Médecins de la Grande Guerre

L’Héroïsme de la Belgique pendant la Guerre de 1914.

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L’Héroïsme de la Belgique pendant la Guerre de 1914

Discours

Prononcé à Notre-Dame de Paris

Par

Le R.P. Marie-Albert Janvier

des frères prêcheurs

Sous la Présidence de S.E. le Cardinal Amette

Archevêque de Paris

 


          Eminentissime Seigneur,

          Mes frères,

     A Londres, le 15 novembre 1831, il y a aujourd’hui 83 ans, fut conclu un traité qui, signé bientôt solennellement par l’Angleterre, par la France, par la Russie, par la Prusse, par l’Autriche, consacrait l’autonomie de la Belgique et déclarait son territoire neutre et inviolable. Confiant dans la parole de l’Europe, scrupuleusement fidèle à ses propres engagements, le nouvel Etat connut de longs jours de paix et de prospérité.

     A l’ombre de ses antiques beffrois, de ses palais, de ses temples, de ses universités, de ses halles aux blés, on vit fleurir la religion, les arts, les lettres, les sciences, la philosophie, le commerce. Du monde entier, on venait pour écouter les hymnes de pieuse adoration que les cloches de Bruxelles, d’Anvers, de Gand, de Liège, de Namur, de Bruges, d’Ypres, de Tournai, chantaient le soir dans les tours dorées par les feux du soleil couchant. Sur ce sol privilégié, des gouvernements sages conciliaient le goût du progrès et de la liberté avec l’amour des traditions et de l’autorité. Pleine d’habitants, sillonnée par des chemins qui établissaient des rapports faciles entre ses différentes provinces, cette jeune nation entendait sonner l’heure où sa vitalité passerait les frontières et se communiquerait à l’univers. Soudain, cet ordre a été troublé ; soudain cet élan a été brisé ; soudain, une guerre, dont nos annales parleront avec épouvante, a rompu l’équilibre général et frappé d’abord le royaume qui devait être le plus à l’abri de ses fureurs : la Belgique. Mais dans cette extrémité, la Belgique s’est montrée supérieure à son infortune et a plus étonné le genre humain par sa constance que par ses malheurs. Son attitude a mérité, obtenu les hommages de tous les peuples ; elle a mérité spécialement ceux de la France, dont elle a si positivement servi la juste cause.

     Je suis heureux, Eminentissime Seigneur, que vous avez daigné me choisir pour interpréter, sous le ciel de notre belle capitale, sous les voûtes de notre basilique nationale, nos sentiments vis-à-vis de nos alliés, pour dire à nos compatriotes que nous devons admirer l’héroïsme de la Belgique, compatir à ses douleurs et soulager sa détresse.

     L’admiration est le sentiment que l’on éprouve en contemplant un spectacle extraordinaire, sentiment où la joie, l’étonnement, la sympathie de mêlent pour nous saisir tout à coup, nous rendre immobiles en nous plongeant dans une sorte d’extase. Elle suppose que l’on reconnaît dans son objet non seulement de la beauté, mais une beauté démesurée qui déborde notre faculté de voir. Dans l’ordre physique, elle s’attache aux horizons que le regard ne saurait embrasser dans toute leur ampleur, aux lieux semés d’étoiles si nombreuses que l’homme ne peut les compter, aux océans dont les flots vivants s’étendent toujours plus loin que nos yeux. Dans l’ordre intellectuel, les victoires inespérées du génie, de l’art, des sciences, de la philosophie le font naître en éblouissant l’esprit et en transportant la sensibilité. Mais par-dessus tout, elle éclate dans l’ordre moral, et dans cet ordre, ce qui la pousse à son comble, c’est l’apparition de l’héroïsme. C’est que l’héroïsme, avec son auréole de force et de splendeur, est un phénomène prodigieux, l’élan indomptable d’une vertu qui, voulant se sauver elle-même et se garder d’une souillure, franchit toutes les limites, résiste à toutes les puissances, supporte toutes les tortures et s’élève si haut que, d’après les Anciens, nul ne l’exerce sinon en buvant à la coupe où s’abreuve l’invincible Divinité.

     Aux sommets embrasés par les feux de l’héroïsme, a vie atteint son maximum d’intensité ; la nature, comme oublieuse des lois qui d’ordinaire la régissent, monte au-dessus d’elles-mêmes et prend des proportions qui ne semblaient pas compatibles avec sa faiblesse. Heureux les individus et les peuples qui, méprisant leurs corps et leurs intérêts immédiats, se sont abandonnés aux entrainements de l’héroïsme : ils ont choisi la meilleure part incorruptible que Dieu lui-même ne pourrait pas leur enlever. Refuser l’admiration à ces êtres d’élite qui sont la gloire de notre race, serait commettre une injustice criante contre laquelle protesteraient éternellement les consciences droites et les cœurs bien placés.

     La Belgique a connu ce surcroit de grandeur, cette surabondance d’énergie, cette ivresse de vie morale que l’héroïsme apporte avec lui.

     Héroïque, elle l’a été, lorsque sommée d’obéir à l’ultimatum du prince le plus puissamment armé de l’univers ou d’affronter les horreurs d’une guerre sans merci, elle s’est prononcée dans la mémorable séance qui n’a pas duré un quart d’heure, pour le Droit contre la Force.

     Héroïque, elle l’a été, lorsque, avec une poignée de braves, elle a osé résister à l’assaut d’envahisseurs sans nombre et, durant des semaines inoubliables, les tenir en échec.

     Héroïque, elle l’a été, lorsque, refoulée de Liège à Namur, de Namur à Bruxelles, de Bruxelles à Anvers, d’Anvers à Ostende, d’Ostende à Dixmude, elle a refusé l’humiliante paix qu’on ne rougissait pas de lui proposer.

     Héroïque, elle l’a été, dans ce jeune et grand Roi qui, sans souci de sa personne, partage toutes les épreuves de ses sujets, vit avec ses soldats dans les tranchées, s’endort sous les canons, commande sur les lignes de feu et, au lendemain des pires catastrophes, s’écrie fièrement : « La Belgique est brisée, elle n’est pas soumise. »

     Héroïque, elle l’a été dans cette « petite Reine » qui, toujours aux abords du champ de bataille, panse les blessés et charme par sa grâce, par sa foi, par la sérénité de son espérance, les dernières heures des mourants.

     Héroïque, elle l’a été dans ces ministres à jamais illustres qui, secondant leur souverain, travaillent sans relâche pour leur Patrie et la servent avec un dévouement, avec un désintéressement, avec une intelligence dont peut-être l’histoire n’a jamais été témoin.

     Héroïque, elle l’a été dans ces troupes qui ont arrêté, harcelé, déconcerté, décimé un adversaire dont la force n’a d’égale que l’insolence.

     Héroïque, elle l’a été dans son peuple, qui a vu le sang rougir les eaux de la Meuse, de la Sambre, de l’Escaut, de la Lys, tomber les citadelles de Liège et d’Anvers, les monuments de Louvain et de Malines sans renoncer à son indépendance.

     Le philosophe disait qu’un jour, qu’une heure, qu’une minute d’héroïsme valent plus qu’un siècle de prudence banale ou de vulgaire vertu. Depuis trois mois et demi, la Belgique vit d’un inépuisable héroïsme. Aujourd’hui, elle est l’orgueil de l’humanité. Elle a un droit rigoureux à l’admiration qui soutiendra son courage, aux applaudissements qui souligneront sa magnanimité, aux acclamations qui, d’un bout à l’autre de l’espace, rendront témoignage à ses vertus et à ses prouesses.

     Elle y a d’autant plus droit sur le sol français que son intrépide effort nous a sauvés ! Cette satisfaction ne lui manquera pas. O fiers habitants de la Flandre et de la Wallonie, il n’est pas un être généreux qui ne s’émeuve en pensant à vous, qui ne fixe les yeux sur vous ! De la Tamise à la Vistule, des pays civilisés jusqu’aux déserts lointains, votre éloge est dans toutes les bouches, et, j’en suis sur, en vous contemplant, Dieu et sa Cour tressaillent d’enthousiasme. De l’âme française la louange s »élève vers vous animée, vibrante. Cette louange ne taira pas ; nos anges, nos saints, nos apôtres, nos docteurs, nos artistes, nos poètes, nos historiens en prolongeront les sonores échos jusqu’à la fin des temps et au-delà des temps. Les générations successives entendront éternellement répéter au ciel et sur la terre : « Honneur au Roi des Belges, Albert 1er ! Honneur à la Reine des Belges, Elisabeth ! Honneur à De Broqueville, chef du ministère belge et à ses collaborateurs ! Honneur à l’armée de Liège, de Namur, d’Anvers, d’Ostende, de Dixmude ! A toute la race belge, honneur et bénédiction dans les siècles des siècles ! »

*

*  *

     L’héroïsme est un principe de gloire, mais la souffrance entre dans son cortège. Que dis-je, l’éclat de sa gloire se mesure à la grandeur des sacrifices qu’il entraine ; et plus la douleur à laquelle il résiste est consciente, plus il mérite son nom. Le chrétien qui ne cède pas aux coups dont il ressent toute la cruauté l’emporte sur le stoïcien qui, dans les revers, affecte l’impassibilité. Le Christ a été sublime non point parce qu’il a nié l’effet de la torture sur son corps et sur son âme, mais parce que, en proie à d’inexprimables angoisses, il a refusé de trahir sa divine mission. La Belgique a été sublime non point parce qu’elle a dit à son implacable adversaire : « Les blessures que tu m’infliges, si larges, si profondes, si cuisantes qu’elles soient, n’auront point raison de ma ténacité ! » La Belgique s’est montrée héroïque parce qu’elle a su, sans revenir sur sa résolution, passer par toutes les transes d’une épouvantable agonie. O frères, que vous êtes grands, mais que vous êtes malheureux ! Qu’ils ont souffert, ce Roi et cette Reine, quand des projectiles puissamment meurtriers ont éclaté sur leur demeure et menacé la vie de leurs enfants, quand l’ennemi, envahissant leur territoire, a commandé en maître dans leurs palais, dans leurs provinces et dans leur capitale. Qu’ils ont souffert ces officiers, quand leurs forteresses se sont effondrées ! Qu’ils ont souffert ces humbles soldats, quand la mort a fondu sur eux ! Qu’ils ont souffert ces pasteurs, quand les voûtes, les colonnes, les arceaux, les autels de leurs temples se sont écroulés avec fracas ! Qu’ils ont souffert ces magistrats, quand leurs cités, tout-à-coup, ont été détruites par le fer ou brulées par le feu ! Qu’ils ont souffert ces paysans et ces ouvriers, chassés de leurs fermes, de leurs usines et obligés de fuir à la hâte et au hasard ! Qu’ils ont souffert surtout ces pères, ces mères, ces enfants auxquels l’effroyable fléau a ravi les êtres les plus nécessaires et les plus aimés ! Sur les chemins jadis éclairés par les rayons du bonheur, je ne vois que des larmes, je n’entends que des sanglots ! Les campagnes dévastées pleurent, les eaux rougies par le sang se répandent en murmures de deuil et le Roi et ses sujets portent sur leurs mâles visages la marque des tragiques émotions qui les étreignent. Oh ! que je voudrais posséder un baume souverain pour le verser sur de si vastes plaies !

     Du moins, nous pleurerons avec ce peuple infortuné. Nous pleurerons sur les ruines de Malines, de Louvain, comme nous pleurerons sur celles de Senlis, de Reims et d’Arras. Nous pleurerons sur les villages ravagés, sur les campagnes pillées des Flandres et de la Wallonie, comme nous pleurons sur la Lorraine, sur la Champagne, sur la Brie, sur le Nord, mis, depuis deux mois et demi, à feu et à sang. Nous pleurerons sur les compagnons généreux de nos soldats comme sur nos soldats mêmes. Anglais, Belges, Français se sont unis pour lutter, pour souffrir, pour mourir au service des trois patries qui, aujourd’hui, n’en font plus qu’une ; leurs restes sacrés reposent dans les mêmes sillons ; bientôt leurs poussières confondues seront une seule poussière ; leurs âmes se sont envolées ensemble vers le Dieu qui couronne dignement les martyrs ; la mort ne les a point séparés, nous ne les séparerons pas dans le culte religieux et endolori que nous leur rendrons. Après cela, nos yeux seront encore assez riches de larmes, nos cœurs assez riches d’amour pour que notre compassion puisse s’étendre à ceux qui combattent avec nous, tombent aux confins de la Vistule et de la Turquie. En partageant les indicibles afflictions de la Belgique, nous lui allégerons le fardeau et il deviendra moins écrasant pour cette noble race qui a tant mérité de la France.

     Comme vous le disiez il y a quelques jours avec autant de magnificence, Eminentissime Seigneur, un vaste espoir gonfle notre poitrine et nous donne la force de supporter sans défaillance le poids de nos malheurs. Le sang de nos soldats n’a pas coulé en vain, leur héroïsme ne sera pas stérile ; sur leurs sépulcres prématurément ouverts fleuriront les palmes de la victoire. En même temps, grâce au dévouement de nos légions, s’établiront, dehors, une paix glorieuse, et, au-dedans, la douce harmonie dont nous avions tant besoin. Sur la terre de France, il n’y aura plus que des Français respectueux les uns des autres et ne formant plus qu’une âme, car si nous voulions nous disputer encore, il faudrait nous disputer et nous maudire sur les tombeaux des êtres qui se sont sacrifiés autant pour nous arracher à nos dissensions intérieures que pour nous protéger contre l’envahissement de l’étranger.

     Appuyée sur une parole qui n’a jamais trompé, la parole même de Dieu, notre espérance monte plus haut, elle franchit les portes du temps. Elle nous l’assure : nos soldats tués au feu ne sont point complètement morts, ils ont changé de vie. De l’état précaire où l’on est exposé à tant de déceptions et à tant de souffrances, ils ont passé à la plénitude de l’être et de la béatitude. Dans l’éternité s’élève une autre France, une France impassible, intimement liée à la France de la terre et que la France de la terre rejoindra un jour ; une France où nous retrouverons transfigurés, mais personnellement les mêmes, les êtres si aimés que nous avons perdus. Ces multiples espoirs sont les seuls qui puissent nous consoler. Nous les verserons dans l’âme de la Belgique, à laquelle nous répèterons qu’après la victoire, Flamands et Wallons, unis indissolublement par leurs communs efforts, par leurs communes douleurs, par leurs communs triomphes, travailleront de concert pour leur Patrie agrandie, épurée, comme ils ont lutté pour son autonomie et pour sa dignité.

     Nous lui répèterons que nos deux peuples, voisins en ce monde, le sont aussi dans l’autre ; qu’au-delà du siècle présent, dans l’immense royaume des élus, apparaît une Belgique radieuse où les pères, les mères, les épouses, les enfants retrouveront les héros que la guerre leur a momentanément ravis.

     En faisant luire avec plus d’éclat devant leurs yeux cette sainte espérance dont ils connaissent autant que nous les perspectives, nous consolerons nos chers alliés et nous panserons leurs cœurs si cruellement meurtris.

     Au terme du fléau qui bouleverse l’univers, ils apercevront une Patrie rayonnante, exerçant sur les autres nations le prestige que lui ont valu son amour indomptable de la justice, son inflexible fidélité à sa parole et s’imposant au respect, à la vénération de tous les âges. Au-delà du temps, ils apercevront les capitaines, les soldats qui sont tombés au champ d’honneur, vivant heureux auprès de Dieu, leur tendant les bras ; ils puiseront dans cette vision la force de se résigner avec douceur et de supporter jusqu’au bout leur incroyable épreuve. Notre prière assurera plus d’efficacité  encore à notre compassion. Chrétiennement interpellé par nous, le souverain consolateur prouvera son amour séculaire pour les Francs, ses vieux apôtres, non pas seulement en affermissant nos courages, mais encore en comblant de ses bénédictions les immortels amis qu’il nous a donnés.

*

*  *

     L’âme chrétienne ne se contente pas d’admirer l’héroïsme, de compatir à la souffrance, elle s’efforce de soulager la misère. La misère de la Belgique passe les bornes. Pour échapper à la servitude, à l’outrage, au massacre, femmes, enfants, vieillards ont dû quitter les villages, les maisons qui les abritaient, les cités où ils sont nés, où ils comptaient vivre et mourir, les champs qui les nourrissaient, les ateliers, les usines dont ils espéraient tirer leur modeste subsistance. Affolés, éperdus, ils ont fui précipitamment, ils ont marché à l’aventure se répétant que le lendemain ne pouvait pas être pire que la veille. La Hollande, l4angleterre, la Suisse les a vus se trainer haletants, les yeux dilatés par l’épouvante, les vêtements en lambeaux, reflétant sur leurs visages exténués les traces ineffaçables des privations qu’ils avaient endurées. Dieu soit béni de la confiance qu’ils nous ont témoignée ! Leurs regards et leurs pas se sont surtout orientés vers la France. Ces malheureux ont cru que malgré la crise que nous traversions nous-mêmes, nous saurions trouver dans notre chevaleresque et légendaire libéralité le secret de les loger, de les nourrir, de les vêtir. Ils ne se sont pas trompés, notre pays leur a ouvert les bras et comme aux plus chers de ses enfants, notre gouvernement, nos administrations, nos comités, les riches, les pauvres, ont opéré des miracles pour subvenir à leur détresse.

     J’ose affirmer que nous avons fait, que nous ferons, sinon tout ce que nous aurions voulu, au moins tout ce que nous avons pu et tout ce que nous pourrons pour les réfugiés qui ont compté sur nous. Aussi longtemps que nous aurons un morceau de pain, nous le partagerons avec eux, et heureusement les jours s’éloignent de plus en plus où notre ennemi aura quelque chance de nous vaincre et de nous ruiner.

     Plaise à Dieu qu’il nous soit donné de n’oublier aucune infortune, de découvrir dans notre charité le moyen de secourir avec persévérance et avec efficacité tous les êtres qui sont venus implorer notre appui. Le cœur de la France est plus large que le monde. Aussi j’ose vous prier de penser non seulement aux Belges qui, dépourvus de tout, nous ont demandé asile, mais encore aux Belges qui, restés dans leur pays par nécessité ou par devoir, ne sont pas moins à plaindre que leurs compatriotes exilés. Aujourd’hui, je m’adresse à la capitale de la France, à cette capitale qui, par une insigne faveur de la Providence, a évité les horreurs de l’invasion, et je la supplie d’ouvrir sa bourse à la capitale de la Belgique, à Bruxelles qui a vu l’ennemi entrer triomphant dans ses murs et commander souverainement dans son enceinte ; à Bruxelles, le pain devient chaque jour plus cher, plus noir et plus rare, la misère gagne, sans compter que pour un rien, pour un fil télégraphique ou téléphonique brisé par accident on est menacé des plus dures représailles.

     Les ouvriers sans travail, les employés sans occupation, les veuves et les orphelins sans protecteurs composent la majorité de cette population. Pitié pour ces créatures de Dieu, qui pourraient répéter les paroles amères du prophète : « Notre héritage a passé à des étrangers et nos maisons à nos ennemis. Il nous faut acheter à prix d’argent l’eau de nos sources, payer à grand prix les arbres de nos bois et donner ce que nous avons de plus précieux pour obtenir un peu de pain et pour sauver nos vies. » Pitié pour ces indigents qui périront de froid et de faim si nous ne leur venons immédiatement en aide. Je le sais, nos ressources sont diminuées, la guerre fait peser sur notre pays des charges sans nombre. Aussi, je ne vous demande pas pour les pauvres de Bruxelles plus que vous ne pouvez, mais tout ce que vous pouvez.

     Tout à l’heure, une noble princesse, belge par son sang, française par son mariage, la sœur même du Roi Albert, vous tendra la main, et votre générosité, j’en suis sûr, remplira sa bourse. Vous répondrez en même temps à la démarche de la vaillante femme venue ici de Bruxelles à travers mille dangers pour implorer votre assistance. Cette femme en 1870, a soigné pendant neuf mois nos blessés avec un tel dévouement que notre pays a voulu lui décerner une magnifique décoration : sa belle attitude vis-à-vis des nôtres lui donne un droit de charité vis-à-vis des siens.

     Aujourd’hui l’Eglise célèbre au nom du bienheureux Albert le Grand, patron du Roi des Belges ; je ne crains pas de l’affirmer, Madame la Duchesse de Vendôme et Madame Guillery pourront, grâce à vous, offrir à leur Souverain pour le soir de sa fête un vrai trésor : un trésor destiné à nourrir et à vêtir ses sujets les plus nécessiteux. Ainsi notre admiration, notre sympathie se montreront fécondes à ceux à qui, pour une grande part, nous devons le salut ; pour une grande part, nous devrons la vie.

     Madame, lorsque vous aurez la joie de rencontrer votre auguste frère, dites-lui que tous les Français, sans exception, s’inclinent avec un profond respect devant sa royale ténacité, devant la majesté de ses hautes vertus. Vous tous, qui représentez ici la Belgique, dites à vos cités, dites à vos provinces que la France sera jalouse de leur rendre au centuple et sous toutes les formes ce qu’elle a reçu. Ajoutez, pour les réconforter et pour les consoler, que le moment approche où, les bourdons de Sainte-Gudule et de Notre-Dame unissant leurs voix, entonneront le Te Deum de la Paix, de la Victoire, et proclameront que la Belgique et que la France aimées de Dieu ne meurent pas.  

 



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