Médecins de la Grande Guerre
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Le docteur Schweitzer, interné en France durant Avant-propos Pourquoi mettre dans cette rubrique des médecins de Schweitzer, âgé
de 89 ans, quelques jours avant de mourir
arpentait encore son hôpital… Jusqu’aux derniers instants de sa
vie, ce grand intellectuel essaya
l’espérance et la foi dans l’action. Il resta fidèle à l’idéal qui était le
sien et qu’il avait décrit si bien en 1924 dans son livre « Souvenirs de
mon enfance » ! C’est sans doute
pour cette raison que ce médecin continue
aujourd’hui à tant nous interpeller ! Les idées qui
déterminent le caractère d’un homme existent en lui, de façon mystérieuse dès
sa naissance. Au sortir de l’enfance, elles commencent à bourgeonner. Lorsque
naît en son âme l’enthousiasme pour le vrai et le bien, la floraison s’épanouit
et les fruits nouent. Dans le développement ultérieur, la grande chose est de
conserver le plus possible des fruits que l’arbre promettait au printemps. Je me suis
convaincu que notre effort de la vie entière doit viser à conserver à nos
pensées et nos sentiments leur fraîcheur juvénile. Cette conviction fut en tout
temps pour moi une source de bons conseils. Instinctivement, j’ai toujours
veillé à ne pas devenir ce que l’on appelle un homme mûr. L’expression de
« mûr » appliquée à l’homme
m’a toujours inspiré et m’inspire encore un vague malaise. Mon oreille y
perçoit des dissonances douloureuses ; maturité me semble synonyme
d’appauvrissement, de déchéance, d’usure intellectuelle et morale. Le spectacle
que nous offre un homme mûr, c’est une raison faite de désillusions et de
résignation. On se modèle l’un sur l’autre en abandonnant l’une après l’autre
les pensées et les convictions qui furent chères au temps de la jeunesse. On croyait au triomphe de la vérité ; on
n’y croit plus. On avait foi
dans les hommes ; on a perdu la foi. On croyait au
bien ; on n’y croit plus On était zélé
défenseur de la justice ; zèle éteint. On avait foi
dans la bonté de la tolérance ; on n’y croit plus. On était capable
d’enthousiasme : c’est fini Pour naviguer
plus sûrement à travers écueils et tempêtes, on a jeté du lest, on a précipité
par-dessus bord d es biens dont on jugeait pouvoir se passer ; mais
c’étaient des provisions de bouche, la réserve d’eau. On navigue plus léger,
mais vers la famine et l’inanition. Dans ma
jeunesse, j’ai entendu, entre adultes, des conversations qui m’étreignaient le
cœur d’une indéniable tristesse. Ils reconnaissaient dans leur idéalisme
d’autrefois et leurs capacités d’enthousiasme des biens précieux qu’ils auraient
dû conserver. Mais en même temps, il leur semblait nécessaire de les avoir
abandonnés. La peur me saisit alors de me voir, un jour, réduit à regarder mon
passé avec la même tristesse. Je résolus de ne pas me soumettre à la tragique
nécessité de devenir un homme raisonnable. A ce vœu, qui n’était presque
bravade d’adolescent, j’ai essayé de conformer ma vie. Les adultes se
complaisent trop volontiers dans la triste mission de préparer la jeunesse à ne
voir qu’illusions dans tout ce qui élève et ensoleille son âme. Une expérience
plus profonde de la vie tient un autre langage à l’inexpérience juvénile. Elle
la conjure de garder intacts, la vie durant les idées qui l’enthousiasment.
L’idéalisme juvénile a raison, voilà ce qui confirme
l’homme fait ; c’est un trésor qu’il ne faut échanger contre rien au
monde. Tous, tant que
nous sommes, nous pouvons nous attendre à ce que la vie tente de nous ravir
notre enthousiasme et notre foi dans le bien et le vrai. Mais rien ne nous
force à les lui sacrifier. Si l’idéal dans de conflit avec la réalité est
généralement écrasé, cela ne signifie nullement qu’il doive capituler d’avance,
mais bien qu’il n’est pas pur ni assez fortement enraciné dans notre cœur. La force de
l’idéal est incalculable. A regarder une goutte d’eau, on n’y voit trace de
force. Mais qu’elle pénètre dans une fissure de rocher et s’y congèle, elle
fera sauter le rocher .Que le feu la vaporise, et elle mettre en branle la plus
puissante machine. Il s’est opéré en elle un changement qui a activé la force
interne. Il en est de même de l’idéal. Les idéaux sont des pensées ; tant
qu’ils restent à l’état de pensées, leur force interne demeure inopérante, même
lorsqu’ils sont accompagnés du plus vif enthousiasme et de la plus profonde
conviction. Leur force ne devient opérante qu’au moment où ils s’incorporent en
un être humain aux sentiments épurés. La maturité à laquelle nous devons tendre
consiste à devenir, au prix d’efforts continus De plus en plus
véridiques, De plus en plus
purs, De plus en plus
pacifiques, De plus en plus
débonnaires, De plus en plus
indulgents, De plus en plus
miséricordieux. Pour y parvenir,
consentons à tous les renoncements. A cette fournaise, le fer malléable d e
l’idéalisme juvénile se change en acier inaltérable de l’idéalisme conscient.
La sagesse suprême, c’est de voir clairement la cause des désillusions. Tout
événement est le résultat d’une force spirituelle ; assez forte, elle
produit le succès ; trop faible, elle cause l’échec. Mon amour est-il
impuissant ? C’est qu’il y a encore trop peu d’amour ne moi. Suis-je sans
force contre la fausseté et le mensonge qui règnent autour de moi ? Cela
prouve que je me suis moi-même pas encore assez véridique. Mais faut-il
assister aux tristes intrigues de la jalousie et de la malveillance ? Cela
vient de ce que je ne suis pas encore affranchi de toute petitesse et de toute
jalousie. Ma débonnaireté est-elle comprise ou ralliée ? Cela signifie
qu’il n’y a pas encore assez de débonnaireté en moi. Le grand secret consiste à traverser la vie avec une âme
intacte. Ce secret n’est
à la portée que des gens qui, négligeant les hommes et les faits, se replient
sur eux-mêmes en toute circonstance et cherchent en eux-mêmes la raison de
chaque événement. Celui qui travaille à son propre perfectionnement ne risque
pas de voir s’évanouir son idéalisme. Il
voit en lui-même se réaliser la puissance de ces idées-forces : le vrai,
le bien. Si les résultats de l’action qu’il voudrait exercer au-dehors sont
insuffisants à son gré, il n’ignore plus que son action est proportionnée au
degré de son perfectionnement intérieur. Seulement, le résultat ne s’est pas
encore produit ou manifesté. Si la force
existe, elle agit. Aucun rayon de soleil ne se perd. Mais la verdure qu’il
éveille a besoin de temps pour germer, et il n’est pas toujours accordé au
semeur de voir la moisson. Toute action féconde est un acte de foi.
L’expérience de la vie que les adultes doivent transmettre aux jeunes ne se
formule donc point : « La réalité se chargera bien de ruiner votre
idéalisme… » mais
bien plutôt : « que votre idéal s’incorpore si bien à vous que la vie
ne puisse le ravir ! » Si les hommes
devenaient en réalité ce qu’ils sont à 14 ans en possibilité, que le monde
serait différent ! Je suis de ceux
qui ont tenté de conserver juvéniles leurs pensées et leurs sentiments, et j’ai
lutté contre les démentis de l’expérience pour garder intacte ma foi au bien et
au vrai. A notre époque où la violence, sous le masque du mensonge, occupe plus
menaçante que jamais, le trône du monde, je n’en reste pas moins convaincu que
la vérité, l’amour, l’esprit pacifique, la douceur, la bonté sont des forces
supérieures à toute force. C’est à elles que le monde appartiendra, pourvu
qu’un nombre suffisant d’hommes gardent dans leur âme et pratiquent dans leur
vie, avec pureté et constance, l’esprit de charité, de vérité, de paix et de
douceur. Albert
Schweitzer, Strasbourg en février 1924
L’enfance
d’Albert Schweitzer En 1905 un théologien protestant de trente ans décida
de changer complètement de vie. Abandonnant sa carrière déjà bien tracée de théologien protestant et de directeur d’un
séminaire, il se lance dans des études de médecine dans un but précis :
soulager la souffrance en Afrique ! A vrai dire sa décision va susciter un
immense tollé au sein de sa famille. Son père,
le pasteur Louis Schweitzer, essaie de convaincre son fils de renoncer à son projet mais rien n’y
fit ! Le départ du fils prodigue qui possédait les talents
d’écrivain hérités de sa famille paternelle (Louis Schweitzer écrivit un grand
nombre de fables dans les almanachs locaux) et des talents de musiciens hérités
du côté maternel (son grand-père
maternel était pasteur et facteur d’orgue) allait quitter sa famille, son
terroir et cette décision était ressentie comme véritablement dramatique par
toute sa famille ! L’enfance Albert Schweitzer naquit le 14 janvier 1875 dans le très beau village de Kaysersberg
devenu aujourd’hui une véritable attraction touristique. Il n’y resta pas
longtemps, quelques jours après sa naissance, son pasteur de père fut muté dans un village voisin à Gunsbach et
c’est dans ce village qu’Albert passa toute son enfance. Une enfance heureuse
et banale : son père est un pasteur qui se sent proche des gens, adore son
jardin et les blagues paillardes en patois, sa mère est plutôt une femme de
caractère férue de politique et qui adore lire le journal ! Albert est
chétif et sensible : il désire à tout prix ressembler à ses camarades et
ne les dépasser en rien, ce qui ne lui est pas facile car on considère le fils
du pasteur comme un « petit monsieur ». Quand après avoir triomphé à
la lutte de son camarade de classe
Georges Nitschelun, ce dernier lui explique qu’il aurait sans doute gagné s’il
avait autant à manger que lui, cela lui va droit au cœur ! Cette phrase
qui lui fait découvrir l’inégalité et l’injustice, il ne l’oubliera
jamais ! Non seulement ses camarades ont faim mais ils ont froid et Albert
refusera toujours de porter un manteau parce
que ses camarades n’en possèdent pas ! Sa mère volait que son fils Albert
possède une belle casquette et elle se rendit avec son fils chez un des
meilleurs chapeliers de Strasbourg.
Albert essaya quantité de modèles de bérets qu’il refusait systématiquement l’un après l’autre. Le seul qu’il désirait
n’était pas en vente dans ce magasin
chic : c’était le béret porté par les petits paysans ! Albert
découvrit très vite la compassion envers les plus pauvres que lui. Il éprouva un véritable chagrin en voyant un jour le charretier de Sulzbach embourbé dans la
neige et malmené par ses camarades de qui
se moquaient de lui ! Envers les
animaux Albert se révèle aussi un être extrêmement sensible : Un jour il
porta un coup de fouet à un chien qui effrayait la vieille jument qu’il
conduisait au pas. Le chien frappé à l’œil hurla de douleur et l’enfant n’en
dormit pas pendant des semaines ! Que faire aussi pour échapper à la
chasse, aux oiseaux, organisée par ses camarades munis
de leurs frondes ! Heureusement qu’au moment de tirer tous les oiseaux
s’envolèrent en une fois grâce au tintement des cloches de Gunsbach ! Plus
tard Schweitzer écrivit que « La
musique des cloches inscrivit à jamais dans mon cœur : « Tu ne tueras
point. Ce fut une des plus grandes expériences de mon enfance. » Aussi
loin que j’aille en moi-même écrit Schweitzer, j’ai été désespéré de la misère
du monde qui m’étonnait. » Il y avait dans le monde cependant autre chose que le désespoir et la
cruauté ! Schweitzer se souvint du moment précis où son cœur fut conquis
par l’harmonie des notes. C’était à l’école, il se tenait debout à l’entrée de
la classe et tous ses camarades derrière lui pouvaient le voir. Brusquement il
entendit d’une pièce voisine un chant harmonieux s’élever sous la conduite du
maître de solfège et ses genoux le trahirent sous le coup de l’émotion au point
qu’il dut s’appuyer sur le chambranle de la porte pour ne pas s’évanouir !
Il venait de découvrir que les hommes pouvaient chanter en chœur et qu’à côté
des larmes et de la cruauté, les hommes pouvaient aussi créer la
beauté la plus sublime surtout lorsqu’ils chantaient en chœur ! C’est à partir de ce jour qu’il s’adonna à l’étude du
solfège et de l’harmonie et qu’il décida aussi de ne plus
trahir ses émotions en public ! Les
humanités en pension chez un oncle austère A l’âge de dix
ans Albert doit quitter son cher village pour Mulhouse. Son grand-oncle Louis,
son épouse Sophie, l’accueille chez eux en pension. Le couple n’avait pas
d’enfants. Louis était directeur des écoles primaires de la ville et son épouse
était professeur. Ils auraient dû être aptes à comprendre les enfants, mais
leur profession les avait habitués à considérer les garçons comme des créatures
qu’il fallait dresser à force de travail et de discipline. La vie chez eux y était
sérieuse, réglée à la seconde et il n’y
avait pas beaucoup de place pour le rire
et la distraction! Dans ce contexte, Albert souffrit rapidement de
mélancolie et les pensées tristes
qu’il avait en
pensant aux chevaux qu’on menait à l’abattoir n’arrangeaient pas les choses. Il
y avait quand même deux sujets de
consolations pour l’enfant : l’immense bibliothèque de la maison qui combla sa soif d’apprendre et les escapades au musée
de Colmar le jeudi après-midi ! C’est dans ce musée qu’il va s’attacher
aux œuvres de Grünewald et découvrir dans un de ces tableaux un tableau qui le
marqua à jamais, celui qui représentant au calvaire l’apôtre Albert en crise loin de sa maman supportera finalement
l’épreuve : le premier trimestre fut catastrophique en latin et mathématiques mais l’oncle Louis lui permit de poursuivre ses
études secondaires un deuxième trimestre à condition qu’il se ressaisisse, ce
qu’il fit bien évidemment! Durant ses années d’études à Mulhouse, il suivi aussi
les cours au conservatoire de musique. Ce fut le jeune professeur d’orgue
Eugène Münsch qui lui fit découvrir Bach.
Après avoir joué une de ses œuvres, Eugène Münsch demanda à son élève
qui en était l’auteur ? Schweitzer connaissait déjà de compositeurs mais ne put répondre à la question. Herr Münsch
lui apprit alors que ce compositeur nommé Bach était mort depuis plus d’un
siècle mais que, même durant sa vie sa musique était jugée démodée. A sa mort
tout le monde avait cru que son œuvre disparaître avec lui mais les plus grands
compositeurs comme Mozart, Beethoven s’était inspirés de son œuvre. Mendelssohn
n’avait quant à lui que douze ans quand il découvrit un manuscrit de Bach. Plus
tard il réussit à réunir les 350 voix pour chanter l’œuvre inédite !
Malgré tout cela, seule une poignée de mélomanes connaissait Bach. C’est
donc Herr Münsch qui proposa à
Schweitzer d’être le propagandiste de ce génie méconnu. On le verra plus loin,
le docteur Schweitzer dut d’abord sa célébrité à la réalisation de cette
mission qu’il remplit on ne peut mieux en la combinant au sauvetage des orgues
anciennes dans toute l’Europe. Il faut ajouter pour être complet que Bach était
profondément croyant et que « Pour Bach, écrivit Schweitzer, la
musique est d’abord un service divin. Son activité artistique et sa
personnalité sont basées sur sa piété. » Joseph Gollomb rapporte dans son livre comment le
docteur Schweitzer associe Bach à la
prière et au soulagement de la douleur :
La musique peut être un service divin, et n’importe quel culte n’est pas
forcément adoration et extase. Il existe un hymne que Bach a mise en musique,
une de ses cantates : « je te supplie, ö Jésus… » Qui est un
appel aussi poignant que celui d’un homme souffrant d’une hernie étranglée. La
seule différence est qu’un cri de douleur n’est qu’un cri et n’exprime de lui-même
aucun adoucissement. Tandis qu’un appel de Bach est déjà un secours et un
espoir. Après
ses humanités, des études de théologie Albert passera son bac brillamment en histoire mais
contestataire, Schweitzer refuse d’acheter le vêtement protocolaire (redingote
et cols durs) et passera son bac revêtu d’un vieux pantalon de l’oncle Louis
qui fera sourire le jury ! Il s’oriente
alors vers la théologie et, se faisant
rapidement remarquer par son intelligence, il obtient rapidement une
bourse qui lui assure 1.200 marks par
an. En 1893, Schweitzer vint à Paris pour y suivre des cours d’un maître organiste, maître
Widor qui officie aux claviers de l’église Saint Sulpice. Logé d’abord chez son
oncle Louis (les deux frères de son père émigrèrent à Paris après l’annexion de
l’Alsace), il louera ensuite une chambre au sixième étage du 20 rue de Paris a ouvert à Schweitzer les portes du monde
artistique, il y rencontrera d’éminents musiciens qui l’encourageront à persévérer
dans sa passion musicale. Rentré à Une
institutrice idéaliste croise son chemin Une
institutrice très idéaliste qui lui fait part de son programme : elle
enseignera jusqu’à 26 ans puis cherchera un travail social qui lui permette de
soulager le plus directement possible la misère humaine (elle ouvrira
effectivement un lieu d’accueil pour les mères célibataires). Les deux jeunes
gens aiment converser ensemble, sortir de temps à autre en excursion mais manifestement Albert n’est pas pressé de fondé une famille.
Les relations féminines qu’il a à cette
époque lui suffisent, sa chère tante Mathilde vient de décéder d’un cancer du
sein mais l’intellectuelle Adèle Herrenschmidt de 20 ans son aînée est devenu sa confidente et l’emmène parfois en voyage
dans le Jura ou en Italie. Hélène se désespère de transformer en amour l’amitié qu’éprouve envers elle Schweitzer.
En 1904 elle s’installe à Hambourg et lui fait ses adieux mais peu après elle revient à Strasbourg et
les contacts entre eux reprennent ! Entretemps, en 1903, Albert est devenu
directeur du séminaire Saint- Thomas et il jouit d’un appartement de
fonction qu’il trouve trop grand pour un homme seul ! Il essaiera
d’ailleurs vainement d’ héberger un enfant de l’Assistance Publique. A
30 ans, il trouve sa vocation A trente ans,
malgré les succès, Schweitzer cherche toujours un rêve à réaliser, un rêve en dehors des arts et de la
théologie, un rêve sans doute qui n’a rien à voir avec celui de beaucoup
d’hommes de son âge, celui de créer une
famille ! C’est alors qu’un matin,
très peu de jours avant son anniversaire, un inconnu dépose sur son bureau une
brochure qu’il n’aperçoit que le soir en rentrant. Il s’agit du rapport mensuel
d’une association missionnaire de Paris qui se plaint du manque de missionnaire
et de médecins au Gabon, en Afrique Equatoriale française. Lisant et relisant
l’appel, il y trouve les mots qui parlent à son cœur. Il repose la brochure sur
la table. « Ma recherche est terminée » écrivit-il plus tard.
Schweitzer postula alors un poste de médecin
colonial auprès des Missions Evangéliques de Paris. Sa candidature ne fut pas rejetée mais, on pouvait s’y attendre,
reportée sine die le temps pour Schweitzer de
devenir médecin ! Albert
s’inscrivit pour cinq ans de médecine à Paris ! Il donne sa
démission de directeur au séminaire
mais arrive à obtenir une dérogation lui
permettant de continuer à professer comme Pasteur dans la paroisse
Saint-Nicolas. Il confie ses projets à Hélène
Bresslau qui lui manifeste sa détermination à l’accompagner. Schweitzer
lui explique alors qu’il n’ pas le droit de l’exposer à de pareils dangers. La
réponse d’Hélène aurait été ferme : « Je suivrai des cours d’infirmière et
vous serez bien obligé de ne pas vous passer de moi ». Albert n’est en tout cas pas pressé de se
lier avec Hélène car, son avenir offert à la mission du Gabon ne lui appartient
déjà plus ! Pendant ses études de médecine Albert va connaître une vie
absolument trépidante : prêcher, enseigner, étudier, voyager, donner des
concerts et écrire ! Il poursuit
notamment ses recherches sur la vie de
Jésus tout en préparant un mémoire sur la facture d’orgue ! Sa vie sociale et mondaine est intense et il arrive même à rentrer dans le cercle
familial de la veuve de Wagner en septembre 1906 ! Au cours de toute cette
période, Schweitzer séduit les femmes mûres de la haute société mais sans
plus ! Il garde sa liberté et son célibat semble irrévocable. Quant à Hélène Bresslau, elle est toujours qu’une
amie même s’il accepte qu’elle soit présentée
enfin officiellement à ses parents le 1er janvier 1907 bien
qu’il ne soit nullement question de fiançailles. En juillet de la même année,
Albert part en voyage avec Adèle Herenschmidt.
En septembre, il met la dernière main à la version allemande de son
livre sur Bach et entame sa troisième année de médecine. Le temps passe mais
n’entame pas la volonté d’Hélène de se lier avec la destinée d’Albert. En
attendant, elle se contente de l’aider à
tenir sa correspondance et de corriger ses textes ! En 1908, Hélène qui
sait ce qu’elle veut autant qu’Albert, recommence un cycle d’études et entame
sa première année d’infirmière ! En 1911, Schweitzer passe sa thèse. Les frais
d’impression sont élevés et pour les payer, il donne un récital à Paris. Ayant reçu son diplôme de médecin, il doit
encore effectuer un an d’internat. Il peut enfin rappeler sa candidature aux Missions Evangéliques
de Paris. Pourquoi œuvrer pour les
protestants français ? Schweitzer se sent européen. Il vénère Nietzche et Goethe, Wagner et Bach mais est
aussi épris de la culture française.
Pour lui il n’est pas question de renier sa nationalité allemande mais son
désir de travailler à tout prix pour
les protestants français constitue l’aveu et la démonstration qu’il se sent
aussi français ! Trois ans avant la
guerre mondiale, la société des Missions Evangéliques de Paris avertit
Schweitzer que demander la petite naturalisation française serait une démarche
intelligente qui l’aiderait énormément à
s’intégrer dans une colonie française.
Schweitzer refusa catégoriquement. Sa candidature à un poste au Gabon ne fut en
tout cas pas acceptée d’emblée. Avant d’être acceptée en juillet 1912,
elle fit l’objet de nombreuses discussions tournant
autour de sa nationalité mais aussi autour de ses convictions religieuses
que certains protestants français
trouvaient trop modernes ou pas assez conventionnelles. Marié
à 37 ans juste avant son départ pour le Gabon A la veille de réaliser le rêve, Schweitzer consentit enfin à demander en mariage Hélène.
Ils se fiancèrent le jour de l’an 1912 à Gunsbach: il avait 37 ans et elle
34 ! Leur mariage, le 12 juin 1912 passa inaperçu au milieu de leurs
préparatifs de départ pour le Gabon et ne donna pas lieu à de grandes
réjouissances. Le père d’Albert, Louis se
montrait déçu de savoir que le mariage ne retiendrait
pas le couple en Alsace, quant à Adèle, sa maman, elle n’exprimait plus ses
sentiments depuis octobre 1905, date à laquelle son fils lui avait annoncé sa ferme
intention de partir ! Albert suivit
les cours de médecine tropicale à Paris tout en préparant avec son épouse les 70 caisses de
matériel qui devait faire fonctionner l’hôpital pendant deux ans et qui avaient
pu être acquis grâce aux 5000 dollars récoltés auprès de ses amis et
sympathisants. Malgré l’attitude de ses parents, Albert ne se
sentit pas seul au moment de quitter l’Europe. En fait, grâce à ses écrits
sur Bach, il avait déjà acquis une notoriété lui assurant le soutien de
nombreux admirateurs. Le départ des Schweitzer fut mouvementé. Ils
s’arrêtèrent d’abord à Paris pour assister à un concert de Widor, après lequel
les amis de A chaque escale, il voit aussi les dockers d’ethnie
différentes se battent entre eux ! Quant aux blancs qui voyagent,
Schweitzer les trouvent ordinaires, lui qui s’attendaient à trouver à bord des
âmes exceptionnelles Le contact avec l’Afrique est donc très dur. A
Libreville, il faut dédouaner les caisses et Schweitzer s’épuise,
heureusement avec succès, à convaincre
le douanier de ne pas lui faire payer les taxes en échange des soins gratuits
que la famille du douanier obtiendra de lui ! Schweitzer et Hélène entament alors la dernière partie
de leur voyage sur l’Alembe: la
remontée du fleuve Ogooué qui s’enfonce dans la forêt vierge ! La chaleur
est torride et le couple n’a pas su se procurer une des rares cabines. Ils
passeront la nuit d’étape le navire
accosté le long du fleuve, affalés sur les sacs de courrier dans la
salle à manger ! Hélène n’est pas bien et ne ferme pas l’oeil de toute la
nuit. Le lendemain dans l’après-midi, l’Alembé atteint Lambaréné et deux pirogues viennent accueillir les
Schweitzer, celle du directeur de la station monsieur Cristol et celle du
pasteur Ellenberger ! Le couple est transporté sur pirogues dans le bras
de l’Ogooué qui mène à la station. Les pagayeurs chantent et ces derniers
instants avant l’accostage sont poignants pour les deux Européens. Enfin après
les présentations au personnel de la station, le couple est conduit dans ce qui
sera leur maison sur pilotis sur la colline d’Andandé qui domine à la fois la
forêt et le fleuve. Le
début de l’aventure africaine Schweitzer commence immédiatement avec les moyens de
bord ses premières consultations avant même l’arrivée de son matériel. Ils
épuisent les quelques produits pharmaceutiques qu’il a emporté dans ses valises
et doit même creuser lui même les tombes des premiers malades décédés ! Il
fallut sept jours pour que le vapeur trouve un endroit idéal convenant au
déchargement du navire et trois jours supplémentaires pour remonter du
fleuve à la station les 70 caisses.
Schweitzer peut commencer vraiment son travail de médecin mais il y a un hic : le local qui lui avait été promis n’a pas été construit !
Il décide d’aménager le vieux hangar qui servait jadis de poulailler en dispensaire. Les consultations commencent
rapidement avec un cuisinier de Port-Gentil, Joseph comme infirmier, avec
l’instituteur Nzeng comme secrétaire et avec Hélène comme comptable et
lessiveuse. Un système de fiches est établi avec un registre. Les malades sont
dotés d’un numéro qu’ils portent accroché autour du cou. A chaque visite, le
médecin peut se référer au diagnostic précédent et suivre ainsi la marche de la
maladie. La plupart d’entre eux ne comprennent rien au système de Schweitzer
mais gardent précieusement le carton numéroté qu’ils prennent comme une
amulette. Schweitzer
découvre rapidement les ravages de la maladie du sommeil mais aussi les
maladies mentales pour lesquelles la médecine occidentale ne peut
rien ! Les malades font bientôt la
file devant le poulailler et comme ils habitent loin ceux qui n’ont pas été
soignés ont tendance à loger tout près de la mission et de son école !
Albert reçoit les plaintes d’Ellenberg à ce sujet et rapidement la tension
entre les deux hommes va monter ! Chaque jour Schweitzer examine trente
malades ! Assez rapidement il envisage de construire son
dispensaire au bord du fleuve, là où la fraîcheur de l’eau adoucit le climat tropical .Mais à ce propos
il rentre en conflit avec Ellenberger, pasteur acariâtre qui craint que le
projet médical de Schweitzer prenne ne importance trop importante face au
projet scolaire ! Finalement, au grand dam d’Ellenberger, une décision
favorable au docteur tombera à la conférence
des pasteurs qui se tient fin juillet à Samkita. Ellenberger mettra encore des obstacles sur le
chemin de Schweitzer en ne donnant pas la main d’œuvre nécessaire à la
construction du dispensaire mais le docteur trouvera la parade en s’adressant
lui-même directement à un exploitant forestier Monsieur Rapp. A la mi-novembre
le nouveau dispensaire est inauguré et deux autres baraques sont achevées dans
le mois de décembre cela grâce au zèle conjugué de deux autres missionnaires,
un Suisse et un Argentin. Les premières hospitalisations peuvent commencer dans
des bâtiments dont la ventilation a été imaginée par Schweitzer et qui gardent une étonnante fraîcheur malgré les toits de tôle. Les
journées du docteur lui donnent l’occasion de réfléchir à tous les aspects de
la vie : la coexistence humaine avec les animaux, les rapports entre les
races et les ethnies, la présence des colonisateurs. Huit mois d’Afrique lui
ont suffit aussi pour comprendre que
beaucoup d’affections dont souffrent les populations locales proviennent des
Blancs. Il y a bien sûr la transmission de la maladie du sommeil par le
fait que les territoires des tribus ne sont plus étanches. Un autre
exemple est la transmission de la puce-chique importée par les Portugais d’Amérique
du sud en 1872 et qui occasionne tant d’infections et d’amputations des
orteils. Après quinze mois de brousse, Albert est atteint d’un
abcès de la jambe qui nécessite une incision. Il redescend avec Hélène l’Ogooué pour se faire opérer par
un confrère à Fort-Gentil. Arrivés dans
l’estuaire du fleuve, l’air pur du large
remplit leurs poumons qui avaient oublié jusqu’au bonheur de respirer
autre chose que la moiteur ambiante de Lambaréné. Ce fut pour eux comme la
respiration qui revint à un noyé : ils ouvrirent les yeux et sourirent à
la joie de revivre. L’air frais semblait couler dans leurs veines. Il suffit de
quelques heures pour atténuer le cerne d e leurs yeux et amener sur leurs joues
livides et amaigries la promesse de quelque retour de santé. (Joseph Colomb
« La vie ardente d’Albert Schweitzer ») L’abcès de
Schweitzer s’ouvre de lui-même. Il
profite alors de son séjour pour se reposer avec Hélène au bord de l’océan. De retour à Lambarene le 30 juillet 1914, les
Schweitzer reprennent le travail. Albert
a beaucoup réfléchi à la manière de faire travailler les indigènes qu’il paie. « Quel
doit être la relation la plus juste, la plus équitable, avec le travailleur
noir ? Sa critique du colonialisme étant faite, à travers le pillage de la
forêt, l’introduction des maladies et l’importation de l’alcool, il cherche
maintenant à mettre au point une sorte de contrat moral et social avec l’autochtone.
Mais ce contrat ne verra pas le jour car Schweitzer en revient toujours au mal
qu’ont fait les blancs : « Là où des européens, parés du nom de Jésus,
sont parvenus, un grand nombre de peuples a déjà disparu tandis que d’autres
sont en train de disparaître. Qui décrira les injustices et les cruautés
commises au cours des siècles par les peuples d’Europe ? Qui pourra
évaluer les maux causés par l’eau-de-vie et les maladies que nous leur avons
apportées ? Le bien que nous leur faisons est un acte, non de charité,
mais de réparation. Pour chaque homme qui a fait souffrir, il en fait un qui
parte et porte secours » écrira t’il » (Marco Koskas, Albert Schweitzer
ou le démon du bien) L’éthique
qui repose sur la défense de la vie : le seul principe qui devrait guider
les hommes L’intense réflexion de Schweitzer le conduira à écrire
pendant les longues soirées d’Afrique
une « Ethique de la civilisation » La question à laquelle il tente de répondre
est celle de savoir s’il existe un principe en dehors de toute religion qui
peut et devrait régir notre comportement humain ! La révélation de ce principe, la défense de la vie,
lui vint alors qu’il était en voyage sur le fleuve : « Je
croyais être cet homme qui doit se construire un nouveau et meilleur bateau
pour remplacer l’ancien dans lequel il n’ose plus s’aventurer sur les mers,
écrit-il mais qui ne sait par quel bout commencer. » « Assailli
par ces pensées, je dus entreprendre un assez long voyage sur le fleuve…Le seul
moyen de transport était un petit vapeur remorquant un chaland
surchargé…Lentement nous remontions le courant, cherchant laborieusement - nous étions en saison sèche - les chenaux entre les bancs de sable. Absent en pensée, je m’assis sur le pont du chaland
occupé à découvrir une conception à la fois universelle et élémentaire de cette
morale que j’ n’avais rencontrée dans aucune philosophie. Morceau par morceau,
je rassemblais les idées qui se présentaient, en partie pour garder mon esprit
concentré sur ce problème. Tard, le troisième jour, juste au moment où, à
l’heure du crépuscule, nous naviguions au milieu d’un troupeau d’hippopotames,
jaillit dans ma tête une phrase qui me semblait neuve : « respect de
la vie. » La porte de fer s’ouvrait ; le sentier dans la jungle
m’apparaissait enfin… » Schweitzer explique
que la morale tente de donner des règles qui régissent le comportement
de l’homme envers son prochain direct mais que cette morale est tout à fait
muette quant au comportement que l’homme doit avoir avec les autres
nations, avec les autres êtres vivants
et même avec le règne végétal !Les
rumeurs d’une guerre européenne
probable, la misère des africains, l’exploitation exagérée de la forêt par le
colonisateur (Schweitzer écrira de longues pages relatant l’exploitation
exagérée des forêts : semble bien qu’il ait été un des premiers à s’en
offusquer !) et les lois implacables d’une nature sauvage donneront matière
à réflexion à Schweitzer qui va découvrir
le principe unique qui, selon lui devrait
régir les actes de l’humanité
toute entière. Ce principe est tout simplement la vie, la vie de toute
créature! Tout ce qui favorise la vie est éthique, tout ce qui va à l’encontre
de celle-ci doit être condamnée car nocive pour l’homme, sa propre survie mais aussi celle de toute la
nature avec qui nous sommes profondément liés. Cette conception est évidemment
très avant-gardiste et l’on peut considérer Schweitzer comme un véritable pionnier
de l’écologie ! « La
grande lacune de l’éthique jusqu’à présent, écrit Schweitzer, est qu’elle
croyait n’avoir affaire qu’à la relation de l’homme à l’égard des humains. Mais
en réalité, il s’agit de son attitude à l’égard de l’univers et de toute
créature qui est à sa portée. L’homme n’est moral que lorsque la vie de la
plante et de l’animal aussi bien que celle des humains lui est sacrée ». Que de catastrophes évitées si l’on avait pris un peu
plus au sérieux les théories de Schweitzer. Ethique et civilisations est un
cours extraordinaire de moral et d’écologie qui aurait dû être reconnu à
sa juste et très grande valeur. Aujourd’hui encore, il garde toute son utilité et
toute sa richesse et il est bien dommage que nos institution européennes ne se soient pas encore aperçu de l’utilité
de promouvoir l’ « Ethique des civilisations » à tous les
échelons de notre société. Schweitzer apprendra le déclenchement de la guerre en
Europe le 5 août quand l’administrateur français vint lui signaler : « En tant que ressortissant allemand, vous
êtes en état d’arrestation. A partir d’aujourd’hui interdiction vous est faite
de quitter votre domicile , de communiquer avec
l’extérieur et d’exercer la médecine. » Schweitzer est consterné mais il doit obtempérer. Il
écrira un abondant courrier en France pour s’élever contre cette situation mais
ce n’est que dans le mois de novembre que le ministre des Colonies ordonne
qu’on lève la mesure d’assignation à résidence. Albert reprend alors le travail
comme si rien n’était .En tout cas il ne
parle de la guerre avec ses collaborateurs noirs honteux que les nations soit disant civilisées fassent preuve de barbarie ! La guerre en Europe amène de nombreux problèmes dans
la colonie, le trafic des bateaux est ralenti au maximum et le prix des denrées
augmente chaque jour ! Schweitzer doit économiser sur tout à l’hôpital.
Outre les effets de la guerre, le dispensaire doit faire face aux invasions de
termites et de dorylus, ces fourmis géantes qui peuvent étouffer les volailles
en se glissant dans leurs narines. Toute une technique est mise en place pour
lutter contre le fléau. Des
cris d’alarme émanaient déjà de la basse-cour. L’avant-garde approchait et sio
on n l’arrêtait pas en quelques minutes, les fourmis se jetteraient sur les
poulets, dévorant les yeux, la langue, grignotant la chair jusqu’à ce qu’il ne
restât plus que des os. Madame Schweitzer alertée par son mari prit un cor de
chasse dans lequel elle souffla à perdre haleine. Joseph et d’autres arrivèrent
en courant avec des baquets d’eau remplis d’une solution de lysol que l’on
répandit sur les agresseurs. (Joseph Gollomb, la vie ardente D’Albert
Schweitzer) Les plus grands animaux d’Afrique n’en sont pas moins dévastateurs
et les éléphants dévastent les plantations de bananes, renforçant la
famine ! L’excès de fatigue, l’alimentation défaillante font
décliner la santé des Schweitzer : Albert souffre des dents
considérablement tandis qu’Hélène souffre d’anémie. Au mois de novembre 1916,
ils reçoivent l’autorisation d’aller se reposer quelques jours au bord de la
mer. Un forestier métis leur a prêté sa maison au cap Lopez. Autour du cap
Lopez, il découvre les cases abandonnées des ouvriers du bois. L’exploitation
s’est arrêtée avec la guerre mais dans une des cases, le docteur découvre un
Noir gisant sur le sol et le corps
couvert de fourmis. L’homme atteint sans doute de la maladie du sommeil respire
encore. Schweitzer le veille jusqu’à son dernier soupir alors que le soleil en
déclinant sur l’océan offre un ciel
extraordinaire. « C’était une vision
poignante d’embrasser d’un même regard cette image paradisiaque et l’horrible
misère de cet être humain » écrira Schweitzer. C’est à cette époque que Schweitzer apprend le décès
accidentel de sa mère renversée par un
cheval au galop. Interné
en France Au terme de trois ans de guerre, on somme la famille
Schweitzer de plier bagage et de rejoindre Au départ de Lambaréné, Schweitzer a la grande joie de voir réunis pour le
saluer Africains, Français, catholiques et protestants : quelque part le
monde idéal à laquelle il croit existe ! Le voyage vers Enfin ils arrivent à Garaison. Le camp compte de
nombreux internés de toutes nationalités. « On
y rencontrait des Allemands, des Autrichiens, des étudiants et des cordonniers,
des boutiquiers et des tailleurs, des artistes et des hôteliers, des ingénieurs
et des domestiques, des cuisiniers et des charpentiers (Joseph Gollomb, La
vie ardente d’Albert Schweitzer) ». Et parmi eux tous ces gens il y avait aussi les musiciens de l’orchestre tsigane de Paris. Peu de jours après leur
arrivée, le maestro de l’orchestre vint trouver le docteur et lui demanda si
par hasard, il n’était pas le grand organiste Albert Schweitzer dont parlait
Romain Rolland dans son livre sur les musiciens contemporains. Schweitzer avait rencontré Romain Rolland avant de partir en Afrique et l’écrivain
avait même été invité à Gunsbach. Quand le docteur répondit par l’affirmative,
le tzigane se montra si heureux qu’il fit de Schweitzer un membre honoraire de
leur orchestre qui rendit d’ailleurs un immense service à Albert, le mardi suivant,
le jour anniversaire de son épouse quand Hélène fut réveillée par une sérénade appropriée dans
la cour ! Dans ce microcosme de société où toutes les
nationalités étaient représentées et où l’entraide se révélait un bien
irremplaçable Schweitzer trouva des
compensations morales à son exil forcé
et à son internement. Rapidement il put aider le vieux médecin français
responsable des soins médicaux dans le camp et bientôt on attribua à Schweitzer une cellule pour qu’il
en fasse sa propre salle d’examen. Un autre prisonnier du nom de Borkeloh lui
fabriqua une table sur laquelle le docteur pour ne pas perdre la main, s’efforça de pianoter ses partitions ! Le couple Schweitzer ne restera pas cependant à
Garaison et il fut envoyé dans un camp
réservé aux seuls Alsaciens à Saint-Rémy
en Provence dans l’ancienne abbaye Saint-Pierre de Mausole. (Dans cette
ancienne abbaye fut aussi hospitalisé Vincent van Gogh.). Albert et Hélène dorment en cet endroit dans le même
lit, ce qui, d’après le biographe de Schweitzer, Marco Koskas, n’était pas vraiment dans leurs habitudes (A Lambarené et à
Garaison, ils possédaient chacun leur propre chambre) et voilà enfin Hélène
âgée de 40 ans enceinte ! Le 13 juillet 18, ils sont enfin libérés et
peuvent rejoindre Gunsbach grâce à
l’accord de Berne signé par les belligérants et qui prévoyait l’échange de
prisonniers civils. Des camions chargés à craquer construisirent les internés
jusqu’à Tarascon. Là on les fit attendre le train dans un hangar à C’est épuisé que le couple parvient à Gunsbach où Albert retrouve son père mais le 31 août les Allemands, prévoyant une
offensive des français, ordonnent d’évacuer le village. Toute la famille
Schweitzer abandonne alors le presbytère et se met en route pour Colmar. Opéré
d’urgence d’une péritonite due à un abcès amibien Sur le chemin, Albert se sent très mal : il a 39
degrés de fièvre et terriblement mal au ventre : c’est une péritonite due
à un abcès amibien. Il faut intervenir d’urgence ! C’est à pied jusqu’à ce
qu’un charretier ait pitié d’eux que le couple rejoint l’hôpital de Strasbourg. Le professeur Stultz opéra Schweitzer le premier
septembre et au réveil d’Albert lui révéla qu’il faudrait sans doute d’ici peu
pratiquer une deuxième opération ! Le retour forcé du Gabon,
l’emprisonnement, la ruine et maintenant
la maladie : Schweitzer en faisant le bilan de sa vie sombra dans une
véritable dépression ! C’est dans
ce triste contexte que la courageuse Hélène lui offrit le jour même de son anniversaire le 14 janvier 1919
le plus magnifique des présents en donnant vie à sa fille Rhéna ! Quant à la santé de la maman, elle était
mauvaise : Hélène, tuberculeuse dut subir une intervention au niveau du
poumon droit (un pneumothorax artificiel ?) et partir en convalescence en
Forêt Noire au sanatorium de Koenigsfeld. Albert trouva
de quoi subvenir aux besoins de sa famille en s’occupant des malades de deux salles d’hospitalisation
de l’hôpital de Strasbourg. Il subit avec succès la deuxième intervention chirurgicale durant
l’été 1919 ! Un événement contribua
grandement à sa guérison morale. Ce fut
l’invitation qui le priait de bien
vouloir donner gracieusement un récital
en Espagne! Il avait eu peur d’accepter après tant d’années où il n’avait plus pratiqué
son art mais avait finalement accepté l’offre de l’ORFEO CATALA de
Barcelone! Il fallut réunir l’argent nécessaire au voyage mais le sacrifice
financier en valait la peine. Schweitzer revint en effet véritablement transformé de l’accueil qu’on lui avait
réservé. Il se sentait à nouveau un « artiste de quelque valeur ».
Dés lors il retrouva une partie de son énergie et reprit peu à peu l’habitude
de passer des nuits blanches (il écrivit
à cette époque un livre sur l’hindouisme : « Les grands penseurs
de l’Inde »). L’archevêque
suédois Sôderblom Le deuxième événement qui le remit sur pied fut
l’invitation qui lui parvint de Suède de
l’archevêque Söderblom. Ce chef de l’église protestante avait été influencé par
les écrits d e Schweitzer pendant ses études et il avait entrepris de retrouver
sa trace. L’archevêque proposait à Schweitzer de donner une série de
conférences à l’université d’Upstal et
il laissait au docteur l’entière liberté de choisir lui-même les sujets à
traiter ! Albert accepta l’offre et partit avec Hélène en Suède. La série
de leçons qu’il donna gracieusement fit la part belle à sa philosophie du
respect de la vie comme base de l’éthique. L’accueil qu’il reçut fut très chaleureux et la santé des Schweitzer
s’améliora au fil des semaines passées en Suède. Söderblom fut sans doute une
personne véritablement providentielle pour le docteur encore fort déprimé. Schweitzer
lui accorda sa confiance et finit par lui avouer que rembourser les sommes considérables qu’il
avait empruntés pour subsister à
Lambaréné pendant la guerre constituait un énorme sujet de préoccupation pour lui. Söderblom proposa alors à Schweitzer d’être payés pour
de nouvelles conférences et récitals et de tirer des bénéfices de ses souvenirs d’Afrique (que l’archevêque
avait baptisé « Eau et jungle ») qu’il se chargerait de faire publier
en Suède. La situation financière de Schweitzer améliorée grâce
à ses récitals et conférences, Schweitzer se remit de plus en plus à penser à Lambaréné et s’attelle à écrire son
livre. Hélène le laisse à ses travaux et très affaiblie par la tuberculose
rejoint ses parents à Heidelberg. En janvier 1923, il réussit à se faufiler
sans visa dans un train pour Bayreuth afin de revoir Cosima Wagner. La
rencontre tourne court : craignant un trop grand énervement de Cosima, sa
fille après avoir fait attendre Schweitzer dans l’antichambre, refuse la
visite. Schweitzer enverra un grand bouquet de roses et peu de temps après
Cosima mourut. « Eau et jungle » parut comme prévu en 1921.
Rédigé en Allemand, le récit fut traduit en suédois par la baronne Gréta Lagerfeld qui se prit de passion pour
l’auteur et l’entraîna dans une deuxième tournée en Suède au mois de décembre
21. Pour le bon docteur, ce fut un franc succès et une vie de château. Il écrit
tendrement à son épouse mais lui annonce
qu’elle devra encore patienter avant de le revoir car il compte prolonger sa
tournée en suède en passant par Eau et Jungle obtint un succès certain et les droits
en furent rachetés par un éditeur anglais qui le fit paraître sous le nom de
« A l’orée de la forêt vierge » ! Schweitzer connaît alors une vie des plus
mondaines, partagé entre les concerts, conférences et correspondances de train
dans toute l’Europe à l’exception de Retour
à Lambaréné Schweitzer a décidé de retourner à Lambaréné sans
Hélène qui malade ne pourrait plus supporter le climat tropical. La société des
Missions de Paris accepte finalement ce retour malgré une opposition certaine
du président de Schweitzer ne repart pas avec Hélène mais il ne
reviendra pas seul à Lambaréné. Il a trouvé en Suisse les docteurs Nessmann et
Lauterbourg et en Alsace les infirmières Mathilde Kottmann et Emma Haussknecht.
Un jeune homme débrouillard, étudiant en chimie à l’université d’Oxford, est
aussi admis à Lambaréné pour aider le docteur. A Strasbourg, Emmy Martin, une
ancienne cantatrice est chargée par Schweitzer charge de centraliser les dons
et le courrier ! Hélène est
malheureuse de voir partir son mari pour deux ans mais elle doit se résigner
courageusement ! Gillepsie et Schweitzer partirent le 14 février
1924 et embarquèrent sur le cargo
Oreste. Schweitzer avait choisi ce navire pour sa lenteur. Le temps passé à
bord lui procurait la disponibilité pour l’écriture et il
comptait bien mettre ce temps à profil pour répondre au volumineux courrier
qu’il emportait dans quatre sacs de pommes de terre et qui avaient fait l’objet
d’une fouille fastidieuse de la part de la douane ! A bord, il n’y avait
que Noël Gillepsie, Schweitzer et une passagère presqu’au terme de sa
grossesse. La navigation monotone convient au docteur qui avance dans ses
travaux de courrier mais arrivé à freetown, le capitaine embarque une cinquantaine
de Kroomen qu’on occupe dans le bateau en leur donnant comme travail
l’écaillage des peintures du bastingage. C’en est fini du calme et les coups de
marteau torture le docteur qui finit par découvrir une
petite plateforme un peu isolée au-dessus de l’hélice. Arrivé dans la rade de
Cotonou, la passagère blanche accouche. Schweitzer est là pour mettre l’enfant
au monde. Tout se passe bien mais on refuse à la dame de débarquer car ses
papiers ne sont pas en ordre. Il faut feindre la maladie, la malade est hissée
sur les épaules de Schweitzer qui descend alors l’échelle de coupée avec son
précieux fardeau. Voilà le docteur débarqué au Cameroun. Il
visite les stations missionnaires suisses abandonnées par leurs
occupants depuis 1918 et puis remonte
sur l’Alembé l’Ogoué. Arrivé à Lambarené, le docteur ne peut que constater
l’état de délabrement de son hôpital. Seules les baraques en tôle ont résisté
mais les toits en feuille de raphias sont à remplacer. Commence alors pour Schweitzer
les longs palabres pour reconstituer une équipe d’ouvriers et récupérer quelques uns de ses anciens
infirmiers. Joseph infirmier à Libreville est d’accord de revenir à Lambaréné
mais Schweitzer doit au préalable apurer ses dettes. Le 21 juin, les
73 caisses de médicaments du docteur arrivent enfin et en juillet
24, le docteur Nessman et l’infirmière Kottmann débarquent à la grande surprise
du responsable de la mission qui n’avait pas donné son autorisation à ce
renfort médical ! Schweitzer reprend son travail avec une énergie
débordante tandis qu’Hélène pour oublier sa solitude se met à voyager malgré
les conseils de son mari qui l’exhorte à
la prudence et à l’économie ! En
1925, le docteur reçoit une très belle donation de Gréta Lagerfeld et de l’Association
des femmes suédoises : un bateau à moteur .Désormais Albert se sent
beaucoup plus libre d’aller là où il veut et de transporter ce qu’il
veut ! Il décide d’exploiter au plus vite ce merveilleux cadeau en débutant la construction de son nouvel
hôpital qui à Bientôt arrivera aussi la troisième infirmière Mrs
Russel qui va bien vite se révéler… une
chef de chantier extraordinaire. Avec Emma Haussknecht, Mathilde Kottmann, elle
formera la première équipe des soignants qui sera toute sa vie fidèle à l’œuvre
médicale de Schweitzer ! En juillet 27, Albert Schweitzer se décide enfin de
rentrer en Europe ! Retour
au pays après plus de trois ans Hélène est évidement heureuse de retrouver son mari
mais en aucun cas elle ne veut à nouveau connaître les affres d’une nouvelle
séparation. Elle a décidé de repartir à Lambaréné avec son mari malgré ses
ennuis pulmonaires. Cette nouvelle déconcerte le docteur qui l’accepte
néanmoins tout en ne voulant pas changer sa vie d’un iota. En congé, le voilà
repris par la frénésie des voyages. Début septembre, il repart pour une tournée
en Scandinavie jusqu’à la fin de l’hiver. Au printemps, c’est Paris puis il
repart pour Retour
à Lambaréné des Schweitzer Le 29 octobre
29, les Schweitzer repartent en Afrique
accompagnés de deux nouvelles recrues : la jeune doctoresse suisse Anna
Schmitz et l’infirmière alsacienne Marie Secrétan qui s’occupera du laboratoire
de l’hôpital. Dans les bagages se trouve une grande cloche pour annoncer à
Lambaréné le culte du dimanche. Dans le bateau, Marie Secrétan corrige les
épreuves de La mystique de l’apôtre Paul. Plus tard elle rédigera une
biographie de Schweitzer qui paraîtra dans les années 40 à Strasbourg et dans laquelle le bon docteur apparaîtra
comme un véritable saint. L’hôpital ne s’est pas dégradé pendant l’absence du
docteur mais la crise est arrivée sur les bords de l’Ougoué. Les Russes ont
jeté sur le marché mondial leurs bois et les cours se sont effondrés. De
nombreux blancs se suicident, d’autres n’ont plus de quoi manger et se
réfugient chez Schweitzer ! Schweitzer reste cependant optimiste et comme
d’habitude se transforme à nouveau en architecte et entrepreneur ! Il veut
améliorer les constructions et opte pour le béton et les briques ! Les
bâtiments vont pousser comme des champignons avec comme résultat un confort
accru pour tous. André Loëmbé, ancien majordome de Savorgnan de Brazza voudrait
finir ses jours à l’hôpital pour retrouver le mode de vie occidental.
Schweitzer accepte et lui construit une case. Tout en agrandissant son hôpital,
il rédige en six semaines sa propre autobiographie intitulée « Ma vie et
ma pensée ». Ce livre paraîtra en 1931 en Angleterre et en Allemagne mais
il ne paraîtra en France qu’en 1960. Peu de place est réservée dans ce livre à
sa famille. A vrai dire Schweitzer ne sait pas comment rendre heureux sa
femme et sa fille. Sa vie est
monastique, chaste et ses travaux ont la priorité absolue. La preuve en est dans ce matin d’avril 1930 quand
Hélène à bout de souffle, s’apprête à quitter Lambaréné pour rejoindre l’Europe.
Le
retour d’Hélène en Europe après seulement trois mois de séjour Son séjour n’a duré que trois mois et il est prévu que son mari la raccompagne
sur le vapeur fluvial jusqu’à Port-Gentil ! C’est cependant seule qu’elle
fera ce voyage car au moment du départ le docteur décide qu’il est de son
devoir de rester à l’hôpital pour veiller sur un « aliéné » européen
qui vient d’être hospitalisé. Schweitzer parviendra cependant sur sa pinasse à
moteur à
rejoindre sa femme pour passer
quelques heures avec elle avant quelle n’embarque pour Hélène partie Schweitzer n’a plus qu’à penser à son
œuvre ! Il a la joie d’entendre tinter sa cloche qui appelle les résidents
à l’office. C’est lui qui officie et parfois Emma Haussknecht. On essaie d’être
polyvalent à Lambaréné. Marie Secrétan venue pour le laboratoire se retrouve
finalement aux cuisines tandis que Mathilde Kottmann qui se révèle avoir des dons d’imitation de
l’écriture de Schweitzer jouera le rôle de secrétaire et de coauteur pour répondre à la volumineuse
correspondance adressée au docteur. L’hôpital fonctionne bien avec ses six
infirmiers noirs et les infirmières blanches dont les rotations sont savamment
organisées. Tandis que Mrs Russel part se reposer en Angleterre, arrivent
Gertrude Koch, Madeleine Sautter, Olga Wieber et une Hollandaise appelée Emmy
Van Steen. Les médecins sont quant à eux au nombre de trois en permanence. Chose exceptionnelle et risquée : Schweitzer
envoie Emma Haussknecht et Anna Schmitz en tournée d’exploration dans le sud du
pays. La contrée arrosée par la N’Gounié, difficile d’accès est explorée par
les deux infirmières totalement démunies de protection et sans armes ! Les
deux femmes parcoururent Quand Schweitzer rentra en Europe en 1932, Emma Haussknecht
continuera à bâtir et quand madame Russel regagnera l’Angleterre, Marie
Secrétan reprend la plantation et laissera la cuisine à la nouvelle infirmière
Bertha Künzli. Arbres à pin, plantations de tomates, bananiers et papayers
fournissent une abondante moisson et transforme doucement Lambaréné en un début
d’Eden. L’hôpital héberge en permanence entre 250 et 300 malades. La
pouponnière est la dernière œuvre dont
peut s’enorgueillir le docteur : elle permet dans la population un
changement de mentalité : le sauvetage des
nouveaux-nés dont les mères
décédaient en couche et qui étaient selon la tradition étaient enterrés vivants avec le cadavre de leurs
mamans. Les enfants sont rendus à leur famille une fois sevrés à l’hôpital et
c’est chaque fois pour Gertrude Koch et Mrs Russel qui ont élevé ces orphelins
un déchirement quand elles s’en séparent ! En 1933 on construira encore une maternité, un nouvel
asile pour aliéné .Le confort d e l’hôpital augmentera encore grâce à l’arrivée
d’une armoire frigorifique actionné par un moteur deux heures par jour et qui
permet de servir un verre d’eau froide au personnel à 10 heures et à 16 heures.
Le samedi après-midi, tous les gardes malades sont requis pour les travaux
communautaires de nettoyage. Il y a aussi le samedi après-midi le concert dans
la salle à manger. Un autre rituel et l’adieu aux malades qui doivent embarquer
dans le vapeur pour rejoindre leurs villages. Cette cérémonie réunit le
personnel en tenue et les malades valides. 1933 : la montée du nazisme en europe. En 1932
lors de son dernier voyage à Francfort Schweitzer lors d’une conférence sur
Goethe avait tenté d’exposer le péril du nazisme. Automne 1933, Hélène quitte
l’Allemagne en y laissant sa maman (celle-ci décèdera pendant la guerre dans
une maison de retraite) pour se réfugier en Suisse. Schweitzer l’y rejoindra en
mars 1934 puis avec son épouse rejoindra la maison de Gunsbach dont ils
occuperont le rez-de-chaussée (le premier étage étant occupé en
permanence par Emmy Martin qui depuis 1929 assure le secrétariat de Schweitzer
en Alsace). Schweitzer rencontrera son ami Einstein en octobre 34 à
l’université d’Oxford où il donnera deux conférences sur l’hindouisme. Après
Oxford, il poursuit son cycle de conférence sur les religions asiatiques à
Edimbourg avant de faire un saut à l’institut Pasteur. Son départ pour le Gabon
est prévu le 5 février 1935 sur l’Amérique et il emporte 2.8OO kilos de bagages
et 12 ballots de grillage. Son séjour à
Lambaréné sera cette fois assez bref puisque le voilà de retour en Europe en
août 35. Son livre intitulé « Les grands penseurs de l’Inde » est
terminé et paraîtra en 1936 aux
Etats-Unis, en Angleterre, en Allemagne mais aussi en France. Cet un évènement,
pour la première fois un éditeur français publie du Schweitzer en même temps
que ses confrères anglo-saxons. Schweitzer ne rentrera au Gabon qu’en février
1937. Rhéna et Hélène pendant ce temps s’embarquent pour une tournée de
conférences en Amérique. Elles rejoindront Schweitzer en mai 1938 pour lui
raconter leur séjour américain. C’est la première fois que Rhéna découvre
l’hôpital de brousse de son père. Elle aussi veut devenir médecin mais son père sans lui donner
d’explications refuse que sa fille
embrasse une carrière médicale ! Rhéna lui annonce alors une autre
nouvelle : elle compte se marier avec Jean Eckart, un jeune facteur
d’orgue ». Voilà une nouvelle qui réjouit enfin son père mais malgré cette
joie, le docteur laissera sa fille se marier sans sa présence à Paris en 1938.
Il espérait sans doute voir son premier petit-enfant à son retour en Europe en
février 39 mais à peine débarqué, en entendant les rumeurs de guerre partout
autour de lui, la pensée angoissante lui vint qu’il ne pourra plus rentrer au
Gabon si la guerre éclate. Il ne passe que douze jours en France le temps de faire des achats puis reprend le même bateau qui l’avait ramené en
France et qui retourne au Gabon. Tout en
Contemplant la mer, Schweitzer se met à la lecture de « La nausée »,
le livre que lui a envoyé Jean-Paul Sartre, le fils de sa cousine ! La
deuxième guerre mondiale au Gabon L’hôpital est coupé de ses arrières : les communications
rompues avec l’Europe font que tout va bientôt manquer : vivres comme
médicaments. Le SS Brazza est coulé
au large du cap Finistère avec une grosse cargaison de médicaments et deux
infirmières en partance pour Lambaréné. Il faut réduire les activités médicales
car il n’est plus possible de faire vivre deux cents malades. Schweitzer au
cours de scènes déchirantes renvoie les trois quart de la clientèle et peu à
peu le silence s’installe sur le grand hôpital. Seuls 40 malades ont été
autorisés à rester, seuls restaient comme personnel soignant, le docteur
Goldschmidt, quatre infirmières blanches et trois infirmiers noirs. En octobre
40, le Gabon va connaître pendant quelques semaines une drôle de guerre entre
partisans de De Gaulle et De Vichy. Il y eût un mort dans chaque camp avant que
les Gaullistes parviennent à prendre le contrôle de la colonie. Durant ces
évènements, l’hôpital accueille les femmes et enfants des hommes
réquisitionnés !En 1941, les finances de l’hôpital sont si touchées que
Schweitzer se transforme en maraîcher et vend ses légumes ! En août 41
quel surprise pour lui quand il voit arriver Hélène par la route de
Brazzaville. Ayant échappé à la barbarie nazie, elle avait traversé toute
l’Espagne et réussit à se faire embarquée à Lisbonne ! Au même moment
débarquait à Lambaréné une autre juive,
russe cette fois, la docteresse Anna Wildikan. Elle arrivait à point pour
soulager le personnel blanc épuisé par le climat. Le docteur Goldschmidt et
l’infirmière Gertrude Noetzli qui comptaient quatre ans de service allèrent
prendre alors du repos au bord de l’océan. D’une manière générale, tous les
blancs sont en piteux état à cause de la nourriture : l’absence de chaux
dans l’eau et la présence d’huile de palme dans la nourriture créent notamment
la pyomyosite caractérisée par des abcès musculaires avec température parfois
mortelle. Il faudra attendre mai 42 pour qu’une cargaison provenant d’Amérique
arrive à Lambaréné. Avec la deuxième guerre mondiale, Schweitzer perd ses
dernières sympathies pour la culture allemande. Johanna Engel, cousine de sa
femme Hélène a préféré se jeter par la fenêtre plutôt que de se laisser
déporter. Son ami Stefan Zweig s’est suicidé au Brésil et le docteur Nessman
est mort sous la torture de L’après-guerre Hélène stoïque a résisté aux quatre années de climat
tropical. Elle retrouvera sa maison de Koenigsfeld en 1946. Schweitzer a septante ans et reste à Lambaréné.
L’hôpital cependant n’a plus de
ressources et le docteur se voit contrait d’accepter l’invitation que la riche Amérique
lui fait depuis longtemps. Après neuf ans à Lambaréné, il s’embarque au mois de
juillet 49 pour l’Europe .La saison des honneurs est venue pour lui. Après
avoir été si souvent surveillé, espionné par les autorités françaises, le voici
partout acclamé et décoré de En octobre 1950, le voilà de nouveau au Gabon. En 51
il est de retour en europe. D’abord pour la réception du prix de Mais revenons à la tournée dans le Wurtenberg en 1951,
Une jeune cinéaste a obtenu de l’accompagner et il s’agir d’Erica Anderson, une
jeune juive Autrichienne de 35 ans, exilée aux Etats-Unis. Erica est enjouée et
le docteur lui donne toute son amitié au point de l’inviter à Lambaréné. Elle y
arrive en mars 52 et y séjournera jusqu’en novembre. Officiellement elle est là
pour faire des photos mais on la trouve aussi à l’œuvre à la cuisine et au
jardin. Elle repart mais revient à
Lambaréné une deuxième fois en juillet 53 avec une caméra. Elle réalisa les
meilleurs clichés à Lambaréné parce qu’elle était en véritable communion de pensées avec le docteur. Sa
présence fit un bien fou au docteur qui se voyait de plus en plus attaqué.
D’abord par Carl Jung qui lui reprochait de n’être pas resté dans l’ombre comme
tant d’autres médecins coloniaux puis par le cinéaste Wittling qui à
l’invitation de Marie Secrétan se croyait en droit de venir filmer Schweitzer. Erica retourna aux Etats-Unis en novembre 53 mais elle
revint à Gunsbach en juin 54 pour y filmer Schweitzer parmi les siens. La
correspondance entre Erica et Schweitzer est abondante. Pour éviter tout
malentendu le docteur demande à Erika de détruire les lettres qu’il lui envoie.
Elle ne le fera pas. Erica soutient le docteur au moment ou tous ses amis
quittent tout à tout la terre. Noel Gillepsie mourut en septembre 54, Gréta
Lagerfeld s’éteignait en 55 ainsi qu’Einstein qui s’était fait photographié peu
avant sa mort avec les étudiants de Princeton devant une cargaison de
médicaments destinés à Lambaréné. Les six mois qu’il passa à l’hôpital en 1955,
il les consacra à achever la léproserie baptisée village Gréta Lagerfeld. Il
rejoint ensuite Erika en Europe pour une tournée en France, Allemagne, Angleterre. L’ordre du Mérite britannique lui est remis
en octobre par la reine Elisabeth, l’ordre du Mérite allemand en novembre par
le président Heuss. En 1958, Schweitzer part repart en croisade contre les
essais nucléaires sur les ondes de radio Oslo. Le texte de ses interventions
est réuni dans un livre intitulé Paix ou guerre atomique ! Pas toujours facile la gloire pour le bon
docteur : le trésor américain lui réclame des impôts considérables,
l’ordre des médecins français lui réclame son inscription ! « au
moment où je fais mes préparatifs pour monter au ciel » réplique le
doc ! Hélène décède en 1957 et est enterrée auprès d’Emma
Haussknecht. Toutes les femmes de sa vie s’en vont. Erika se marie en 58. Rhéna
cependant, qui divorce, se rapproche de lui et le rejoint au
Gabon ! Durant les années soixante le docteur doit endurer les sarcasmes
de la gauche qui l’accuse d’être
colonialiste et même raciste. Le sommet des critiques parait dans Jeune Afrique
en 1962 puis dans un opuscule anglais publié en 1964 par Mac Knight qui accuse
le docteur d’exploiter les bons sentiments du personnel féminin blanc. L’abbé
Pierre apportera son soutien au docteur et viendra en personne le saluer à
Lambaréné en 1960. Schweitzer devenait un anachronisme avec son grand âge
qui l’avait mené à l’époque de la décolonisation ! Mal aimé il meurt le 4 septembre 65 à l’âge de 90 ans. Les deux
dernières années sont cependant adoucies par Erica qui divorcée en juin 63 l’a
rejoint à Lambaréné. Elle emporte avec elle une jeep. Albert Schweitzer apparut pour la dernière
fois dans la salle à manger de l’hôpital le 23 août 1965. Après le dîner, il
prononça un bref message d’adieu au personnel puis il se retira dans sa
chambre. Le lendemain, il fit une petite promenade en jeep – pour prendre congé
de ses malades. Dix jours passèrent encore avant qu’il ne rende l’âme ! Au cimetière de Lambaréné, six femmes et un homme
entourent Schweitzer. Sa femme Hélène, Emma Hausknecht, Mathilde Kottmann, Ali
Silver, Maria Lagendyk, Erica Anderson (décédée en 1975) et André Vigne. Dr Loodts P. (1)
le lecteur peut retrouver le texte intégral sur le
site de mon confrère Huber
http://pagesperso-orange.fr/christian.huber/civilisation1.htm Sources et biographies -Sonja Poteau et Gérard Leser, Albert Schweitzer, homme de Ginbsbach et
citoyen du monde. Editions du Rhein, 1994, Mulhouse - Sonja Poteau et Gérard Leser, Albert Schweitzer, homme de Gunsbach
et citoyen du monde. Editions du Rhein, 1994,
Mulhouse - Albert Schweitzer, humanisme et
mystique, texte choisis et présentés par Jean-Paul Sorg,
Albin Michel, 1995 - Albert Schweitzer, Ma vie et ma
pensée, Albin Michel, 1960 - Albert Schweitzer, Vivre, Albin
Michel, 1970 - Albert Schweitzer, une Anthologie
publiée par Charles R. Joy, Payot, Paris, 1950 - Albert Schweitzer, Souvenirs de mon
enfance, Albin Michel, 1951 - Albert Schweitzer, A l’orée de la
forêt vierge, Albin Michel, 1952 - Albert Schweitzer, La Civilisation et l‘éthique. Traduction
Madeleine Horst, éditions Alsatia 1975 - Joseph Gollom,
La vie ardente d’Albert Schweitzer, traduit de l’américain par Michel Déon
Editions Sun-Paris, 1951 - Marco Koskas,
Albert Schweitzer ou le démon du bien, éditions Lattès, 1992 |