
de nos caves se sont effondrées contrairement à celles du restant de 1° Monsieur Declerck avait dans
sa maison (N°32) aux mansardes contre notre mur, une machine excessivement
pesant pour hacher le tabac, laquelle est tombée sur notre emplacement. 2° L’écroulement entier de notre façade en pierres
bleues. On comprend qu’une telle masse a dû ébranler jusque dans les
fondements, après la secousse produite par la machine. A la maison du coin (N°36), les voûtes des caves ont
résisté ; cependant on a constaté qu’elles étaient lézardées et très peu
solides. Monsieur Oberling commandant des pompiers, a
même fait remarquer qu’il serait prudent de prendre des précautions pour s’y
aventurer. D’après le dire de Monsieur et Madame Jadoul,
demeurant 5, rue du Pont et qui avaient continué d’habiter leur maison, malgré
l’incendie du quartier, on a appris depuis, que, pendant trois jours de suite,
les mardi 25, mercredi 26 et jeudi 27 août on ramenait à 10 heures du soir, quand
la circulation était interrompue, la fameuse machine pour lancer sur les
décombres du liquide inflammable ! On n’y comprenait rien en constatant
que les matins l’incendie avait repris d’intensité. Voilà pourquoi les briques
et les pierres ont été réduites à l’état de chaux. A notre sortie du manège, nos pérégrinations n’étaient
pas terminées. Il n’y avait pas une seule chambre à trouver dans les hôtels
.Grâce à l’obligeance de monsieur Attout, on nous a
recueillis ainsi que notre servante, au syndicat de la rue rogier. Là, 8
matelas et couvertures étaient par terre, dans une chambre. Mais à cette heure
tardive, la difficulté était de se procurer du pain et des vivres. Le
lendemain, nous nous sommes réfugiés à l’hôtel du Lion d’Or. Les 27, 28, 29 ;
nous avons accepté l’hospitalité aimable de Monsieur et Madame Brasseur, avenue
de Salzinnres. Durant deux jours, nous avons logé
chez Monsieur et Madame Debroux, 44 avenue de (7) Le lecteur intéressé peut trouver des informations complémentaires sur la duchesse Millicent de Sutherland via ce site: http://www.sutherlandcollection.org.uk/default.asp |