Médecins de la Grande Guerre
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Le docteur Grémillon au cœur des
polémiques religieuses issues de la
Grande Guerre Le portrait, réalisé en 1915 après l'épisode à Ypres, si important pour Henri Grémillon, montre bien le port du "sacré cœur". (Collection J.P Rombaut époux Grémillon) Le docteur
Grémillon est né en 1865 à Bar-sur-Seine. Il se
convertit à l’âge de 35 ans, se marie et devient père de trois garçons.
Médecin militaire, il est affecté aux hôpitaux militaires de la division d'Oran
et est fait chevalier de Voici
la lettre que le docteur Grémillon
écrivit à Anatole France qui le fit passer pour mort. Cette lettre est
aussi intéressante parce qu’elle sauve de l’oubli deux Yprois, la
cuisinière Léonie et le pharmacien Gaymant qui, avec le Dr Grémillon restèrent
fidèles à leurs postes malgré le bombardement effroyable que subissait ypres. Reininghelst,
le 15 janvier 1915 Si l'intelligence
est matérielle, le cœur est une image réelle de Monsieur et cher
Maître, Je ne suis pas mort à l'hôpital d'Ypres "tué au
chevet d'un blessé allemand par un obus allemand". La note que vous
commentez, dans votre « Noël 1914 » (1) du Petit Parisien et qu'a publiée le bureau
de Cette bonne Léonie! Ame simple, cœur du peuple, cœur
sacrificiel! Elle avait installé, contre
la peur, et pour sa protection, entre deux bougies grêles, une image de
Notre-Dame de Thuynes, la patronne d'Ypres, qui
autrefois, sauva la ville. L'icône, tous les jours, changeait de place, tantôt
sur un buffet, tantôt sur une chaise et même, sur le plancher, toujours
encadrée de ses deux bougies. N.D. de Thuynes prit
cette âme pure et rejeta comme indigne celle de votre serviteur prédestiné à
vous apporter, avec la belle Lumière d'amour, le véritable sens de l'état (1) Léonie avait un vieux chien obèse dont on ne retrouva
plus que la peau, noire, flasque, telle une outre vidée. Le même obus ensevelit
M. Gaymant sous les ruines de sa pharmacie, mit en
pièces, dans la rue de Menin, un convoi anglais de ravitaillement .Huit hommes
étaient déchiquetés affreusement, les habits en charpie, la figure noirâtre,
tuméfiée, brûlée; leurs corps avait été projetés, de tous côtés, à plusieurs
mètres de l'explosion. Trois chevaux morts et un fourgon brisé jonchaient le
sol. De toutes ces victimes, seul l'héroïque M.Gaymant
survécut. Il resta des semaines à l'hôpital de Poperinge. Pendant que nous
pansions ses nombreuses blessures et que nous enlevons à l'eau oxygénée, la
poussière de brique dont elles s'étaient incrustées, il nous disait en
souriant "Maintenant, docteur, je
ne risque plus rien, je suis comme une forteresse, je suis bâti à chaux et à
sable." L'humour belge est inaltérable. Le
docteur Grémillon n’avait pas sa langue en poche et agissait selon ses convictions !
Certaines de ses dernières étaient alimentées par les grandes controverses qui agitèrent son
époque et furent exacerbées par l’effroyable conflit. Il en fut ainsi des
apparitions de la Salette et de la dévotion envers le
Sacré-Cœur pour lesquels le Dr Grémillon se transforma en un ardent propagandiste. Mais ne nous y trompons pas, les croyances
religieuses du docteur ne l’empêchèrent pas de
devenir un opposant farouche à l’église catholique ! Pour
comprendre la personnalité du Dr
Grémillon, il convient de rappeler ici l’origine
de la dévotion française envers le
Sacré-Cœur ! En 1675, Jésus, montrant son cœur, apparaît à Paray-le-
Monial à une religieuse visitandine Marguerite-Marie Alacoque
(1647-1690). Parmi les nombreux messages reçus du Christ à Paray, trois
demandent des réalisations concrètes à
savoir, la création d’une fête en faveur du Cœur de Jésus, la fondation d’un
lieu dédié au Sacré-Cœur et sa consécration ainsi que l’apposition de l’image
de ce cœur sur les étendards du roi. Très
rapidement le culte du Sacré-Cœur va s’imposer comme le culte à exercer lors
des événements graves perçus comme des châtiments divins. Il en est ainsi lors de Durant la
première guerre mondiale, malgré un gouvernement anticlérical, Poincaré plaide
l’Union Sacrée de tous les Français. L’Eglise de France se rallie à la lutte
contre l’ennemi et va attribuer à l’Union Sacrée une dimension spirituelle. Le
clergé voit La
propagation du culte du Sacré-Cœur trouva dans l’armée un terreau fertile. Plus de 12.000.000 de fanions, ou
drapeaux ornés de l'image du Sacré-Cœur
furent distribués. Insignes et scapulaires sont portés par les soldats cordiphores (3) qui les mettent en
évidence sur leurs capotes ou leurs képis. Encore plus démonstratif, des
milliers de soldats se consacrent au Sacré-Cœur dans les églises. Il en sera de
même pour des officiers parmi lesquels des généraux (2) qui consacrent leurs troupes au Sacré-Cœur.
Paroxysme de ce mouvement populaire, Claire Ferchaud,
une sorte de voyante, qui aurait vu le christ en 1916, obtint de rencontrer
Poincaré le 21 mars 1917 pour lui
demander en personne de faire figurer l’image du Sacré-Cœur sur le drapeau
national. On comprend
que cette dévotion devienne un sujet d’inquiétude pour les républicains anticléricaux qui
redoutent une résurgence dangereuse du
passé royaliste et clérical de la France ! Il fallait intervenir pour
sauver les idées républicaines ! Le 7 juin 17 le Ministre de Désormais,
on le verra plus loin, Grémillon se
consacrera à la diffusion de ses idées ! Que devint le culte du Sacré-Cœur après le 7 juin
1917 ? Il restera très vivant dans le cœur des soldats malgré les
tentatives des autorités militaires et civiles pour séparer la vie
patriotique de la vie religieuse! Ainsi des centaines de combattants
mentionneront par écrit leurs sentiments d'avoir été protégés par le
Sacré-Cœur pendant la guerre. Le livre de l'abbé Charles Marcualt
"Réalisons le message du Sacré-Cœur" paru en 1934 comporte un
chapitre consacré à "la merveille protection accordée par le
Sacré-Cœur" aux porteurs de fanion dans les combats. En 1919, la
France victorieuse consacrera la basilique de Montmartre au Sacré-Cœur durant
une grandiose cérémonie et parmi des festivités qui s'étaleront sur trois jours
(du 16 au 19 octobre). C'est le Père Janvier, prédicateur à Notre-Dame, qui
fut chargé de l'homélie. Voici un court
extrait de son homélie qui reflète
l’enthousiasme des
« patriotes » pour le Sacré-Cœur : « C'est sous l'inspiration de son Cœur que Jésus rendait la
santé aux corps, la pureté aux âmes, la vie aux cadavres. C'est en suivant son
Cœur qu'il multipliait les miracles en vue de toucher Israël et qu'il pleurait
sur l'aveuglement de Jérusalem. Son Cœur est le foyer où bat son plein l'amour
qui ne veut connaître ni la colère ni la rancune, l'amour qui n'achève aucun
roseau demi-brisé, qui n'éteint aucune mèche encore fumante, l'amour qui endure
tout, l'amour que rien ne lasse, sinon la malice passée à l'inflexible
obstination. Son Cœur est la source où s'abreuvent les êtres altérés de grâce
et de miséricorde, le sanctuaire où Clovis, Jeanne d'Arc, Belsunce,
Louis XVI cherchent le secours nécessaire pour vaincre le fléau de la guerre,
de la peste, de la discorde ; le brûlant symbole que chantaient nos pères
quand, au milieu des dangers et des fois en Dieu tribulations, ils s'écriaient
: "Vive le Christ qui aime les Francs !" Son Cœur est l'asile où
notre âge inquiet ravive sa et en son propre destin… » Peu après la
consécration de Montmartre au Sacré-Cœur, Marguerite-Marie Alacoque
et Jeanne d'Arc seront canonisées le 13 mai 1920 parle pape Benoît XV. C’est l’apothéose du Sacré-Cœur !
Mais revenons à l’histoire du Dr Grémillon. Exclu de l'armée, notre
médecin, publie à compte d’auteur, et sous le pseudonyme de docteur Mariavé (Ave Maria !) et à compte
d'auteur des fascicules exposant ses convictions. "La leçon de l'hôpital d'Ypres.
Exégèse du secret de Malgré sa
dévotion au Sacré-Cœur, l'auteur explique dans ses fascicules qu'il
refuse de se situer au sein du catholicisme intransigeant qui, selon lui,
a totalement déformé le message du Christ. Seul compte, pour Grémillon,
l'Amour et cette Eglise, qui glorifie la mort de l'ennemi, n'est plus la
sienne. Son pessimisme le pousse à croire au message de Le parcours
religieux du docteur Grémillon fait penser à celui de Tolstoï quand ce dernier
prôna le retour au message unique des
Evangiles : Dieu est Amour ! Grémillon avait t-il lu les
écrits que Tolstoï consacra à ses idées religieuses (4) ? Tout comme
Grémillon, Tolstoï fut excommunié (en
date du 20-22 février 1901) pour avoir rejeté les miracles, dogmes (trinité…)
et pratiques religieuses (baptême…) qu’il estimait contraires à la raison et au
message du Christ. Toute sa réflexion sur le Christ le poussera à publier en
1908 un nouvel Evangile, récit synthétique de l’enseignement du Christ,
débarrassé de tous les faits que son esprit cartésien n’accepte pas. Son texte,
« L’Evangile expliqué aux enfants » est une réécriture personnelle du
récit évangélique qui exprime l’essentiel de sa foi, à savoir Mais
revenons au Dr Grémillon. Son excommunication crée une grave crise familiale
car, son fils ne pouvant réaliser son projet de mariage, s'engage dans l'armée
puis se suicide. En 1922, il semble qu'il trafique nombre d'exemplaires de la
réédition du livre « L'apparition de la très sainte vierge sur Le docteur
Grémillon écrivit finalement un
nombre incalculable de pages sur de nombreux sujets tous les sujets
religieux ou sociologiques. La plupart
de ses écrits passeront totalement
inaperçus mais il y eut une exception de taille. Un éditeur, Jacques Marcireau, découvrit parmi les milliers de pages du
docteur quelques réflexions sur la
sexualité qu'il trouva si
intéressantes qu'il voulût les
diffuser à grande échelle. Pour ce faire, en 1933, Jacques Marcireau rentra en contact avec le docteur Grémillon
et lui demanda la permission de rassembler ses réflexions sur la
sexualité afin de les publier dans un livre au titre accrocheur "La femme et l'amour". Marcireau avait vu juste. « La femme et l’amour »
obtient du succès et sera édité de nombreuses fois. Dans la lettre reproduite
ci-dessous, le docteur Grémillon
remercie Jacques Marcireau
en avouant de façon étrange et de manière très crue que beaucoup de ses
écrits n’ont aucune valeur! Cette lettre est probablement une preuve que
le Dr Grémillon souffrait d'une affection maniaco-dépressive et qu'il était conscient de ses phases
maniaques (maniaque signifiant une hyperactivité anormale, désordonnée avec
souvent la perte du sens de la réalité) "Sous la conspiration du
silence, m'a voix était étouffée depuis tantôt trente ans. Vous avez rompu la
conspiration du silence. Je vous remercie d'avoir condescendu à vous introduire
dans cette fosse (il s'agit de son œuvre!) pour la
vidanger. Vous avez pris l'initiative de lancer "La femme et
l'amour". Vous m'avez fait l'honneur d'extraire de mes œuvres une
anthologie, bouquet de fleurs trouvés dans le purin. Vous en avez assumé la
charge. Je vous en laisse la libre vente." Mais
quelles sont les idées de Grémillon sur la sexualité qui passionnèrent son
éditeur ? En fait le Dr Grémillon paraît effectivement un
avant-gardiste en expliquant longuement que, contrairement à ce que l'on
pense de son temps, la sexualité féminine est tout-à-fait différente de celle
d'un homme. D'après lui, les médecins de son époque mettent trop en
parallèle l'érection de l'homme avec celle de la femme (clitoris),
l'éjaculation de l'homme avec celle de la femme (émission de secrétions
lubrifiantes). Pour le docteur Grémillon, la sexualité de la femme doit surtout
être envisagée sous l'angle "des zones érogènes" qui, explique t-il, est
particulières à chaque femme. Cette découverte du docteur
Grémillon est effectivement remarquable dans le sens que cette théorie
est aujourd'hui unanimement acceptée. Outre l'existence de ces
zones, Grémillon complète sa théorie en expliquant que ces zones érogènes
"naissent après des semaines, des mois, voire des années de pratique
sexuel" La suite est plus amusante quant il explique le dilemme de
l'homme devant sa jeune épouse. Ou bien il ne développe pas de zones érogènes chez son épouse, et celle-ci peut avoir la curiosité d'aller se faire initier ailleurs; ou il la "révèle", et il court le risque d'être cocufié, un seul partenaire ne suffisant plus à la femme "zonée". Pour éviter ce dilemme, le Docteur Grémillon explique que les partenaires ne doivent jamais oublier la finalité de l'acte sexuel qui est d'avoir des enfants (être maman tous les trois ans : "si le mariage est fécond, jamais l'épouse ne deviendra hypergénésique") et d'autre part que la sexualité doit s'accompagner du don du cœur car "l'amour n'est pas une plaisanterie". Nul ne doit défigurer l'amour. Nul n'a raison d'aimer à l'envers, d'aimer contre la loi d'amour qui est génératrice et créatrice. Il est inintelligent, il est dangereux de faire d e l'amour une plaisanterie, une bagatelle, une gaudriole, une passade exclusivement. L'amour-plaisir, l'amour tarifié, l'amour dépravé, le vagabondage spécial, dans le mariage d'intérêt ou ailleurs, l'amour pour la jouissance exclusive, vénale, stérile, est inconnu de la nature essentiellement féconde. Elle se vengera de toute façon. Idéalisant la maternité et l'amour, le Dr
Grémillon n'en dénonce pas moins l'emprise de l'Eglise et de ses confesseurs
sur les femmes et sur la vie intime des couples. En traitant
de rapports sexuels, confesseurs, vous qui avez fait vœu de chasteté,-vous êtes
grandement téméraires, car, si vous prétendez à la compétence, vous dévoilez
votre incontinence. Nous avons le droit de vous rappeler la sensationnelle
leçon que Jésus donne aux tartuffes en soutane dont les stupres scandaleux
remplissent l'histoire de l'Eglise, des plus hauts degrés de la hiérarchie
jusqu'au fond des presbytères, depuis les abbés de cour et les grenouilles de
bénitier jusqu'aux princes de l'Eglise. Au
total donc le docteur Grémillon, dans des textes pas toujours bien écrits,
souvent excessifs et parfois confus, fait découvrir au lecteur les spécificités
de la sexualité féminine tout en faisant l'apologie de la femme et de la
maternité (à outrance!). L'homme est souvent décrit comme un être
lubrique tandis que la femme représente la réalité de l'Amour: le
Cœur. Il faut croire que le message très imparfait répondait à un
besoin de l'époque puisque « La femme et l'amour » connut plusieurs
rééditions!" L’original
Dr Grémillon, officier de la Légion d’honneur et excommunié est décédé à Saint-Gervasu
(Gard) le 29 décembre 1942 où il vivait retiré depuis 25 ans. Puisse t-il avoir trouvé
l’Amour qu’il chercha toute sa vie !
Dr Loodts P
(1) Voici le texte de l’articlé publié par
Anatole France dans « Le Petit Parisien » POUR LA NOËL 1914 Anatole France ――― La fête de Noël, une des plus anciennes, des plus glorieuses, des plus grandes de la chrétienté, se célébrait, jadis, dans toute la France, avec une pompe et une allégresse conformes au mystère qu’elle commémore aux yeux des fidèles. Aujourd’hui encore, cette fête demeure populaire et ne vient point sans ramener dans nos villes et nos campagnes joie et liesse. Il semble qu’elle durera autant que le monde. Les âmes fidèles à la tradition et les cœurs amis de la nature la peuvent solenniser à l’envi, car, en même temps qu’on y adore l’Enfant-Dieu né dans l’étable de Bethléem, comme il est dit dans l’Évangile, on y salue la renaissance du Dieu dont nous voyons chaque année, sur nos têtes, la splendeur bienfaisante croître et décroître, et qui meurt et ressuscite comme ses symboles antiques : Adonis et Mithra. C’est en ces derniers jours de décembre que le soleil languissant et stérile commence à reprendre cette vigueur féconde qui promet à la terre les fleurs et les fruits. Mais peut-être n’était-il pas besoin de tant de glose pour dire que, sur notre vieille terre aimée du ciel, la veille de Noël sourit à tout le monde, surtout aux humbles et aux petits, et que, dans les chaumières, la nuit du réveillon dissipe les tristesses du sombre hiver. Alors on s’assied à la table de famille et on mange force saucisses, andouilles, boudins noirs et boudins blancs, et l’on chante des chansons en patois. Saurait-on mieux faire ? Hélas ! combien de vieillards et de femmes, cette année, seuls avec les petits, à la table trop grande, mangeront leur pain mouillé de leurs larmes ! Et pendant ce temps, combien de jeunes hommes, sous la lune froide, au fracas des obus, songeront, dans la tranchée, à ceux qui, demeurés dans la maison, pensent à eux et qui, cette nuit, allument tout de même la grosse bûche, font tout de même griller le boudin, car les usages anciens doivent être toujours suivis. Chaque province a, pour En Provence, où la terre et le ciel, d’une beauté grecque, communiquent aux esprits une grâce ingénue, subsistent encore des usages, des sentiments, qui semblent antiques et païens. C’est ainsi que, sur les bords de la mer bleue, le villageois met dans le foyer un vieux tronc d’olivier séché avec soin et le couronne de lauriers. Le foyer fume et pétille, la flamme jaillit et le maître de la demeure ordonne au plus jeune enfant de la famille d’invoquer le feu. Sans le savoir, il répète les rites par lesquels, dans l’Inde, ses lointains aïeux adoraient Agni, qui, dans son char traîné par des chevaux flamboyants, porte aux dieux les offrandes des hommes. Il dicte à l’enfant les paroles consacrées : « Ô feu ! réchauffe pendant l’hiver les pieds du vieillard et de l’orphelin, envoie un tiède rayon dans la plus humble chaumière ; garde-toi de dévorer le toit du pauvre laboureur et le navire qui porte sur des terres lointaines le malheureux émigrant. » Et pour rendre exorable le feu sacré, le maître de la demeure lui verse une libation de vin cuit. Le foyer crépite et une odeur aromatique se répand dans la salle enfumée. Cette invocation au feu
sacré, faisons-la cette nuit dans toute Ô feu ! feu sacré, va, par la nuit froide et sombre, porter à nos soldats, dans la tranchée, ta chaleur bienfaisante et brille allègrement dans leurs cœurs. Ils sont partis avec une gaîté charmante. Nous les avons vus couvrir leurs canons et leurs caissons de feuillage et de fleurs et mettre à l’oreille de leurs chevaux des roses et des œillets. Ils ont affronté en souriant la mitraille ennemie. Et, après quatre longs mois de fatigues et de périls, dans le vent, la neige et la boue, ils gardent leur courage et leur gaîté. La guerre a pris une forme nouvelle. Aux marches, aux manœuvres, aux combats à découvert, aux grandes batailles ont succédé la guerre de tranchées, la guerre immobile et souterraine, les interminables duels d’artillerie entre deux adversaires invisibles. Et nos soldats restent dispos, alertes comme au premier jour. Ils occupent par de menus travaux, par des jeux, par des causeries et des chants les ennuis de cette vie enterrée où seuls les obus apportent quelque distraction. Sans crainte, sans tristesse, pieux envers leurs morts, ils couvrent de drapeaux et de rameaux verts la terre sous laquelle leurs compagnons dorment leur dernier sommeil à leurs côtés. Jeunes soldats, sur lesquels, naguère encore, leur mère veillait comme sur de petits enfants, vieux territoriaux, qui essuient une larme en se rappelant la femme et les nourrissons laissés dans le pays, ils ont, les uns et les autres, la souplesse de l’âge tendre et la fermeté de l’âge mûr. Les blessés transportés dans nos hôpitaux ne songent qu’à retourner sur le front. Le temps si doux de la convalescence leur pèse. J’ai vu l’un d’eux qui n’eut de cesse qu’on le renvoyât au feu tout boiteux encore. J’ai entendu un jeune sous-officier, mal remis d’une blessure à la poitrine, presser le major de lui donner son congé et dire joliment : — Maintenant, je puis rejoindre. Qu’ai-je à craindre ? Je suis vacciné. Dans cette armée, les chefs et les soldats sont égaux par le cœur. L’officier compte sur ses hommes, les hommes comptent sur leur officier. Voici un exemple bien véritable (je puis l’attester) des sentiments qui les unissent les uns aux autres : C’était sur la frontière de l’Est, au début de la campagne, alors que le courage trop nu exposait notre armée à des pertes cruelles. Le commandant D…, très aimé de ses hommes, qui savaient apprécier son intelligence, son énergie et sa douceur, atteint d’une cruelle maladie d’estomac et souffrant d’un anthrax, se faisait porter au feu sur une civière à la tête de son bataillon. Ayant atteint la position qu’il devait occuper, et qui n*était pas des plus sûres, il fit étendre ses hommes sur le ventre et veilla à ce que chacun mît son sac devant soi pour se protéger. Puis il s’étendit lui-même en avant de tout son monde. Et le buste soulevé, sa jumelle devant les yeux, il surveillait les mouvements de l’ennemi, sous une fusillade nourrie. Il se tenait dans cette position depuis quelques minutes, quand un corps opaque traversa le champ de sa lunette. Mais avant qu’il pût se rendre compte de ce qui passait, il entendit une voix lui murmurer à l’oreille : — Mon commandant, je vous apporte mon sac. Gardez-le devant vous. Que je sois tué, moi, ce ne sera que la perte d’un homme ; mais si vous étiez tué, vous, la perte serait pour tout le bataillon. Un de mes amis, parcourant
un champ de bataille au bord de Nous avons vu refleurir les vertus héréditaires. Le cri généreux du chevalier d’Assas a été répété plus de vingt fois. Un jour, c’est un sergent réserviste du 30e d’infanterie qui, s’étant approché de troupes qu’on croyait anglaises, reconnaît des Allemands et s’écrie : — Tirez, ce sont des Boches ! Un autre jour, c’est un jeune lieutenant, posté en avant du front de l’infanterie, dans un clocher, à quelques centaines de mètres des tranchées allemandes, qui signale, par téléphone, à notre artillerie, les positions de l’ennemi. Pendant une demi-heure, on reçoit ses indications, puis on l’entend dire tout à coup, d’une voix tranquille : « J’entends les pas des Allemands qui montent l’escalier. J’ai mon revolver. Ne croyez plus rien de ce qu’on vous dira. » On n’a plus revu ce jeune officier. Nos médecins militaires rappellent Desgenettes et Larrey, par le courage et le dévouement, témoin ce major qui, dans Ypres bombardé, soignant cinquante-quatre blessés allemands, pressé de quitter son hôpital, refusa, jaloux de donner aux ennemis l’exemple de l’humanité et fut tué au chevet d’un blessé allemand par un obus allemand. Nous les portons dans notre cœur, tous nos soldats, depuis le général en chef, d’un esprit juste et sage, dédaigneux de paraître, sévère aux grands, doux aux petits, ménager du sang de ses hommes, jusqu’au plus humble soldat de deuxième classe, qui donne sans marchander sa vie à cette patrie dont il ne connaissait qu’un village et où il ne possédait qu’un grabat dans une étable. Ô feu ! feu sacré, va, par la nuit froide et sombre, porter à nos soldats, dans la tranchée, ta chaleur bienfaisante et brille allègrement dans leurs cœurs. Soldats
de la France, défenseurs d’une juste cause, gardez votre brillant courage et
armez-vous de constance. Vous avez devant vous un ennemi nombreux, savamment
organisé. Ce serait nuire à votre gloire que de nier sa force. Il a déshonoré
sa vaillance par des atrocités commises soit pour satisfaire des instincts
cruels, soit par système et afin de semer la terreur autour de lui. Ces
barbaries n’ont semé que l’indignation et l’horreur. Loin de le rendre
invincible, elles ont accru ses périls en enflant notre colère. Vous lui avez
déjà porté des coups dont il ne se relèvera pas. Vous l’avez vaincu sur Vous avez sur l’ennemi une grande supériorité. Citoyens d’un peuple libre, vous tenez vos vertus militaires de votre propre cœur, et ce n’est point par ordre que vous êtes courageux. C’est là une disposition qui vous assurera la victoire si vous remplissez les conditions de cette guerre nouvelle qui exige une organisation plus forte que les guerres d’autrefois et un matériel énorme comme celui de l’industrie moderne. Cette organisation, nous la complétons chaque jour, ce matériel, nous le créons fiévreusement. Le fer et l’acier ruissellent dans les fournaises de nos fonderies. La victoire est certaine. Mais il faudra l’aller chercher loin, la poursuivre jusqu’au cœur de l’empire germanique. Cette nécessité, ce ne sont pas seulement, parmi nous, les audacieux qui la proclament ; elle est sentie par les esprits les plus paisibles, par les âmes les plus douces. Et pour moi, je me rends le témoignage de l’avoir dit le premier jour : il est impossible de s’arrêter en chemin. Amis, pour que vous n’ayez pas combattu et souffert inutilement, pour que le sang des enfants et les larmes des mères n’aient pas coulé en vain, il faut détruire de fond en comble la puissance militaire de l’Allemagne et ôter à ce peuple barbare toute possibilité de poursuivre ce rêve d’un empire mondial, ce délire monstrueux qui met à cette heure l’Europe à feu et à sang. La tache est grande.
Mais de quelles louanges éternelles, de quelles
bénédictions vous serez comblés pour l’avoir accomplie ! Vous aurez assuré
le salut et la grandeur de votre patrie, vous aurez délivré l’Europe d’une
menace insolente et d’un perpétuel danger. Vous aurez permis aux dirigeants et
aux foules de cette vaste partie du monde d’approcher de la justice, de
l’inaccessible justice, ou du moins de marcher dans ses voies : vous aurez
détruit l’oppression, rendu l’Alsace et Oh ! que le feu sacré de nos foyers aille par la nuit froide et sombre vous porter, dans la tranchée, sa chaleur bienfaisante et brille allègrement dans vos cœurs ! ――――― (2) Le général Foch est l’un de ceux-ci. Le chanoine Crépin
écrit « il y a à Montmartre depuis le 3 août 14, un précieux autographe
qui reposera sous le pied du grand ostensoir pendant la durée de la
guerre : consécration d’une partie
de notre armée par l’un de ses chefs les plus qualifiés. Foch commande
le 20ème corps d’armée de Nancy sous les ordres de Castelnau ;
sa dévotion au Sacré-Cœur ne fait aucun doute, l’autographe a dû être envoyé par la poste ».Plus tard,
malgré les interdictions, Foch consacrera les armées Françaises et alliées au
Sacré-Cœur le 16 juillet 1918 dans l’église de Bonbon, village dans lequel se
trouvait son Quartier-Général. (3) cordiphores se dit des personnes portant avec ostentation
les couleurs du drapeau français accompagnées de l’emblème du Sacré-Cœur (4) Quelques ouvrages de Tolstoï sur sa foi : Confessions
(1882), En quoi consiste ma foi (1884), Le Royaume de dieu est en vous (1893),
Lettre à un Indou (1908) ; L’Evangile expliqué aux enfants (1908), réédite
en 2010 par Payot , collection Rivages poche/Petite
bibliothèque N° 696 Sources 1) Dr Henry Mariavé, la leçon de l’hôpital d’Ypres. Exégèse de du
secret de 2) Dr Henry Mariavé, Pour 3) Dr Gremillon, La
femme et l’Amour, Editions Jacques Marcireau,
Poitiers 1945. 4)
Claire Ferchaud,
5)
Léon Tolstoï, L’Evangile
expliqué aux enfants, Payot, Rivages poche/petite bibliothèque N°696, 2010 |