Léon Georges Cheyron, le médecin auxiliaire
réputé pour son
dévouement et son calme.
(1888-1956)
Jean-Marc Moltchanoff.
Il est des hommes dont le destin paraît être de s'oublier eux-mêmes pour
servir de guide et de soutien à leurs camarades et les faire profiter des richesses
de leur cœur généreux. Léon Georges CHEYRON fut de ceux-là.
Né le 19 avril 1888 à Paris, dans ce quartier de la Villette si
pittoresque, si vivant et qu'il aima toujours, L. CHEYRON fut, au lycée
Voltaire un très brillant élève.
Il entreprit d'abord des études de Médecine
et fut même nommé au concours, Externe des Hôpitaux de Paris, dont il remplit
les fonctions de 1909 à 1911. Pendant cette période une fièvre typhoïde qu'il
contracta au chevet des malades, lui valut la médaille de bronze des épidémies.
Appelé à faire son service militaire, au 45e RI, il fut
affecté à la 9e Compagnie et dirigé sur le fort de Laniscourt, où tous ses camarades apprécièrent sa bonne
humeur, son dévouement et le sérieux avec lequel il accomplissait ses fonctions
d'infirmier. CHEYRON appartenait encore à ce régiment au moment de la
déclaration de guerre en 1914.
Il participa à la campagne de Belgique, à la Bataille de la Marne ; il
se battit en Picardie, sur l'Aisne et en Champagne. Partout il se fit remarquer
par son calme courage, son dévouement aux blessés. Son dynamisme, sa gaité,
redonnaient du courage à ceux que la souffrance abattait parfois. Blessé au
bras le 12 septembre 1914, il refusa d'être évacué.
Rien ne saurait être plus évocateur que le récit qu'a fait le
Colonel CHARTIER de sa rencontre avec CHEYRON et de la vie qu'il a partagée
avec lui.
« Mon premier contact avec le Médecin
auxiliaire CHEYRON doit remonter au 28 septembre 1914, dans les caves du
Château de MARICOURT. Je suis blessé à l'épaule droite.
A mon arrivée, CHEYRON aide le
Médecin-Major BRIDOUX à bander la mâchoire brisée de DUTHILLEUL, mon agent de
liaison. La cave est bondée de blessés, le bombardement est incessant, le
château et l'église sont les repères de l'artillerie ennemie ; les blessés
affluent, les morts sont transportés dans une cave pour faire place aux
arrivants...
« En octobre 1914, du 12 au 24, les tranchées au nord de Carnoy : les Allemands attaquent fréquemment et bombardent
constamment. Nos pertes journalières sont sévères ; c'est à partir de ce moment
que le souvenir du Médecin auxiliaire CHEYRON et du Caporal brancardier MARTIN
resta à jamais gravé dans ma mémoire.
Ils transportaient dans des « boyaux » étroits, inachevés ou
comblés par les obus, de pauvres êtres gémissants roulés dans des toiles de
tentes souillées de sang. Cette équipe de brancardiers, dont la plupart sont
restés anonymes, apparaissait à toute heure, au premier appel, animée par son
chef, le Médecin auxiliaire.
« En décembre 1914, après les sanglantes attaques du 17, rentrant
désemparé, au « repos » à Bray, je croise CHEYRON et son équipe prés de la
Ferme de Bronfay, il me salue, je lui réponds sans
échanger un mot, mais son regard est éloquent. La 6e Cie est réduite
à une petite section qui me suivait.
« En juin 1915, Quenneviéres est un chaos de
tranchées conquises remplies de morts. Des déplacements continuels ont lieu
pour colmater des brèches et organiser ce secteur sous les violentes réactions
de l'ennemi. Un soir, la 6e Cie étant en réserve vers Offémont je rencontre CHEYRON aux prises avec des fuyards,
parmi lesquels des tirailleurs. Je n'oserais affirmer que CHEYRON s'exprimait
en arabe mais son « sabir » éloquent suffit à calmer ces égarés.
Quant aux français, il sut, en terme crus leur faire honte.
« En Champagne, toujours en 1915, dans tous les secteurs : le Chauffour, le Godat, Berry au Bac, la Pompelle,
dès l'appel téléphonique au P.S on était certain de voir notre Médecin
auxiliaire venir, dans le minimum de temps, se mettre à notre disposition, et
toujours avec ce calme et cette assurance qui donnaient aux blessés l'espoir
indispensable »
Notre camarade, le Dr FOURNIER, de Valenciennes, qui fut, au 45e
R.I, Médecin auxiliaire en même temps que CHEYRON, nous a fait, de cette
période, le récit suivant :
« Dés le début de la campagne, CHEYRON a donné la preuve de sa bravoure.
Au second jour de la bataille de Namur, alors que le Bataillon devait se
replier sur la ville, après la chute des forts, CHERYRON donnait tranquillement
ses soins à des blessés recueillis dans un couvent de la commune de Champion,
abandonnée par nos troupes et il ne dut son salut qu'à un retour précipité sur
Namur par une route déserte, bombardée par des canons allemands qu'on pouvait
voir en batterie au nord de Bonine.
« A la Bataille de Guise, quelques jours plus tard, à La Hérie-la-Vieville, prés de La
ferme de Bretagne, CHEYRON a passé la nuit entre les lignes, à la recherche des
blessés et des morts, et il ne s'est replié que le lendemain matin avec les
derniers éléments du 1er Corps d'Armée.
« A la Bataille de la Marne, il a continué de se distinguer. Lorsque le
45e, après avoir occupé Château-Thierry, remontait vers Soissons la
compagnie de tête fut arrêtée par un fort parti allemand à la lisière du
village d'Hartennes. Nos unités durent se replier.
CHEYRON alla recueillir un blessé sur la grand' route sous le tir des
mitrailleuses allemandes. Il le ramena ensuite au poste de secours d'Oulchy-le-Château, dans une vieille charrette à bras qu'il
avait découverte au bord de la route.
« A la prise de Fismes, aussitôt après la traversée du pont par le
premier Bataillon, CHEYRON partant à la recherche des blessés, fut lui-même
blessé à l'avant bras par une balle de mitrailleuse. Inutile de dire que cette
blessure ne l'empêche pas de rester à son poste.
« A la fin de septembre, aux combats si meurtriers de Maricourt CHEYRON, là encore, fit son devoir avec un cran
étonnant, aux endroits les plus exposés. Pendant plusieurs jours et plusieurs
nuits, avec le Dr BRIDOUX, il recueillit et soigna les blessés dans les caves
du Château de Maricourt. Ce château était à l'extrême
pointe de nos lignes, et vers lui les allemands dirigeaient des attaques très
violentes.
« Lorsque le front fut stabilisé dans cette région de la Somme où le
régiment s'était tant battu, je voyais un peu moins CHEYRON. Nous avions été
nommés tous deux Médecins auxiliaires avec un certain retard, en raison des
pérégrinations ininterrompues du régiment, et CHEYRON avait été affecté au 2e
Bataillon, alors que je restais au 3e Bataillon où nous avions servi
jusqu'alors, comme infirmiers de compagnie. J'ai le souvenir du brillant uniforme
bleu foncé et de coupe impeccable, assez peu réglementaire, qu'arborait alors
notre ami lorsque nous nous retrouvions au cantonnement de Bray-sur-somme.
« CHEYRON, parisien pur sang, avait horreur du laisser-aller, de la
tenue négligée et, dés la sortie des tranchées, il tenait à se montrer élégant,
impeccable.
« Un peu plus tard, lorsque nous étions devant Reims, il avait aménagé
un gourbi, sous une forte tôle ondulée, en contrebas de la route 44, avec un
raffinement pour le lieu, et un goût qui avait fait le centre d'attraction du
secteur. Tout cela, bien entendu, avait été obtenu avec des moyens de fortune,
exécuté selon ses plans et, pour une bonne part agencé de ses propres mains. On
pouvait ainsi deviner son orientation future et cette seconde profession où il
a su montrer tant d'ingéniosité, d'imagination créatrice et de sens artistique.
»
En octobre 1915, le 45e R,I est désigné pour le front
d'Orient. Désormais l'activité de CHEYRON va être double : panser des blessés
et soigner les malades.
Il prend part à tous les combats et notamment à celui, resté célèbre, de
Dobropolje. Son attitude est si brillante qu'il est
cité à l'ordre de la 8e Brigade le 22 décembre 1915, de la 122e
Division le 21 décembre 1916, du régiment le 10 octobre 1917.
Mais laissons ici encore la parole au Colonel CHARTIER : « En Serbie, à Cicevo, pataugeant dans la neige, CHEYRON venait s'assurer
que nous ne souffrions pas du froid : « attention aux pieds gelés », disait-il
et les recommandations suivaient.
« Plus tard, le 16 décembre 1916, après l'attaque du Brousailleux,
au N,-O, de Guevgueli, blessé dans les reins, j'avais
pu me trainer jusqu'au poste de secours derrière la crête. Étendu sur le
brancard pendant que CHEYRON me pansait, je lui demandai : « est-ce grave ? ». Il me répondit : « Soyez sans crainte, mon
capitaine, puisque vous êtes venu ici, vous irez encore loin », réponse pleine
de sagesse, donnant à celui qui craint pour sa vie l'espoir de la conserver.
Et se rapportant aux combats de Serbie, cet autre témoignage de son ami
J. FOURNIER : « La dernière fois que j'ai vu CHEYRON au combat, c'était à Smokwica, en décembre 1915, puisque je devais quelques
temps plus tard être muté au 84e d'Infanterie. C'était je crois le
11 décembre, au moment des derniers jours de combat avant le repli sur
Salonique. Les bulgares étaient installés sur une crête et battaient la plaine
à la mitrailleuse. Le Capitaine PY venait d'être tué et CHEYRON se rendait vers
cet endroit bombardé. Je le vois encore, droit et calme, s'avançant d'un pas
tranquille alors que tous les hommes autour de lui étaient couchés et
cherchaient à se dissimuler. Tout en connaissant bien le cran de CHEYRON,
j'avoue que j'étais émerveillé de ce calme de ce calme impressionnant et de cet
incroyable mépris du danger, »
La guerre terminée, CHEYRON ne reprit pas ses études de Médecine. Les
années avaient passé ; l'atmosphère n'était plus la même: un grand renouveau
d'activité marquait cette période d'après guerre. Il sembla à CHEYRON que ce
n'était plus le temps de mener une vie d' étudiant, mais qu'il fallait prendre
une part plus active à l'activité du pays. L' occasion s'en présente bientôt
pour lui.
Il avait épousé, en 1919, une amie d'enfance, Germaine INRUNBERRY, dont
le père dirigé une importante fabrique
de luminaire.
Au lendemain de la guerre 14-18 une association a été fondée par Maurice
SCHLISSINGER et Raymond PAVY. En mars 1935 cette association fut légalisée. Au
cours d'une réunion CHEYRON fut nommé président.
Cette association a compté plusieurs Sections: celles du Nord, de
Picardie, de Normandie, de l'Aisne, de Bretagne, présidé par MAHIEU, le Colonel
LEFIN, GAUQUELIN, PARIGI, le Colonel RAUSCHER.
CHEYRON ne fut pas mobilisé pendant la guerre de 1939.,,,
En août 1944, au moment de la libération de Paris CHEYRON que Mme
avait eu le courage d'accompagner, fut grièvement blessé dans un combat de rue
et perdit un œil.
Atteint d'un mal inexorable, dont les premiers symptômes de
manifestèrent en avril 1954, il s'alita définitivement le 11 novembre 1955.
Malgré la science et le dévouement des médecins, qui étaient pour lui des amis,
en dépit des soins attentifs de Mme CHEYRON et des personnes qui
l'assistaient, il s'éteignit le 17 avril 1956.
Ses obsèques eurent lieu le 20 avril en l'église Saint Ferdinand des
Ternes,, L'absoute fut donné par son ancien compagnon d'armes du 45e R,I,
l'Abbé BEDIN.
Il repose maintenant dans le cimetière de son quartier natal: la
Villette.
Citation à l'Ordre de la 8e Brigade :
En campagne depuis le début de la
guerre, a toujours fait preuve du plus grand dévouement et du plus grand
courage.
Les 18 et 19 novembre 1915 a été relever
les blessés bulgares à 1800 mètres en avant de nos lignes. Le 11 décembre 1915
s'est porté par un chemin découvert très battu par des mitrailleuses sur une
position ou une section avait été décimée, pour y soigner un Officier
grièvement blessé.
Citation N° 31 de la 122e Division
Aux combats du 11 décembre 1916 a montré beaucoup d'activité et de
bravoure dans son service de médecin de bataillon, n'hésitant pas à se porter
en 1ère ligne malgré le bombardement, pour assurer l'évacuation des
blessés.
Citation N° 13 du 45e Régiment d'Infanterie le 10 octobre
1917.
Au front depuis le début des hostilités où il a toujours fait preuve de
dévouement et de courage.
Chargé comme Médecin de Bataillon de diriger le service de santé dans un
secteur particulièrement insalubre et désorganiser par de violents
bombardement, s'est acquitté de sa mission avec une activité inlassable
s'installant personnellement dans les tranchées de 1ère ligne, ou il
a puissamment contribué à entretenir le moral des hommes.
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