Médecins de la Grande Guerre

Le Dépôt des Invalides de Sainte-Adresse

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L'Ecole nationale belge de Port-Villez.

Vue générale des ministères belges à Sainte-Adresse en France. (photos extraites du Miroir n° 50 du 8/11/1914)

M. Hennion, délégué du gouvernement français, photographié avec M. Carton de Wiart, ministre de la justice en Belgique. (photos extraites du Miroir n° 50 du 8/11/1914)

C’est à l'hôtel "l'Ermitage", sur la plage de Sainte-Adresse, que siège provisoirement le gouvernement belge, hôte de la France. (photos extraites du Miroir n° 50 du 8/11/1914)

Officiers supérieurs sortant d’un ministère. (photos extraites du Miroir n° 50 du 8/11/1914)

M. Berryer, ministre de l’Intérieur, à gauche, et M. Van de Vyvere, ministre des Finances, à droite, se communiquent des nouvelles. (photos extraites du Miroir n° 50 du 8/11/1914)

L’antichambre des principaux Ministères. Il y a quelque chose de singulièrement émouvant dans la simplicité avec laquelle nos amis belges se sont installés chez nous. (photos extraites du Miroir n° 50 du 8/11/1914)

La visite du conseil municipal de Paris, M. Mithouard, président du conseil municipal, M. Cherest, président du conseil général et M. Hennion se sont rendus à Sainte-Adresse. (photos extraites du Miroir n° 50 du 8/11/1914)

Le ministère des Colonies dans un magasin. Nul doute que, plus tard, le commerçant qui a l’honneur d’offrir l’hospitalité à un ministère ne change l’enseigne de sa boutique. (photos extraites du Miroir n° 50 du 8/11/1914)

Officiers devant le ministère de la Guerre. Jamais ministère de la Guerre n’a mieux justifié son nom que celui-ci. Il met d’avantage en valeur l’héroïsme de l’armée alliée. (photos extraites du Miroir n° 50 du 8/11/1914)

Gendarmes français et sentinelle belge. Le Havre a fait aux Belges une réception chaleureuse et la plus franche camaraderie règne entre leurs soldats et les nôtres. (photos extraites du Miroir n° 50 du 8/11/1914)

La relève de la Garde belge à Sainte-Adresse. La Belgique jouit au Havre, de l’exterritorialité. Elle est chez elle, garde tous ses services, sa poste, ses timbres et ses soldats. (photos extraites du Miroir n° 50 du 8/11/1914)

Le ministère des Affaires Etrangères. Une petite pancarte apprend seule aux passant qu’une villa de la coquette station balnéaire abrite un important ministère. (photos extraites du Miroir n° 50 du 8/11/1914)

Petite explication concernant les photos suivantes.

Le Roi Albert 1er (collection Jean Baboux)

L’Ordre de Léopold (collection Jean Baboux)

La Médaille Militaire (collection Jean Baboux)

Le Roi Albert 1er « allégories » (collection Jean Baboux)

Le Dépôt des Invalides de Sainte-Adresse[1]

 

     Le dépôt des Invalides de Sainte-Adresse est une œuvre due à l’initiative priée secondée par les pouvoirs publics, tandis que l’école sœur de Port-Villez a été jusqu’ici exclusivement soutenue par l’Etat belge. Ces deux établissements représentent assez bien deux des principaux types d’écoles qui se partagent les faveurs du public belge en matière d’enseignement élémentaire et professionnel.

     Dans la conférence à laquelle je me suis déjà rapporté à plusieurs reprises[2], j’ai exposé succinctement les débuts de ce Dépôt, auquel Mr. Schollaert, président de la Chambre des Représentants de Belgique, a attaché à jamais son nom vénéré.

     Au lendemain de la bataille de l’Yser, des éclopés de l’armée belge, imparfaitement guéris de leurs blessures et ayant obtenu prématurément leur exeat des hôpitaux dans le tohu-bohu de la mêlée, étaient venus frapper à la porte de Mr. Schollaert. « Il fut si ému de leur détresse, qu’il demanda au Ministre de la guerre l’autorisation de les réunir à Sainte-Adresse, dans un dépôt où ils auraient le logement, le couvert et les soins médicaux... Le dépôt des Invalides se peupla rapidement. Mr. Schollaert s’était procuré à titre gracieux, un certain nombre de locaux qu’il fit aménager en hâte. Il eut la bonne fortune d’attacher à son œuvre le docteur Smets, le praticien bien connu de Schaerbeek, qui joint à une science médicale très étendue la connaissance du cœur humain et qui, dans ce milieu de douleurs, sut être, avec la bonté enveloppante et presque maternelle et la délicatesse exquise dont il a le secret, le médecin des âmes autant et peut-être plus que le médecin des corps. Par son caractère jovial et son humeur toujours égale, il parvint à faire régner la bonne humeur parmi les déshérités confiés à ses soins ; il organisa de façon exemplaire la mécanothérapie, l’électrothérapie, l’hydrothérapie et la thermothérapie, et contribua pour une large part au succès de l’établissement.

     « Entretemps, Mr. Schollaert avait créé des ateliers et des cours pour la rééducation professionnelle ; il y présida lui-même, réglant tous les détails, et c’était vraiment touchant de voir ce vétéran de la politique participant à la vie intérieure du dépôt, interrogeant les hommes, se préoccupant de leurs besoins, s’intéressant à leurs progrès, promouvant des perfectionnements. »

     Depuis lors, les services qui étaient primitivement logés dans des bâtiments épars, ont été réunis en un vaste camp au lieu dit « la Sous-Bretonne ». Cinquante-quatre baraquements démontables en planches, prêtés par le Département des Travaux publics de Belgique et que celui-ci a préparés en vue de la réoccupation des régions dévastées de notre pays, abritent désormais élèves et ateliers.

     L’ensemble présente un bel aspect, avec ses constructions entourant une vaste place centrale. On dirait un village d’artisans improvisé par quelque prodigieux organisateur.

     Dès qu’un certain nombre d’invalides avaient été réunis sous sa paternelle protection, Mr. Schollaert se souvenant sans doute de ce qu’à deux reprises différentes il avait détenu le portefeuille de l’instruction, institua à leur intention des cours généraux et certains cours spéciaux tels que la comptabilité et la correspondance commerciales. Mais bientôt, devant l’afflux des travailleurs manuels, il créa aussi des cours de rééducation et de réadaptation professionnelles. Les débuts furent modestes. Dans des locaux disséminés autour du bâtiment appelé « Manoir » - cellule-mère d’où est sortie toute l’œuvre – s’installèrent des ateliers de fortune : les brossiers débutèrent dans une écurie, les tourneurs dans une cuisine, les menuisiers dans un petit hangar loué à un particulier et les cordonniers dans la salle principale d’une villa. L’outillage était plus que rudimentaire et l’enseignement technique était donné par des artisans philanthropes du Havre.

     Mais l’œuvre prit un magnifique essor, après que la capitaine de réserve, Comte de Renesse en eut prit la direction technique. Il n’était pas novice en matière d’enseignement professionnel. Au beau temps où la paix luisait encore sur notre cher petit pays, il avait créé auprès de sa résidence d’été de la Campine, deux écoles florissantes où un grand nombre de jeunes filles et de jeunes garçons des environs venaient s’initier aux métiers campagnards.

     Sous son énergique impulsion, les ateliers se développèrent et en peu de temps il créa le camp dont nous avons parlé plus haut. Les ateliers abritent actuellement les travailleurs du bois : menuisiers, fabricants de jouets et de bois de brosses, tonneliers, sabotiers, tourneurs en bois et modeleurs en bois ; les travailleurs des métaux : mécaniciens, tourneurs en fer, électriciens-appareilleurs, plombiers-zingueurs ; les travailleurs de la terre et les petits éleveurs : jardiniers, maraîchers, éleveurs de volailles et de lapins ; artisans divers : boulangers, pâtissiers, tapissiers-garnisseurs, orthopédistes, mouleurs en plâtre, brossiers, cordonniers, tailleurs, casquettiers, cartonniers, imprimeurs, fabricants d’enveloppes, etc.

     La fabrication des jouets et des brosses est poussée à un haut degré de perfection. Le capitaine de Renesse est en relations suivies avec les grands bazars de Paris et de Londres qui lui passent des commandes très intéressantes et très variées. Cette variété est indispensable au bon apprentissage, car il importe que les élèves aient l’occasion d’exécuter les divers travaux types prévus au programme. L’intendance anglaise compte également parmi ses meilleurs clients et lui demande des brosses de toute nature.

     Après des fluctuations compréhensibles, l’œuvre de Sainte-Adresse en est arrivée à une organisation qui est sensiblement la même que la nôtre à Port-Villez. Cela n’est pas étonnant d’ailleurs : nous nous sommes trouvés devant les mêmes problèmes, ayant à notre disposition les mêmes éléments pour les résoudre. Il est naturel que nous ayons recours aux méthodes en honneur dans les écoles belges et que nous les ayons appliquées avec des mentalités assez semblables. C’est ainsi que, sans avoir eu de connexions, nous avons abouti à l’adoption de systèmes similaires.

     Le Dépôt de Sainte-Adresse possède comme nous son service technique et son service pédagogique avec comme adjuvant le service médical.

     La direction du Dépôt de Sainte-Adresse est nominativement exercée par un médecin de régiment de 1ère classe appartenant à l’active. C’est à notre humble avis une anomalie, mais elle n’a ici aucune importance, puisque Mr. Schollaert, sans avoir le titre, exerce effectivement les fonctions de directeur général, coordonne les efforts des trois services et les dirige vers le but commun.

     Comme à Port-Villez, tous les élèves suivent les cours d’enseignement général. C’est que Mr. Schollaert est, comme nous, convaincu de la nécessité de compléter l’instruction des hommes, afin qu’ils compensent dans une certaine mesure, par un savoir plus étendu l’infériorité physique où leurs lésions les ont placés. Il ne verse pas dans l’erreur de ce satrape qui, dans sa haute sagesse, estimait que le service pédagogique de Port-Villez n’avait pas de raison d’être.

     Dans le début les élèves entrant au dépôt étaient versés dans les classes d’enseignement général. Ceux qui en avaient besoin suivaient un traitement physiothérapique approprié et ce n’est qu’après une certaine période de ce régime qu’ils étaient admis dans les ateliers. Il en résultait une certaine perte de temps qui n’était pas toujours compensée par une augmentation suffisante de l’instruction. Actuellement le Dépôt suit le système en usage à Port-Villez ; les hommes sont immédiatement mis en présence d’un métier et leurs cours pratiques alternent avec des leçons théoriques de français, de flamand, de calcul, de dessin, et de technologie.

     L’Institution de Sainte-Adresse possède aussi une section pour la formation de comptables et d’employés. Je n’insisterai pas sur les détails de son organisation, car elle ressemble comme une sœur jumelle à celle de Port-Villez.

     Ce qui me paraît particulièrement intéressant, c’est le côté économique de l’œuvre, qui abrite à ce jour 699 élèves.

     A la suite d’une convention conclue le 10 décembre 1914 avec le Ministre de la guerre, le Dépôt admet tous les militaires mutilés ou invalides que le service de santé de l’armée belge lui envoie. L’Etat lui sert une allocation journalière de 2,50 Fr. par homme sur laquelle l’œuvre doit faire une ristourne de 25 centimes aux intéressés. L’intendance fournit les objets d’habillement et le service de santé les literies, car chaque dispose d’un lit d’hôpital avec matelas et non d’un lit de camp avec simple paillasse. L’armée détache auprès de l’œuvre un cadre complet d’instructeurs choisis autant que possible parmi les inaptes au service de campagne des classes les plus anciennes et d’instructeurs empruntés au groupement des brancardiers-infirmiers.

     Tant que les élèves appartiennent à la catégorie des apprentis, ils touchent, en dehors de leur solde journalière, un salaire qui varie de 0,50 Fr. à 1 Fr. Ils passent ensuite dans la catégorie des demi-ouvriers et des ouvriers et sont alors payés d’après leurs capacités et leur travail, car certains travaillent à la pièce, mais la plupart touchent un salaire qui gravite autour de 2,50 Fr. par jour, soit 15 Fr. par semaine ou 60 Fr. par mois.

     La direction leur remet sur ce montant 10 Fr. d’argent de poche par mois et verse le reliquat du salaire moyen mensuel, soit 50 Fr. à leur livret de caisse d’épargne. C’est ainsi que certains des hommes se trouvent dès maintenant à la tête d’un avoir de plusieurs centaines de francs. Les livrets sont détenus par l’officier payeur. Un d’entre eux a ainsi économisé 1010 francs.

     Il va de soi que les chefs autorisent volontiers les hommes à faire sur leur avoir de petits prélèvements pourvu qu’il soit avéré que la somme demandée aura un emploi raisonnable.

     Mentionnons encore que chaque ouvrier – pour autant que le métier exercé le permette – possède un outillage complet dont il amortit graduellement et qui devient ainsi sa propriété en un laps de temps très court.

     Pour donner une idée de l’activité industrielle déployée par la section industrielle du Dépôt, nous dirons encore, qu’avec une mise de fonds d’une trentaine de mille francs, elle a réalisé en 1915 un chiffre d’affaires de 275.000 francs.

     C’est Mr. Schollaert qui a en partie fourni, en partie trouvé les fonds pour l’acquisition d’un outillage varié autant que perfectionné. Il est vrai que la contre-valeur existe ; mais cela n’empêche qu’il y a là une grande immobilisation de capitaux.

     Inutile d’ajouter que le fondateur de l’œuvre entoure ses pupilles des soins moraux les plus assidus. Comme nous, il attache énormément d’importance à conserver et au besoin à relever leur moral d’une manière systématique et continue, par des distractions honnêtes et fréquentes.

     En résumé, le Dépôt de Sainte-Adresse est une création magnifique qui fait le plus grand honneur à M. le Président Schollaert et à ses dévoués collaborateurs. Elle a été la première œuvre belge de ce genre fondée sur la terre hospitalière de France, comme Mr. Schollaert a été pour nous tous, l’initiateur. Honneur lui en soit rendu. Les 2918 convalescents, invalides et mutilés qui jusqu’à ce jour ont passé dans son établissement et leurs familles lui en sauront gré et le pays lui sera reconnaissant pour le bien largement prodigué à ses fils déshérités.   



[1] « La rééducation professionnelle des soldats mutilés et estropiés. » par Léon de Paeuw, 1917, Librairie Militaire Berger-Levrault, Paris et Nancy ; Imprimerie de l’Ecole Nationale Belge des Mutilés de la Guerre à Port-Villez

[2] Conférence faite par l’auteur : La rééducation professionnelle des grands blessés de guerre et l’Institut militaire belge de rééducation professionnelle, Port-Villez lez-Vernon.



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