Médecins de la Grande Guerre

Le Dr Chastang un brave médecin français

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Source: Charles Le Goffic,"Steenstraete", Plon, Paris, 1917

Le Dr Chastang, médecin militaire français, prit part à la bataille de l' Yser à côté des fusiliers-marins de l'amiral Ronarch qui pendant près d'un mois défendirent la ville de Dixmude assiégée par l'ennemi.. Il s' y conduisit en héros mais succomba  le 10 novembre1914, date à laquelle les Allemands se rendirent maître de Dixmude. Ce sont ses derniers moments qui sont racontés ici.

Le 24 et 25 octobre, durant la nuit, les jeunes docteurs Chastang et Arnould évacuèrent sous le feu de l'ennemi, soit par ambulances, soit par brancards 27 blessés dans des conditions particulièrement difficiles. Ils ramenèrent tout leur personnel indemne. Deux heures avait été nécessaires pour faire les 300 mètres qui les séparaient des premières lignes françaises. Dans une lettre datée du 27 octobre, le Dr Chastang raconta à sa maman cette scène:

"Je suis heureux de t'annoncer sans orgueil qu'Arnould et moi avons été félicités par le commandant. Pendant deux nuits, nous avons été ramasser les blessés aux avants-postes et, avant-hier matin, nous l'avons échappé belle... J'étais avec Arnould, l'aumônier (abbé Pouchard) et un infirmier. Nous avons pansé et chargé un blessé sur une porte d'armoire et, notre ouvrage fini, pour sortir de la maison qui nous servait d'abri, il fallait soigneusement se cacher car nous étions à 250 mètres d'une maison d'où tiraient les Allemands. Nous n'avions qu'un fossé peu profond pour le faire et 300 mètres à parcourir. aussitôt sortis de notre abri, les balles sifflent, nous sommes obligés de nous aplatir au fond du fossé avec notre malade. Nous essayons de pousser, de tirer notre porte d'armoire en nous mettant à quatre pattes. Nous étions trop visibles encore. Il ne restait plus qu'une chose à faire, se terrer et ne pas bouger. Nous sommes ainsi restés pendant deux heures et demie; la moindre touffe d'herbe qui remuait recevait des balles. Nous croyions bien rester prisonniers des boches ou passer dans l'autre monde avant la nuit, et il n'était que midi... Tu ne saurais t'imaginer, ma chère maman, combien il est énervant d'attendre ainsi couché au fond d'un fossé. Enfin, vers une heure, le feu semble avoir changé de direction. Alors, nous tentons le grand coup, nous prenons les quatre coins de notre porte d'armoire et nous partons le plus vite possible sur la route. En quelques minutes nous étions dans les tranchées françaises, à l'abri d'un gros talus. nous avions mis plus de deux heures pour faire 300 mètres dans un fossé. Aucun de nous n'était blessé, et nous avons ramené un malade qui aurait certainement la vie sauvée."

La chance va  malheureusement abandonner le courageux médecin deux semaines plus tard. Le 10 novembre, l'ennemi parvient à franchir les lignes françaises tenues par les tirailleurs sénégalais. L'ordre d'abandonner Dixmude est donné. Dans un poste de secours situé en avant de Dixmude, sur la route d' Eessen, blessés, médecins et brancardiers sont descendus à la cave pour se mettre à l'abri du bombardement intense. Quand celui-ci cesse, des cris se font entendre : ce sont les Allemands qui pénètrent dans l'abri. Le Dr Chastang s'interpose entre eux et ses blessés. Une heure plus tard, il doit à nouveau intervenir en faveur de son chef, le Dr Guillet (celui-ci sera échangé contre un prisonnier allemand). Par son sang-froid, le jeune médecin  parvint donc à éviter tout acte de violence au sein de son poste de secours. Fait prisonnier, il est aussitôt affecté au service d'une ambulance allemande pour laquelle, avec son confrère allemand, il travaille sans relâche à panser et à réconforter les blessés des deux camps. L'ordre d'évacuer les blessés vers l'arrière est ensuite donné. Les voitures d'ambulances chargées se mettent en route avec, en avant du convoi, les blessés qui savent encore marcher. Parmi ceux-ci se trouve le Dr Chastang qui accompagne un blessé dont le bras gauche est brisé. Le bon docteur soutient le bras de son compatriote tout en  lui promettant de faire tout ce qui est nécessaire pour éviter l'amputation. Félix Chastang ne pourra tenir sa promesse: après avoir marché un kilomètre, un obus français explose sur la route et un de ses éclats le blesse mortellement au dos. Sa dernière parole sort de sa bouche, incomplète: "Oh ma...". Une voiture d'ambulance s'est rapidement  portée au secours du blessé; de celle-ci surgit  le médecin  allemand qui ne peut hélas que constater le décès de son confrère.
Le médecin semble très affecté par la mort de ce prisonnier dont il avait constaté  l' extrême dévouement  aux blessés. Il ordonne alors d'ensevelir le corps du docteur Chastang à Eessen auprès des officiers allemands décédés et, geste magnifique, lui-même, peu après entreprit d'écrire sur la croix funéraire : "Ici repose un brave médecin français".

Pour terminer, voici la citation à l'ordre de l'armée du Dr Chastang :

"Le général commandant la région fortifiée de Dunkerke et le 36° corps d'armée cite à l'ordre de l'armée le médecin de 3° classe Chastang, des fusiliers marins, qui s'est signalé dès les premiers engagements par son courage, son sang-froid et ses qualités professionnelles. Le 10 novembre l'ennemi ayant envahi son poste de secours, ce jeune officier, grâce à son sang-froid, sauva la vie à son chef; frappé à mort le lendemain au cours d'un bombardement en donnant des soins aux blessés français et allemands, a su par son attitude forcer l'admiration même de nos ennemis".

Qui, un jour, ira se recueillir sur  la tombe du Dr Chastang qui se trouve peut-être dans le  grand cimetière militaire français  "St Charles de Potyse" d' Ypres ?

Addendum: Précisions sur la tombe du Dr Chastang à Essen données en août 2003 par Monsieur Geldhof Philip.

J'effectue des recherches sur les militaires français morts en Flandre en 1914-1918 et cela en coopération avec le musée In Flanders Fields à Ypres. La tombe du docteur Félix Chastang se trouve à Esen, commune de Dixmude. Sur sa tombe en marbre il y a seulement: "Ici repose un brave médecin français". Cette tombe a été remise en état, il y a quelques années, par la ville de Dixmude.
C'était ce que moi - et bien d'autres gens - pensais comme étant la réalité.
Mais comme souvent en faisant des recherches les choses ne sont pas toujours aussi simples ... Il y a juste deux mois, dans une copie du régistre de la nécropole de Chastres-Villeroux, je lis le nom du dr Chastang.
Effectivement, fin des années 60, son corps a été réinhumé à Chastres, bien loin de la terre où il est tombé... Sa tombe à Esen y est restée...vide. J'espère que cette annecdote vous semble utile. Mes salutations sincères.
Philip GELDHOF



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