Médecins de la Grande Guerre

Le docteur Leriche amputa non seulement des soldats mais aussi un maréchal de France !

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Le docteur Leriche amputa non seulement des soldats mais aussi un maréchal de France !


Le Dr René Leriche

Avertissement

       Le docteur René Leriche (1879-1955) mena une brillante carrière de chirurgien et acquit une renommée internationale. Il développa une chirurgie à visée analgésique, c’est-à-dire faite spécifiquement non pour guérir le patient mais pour le soulager de ses douleurs. On lui doit aussi la description de l’algoneurodystrophie, possible complication d’une lésion traumatique. Le docteur René Leriche servit comme chirurgien pendant la guerre 14-18. Il amputa bon nombre de soldats mais jamais il n’aurait imaginé de devoir un jour amputer un maréchal de France, en particulier le maréchal Joffre, le vainqueur de la Marne !  Dans ses mémoires, le docteur Leriche raconta cet évènement peu banal. C’est ce témoignage que vous trouverez ci-dessous. Un témoignage qui, vous le constaterez, constitue aussi un émouvant hommage à Joffre.

Dr Loodts

Le maréchal Joffre[1].

       Bien qu'ayant passé plusieurs mois à Creil, aux portes de Chantilly, je n'avais jamais aperçu le général Joffre qui passait presque chaque semaine devant les portes de notre hôpital. Je ne savais de lui que les banalités qui couraient à son sujet, bon homme endormi, assez indifférent, le Grand-père, le tout si loin de la réalité. Je le tiens pour le plus grand homme que j'aie jamais vu. J'ai connu des intelligences plus subtiles, des esprits plus étincelants. Je n'ai jamais vu pareille carrure cérébrale, élaguant d'un coup tout ce qui était secondaire pour ne garder que l'essentiel, et tuant sans cesse la marionnette. Je ne pensais pas que, quelques années plus tard, je l'approcherais de près. A l'époque, ne réfléchissant pas à ce que devait être l'état d'âme d'un grand chef de guerre, je désirais beaucoup qu'il vienne un jour voir nos blessés. Je pensais que rien ne leur ferait plus plaisir dans leur misère. Or, en ces temps, j'avais eu l'occasion de rendre quelques services à un colonel qui occupait un poste important au Quartier Général.


Le Maréchal Joseph Joffre

       Quand il fut guéri, il me demanda ce qu'il pourrait faire pour me manifester sa reconnaissance. Je lui répondis en le priant de demander au général Joffre de s'arrêter un jour pour dire bonjour à nos blessés. « Je le lui demanderai, me dit-il, mais cela m'étonnerait qu'il accepte. Il n'aime pas les hôpitaux. Les blessés le hantent. Je crois deviner que cela l'émeut d'une émotion qu'il n'aime pas éprouver. » Effectivement, il me dit, quelques jours plus tard, que le général ne viendrait pas.

       Quand je connus le général Joffre, je compris combien, pour poursuivre sa lourde tâche, il refoulait la souffrance continue qu'était pour lui l'holocauste des blessés.

       La guerre s'acheva sans que j'eusse l'occasion de l'approcher lorsque, en mai 1928, je fus soudain mis en sa présence. J'avais opéré chez elle, avenue du Bois, à la demande du professeur Marcel Labbé, une grande malade atteinte d'artérite. Le résultat ayant donné pleine satisfaction, Marcel Labbé m'écrivit pour me demander de voir, avec lui et J.-L. Faure, un personnage important dont il ne me disait pas le nom. Huit jours après, nous allions chez le maréchal Joffre. Marcel Labbé le soignait depuis des années pour une maladie qui venait de se compliquer de troubles circulatoires, et il se demandait si une sympathectomie périfémorale ne serait pas utile. Quand nous arrivâmes, le maréchal était au lit et causait avec J.-L. Faure. Sans grand préambule, je l'examinai comme on fait d'un homme en chemise de nuit. Je lui pris les oscillations aux deux jambes : il était hyperpulsatile. Il n'y avait donc pas d'indication opératoire. Je lui expliquai ce qui lui produisait ses troubles et les précautions qu'il devait prendre pour les réduire, à la grande satisfaction de la maréchale, femme pleine de sens et de dévouement, veillant avec intelligence sur son malade qu'elle trouvait assez imprudent. Avec son art de déblayer le terrain de tout ce qui est accessoire et d'aller droit à l'essentiel, il me répondit aussitôt de sa voix voilée, d'une douceur si spéciale : « Si vous pensez qu'il faut m'opérer, opérez-moi. Je n'ai pas besoin d'explication. Ce n'est pas mon affaire de décider. Je n'ai qu'à vous obéir. »

       Dans les mois et les années qui suivirent, je revis souvent le maréchal, de plus en plus attiré par cette étonnante figure de grandeur et de simplicité. Il respirait le dépouillement total de ce qui était vanité et puérilité.

       C'était une force de la nature bien équilibrée. On le sentait bâti pour être celui qu'il avait été. Il avait été comme cela, parce qu'il était comme cela : le plus grand de tous, ainsi que le disait Foch. Quelle belle tête à simplifier les problèmes, à ne prendre en charge que ce qui était vraiment son lot !  En plus de cela, des yeux admirables de clarté, d'une eau limpide extraordinaire.

       En fin 1931, les choses parurent se gâter après une cure d'amaigrissement qui lui fit perdre une vingtaine de kilos : «  Vous avez un pied qui ne vaut pas grand’ chose, monsieur le Maréchal. » « Ça, c'est votre affaire, me répondit-il. S'il faut couper, coupez où il faudra. Je n'ai rien à dire. Pas besoin de m'expliquer. Ce que vous ferez sera bien fait. » Et nous ne causâmes pas plus avant. Ainsi fut décidée en un instant l'amputation de cuisse d'un maréchal de France. Jamais je n'ai vu malade acceptant pareille décision avec une semblable sérénité. Madame Joffre me demanda à quel niveau je l'amputerais. Je lui expliquai pourquoi il fallait se porter haut. Surprenante de confiance, elle aussi me dit : « Il est inutile de lui en dire davantage. Il a une confiance absolue en vous. Et moi aussi. » Ce fut tout.

       Son seul souci apparent était d'éviter que la nouvelle ne s'ébruitât. Elle fit tout ce qu'il fallait pour tromper les journalistes qui l'épiaient, et ce fut un M. Jacques qui entra incognito à la clinique des Frères de la rue Oudinot.

       Quelques jours plus tard, en présence de J.-L. Faure, aidé par Fontaine qui fit une parfaite anesthésie locale dont seule la première piqûre amena une réaction, j'amputai de cuisse le maréchal qui, malgré son âge et son état très précaire, supporta admirablement bien l'opération. Les suites furent simples apyrétiques. Le maréchal sans curiosité ne cherchait pas à se rendre compte du niveau de son amputation et, jusqu'au sixième jour, fut dans un état parfait. Puis apparut du Cheynes Stokes, et il devint bientôt évident que son état périclitait par le rein mais jusqu'au dernier jour, il fut conscient de tout ce qui se passait autour de lui.

       Fontaine et moi le veillâmes la nuit, alternativement, en liaison avec son bureau militaire installé dans une chambre en face de celle qu'il occupait. Là, avec un attachement touchant, des officiers qui lui étaient chers passaient, eux aussi, les nuits et les jours. Ce furent ces fidèles qui me racontèrent des histoires magnifiques que je crois ne pas devoir laisser perdre, ne les ayant vus rapportées nulle part.

       La première et la plus belle a trait à ce qui se passa le soir du 25 août 1914, le soir de Charleroi. Quand il fut avéré que c'était un échec, le général Joffre réunit quatre ou cinq de ses aides sûrs[2] parmi lesquels était celui qui me raconta la chose, et leur dit :

       – Il ne faut pas se payer de mots. Nous sommes battus. Voilà le fait. Dès lors, il y a deux questions à se poser :

Qu'est-ce qu'il faut faire ? Pourquoi avons-nous été battus ?

       – Qu'est-ce qu'il faut faire ?

       – Je pense que nous devons reculer sans que les Armées perdent leurs articulations. Qu'elles fassent tout ensemble le même chemin chaque jour en combattant. Même si l'une est victorieuse, elle devra suivre la retraite des autres. Nous irons ainsi jusqu'où il faudra, peut-être jusqu'à la Marne. Il serait bien extraordinaire qu'ils ne fassent pas une faute qui me fournira l'occasion de les couper en deux.

       Et il expliqua sa conception de la manœuvre possible.

Quand il eut fini, il ajouta :

       – Vous m'avez bien compris ?  Donnez les ordres en conséquence. Je voudrais que vous me parliez au minimum des détails de la manœuvre, parce que j'ai autre chose à faire. Qu'ai-je à faire ?  J'ai à corriger la cause de notre échec. Pourquoi avons-nous été battus ?  Ce n'est pas une faute de nombre : nous sommes à peu près à égalité. Ce n'est pas une question d'armement. Je n'ai rien vu chez eux qui soit très supérieur à ce que nous avons. Ce n'est pas une question d'hommes. Les nôtres valent autant que les leurs. C'est donc une question de chefs. Nous en avons trop qui ne comprennent pas, qui, fatigués, ne sont plus capables de supporter le poids moral de la guerre. Il faut que je les change. C'est pourquoi je voudrais, pendant que nous reculerons, avoir un peu de liberté.

       Aussitôt jaillirent toutes les objections :

       – Vous n'allez pas changer les chefs pendant que nous reculerons ?  Vous allez créer du désordre. Et puis, où trouverez- vous les remplaçants ?  Comment les choisirez-vous ?

       Le général laissa passer le flot des objections et dit :

       – Je vais les changer avec ça.

       Et il leur montra un petit carnet où, depuis qu'il avait été désigné comme généralissime éventuel, il donnait à tous les officiers généraux et colonels qu'il voyait deux notes : une de valeur technique et une de caractère.

       – Je viens d'apprendre ces jours-ci, ajouta-t-il, qu'en temps de guerre, la valeur technique ne compte pas pour grand' chose, et que seul le caractère importe. Alors, je vais prendre ceux qui sont marqués là.

       Et il leur montra une liste qui fut, en fait, celle des grands chefs qui, depuis ce moment, commandèrent partout et restèrent jusqu'à la fin.

       Celui qui me racontait cette extraordinaire histoire ajouta qu'entre le 25 août et le 6 septembre, le général avait changé quatre-vingts généraux et colonels, fussent-ils de ses amis.


Creil en 1915

       Dans les mémoires du général, je n'ai rien trouvé qui confirme ce chiffre, sinon qu'il dit (page 43I du premier volume) que de la mobilisation au 6 septembre, il changea cinquante généraux.

       Quelle masse de mécontents qui, sur l'heure, furent souvent satisfaits d'être débarrassés du poids lourd de la défaite !

       Que dire de l'extraordinaire sang-froid de ce chef, ayant sur les épaules la plus écrasante responsabilité qui soit, obligé à prendre des décisions vitales pout le pays et à en conduire l'exécution, qui a comme souci urgent de corriger ce à quoi il attribue son échec, persuadé qu'il ne peut rien faire de bon tant qu'il n'aura pas fait la correction. Quand on lit ses Mémoires, on est frappé de cette préoccupation d'avoir les hommes qu'il faut. Elle le hantait, et je l'ai retrouvée sans cesse dans les conversations ultérieures de tous les ordres que j'ai eues avec lui. Vertu complémentaire : il avait l'art, le génie du choix. Il serait facile de le démontrer. Ceux qu'il a mis en place en septembre I9I4 ont été les vainqueurs de I918.

       Parmi ses hautes vertus, Joffre avait celle de ne plier devant personne quand il s'agissait de ce qui était sa tâche. Il la paya très cher, puisque c'est cette indépendance d'esprit qui fut la vraie cause de son funeste limogeage. Il est à peu près prouvé aujourd'hui que la guerre aurait fini en 1917, si on n'avait pas sacrifié le chef de la coalition à des réclamations parlementaires. Les Mémoires des grands chefs allemands sont explicites à ce sujet.

       Mais, comment les dirigeants auraient-ils pu lui pardonner une histoire comme la suivante qui m'a été racontée par un témoin oculaire, le général ne recevant qu'en présence d'un de ses officiers ?

       Donc, un jour de 1916, il reçut un des plus hauts personnages de la République, venu à Chantilly pour lui demander de confier le commandement d'une armée au général X.

       Joffre écouta le plaidoyer sans rien dire et quand ce fut fini, il se leva et répondit d'une voix égale :

       – Si les armées que je commande étaient les armées de M. Joffre, celui-ci pourrait avoir la faiblesse de faire droit à la demande d'une personnalité aussi importante que la vôtre ; mais elles ne lui appartiennent pas. Je n'ai à moi que la responsabilité de conduire celles de la France. J'en suis redevable vis-à-vis d'elle. A cause de cela, il m'est impossible de vous donner satisfaction et de confier un commandement lourd à un brillant officier de salon qui n'a aucune des qualités nécessaires pour en assumer la charge en temps de guerre.

       Et comme son interlocuteur s'emportait en le menaçant, Joffre, toujours debout, fit un geste indiquant à son officier d'ordonnance d'ouvrir la porte et de reconduire le visiteur. Le ton monta plus haut encore. Le général ne répondit rien. Il attendit. Départ en fureur. Et quand l'officier revint, Joffre lui dit :

       – Ecrivez: l'entrée de la zone des Armées est interdite à M. X. et le nom fut suivi de tous les titres de son visiteur.

L'officier se crut obligé de lui objecter :

         Vous n'allez pas signer cela. Vous allez vous en faire un ennemi mortel !

         J’en ai bien signé d'autres.

       Et il signa.

       Je répète qu'il s'agissait d'un des plus grands personnages du régime. On serait stupéfait si j'en donnais le nom.

       Cette histoire explique bien des choses. Elle montre aussi la grandeur de l'homme qui n'agissait qu'en fonction de ses responsabilités morales.

       Il me fut raconté aussi qu'un jour, à l'époque où il faisait le tour du monde après la guerre, tandis qu'il traversait les Etats-Unis de bout en bout, on vint remettre à la mission française un courrier volumineux. Il comprenait Le Journal Officiel. Les officiers de la mission se mirent à éplucher nominations et décorations. Le maréchal, dans son fauteuil, avait l'air de dormir. Bientôt un de ces messieurs vint à parler des nouvelles promotions et à faire des remarques amères sur les nominations et le rôle des opinions politiques dans les avancements. Le « Père Joffre » qui avait l'air assoupi leva une paupière, puis deux, et entra d'un seul coup dans la conversation :

       – Comme vous vous occupez, mes enfants, de choses qui n'ont pas grande importance. Moi, je suis franc-maçon depuis l'âge de vingt ans. Je le suis toujours. Est-ce que cela m'a empêché de prendre avec moi un tel qui est profondément religieux et un tel qui est affilié aux Jésuites ? Croyez-moi, quand on a la responsabilité du choix, ce n'est pas sur des opinions religieuses qu'on se base. On se décide d'après ce qu'on pense de l’homme et de son caractère. C'est ce que j'ai toujours fait.

       Nous retrouvons ici ce que j'ai raconté plus haut de la conférence de Charleroi. Grandeur et simplicité. Conscience sereine très haut placée.

       J'hésite, on va voir pourquoi, à raconter l'histoire suivante qui me met en position avantageuse, ce qui est quelque peu ridicule de ma part, mais elle vaut que je passe sur ce détail.

       Dans les derniers jours de sa vie, une nuit où j'étais près de lui, le maréchal se réveilla sur le matin. Et comme il me disait bonjour, je lui répondis :

       – Vous êtes bien mieux ce matin, monsieur le Maréchal, vous avez la figure reposée.

       Et c'était vrai.

       – Si c'est vous qui me le dites, ce doit être vrai et je vous crois.

       – Et pourquoi, lui dis-je, me croyez-vous si c'est moi qui vous le dis ?


Le centre d’enseignement de Bouleuse en 1917

       – Parce que, quand vous me parlez, vous me regardez en face, les yeux dans les yeux, tandis que les autres me disent : « Vous allez mieux » en regardant le mur.

       Une heure après commença le défilé des médecins qui venaient prendre de ses nouvelles, et j'observai qu'effectivement les choses se passaient comme il me l'avait dit. On lui parlait les yeux au mur. Et cela me confirma dans mon habitude de ne parler aux malades et aux gens bien portants qu'en les regardant dans les yeux. Grande leçon de psychologie intuitive.

       Sous son apparence de froideur et de timidité, le général était un sensible mais il demeurait continuellement maître de soi. La conscience qu'il avait de lui-même et de ses possibilités, sans la moindre vanité, le rendait impavide, toujours égal à son équilibre. Mon interlocuteur de la clinique me dit ne l'avoir vu qu'une seule fois manifester un doute sur la fin de la guerre. C'était en plein drame de Verdun.

Leurs deux chambres étaient voisines. Quand il y avait des nouvelles qui le préoccupaient, le général qui, d'habitude, dormait paisiblement, frappait contre la cloison et l'officier allait le trouver. Or, donc, cette nuit-là, comme il rentrait assez tardivement, il entendit frapper contre la cloison. Il se rendit aussitôt chez le général qui était à demi assis, couvert d'un gros tricot de laine :

       – Mon pauvre ami, je crois bien que nous sommes foutus.

       Paroles de circonstance, optimisme, espoirs, puis chacun s'en fut dormir. A six heures du matin, heurt contre la cloison. L'officier, un peu angoissé, se rend de suite auprès du général.

       – Dites, mon cher, vous êtes bien venu dans ma chambre cette nuit ?  Je dormais à moitié. Je vous ai dit des choses stupides. N'en croyez rien. Il n'y a pas un mot de vrai.

       Il apportait cette sérénité, cet équilibre dans toutes les choses du service. Un jour, je crois que c'était pendant la bataille de l'Yser, le général Foch arrive en coup de vent à Chantilly et déclare qu'un ordre donné n'a pas le sens commun, qu'il faut absolument le changer, qu'il faut faire ceci et cela, c'est-à-dire le contraire de ce qui avait été fixé.

Le général 'l'écoute sans rien dire, le laisse vider son sac et, d'un air calme, lui répond :

       – Foch, aimez-vous le veau ?  Nous aurons ce soir un veau excellent.

       Je laisse à penser ce que fut la réaction du bouillant Foch. Joffre ne lui fit pas d'autre réponse. Et finalement emmena à table  Foch, furieux et toujours sous pression. Le veau fut mangé et quand on se leva de table, Joffre' prit par le bras Foch qu'il aimait beaucoup et lui dit :

       – Le veau m'est aussi indifférent qu'à vous (ce qui n'était peut-être pas vrai), mais quand on a donné un ordre, surtout s'il est proche de l'exécution, il faut n'y rien changer, même s'il est mauvais, parce que le contre-ordre fait du désordre, ce qui est pire que tout.

       J'ai des souvenirs trop précieux des derniers jours du maréchal pour oser en parler. Qu'on me permette de rappeler celui-ci qui se compose en moi comme une image triste : deux ou trois nuits avant sa mort, le maréchal somnolait doucement, en parlant de façon inintelligible. Soudain, j'entendis très distinctement ces quelques mots : « Est-ce donc vrai que je ne dois plus m'occuper de la guerre ? » Et une grosse larme coula sur sa joue, que j'essuyai pieusement avec une poignante émotion.



[1] Dr René Leriche, Souvenirs de ma vie morte, pages 154 à 164, Edition du Seuil, 1956

[2] Peut-être dans le beau livre de FABRY: Joffre et son destin, peut-on trouver une discrète allusion à cette conversation.



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