Médecins de la Grande Guerre
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Le
Dépôt des Invalides de Sainte-Adresse[1] Le dépôt des Invalides
de Sainte-Adresse est une œuvre due à l’initiative priée secondée par les
pouvoirs publics, tandis que l’école sœur de Port-Villez a été jusqu’ici
exclusivement soutenue par l’Etat belge. Ces deux établissements représentent
assez bien deux des principaux types d’écoles qui se partagent les faveurs du
public belge en matière d’enseignement élémentaire et professionnel. Dans la conférence à laquelle je me suis
déjà rapporté à plusieurs reprises[2],
j’ai exposé succinctement les débuts de ce Dépôt, auquel Mr. Schollaert,
président de la Chambre des Représentants de Belgique, a attaché à jamais son
nom vénéré. Au lendemain de la bataille de l’Yser, des
éclopés de l’armée belge, imparfaitement guéris de leurs blessures et ayant
obtenu prématurément leur exeat des
hôpitaux dans le tohu-bohu de la mêlée, étaient venus frapper à la porte de Mr.
Schollaert. « Il fut si ému de leur détresse, qu’il demanda au Ministre de
la guerre l’autorisation de les réunir à Sainte-Adresse, dans un dépôt où ils
auraient le logement, le couvert et les soins médicaux... Le dépôt des
Invalides se peupla rapidement. Mr. Schollaert s’était procuré à titre
gracieux, un certain nombre de locaux qu’il fit aménager en hâte. Il eut la
bonne fortune d’attacher à son œuvre le docteur Smets, le praticien bien connu
de Schaerbeek, qui joint à une science médicale très étendue la connaissance du
cœur humain et qui, dans ce milieu de douleurs, sut être, avec la bonté enveloppante
et presque maternelle et la délicatesse exquise dont il a le secret, le médecin
des âmes autant et peut-être plus que le médecin des corps. Par son caractère
jovial et son humeur toujours égale, il parvint à faire régner la bonne humeur
parmi les déshérités confiés à ses soins ; il organisa de façon exemplaire
la mécanothérapie, l’électrothérapie, l’hydrothérapie et la thermothérapie, et
contribua pour une large part au succès de l’établissement. « Entretemps, Mr. Schollaert avait
créé des ateliers et des cours pour la rééducation professionnelle ; il y
présida lui-même, réglant tous les détails, et c’était vraiment touchant de
voir ce vétéran de la politique participant à la vie intérieure du dépôt,
interrogeant les hommes, se préoccupant de leurs besoins, s’intéressant à leurs
progrès, promouvant des perfectionnements. » Depuis lors, les services qui étaient
primitivement logés dans des bâtiments épars, ont été réunis en un vaste camp
au lieu dit « la Sous-Bretonne ». Cinquante-quatre baraquements
démontables en planches, prêtés par le Département des Travaux publics de
Belgique et que celui-ci a préparés en vue de la réoccupation des régions
dévastées de notre pays, abritent désormais élèves et ateliers. L’ensemble présente un bel aspect, avec
ses constructions entourant une vaste place centrale. On dirait un village
d’artisans improvisé par quelque prodigieux organisateur. Dès qu’un certain nombre d’invalides
avaient été réunis sous sa paternelle protection, Mr. Schollaert se souvenant
sans doute de ce qu’à deux reprises différentes il avait détenu le portefeuille
de l’instruction, institua à leur intention des cours généraux et certains
cours spéciaux tels que la comptabilité et la correspondance commerciales. Mais
bientôt, devant l’afflux des travailleurs manuels, il créa aussi des cours de
rééducation et de réadaptation professionnelles. Les débuts furent modestes.
Dans des locaux disséminés autour du bâtiment appelé « Manoir » -
cellule-mère d’où est sortie toute l’œuvre – s’installèrent des ateliers de
fortune : les brossiers débutèrent dans une écurie, les tourneurs dans une
cuisine, les menuisiers dans un petit hangar loué à un particulier et les
cordonniers dans la salle principale d’une villa. L’outillage était plus que
rudimentaire et l’enseignement technique était donné par des artisans
philanthropes du Havre. Mais l’œuvre prit un magnifique essor,
après que la capitaine de réserve, Comte de Renesse en eut prit la direction
technique. Il n’était pas novice en matière d’enseignement professionnel. Au
beau temps où la paix luisait encore sur notre cher petit pays, il avait créé
auprès de sa résidence d’été de la Campine, deux écoles florissantes où un
grand nombre de jeunes filles et de jeunes garçons des environs venaient
s’initier aux métiers campagnards. Sous son énergique impulsion, les ateliers
se développèrent et en peu de temps il créa le camp dont nous avons parlé plus
haut. Les ateliers abritent actuellement les
travailleurs du bois : menuisiers, fabricants de jouets et de bois de
brosses, tonneliers, sabotiers, tourneurs en bois et modeleurs en bois ; les travailleurs des métaux : mécaniciens,
tourneurs en fer, électriciens-appareilleurs, plombiers-zingueurs ; les travailleurs de la terre et les petits
éleveurs : jardiniers, maraîchers, éleveurs de volailles et de
lapins ; artisans divers : boulangers,
pâtissiers, tapissiers-garnisseurs, orthopédistes, mouleurs en plâtre,
brossiers, cordonniers, tailleurs, casquettiers, cartonniers, imprimeurs,
fabricants d’enveloppes, etc. La fabrication des jouets et des brosses
est poussée à un haut degré de perfection. Le capitaine de Renesse est en
relations suivies avec les grands bazars de Paris et de Londres qui lui passent
des commandes très intéressantes et très variées. Cette variété est
indispensable au bon apprentissage, car il importe que les élèves aient
l’occasion d’exécuter les divers travaux types prévus au programme.
L’intendance anglaise compte également parmi ses meilleurs clients et lui
demande des brosses de toute nature. Après des fluctuations compréhensibles,
l’œuvre de Sainte-Adresse en est arrivée à une organisation qui est
sensiblement la même que la nôtre à Port-Villez. Cela n’est pas étonnant
d’ailleurs : nous nous sommes trouvés devant les mêmes problèmes, ayant à
notre disposition les mêmes éléments pour les résoudre. Il est naturel que nous
ayons recours aux méthodes en honneur dans les écoles belges et que nous les
ayons appliquées avec des mentalités assez semblables. C’est ainsi que, sans
avoir eu de connexions, nous avons abouti à l’adoption de systèmes similaires. Le Dépôt de Sainte-Adresse possède comme
nous son service technique et son service pédagogique avec comme adjuvant le
service médical. La direction du Dépôt de Sainte-Adresse
est nominativement exercée par un médecin de régiment de 1ère classe
appartenant à l’active. C’est à notre humble avis une anomalie, mais elle n’a
ici aucune importance, puisque Mr. Schollaert, sans avoir le titre, exerce
effectivement les fonctions de directeur général, coordonne les efforts des
trois services et les dirige vers le but commun. Comme à Port-Villez, tous les élèves
suivent les cours d’enseignement général. C’est que Mr. Schollaert est, comme
nous, convaincu de la nécessité de compléter l’instruction des hommes, afin
qu’ils compensent dans une certaine mesure, par un savoir plus étendu
l’infériorité physique où leurs lésions les ont placés. Il ne verse pas dans
l’erreur de ce satrape qui, dans sa haute sagesse, estimait que le service
pédagogique de Port-Villez n’avait pas de raison d’être. Dans le début les élèves entrant au dépôt
étaient versés dans les classes d’enseignement général. Ceux qui en avaient
besoin suivaient un traitement physiothérapique approprié et ce n’est qu’après
une certaine période de ce régime qu’ils étaient admis dans les ateliers. Il en
résultait une certaine perte de temps qui n’était pas toujours compensée par
une augmentation suffisante de l’instruction. Actuellement le Dépôt suit le
système en usage à Port-Villez ; les hommes sont immédiatement mis en
présence d’un métier et leurs cours pratiques alternent avec des leçons
théoriques de français, de flamand, de calcul, de dessin, et de technologie. L’Institution de Sainte-Adresse possède aussi
une section pour la formation de comptables et d’employés. Je n’insisterai pas
sur les détails de son organisation, car elle ressemble comme une sœur jumelle
à celle de Port-Villez. Ce qui me paraît particulièrement
intéressant, c’est le côté économique de l’œuvre, qui abrite à ce jour 699
élèves. A la suite d’une convention conclue le 10
décembre 1914 avec le Ministre de la guerre, le Dépôt admet tous les militaires
mutilés ou invalides que le service de santé de l’armée belge lui envoie. L’Etat
lui sert une allocation journalière de 2,50 Fr. par homme sur laquelle l’œuvre
doit faire une ristourne de 25 centimes aux intéressés. L’intendance fournit
les objets d’habillement et le service de santé les literies, car chaque
dispose d’un lit d’hôpital avec matelas et non d’un lit de camp avec simple
paillasse. L’armée détache auprès de l’œuvre un cadre complet d’instructeurs
choisis autant que possible parmi les inaptes au service de campagne des
classes les plus anciennes et d’instructeurs empruntés au groupement des
brancardiers-infirmiers. Tant que les élèves appartiennent à la
catégorie des apprentis, ils touchent, en dehors de leur solde journalière, un
salaire qui varie de 0,50 Fr. à 1 Fr. Ils passent ensuite dans la catégorie des
demi-ouvriers et des ouvriers et sont alors payés d’après leurs capacités et
leur travail, car certains travaillent à la pièce, mais la plupart touchent un
salaire qui gravite autour de 2,50 Fr. par jour, soit 15 Fr. par semaine ou 60
Fr. par mois. La direction leur remet sur ce montant 10
Fr. d’argent de poche par mois et verse le reliquat du salaire moyen mensuel,
soit 50 Fr. à leur livret de caisse d’épargne. C’est ainsi que certains des
hommes se trouvent dès maintenant à la tête d’un avoir de plusieurs centaines
de francs. Les livrets sont détenus par l’officier payeur. Un d’entre eux a
ainsi économisé 1010 francs. Il va de soi que les chefs autorisent
volontiers les hommes à faire sur leur avoir de petits prélèvements pourvu
qu’il soit avéré que la somme demandée aura un emploi raisonnable. Mentionnons encore que chaque ouvrier –
pour autant que le métier exercé le permette – possède un outillage complet
dont il amortit graduellement et qui devient ainsi sa propriété en un laps de
temps très court. Pour donner une idée de l’activité
industrielle déployée par la section industrielle du Dépôt, nous dirons encore,
qu’avec une mise de fonds d’une trentaine de mille francs, elle a réalisé en
1915 un chiffre d’affaires de 275.000 francs. C’est Mr. Schollaert qui a en partie
fourni, en partie trouvé les fonds pour l’acquisition d’un outillage varié
autant que perfectionné. Il est vrai que la contre-valeur existe ; mais
cela n’empêche qu’il y a là une grande immobilisation de capitaux. Inutile d’ajouter que le fondateur de
l’œuvre entoure ses pupilles des soins moraux les plus assidus. Comme nous, il
attache énormément d’importance à conserver et au besoin à relever leur moral
d’une manière systématique et continue, par des distractions honnêtes et
fréquentes. En résumé, le Dépôt de Sainte-Adresse est
une création magnifique qui fait le plus grand honneur à M. le Président
Schollaert et à ses dévoués collaborateurs. Elle a été la première œuvre belge
de ce genre fondée sur la terre hospitalière de France, comme Mr. Schollaert a
été pour nous tous, l’initiateur. Honneur lui en soit rendu. Les 2918
convalescents, invalides et mutilés qui jusqu’à ce jour ont passé dans son
établissement et leurs familles lui en sauront gré et le pays lui sera
reconnaissant pour le bien largement prodigué à ses fils déshérités. [1]
« La rééducation
professionnelle des soldats mutilés et estropiés. » par Léon de Paeuw,
1917, Librairie Militaire Berger-Levrault, Paris et Nancy ; Imprimerie de
l’Ecole Nationale Belge des Mutilés de la Guerre à Port-Villez [2]
Conférence faite par
l’auteur : La rééducation
professionnelle des grands blessés de guerre et l’Institut militaire belge de
rééducation professionnelle, Port-Villez lez-Vernon. |