Médecins de la Grande Guerre
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Esclave
devenu médecin, Adrien Atiman fut d’une aide
précieuse pour les troupes coloniales belges Coiffé de sa chéchia légendaire, Atiman, « le grand vieillard de Karéma », titulaire de six décorations : trois pontificales, 4 britanniques, 3 belges, et à qui le consul français de Niarobi devait conférer à son tour la Légion d’Honneur Introduction La longue vie de dévouement du Dr Atiman
se passa à Karema, station fondée par les Belges sur
la côte est du lac Tanganyka. Pour bien situer
l’action de ce personnage remarquable, un bref rappel historique est judicieux. En 1877,
alors que Stanley venait de terminer sa traversée de l’Afrique en remontant le
fleuve Congo, l’Association Internationale Africaine fondée par Léopold II
s’était donné comme but d’ouvrir l’Afrique centrale à la
« civilisation » tout en luttant contre les marchands d’esclaves qui
écumaient toute l’Afrique orientale et étendaient leur rayon d’action toujours
plus à l’ouest. A cette fin, une première expédition fut chargée de rejoindre
le lac Tanganyka à partir de la côte est. Elle fut
confiée au capitaine belge Crespel, du lieutenant Cambier, du Dr Maes (docteur en sciences naturelles) et
d’un voyageur autrichien, monsieur Marno. Cette
première expédition fut très éprouvée. Crespel
succomba peu après son arrivée à Zanzibar, Maes fut emporté par une insolation
et Marno dut être rapatrié. Cambier
resté seul, on lui envoya deux nouveaux adjoints, le lieutenant Wautier et le docteur Dutrieux. Malheureusement, le nouvel officier décéda et
Dutrieux, très affaibli, fut forcé de rejoindre la
côte. Seul survivant, le capitaine Cambier, bravant
d’immenses difficultés, atteignit avec sa faible escorte les rives du Tanganyka le 12 août 1879. Il fonda alors la station de Karema qui devait jouer un rôle important dans la lutte
contre les esclavagistes. La station de Karema fondée par Becker en 1879. Dessin datant de 1883 (musée de Tervueren). Entretemps,
une deuxième expédition fut organisée chargée de rejoindre Karema,
de traverser le lac puis de fonder une nouvelle station à Nyangwe,
sur le fleuve Lualaba. Cette expédition était commandée par le capitaine Popelin. L’entrée en guerre de Mirambo
empêcha la réalisation de cet objectif. Popelin
rejoignit cependant Cambier mais succomba d’une
fièvre pernicieuse. Une troisième expédition fut chargée de relever Cambier à Karema et se fit sous
le commandement du capitaine Ramaekers. L’expédition
comptait aussi Becker, De Meuse et De Leu. Ces hommes durent se frayer un
chemin les armes à la main jusque Tabora. Mais c’est à cet endroit que mourut
De Meuse. Toujours à cause de fièvres, De Leu rejoignit la côte. Arrivé à Karema, Ramaeckers reprit le commandement
de la station mais succombe à son tour après avoir dû contrer les manœuvres de
l’esclavagiste Mahomed Mbiri.
Finalement Becker resta seul jusqu’à l’arrivée d’une quatrième expédition sous
le commandement du lieutenant Storms. Celui-ci arriva
en septembre 1882 avec 126 hommes. Il traversera le lac et créera la station de
Mpala en face de Karema. La station de Mpala fut fondée par le capitaine Storms et fut finalement confiée, avec la station de Karema, aux Pères Blancs Avec Becker,
Storms livra plusieurs combats et rétablit l’autorité
européenne autour de Karema. Fin 1884, il parvint à débarrasser la région de
l’esclavagiste Lusinga tandis qu’un autre, Kansawara faisait sa soumission. Début 1885, le traité de
Berlin mit fin à la présence des Belges sur les rives est du Tanganyka. Storms remet alors la
station, fin juillet 1885, aux missionnaires du cardinal Lavigerie
représentés par les Pères Randabel, Landeau et le frère Gerard. Quant
au héros de notre histoire, le Dr Atiman, il arrivera
quatre ans après en 1889. Les expéditions Belges de la côte orientale vers le
lac Tanganyka furent extrêmement pénibles mais
permirent de créer un premier noyau de résistance à l’esclavagisme. Après la
reprise de Karema et de Mpala
par les Pères Blancs, ces stations confièrent leur sécurité au capitaine
Joubert arrivé à Karema dès le mois de novembre 1885.
Ce personnage de roman était un ancien officier des zouaves pontificaux. Il
avait décidé de rester en Afrique pour le restant de ses jours. Le vaillant capitaine,
mit la mission en état de défense et s’occupa de former une milice. Il eut vite
affaire à un certain Philipili qui eut l’audace
d’attaquer un village allié à la mission. Plusieurs personnes furent tuées et
d’autres emmenées en esclavage. L’agresseur fut puni par Joubert qui parvint à
le défaire dans son propre village. Un peu plus tard, Joubert battit l’esclavagiste
Mohammadi. Une centaine de jeunes esclaves furent
libérés et remis à la mission. Après leur prise en charge par les Pères, ces
jeunes fondèrent des villages chrétiens autour de Karema.
Brave capitaine Joubert ! Les missionnaires lui construisirent une
habitation à Mpala sur la rive occidentale. En 1889,
les missions du Tanganyka furent très menacées par
les esclavagistes. Une expédition de secours fut confiée au Capitaine Jacques
(1858-1928). Il quitta la Belgique en mai 1891 et arriva à Karema le
16 octobre. Le Capitaine Jacques passa le lac et rencontra Joubert le 30
octobre 1891. Il lui remit ses papiers de naturalisation congolaise et un
brevet d'officier de la Force Publique. En partant, le Capitaine Jacques laissa
près de Joubert, le jeune volontaire Alexis Vrithoff
(1867-1892) de Namur pour l'assister. Ce dernier sera malheureusement tué le 5
avril 1892 lors d'une attaque au nord de la Lukuga. Ce
n'est qu'en 1893 que les esclavagistes furent définitivement éliminés par
l'expédition du Baron Francis Dhanis (1861-1909) et
que tout danger avait disparu. Le capitaine Joubert Affaibli par
un accident de construction et à demi aveugle des suites d'une ophtalmie due au
venin d'un serpent, le capitaine âgé, de 85 ans, meurt à quelques kilomètres au
nord de la mission de Mpala, dans la cité de Baudoinville, le 27 mai 1927. Il y sera enterré dans le
chœur de la cathédrale au cours de funérailles célébrées par Mgr Roelens. Joubert s'était marié en 1888 avec une Africaine
de la région, Agnès Atakao, née à Mpala,
dont il eut dix enfants (deux filles et huit garçons) et parmi eux deux prêtres
catholiques (Jean et Albert). Durant la Grande Guerre, la station de Karema accueillera, hébergera à nouveau les Belges guerroyant avec succès contre la colonie allemande (Afrique Orientale Allemande). La
biographie du Dr Atiman que vous allez lire
ci-dessous date de la fin d’année 1956 et fut écrite par Octave Louwers (1878-1959), avocat, Président de l’Académie Royale
des Sciences Coloniales. Ce texte fut publié par la revue « Grands
Lacs » Edité par les Pères Blancs d’Afrique. On y retrouve le sentiment
admiratif de l’auteur pour le Dr Atiman, sa profonde
conviction chrétienne mais aussi les reflets du paternalisme qui régnait à
cette l’époque envers l’Afrique. A la réflexion, il semble bien cependant que
les erreurs et injustices commises par la colonisation n’aient été qu’une face
de celle-ci. L’autre face, et on voudrait aujourd’hui nous faire croire qu’elle
n’exista pas, fut faite d’idéal, d’altruisme, de foi en l’Homme. Karema est situé sur la rive est du Tanganyka Dr Patrick Loodts La vie du Dr Atiman par O. Lauwers Acheté pour une barre de sel, enfermé dans un sac et
arrimé sur un chameau… Ainsi débute la prodigieuse aventure du petit esclave
noir dont le Cardinal Lavigerie fit un grand médecin… Comme Lyautey, comme le
Docteur Schweitzer, il fut décoré de la Welcome Medal, distinction africaine qui ne peut-être décernée
qu’une fois chaque année. Adrien Atiman est né vers 1866, près de Tombouctou, au Soudan
français. En 1875, il est enlevé par des Touaregs en même temps que d'autres
camarades avec qui il jouait sur les bords du Niger. Emmené à Tombouctou, le
grand marché d'esclaves de l’époque, il est vendu pour une barre de sel. Son nouveau
maître l'enferme dans un sac, le charge sur un chameau
et se joint à une caravane qui traverse le Sahara pour gagner les oasis du Sud
algérien. Randonnée pénible ! La nourriture est dérisoire et l'enfant en est
réduit à se désaltérer avec de l'urine de chameau... Sur le marché de Metlili,
le petit Atiman est acheté, avec plusieurs autres,
par les Pères Blancs qui font tout pour libérer les captifs. Il est envoyé avec
quelques compagnons, à Saint-Eugène, près d'Alger, où Monseigneur Lavigerie les accueille avec une bonté toute
paternelle : ce sont les prémices de l'Afrique noire qui viennent à lui, les
prémices de cette Afrique à laquelle il s'est donné corps et âme et à laquelle
il brûle de communiquer la vie de Dieu. Comme il se plaira à le raconter plus
tard, c'est des lèvres du prélat lui-même que le petit Atiman
apprend le « Notre Père ». De Saint-Eugène, Atiman
passa à Birmandreis (près d'Alger), puis à Carthage,
en Tunisie. II suit la classe comme les autres élèves, sans omettre les cours
de catéchisme. Etant le
plus jeune du groupe, il a quelque peine à bien apprendre ses leçons.
L'Archevêque lui-même, à l'occasion, interroge son petit monde et Atiman se rappelait avoir été puni par l'illustre
prélat. « Si mon père ne m'avait pas corrigé quand j'étais jeune,
disait celui-ci pour les encourager, je ne serais pas Archevêque ». Le petit
Soudanais fit de notables progrès et donna satisfaction à ses professeurs parmi
lesquels se distinguait le Père Delattre, le futur archéologue, qui, pour lors,
se plaisait à distraire ses élèves en utilisant ses talents de prestidigitateur...
En 1881, Atiman fut, avec plusieurs autres enfants
soudanais libérés, envoyé à Malte pour y faire des études. II suivit les cours
de médecine à l'Université des Chevaliers de Saint-Jean. Monseigneur Lavigerie,
en effet, dans un mémoire célèbre, adressé à la Congrégation de la Propagande,
le 2 janvier 1878, proposait, comme moyen le plus efficace d'évangéliser
l'intérieur de l'Afrique, la formation de nombreux médecinscatéchistes. Il était
persuadé que des médecins-apôtres, restés africains, initiés aux secrets de la
médecine, profondément pénétrés d'esprit de foi et de charité, seraient les
messagers les plus écoutés de l'Evangile. Son plan approuvé, il choisit l'île
de Malte pour y installer son œuvre. Trois raisons lui parurent légitimer cette
préférence : le climat de l'île, l'esprit religieux de la population, la
présence d'une université. Pendant sept ans, avec quelques dizaines de
compagnons, Atiman se prépara à son futur apostolat,
Entretemps, c'est-à-dire dès 1882, il fut baptisé sous le nom d'Adrien, dans la
cathédrale de La Valette, avec onze de ses camarades. Dans la carte de visite
laissée à l'Institut apostolique de Malte, le 7 janvier 1882, par le Révérend
Père Charbonnier, assistant du Vicaire Général des Pères Blancs, on lit entre
autres les lignes suivantes : « je les
félicite (les Pères Directeurs) du résultat obtenu en si peu de temps. Les
jeunes Noirs, en effet, se sont montrés si obéissants et si disciplinés qu'ils
ont servi de modèle aux jeunes Maltais, premier noyau du postulat de l'Ecole
apostolique dans cette île ... ». L'année suivante, le 7 mars 1883, le R.P.
Visiteur écrit : « J'ai appris avec joie les succès obtenus par la 1ère
Division (celle d'Atiman) à l'Université de Malte
dans les études de Physique, de Chimie et d'Anatomie ». Le Révérend Père se dit
« satisfait du bon esprit des élèves, de leur application à l'étude ».
L'Institut apostolique de Malte comprenait alors trois groupes d'élèves
différents : des futurs médecins Noirs, des futurs instituteurs Kabyles et des
apostoliques Maltais. Un stage de deux ans… Une carrière de 68 ans… De 1886 à
1888 le jeune Atiman eut l'avantage de suivre des
cours pratiques de médecine dans l'hôpital de la ville. Dans son
autobiographie, le Dr Atiman explique le sérieux avec
lequel il s'adonnait à l'étude : « Durant les cours de médecine, j'interrogeais
souvent les professeurs, jusqu'à les importuner, je voulais savoir le pourquoi,
la raison de telle manière de faire. Dans la salle de dissection, les premiers
jours, j'étais très impressionné, mais j'ai réagi et après j'ai pris le dessus.
Dépourvus de livres, nous prenions continuellement des notes, mais heureusement
j'ai pu me procurer de « volumes français » traitant de la chirurgie
générale. Si nous avons su quelque chose, c'est grâce à beaucoup d'efforts et à
une grande application. La pauvreté n'est pas toujours avantageuse !
Pourtant, à la fin des études, nous étions aussi forts
que la moyenne des élèves maltais… Nous voilà renseignés sur le sérieux avec
lequel le futur médecin s'est appliqué à l’étude. Rien d’étonnant que pendant
toute sa carrière, il se soit signalé par son savoir-faire et sa conscience
professionnelle. En 1888, à l'occasion du jubilé de Léon XIII, le Cardinal
Lavigerie, conduit à Rome un pèlerinage africain, et y adjoint quelques
étudiants noirs. Adrien, qui vient d'achever ses études, est du nombre. Le Dr Atiman aimait à évoquer l'impression profonde qu'avait
faite sur lui le discours où le Cardinal flétrissait l'esclavage. N'en avait-il
pas connu personnellement l'humiliante et douloureuse servitude ? Aussi
accepta-t-il volontiers de partir avec une caravane de missionnaires pour
l'Afrique Equatoriale. Il
s'embarque à Marseille, le 16 juillet 1888 sur un bateau anglais avec un groupe
de Pères et de Frères de la Société des Pères Blancs. Pendant le séjour à
Zanzibar, il se familiarise avec les maladies tropicales dans l'hôpital tenu
par les Pères du Saint-Esprit. Puis la caravane se forme pour entreprendre la
longue traversée qui doit la conduire de la côte au lac Tanganyka.
C'était l'époque où les esclavagistes ravageaient ces contrées. Adrien Atiman garda de ce voyage des souvenirs tragiques : « Quand
quelqu'un a vu de ses yeux, disait-il, les vautours tournoyant au-dessus d'un
esclave épuisé, étendu sur le chemin, avec encore un reste de souffle dans la
poitrine, il ne peut l'oublier ». Après un voyage de plusieurs mois, le 3 mars
1889, la caravane des missionnaires arrivait à Karéma,
sur les bords du lac Tanganyka. Le médecin-catéchiste
commença dès lors une carrière féconde. Karéma, au
cœur de l’Afrique, première station antiesclavagiste A bon
escient, on a loué les Bienheureux Martyrs de l'Uganda, qui ont versé leur sang
pour affermir leurs frères, mais il en est d'autres qui, sans aller sur le
bûcher ou sous la guillotine, sont martyrs du devoir Quotidien, fidèlement
accompli pendant des dizaines d'années, dans un continuel et discret don de soi
: ce martyre-là. Adrien Atiman l'accepta
généreusement pendant près de 70 ans. Sans tarder,
lisons-nous dans le journal de la Mission, le jeune médecin se met au travail.
Il gagne vite l'estime des gens de Karéma. Il exerce
les prémices de son zèle en donnant des soins aux pauvres esclaves rachetés. La
mortalité était grande, tant ces pauvres gens avaient eu à souffrir de la part
de leurs maîtres. Ils étaient affaiblis par les privations subies et les longs
voyages : certains avaient été capturés à 150 km de là. Plusieurs portaient des
blessures faites par des armes à feu, des sabres ou par les bêtes sauvages. Une
chambre de sa propre maison sert de dispensaire au Docteur et quelques huttes constituent
l'hôpital. Installation primitive, mais grand succès. Celui qui aujourd'hui,
visite Karéma, gros bourg de 2.000 habitants, a de la
peine à reconnaître, à reconstituer le cadre dans lequel s'est exercée l'activité d'Atiman à ses
débuts. L'église, la maison des Pères, le couvent des Sœurs, des écoles
bourdonnantes de vie, ont remplacé l'ancien « boma » (fort),
donné en 1885 par Léopold II aux Pères Blancs, à charge pour eux de s'occuper
des 90 esclaves libérés qui y vivaient à l’abri des sévices de leurs anciens
maîtres. Les missionnaires, à leur tour, avaient racheté quelques centaines de
ces malheureux enfants, qu'ils s'efforçaient d'instruire et de former à une vie
humaine plus digne. Ils leur donnaient, au moment du mariage, une maison, des champs,
quelques outils, hache, pioche, une étoffe solide, après quoi chaque ménage
devait chercher à se suffire. Au début, il
fallut souvent venir en aide à cette population formée de tribus diverses. Mais
peu à peu on étendit les cultures et une relative aisance en résulta. Riz,
maïs, manioc, patates douces poussent en abondance sur cette terre fertile
qu’ombragent çà et là des manguiers, des bananiers, des goyaviers. Le lac à son
tour fournit une grande quantité de poissons qu'on fait sécher et qu'on
expédie... Dans ses
souvenirs, Atiman se plaît à souligner le contraste
qu'il avait remarqué entre le Karéma primitif et
celui qu'il aimait à parcourir de son pas un peu traînant mais toujours
énergique sur la fin de sa laborieuse carrière. Son influence a été pour
beaucoup dans les résultats obtenus. Elle s'est exercée au profit des corps et
des âmes avec une patience jamais lassée et un dévouement qu'il faut qualifier
d'héroïque. Son secteur,
du reste, ne tarda pas à s'élargir. La mission cherchait à nouer d'amicales
relations avec les tribus du voisinage, mais se heurtait à l'hostilité ouverte
des Wabende dont l'influence se faisait sentir des
rives du lac au cours de la rivière Malagarazi et qui
n'avaient, du reste jamais accepté des rapports amicaux avec les Belges,
premiers occupants de Karéma. Mariage… de raison « Le premier
mois après mon arrivée à Karéma, écrit le Docteur Atiman, les femmes fréquentaient davantage au dispensaire
pour me voir que pour être traitées, mais elles s'aperçurent vite que je
n'étais pas venu pour bavarder, ni pour soigner avec des vues humaines ». Cependant
les missionnaires jugèrent qu'Adrien était taillé pour rendre une femme
heureuse et Monseigneur Bridoux lui proposa d'épouser
la fille d'un des chefs des environs, précisément de la tribu des « remuants » Wabende. Il accepta dans un but d'apostolat. Par ce
mariage, il rapprocha la mission de la tribu la plus barbare du Tanganyka. Les
pourparlers en vue de l'alliance matrimoniale furent entamés. « Le Vicaire
Apostolique et le Père Supérieur, sous bonne escorte, raconte Adrien dans son
autobiographie, allèrent chez le chef (Mrundi Wansabira) pour préparer le mariage d'une de ses filles
avec « l'Européen noir » qui venait d'arriver à Karéma.
Par la porte d'arrière de la case, entra une jeune fille drapée dans une étoffe
de couleur, trop grande pour elle. Comme la case était obscure, on crut que la
fille qu'on montrait était de belle taille et on l’accepta… ». Ce petit
rapport en dit long par son laconisme ; il n'y a pas de doute, il ne s'agissait
pas d'un mariage d'amour ! La jeune femme Wansabira
était païenne et peu éduquée ; quelque peu étrange, elle fera beaucoup souffrir
Atiman par son manque de finesse. « Elle
n'a rien compris à la cérémonie catholique du mariage », note-t-il tristement,
et il relate que quelques jours après la cérémonie, prise de nostalgie, elle retourna à Kafisya.
Le neveu de son père la renvoya, mais peu après, nouvelle escapade ; on la
raisonna et tout doucement elle s'habitua. Elle se mit à étudier le catéchisme,
qu'elle apprit vite. Je lui faisais des répétitions et, un an et demi après, elle put être admise au catéchuménat. Alors elle
fut contente et sa mère et ses autres parents lui multiplièrent leurs visites. La vérité
nous oblige à dire que ce mariage mit à rude épreuve la patience d'Atiman. Malgré tous les reproches qu'il aurait pu formuler
à l'égard de son épouse, il lui resta fidèle, s'efforçant avec bonté et fermeté
de l'amener à de meilleurs sentiments. Il y réussit d'une façon satisfaisante,
si nous en croyons ces lignes d'un missionnaire qui a vécu dans son intimité :
« Sa femme, Agnès, était une princesse. Très jeune et jolie, elle était volage
et elle serait devenue la coqueluche de tout le monde, si son mari ne l'avait
surveillée et tenue en laisse. Mais rendue sage avec l'âge, elle s'estima
heureuse d'être la femme d'un médecin réputé et elle eut pour lui de grandes
attentions ». Tant de
patience et de bonne volonté de la part du jeune mari furent récompensées.
Agnès Wansabira allait lui donner un fils qui fut
baptisé sous le nom de Joseph et ordonné prêtre en 1923. « A la
naissance de mon enfant, écrit Adrien Atiman, de
joie, je tirai un coup de fusil » ! Il aima tendrement ce fils unique. Nous
lisons dans ses mémoires ce touchant aveu : « Avant
d'arriver à Kirando, j'apprends que Joseph a été
gravement malade de la fièvre. Cela me fit beaucoup de peine. Alors je dis :
autant mourir moi-même. La Mère Saint-Luc, alors Supérieure des Sœurs de Kirando, me reprit de mon manque de soumission à la volonté
de Dieu, qui est maître de la vie de mon fils Joseph comme de la mienne. J'ai
remercié la Mère Saint-Luc. Pendant des années, j'ai pensé à ses paroles, parce
qu'elles m'ont mis dans le bon chemin vraiment chrétien ». 40 km. A pied pour visiter ses malades Nonobstant
le peu de réconfort humain qu’il trouva dans son propre foyer, Atiman se voua avec une constance, jamais prise en défaut,
au soulagement des misères physiques et morales de ses frères africains. « En
tout temps, à toute heure, il a su se donner », écrit un Père de Karéma. Le Docteur Atiman soigna
ses malades avec dévouement et compétence. Dans les premiers temps surtout, il
devait ménager les médicaments venant d’Europe, car le ravitaillement
n'arrivait qu'une fois par an. Il suppléait de son mieux à cette pénurie par
l'emploi des remèdes préparés sur place. Toute sa vie, il manifestera le souci
de se tenir au courant et de se perfectionner. Que de fois, il étudiera dans
ses livres les cas plus difficiles ! Volontiers il se rendra à Kigoma ou à
Albertville auprès des médecins européens, le Dr Lejeune notamment, pour
rafraîchir ses connaissances et en acquérir de nouvelles. C'était pour
lui un vrai régal intellectuel de parler, avec ce médecin belge, de questions
concernant leur commune vocation. Le Docteur Atiman
s'en retournait alors à Karéma, reconnaissant,
agitant sa chéchia légendaire, dans un grand geste d'adieu et emportant
précieusement son sac de voyage rempli de revues médicales dont il faisait ses
délices. Ce souci de connaître joint au désir de guérir ses clients lui fit
profiter de chaque journée pour enrichir son expérience. Toutes les maladies
tropicales, et les autres, défilèrent sous ses yeux. Les maladies contagieuses,
la petite vérole, étaient très répandues : Atiman les
arrêta. Son œuvre médicale est très importante : avant la guerre de 1914, il
fut chargé d'un camp de sommeilleux près de Karéma.
Pendant ce premier conflit mondial, il fut médecin de garnison. Avec les
instruments dont il disposait, Adrien tenta certaines opérations, comme des
amputations de jambes gangrenées. Plusieurs Européens eurent également
recours au dévouement du médecin, tel le capitaine Jacques, venu combattre les
esclavagistes. Quant aux missionnaires malades, Pères, Frères ou Sœurs, ils
étaient l'objet d'une sollicitude particulière. Adrien voyait en eux les
envoyés de Dieu. II guérit parmi eux 25 cas ou rechutes de fièvre bilieuse hémoglobinurique. Adrien n'avait rien d'un médecin
casanier. Bien musclé, dur à la fatigue, il élargit peu à peu son rayon
d'action en allant visiter les villages éloignés. Une marche de 40 kilomètres
ne l'effrayait point. Il partait avec une boîte de remèdes en bandoulière. Au
début, il dut vaincre certains préjugés et rencontra parfois de l'opposition.
Il a noté dans ses cahiers qu'une nuit, logeant chez le bourreau d'un chef,
réputé pour sa cruauté, il ne ferma pas l'œil, et tint son revolver à portée de
sa main. Sauvé par ses bottes… Le Cardinal
Lavigerie lui-même avait déclaré à Adrien qu'il devait faire passer le souci
des âmes avant celui des corps. Toute sa vie, le médecin-catéchiste s'en
souvint, et le titre qu'il revendiquait avec plus de fierté, ce n'était pas
celui de médecin, mais celui de catéchiste. « Je suis catéchiste avant tout »,
tel était son refrain favori. Il ne perdra jamais de vue que sa première
vocation est celle d'un apôtre de l'Evangile. Aussi quand il soigne les corps,
il a toujours un mot du cœur pour atteindre et attendrir l'âme. Jamais il
n'aura peur d'accomplir son devoir ; chez lui aucun respect humain. II fut
désigné par les missionnaires pour essayer d'évangéliser les Wabende. Deux ou trois fois par semaine il parcourait les
villages, emportant avec ses remèdes un grand catéchisme en images qu'il
commentait avec une éloquence directe, persuasive. Dans son autobiographie il
décrit la méthode qu'il employait : « J'étais bien reçu à cause de ma femme qui
avait de la parenté dans tous ces villages. Je montrais des images qui
expliquaient les grandes vérités de notre religion. Je m'amusais avec les
enfants. Dans la conversation, je parlais du bon Dieu, du ciel, de l'enfer.
J'instruisais grands et petits par mes causeries, sans faire vraiment le
catéchisme. Au commencement, les vieux ne se doutèrent de rien... mais un jour
je fus attaqué... je filai à toute vitesse, grâce à mes bottes, et passai par
les clôtures en roseaux comme à travers du papier... ». Notre Docteur s'efforça
aussi de faire accepter des populations, des catéchistes d'abord itinérants,
puis à demeure. Petit à petit son zèle entreprenant embrasse toute une série d'activités
variées... jusqu'au fonctionnement d'une véritable agence matrimoniale. Et
plein d'humour, Adrien déclare : « C'est un métier comme un autre ! ». L’un des convertis d’Atiman est un bourreau,
recordman en son métier Dans sa
jeunesse studieuse, Adrien avait appris convenablement le français et l'italien
; installé sur les rives du Tanganyka, il s'assimila
parfaitement plusieurs langues indigènes et pénétra à fond l'âme des tribus au
milieu desquelles il vécut. Aussi ses succès apostoliques furent-ils
considérables. Tous les missionnaires s'accordent pour signaler l'influence
extraordinaire que le médecin-catéchiste de Karéma exerça
sur les païens et les chrétiens. Certains vieux brigands le réclamaient au
moment de la mort pour recevoir de sa main le saint baptême, tel le sultan Mwanamoliro (le fils du feu). « Le 24 décembre 1928,
précise Adrien, le sultan Mwanamoliro me fait appeler
vers 5 h du soir. J'ai dû patauger dans l'eau au moins le tiers du chemin. A
peine arrivé, tout mouillé, j'entends le sultan me dire : « Je t'ai mandé pour
que tu me baptises, parce que tu as baptisé mon prédécesseur, le sultan Kasagula. Je veux que ce soit toi qui me rendes le même
service ». Je l'instruis et le régénère. Deux jours plus tard, Mwanamoliro mourait content ». Ce n'est qu'un exemple, il y
en eut bien d'autres. Une de ses
plus belles conquêtes fut celle de Mwanamwina, le
bourreau chez qui il avait logé et dont il redoutait un mauvais coup. Petit à
petit le brigand s'était amadoué. Il avait même quitté son chef pour se fixer à
Karéma. Fréquemment il se rendait chez Adrien qui lui
expliquait le catéchisme. Il lui déclarait : « Je veux être un bon chrétien
pour que Dieu me pardonne le sang que j'ai versé ». Sa
conversion édifia tous ceux qui l'avaient connu. Il fut baptisé sous le nom de
Zacharie. Zacharie Mwanamwina se trouvait un jour
chez le chef Katumba qui, pour régaler ses convives,
avait fait apporter de nombreuses cruches de bière. A un moment donné, Katumba voulut savoir combien ses invités avaient tué
d'hommes. II fit étendre par terre des peaux de chat sauvage, Chacun devait en
sauter autant qu'il avait égorgé d'individus. Seul Zacharie les enjamba toutes
et nul ne s'avisa de lui contester ce terrible record. Adrien, pour sa part,
admirait les transformations morales survenues en cet homme et il concluait : «
C'est le cas de dire que le lion est devenu agneau. Voilà un exemple frappant
de ce que peut la grâce de Dieu sur une âme de bonne volonté ! » Il avait été
le principal instrument de Dieu dans cette œuvre de régénération. Toute sa vie,
Adrien aima faire le catéchisme. Que d'adeptes il gagna au baptême ! Que de
chrétiens il conseilla, reprit, ramena dans le droit chemin ! « La population
confiait à Adrien tous ses secrets et toutes ses affaires. Il était le père de
tous », rapporte un missionnaire de Karéma. Atiman avait un don particulier pour apaiser les querelles
familiales. Grâce à lui, bien des ménages disloqués ont retrouvé l'union et la
paix. D'autre part, que d'adultes n'a-t-il pas préparés à faire une bonne mort
! A combien d'enfants n'a-t-il pas ouvert le paradis par les eaux du baptême ! En même temps, le médecin-catéchiste s'est efforcé d'introduire des pratiques chrétiennes, comme la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus le premier vendredi de chaque mois. Il fit entrecouper les lamentations pour les morts de la récitation du chapelet. Il mena une propagande efficace pour que les trépassés bénéficient au moins d'une messe. Non seulement il donna des conseils, mais il indiqua les moyens pratiques de les réaliser ; ainsi, en vue d'obtenir les honoraires nécessaires à la célébration d'une messe pour un défunt, il préconisa la vente d'une partie de la bière traditionnelle que l'on fait pour le trépassé. Par-dessus tout, ce bon samaritain des âmes et des corps s'efforça constamment, par ses exemples encore plus que par ses paroles, d'introduire l'esprit et la pratique de la charité chrétienne dans la vie quotidienne de ses congénères africains. 68 ans durant : pour tous, le Bon Samaritain La misère
des pauvres gens le touchait profondément. « Un jour, nous apprend-il, je vis
sur mon chemin une vieille femme n'ayant pour tout bagage que sa pipe, exténuée
de fatigue et les pieds rongés par les chiques. Je lui demandai d’où viens-tu ?
Elle me répondit : Je viens de Kafisya ; depuis deux
jours je suis en route. Or Kafisya est à 2 heures et
demie de Karéma. Je dis à la femme : Continue ton
chemin ; à mon retour je verrai ce que je pourrai faire. Trois heures plus
tard, je la trouvai un peu plus loin, je la pris sur mon dos et l'apportai à la
Mère Supérieure en lui disant : je viens vous faire un cadeau. La vieille fut
soignée, et, quelque temps après, baptisée ». Adrien ne se contentait pas de
fournir des clients aux Sœurs. Sa maison hébergea continuellement trois ou
quatre enfants de la tribu de sa femme qui avaient ainsi l'occasion de suivre
l'école de la mission, de devenir chrétiens et d'acquérir une profession
honorable. Les pauvres ne s'en retournaient jamais les mains vides, pas plus du
reste que les garçons ou les jeunes filles qui venaient lui demander quelque
argent pour acheter un chapelet, une médaille. Plus d'une fois, il fournit à
l'un ou l'autre un complément de dot ou remboursa la dot de jeunes filles que
leurs parents avaient livrées contre leur gré à des musulmans. Les femmes qui
avaient quitté le domicile conjugal à la suite de disputes ou de coups
trouvaient dans sa demeure un gîte pour la nuit et de bons conseils. Le
lendemain, rassérénées, elles regagnaient leur foyer. Vers la fin de sa vie, ne
pouvant plus soigner les corps, comme il le faisait jadis, il continua d'être
le conseiller écouté de tous. Chaque après-midi, malgré ses rhumatismes, il se
rendait au village, s'arrêtait pour parler avec ceux qu'il rencontrait ou
allait apporter un peu de réconfort dans les huttes où il savait sa présence
utile. Pour lui, la journée de huit heures n'a jamais existé. Jusqu'aux
derniers jours de sa très longue vie, il se tint constamment sur la brèche.
Jamais il n'a refusé de rendre service. Sacrifices humains et poison d’épreuve : 16 personnes tuées en une
seule séance… La peuplade
des Wabende était connue au loin pour ses
brigandages. Au cours d'incursions dans les tribus voisines ou même distantes,
elle pratiquait d'effroyables razzias, ramenant des troupeaux et des groupes
compacts d'esclaves. Les Wabende s'attaquaient
également sur le Tanganyka aux barques légères, sauf
aux felouques des puissants commerçants arabes. Bien au courant de ces
agissements, le Dr Atiman n'hésita pas à les
condamner et, devant les coupables, les
engagea fortement à y renoncer. Un jour, en 1897, il arriva au village d'Ikola pendant que le nouveau chef faisait distribuer le
poison d'épreuve en vue de savoir qui avait ensorcelé son prédécesseur. Déjà 16
personnes étaient mortes. L'intervention d'Adrien empêcha le massacre des
autres suspects. Il s'employa à faire vomir ceux qui avaient avalé la
pernicieuse drogue en leur ingurgitant un remède énergique. Apprenait-il l'imminence
de séances identiques, il se rendait sur les lieux et réussissait à sauver de
nombreux innocents. Pour compléter cette œuvre de redressement social, il eut à
cœur de supprimer d'autres pratiques païennes particulièrement odieuses ; c'est
ainsi qu'il s'en prit courageusement aux sacrifices humains en honneur à Kafisya, capitale de I'Ubende. On
y entretenait une case sacrée, laquelle
contenait deux idoles informes représentant les anciens rois, et qui étaient
recouvertes de couches de sang humain desséché. Atiman
essaya bien de convaincre le monarque et son entourage de la cruauté et de
l'inanité de pareils massacres, mais ses paroles restèrent lettre morte. Un
lieutenant allemand, plus indépendant, recourut à des procédés directs : il
fit, un jour, raser cet édicule, témoin de tant de meurtres rituels, et emporta
les idoles, dont l'une au moins figure au musée d'ethnologie de Berlin. En attirant l'attention des autorités
coloniales européennes sur ces comportements dégradants, le Dr Atiman a donc assaini largement le climat social des bords
du Tanganyka. Un chrétien à 100% Inutile de
préciser qu'un homme aussi imprégné d'esprit de foi et de charité, menait une
vie morale à l'abri de tout soupçon. Jamais on ne put lui reprocher le moindre
écart de conduite. Le secret de
cette force morale et de cette grandeur d'âme, nous devons le chercher dans
l'union à Dieu par la prière dont Atiman se préoccupa
constamment. Il se confessait chaque semaine, assistait à la messe chaque jour,
communiait et, quand le prêtre se retirait, après son action de grâces, il
laissait encore Adrien à sa place, prolongeant sa prière, immobile et
recueilli. A cette piété eucharistique si profonde, le médecin-catéchiste
joignait une dévotion toute filiale envers la Sainte Vierge. Souvent il avait
son chapelet à la main, multipliant les louanges à l'adresse de la Reine des
cieux et réclamant sa protection. Quel salaire le médecin-catéchiste
recevait-il de la mission pour tant de services qu'il rendait aux corps et aux
âmes ? Un salaire qui lui permettait de vivre à l'indigène, une roupie par
semaine (1,75 Fr.) du temps des Allemands, un shilling quand vinrent les
Anglais. Le Gouvernement belge lui accorda une rétribution convenable pour les
soins prodigués aux soldats congolais durant l'occupation de Karéma. De son côté, le Gouvernement britannique ne tarda
pas à lui attribuer 25 shillings pour la visite médicale du bateau qui faisait
escale à Karéma. A la fin de sa carrière, Atiman recevait en tout, une centaine de shillings (14
dollars) par mois. Il se nourrissait à l'africaine. Un jour qu'un Père lui
offrait du beurre, il refusa, n'en acceptant qu'à l'occasion des fêtes. Il
fumait avec plaisir les cigares qu'on lui donnait en cadeau, mais n'en achetait
point, préférant utiliser son argent pour aider les pauvres. Il ne refusait pas
un verre de bière, mais savait parfaitement se modérer. Atiman eut d'autant plus de mérite à garder cette dignité
et cette simplicité de vie, qu'à maintes reprises les autorités allemandes,
belges et anglaises lui offrirent des postes avantageux et de hauts salaires.
Il refusa toujours, restant fidèle à cet Idéal de médecin-apôtre que le
Cardinal Lavigerie lui avait tracé. Un tel détachement des biens temporels,
joint à tant d'autres mérites, ne pouvait manquer d'attirer sur le docteur
Adrien Atiman les regards bienveillants des autorités
tant civiles qu'ecclésiastiques. Il fut en effet l'objet de très nombreux
témoignages d'estime les plus variés et les plus hauts. Faut-il
citer les trois décorations pontificales dont Adrien était titulaire ? Il reçut
la médaille Proeccclesia et Pontifice
de Léon XIII, René Merenti de Pie XI et fut fait
commandeur de l’Ordre de Saint-Sylvestre par Pie XII. Trois autres distinctions
furent décernées au médecin par le Gouvernement belge pour les soins dévoués
qu'il assura aux troupes coloniales durant les campagnes de 1916-1918 et les
années qui suivirent. L'Angleterre, à son tour, a reconnu les mérites
exceptionnels de celui qu’on nommait volontiers « Le Grand Vieillard de Karema ». Elle fit épingler sur sa poitrine quatre
médailles dont l’une « la Welcome Medal » est réservée à ceux qui ont rendu des services
éminents à l'Afrique, quelques soient leur race ou nationalité. Parmi les
titulaires de cette distinction, on mentionne le maréchal Lyautey, lord Ludgard, lord Haily et le Dr
Schweitzer. Une seule personne en peut bénéficier chaque année. En 1954,
personne ne la reçut. La mort d’un héros Enfin, ce
fut au tour du bon Dieu de donner à Adrien Atiman
l'ultime récompense. Quelques semaines avant sa mort, on pouvait remarquer une
baisse notable dans l'état général de sa santé. Grâce à un pousse-pousse, il
réussit cependant à assister aux cérémonies du Jeudi-Saint et du
Vendredi-Saint, mais le 1er avril 56, il dut renoncer aux
consolations des cérémonies pascales. Depuis lors, il ne quitta que rarement
son lit : toutefois, il se rendit encore à l’'hôpital de temps à autre. Le 20,
la fièvre montant, il reçut l'Extrême-onction. Le 22, il eut des intermittences
de hoquet, signe d’une fin prochaine. Ce jour-là ainsi que le suivant, il ne
peut dormir, et son pied droit enfla beaucoup. Le 24, arriva Son Excellence
Monseigneur Siedle accompagné de son Vicaire Général.
Adrien reçut la Sainte communion des mains de l’abbé Otto Sangu
et l’Evêque lui donna la Bénédiction Apostolique dans la soirée. A 10 h. 30, il
devint évident que le docteur Atiman entrait en
agonie. Il conserva le plein usage de ses facultés. II se joignit à la
récitation du Rosaire et suivit attentivement la récitation des autres prières.
Puis, de lui-même, il répéta plusieurs fois l’Ave Maria en français. L'acte de
contrition et l'acte d'amour, en kiswahili, furent les dernières prières qu'on
l'entendit murmurer. A minuit, il
perdit l'usage de la parole, mais put encore faire un grand signe de croix,
lorsque le prêtre le bénit. Peu après il rendit paisiblement sa belle âme à son
Créateur. Comment douter de l'accueil qu'il en reçut ! Le Seigneur, sans doute,
lui a dit : « Bon et fidèle serviteur, entre dans la joie de ton Maître ». Le
lendemain, 26 avril, Son Excellence Monseigneur Siedle
chanta la messe pontificale de Requiem. L'église était archicomble : beaucoup
de personnes durent rester à l'extérieur car, en plus de la population entière
de Karéma, un grand nombre de gens des autres
villages tinrent à être présents. En se rendant au cimetière, les marchands
arabes musulmans disputaient aux chrétiens le tour d'honneur de porter le
cercueil. Dans son
panégyrique, Monseigneur Siedle montra comment Adrien
avait bien compris le sens de l'Evangile et avait su le mettre en pratique. L'exemple de
ce grand Apôtre laïc, samaritain infatigable des âmes et des corps, reste une
leçon pour tous : Africains ou Européens, Américains ou Asiatiques. C'est une
leçon de foi, de courage, de dévouement, de désintéressement absolu et de
générosité, de fidélité à Dieu et de présence aux hommes. L’université de Lovanium, année académique 1956-1957, au seuil de sa troisième année académique. Des chiffres plein d’espérance mais malheureusement, un départ trop tardif : année académique 54-55 : 12 étudiants. Année académique 55-56 : 42 étudiants. Année académique 56-57 : 106 étudiants ! Tout est
simple et grand dans cette vie. C'est la logique de la foi et de l'amour.
Aussi, malgré les épreuves intimes et d'incroyables fatigues, Atiman sut toujours garder la joie et la paix de Dieu.
Quand le fardeau lui paraissait trop lourd à porter, il allait trouver un
prêtre ami et lui confiait sa peine, puis il reprenait allègrement sa marche,
chantant parfois de vieilles chansons françaises qu'il avait apprises dans son
jeune âge. L'Afrique a besoin d'hommes de la trempe d'Atiman, ouverts au progrès et fidèles aux meilleures traditions de leur race. Seul l'esprit évangélique, tel un levain dans la pâte en s'adaptant aux nouvelles circonstances de la vie, est capable d'en former. C'est lui qui a fait du petit esclave, volé par des Touaregs, le héros de la charité, de la foi et du dévouement que nous admirons et dont le bon sourire nous encourage par-delà la tombe à devenir meilleurs. 0. Louwers Source : revue
des Grands Lacs, décembre-janvier 1957. N°188, Pères blancs d’Afrique, 14
chaussée de Charleroi, Namur. Couverture de la revue |