Médecins de la Grande Guerre
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Douceur et
bonté du jeune déporté Victor Thys Avertissement : En 1986, l’abbé Robert
Pourbaix (1) publia aux éditions du Gabos, « Souffrance et mort d’un
déporté. Lettres de VictorThys (1898-1918) ». Ce livre de123 pages
constitue un émouvant travail à la mémoire du déporté Victor Thys. Qui était ce
jeune homme pour l'auteur? Au départ un simple visage figurant sur une
photo accrochée dans le vivoir de sa cousine Marie. Et puis un jour, Marie
décède et Robert hérite du coffret en bois gardant 40 lettres que lui avait
adressées son jeune frère Victor durant la grande Guerre…En les découvrant,
Robert Pourbaix est bouleversé du drame vécu par Victor. Il en
reconstitue alors minutieusement les étapes que je me permets ici de vous résumer en mémoire de Victor Thys. Dr Loodts.P Victor Thys est un de ces 120.655
civils belges qui furent obligés par l'autorité allemande d’aller travailler en
Allemagne ou en France occupée. Le 15 mai 1916, un arrêté du Grand Quartier
Général stipula que « les gouverneurs, commandants militaires et
chefs d'arrondissement peuvent ordonner que les chômeurs soient conduits de
force aux endroits où ils doivent travailler ». Les grandes rafles de
civils commencèrent alors ... Du 8 au 20 octobre, dans les Flandres, dans
le Tournaisis et dans la région de Mons; le 2 novembre à Anvers et dans le sud
du Brabant; du 24 octobre au 3 novembre à Quiévrain, Saint-Ghislain, Jemappes…;
le 8 novembre à Nivelles; le 13
novembre, à Havré-Ville; le 15 novembre à Wavre; le 16 novembre à Nimy; le 18
novembre à "Par ordre du Kreischef,
toutes les personnes du sexe mâle, âgées de plus de 17 ans, sont tenues de se
trouver, place Saint-Paul, à Nivelles, le 8 novembre 1916, à 8 heures, munies
de leur carte du MELDEAMT (2). Il est permis de se munir que d'un petit bagage
à main. Celui qui ne se présentera pas sera déporté de force en Allemagne et
sera passible, en outre, d'une forte amende et d'un long emprisonnement. Les
ecclésiastiques, médecins, avocats et instituteurs ne devront pas se présenter.
Les bourgmestres seront rendus responsables de la bonne exécution de cet ordre
qui devra être porté immédiatement à la connaissance des habitants" On imagine l'émotion dans les
familles! En un jour, avec un seul train de 32 voitures, Nivelles fut privée de
1000 de ses hommes. Lorsque le train s'ébranla, un immense cri s'éleva: Vive le
Roi, Vive Le 18 novembre 1916, les hommes
convoqués d'Houdeng-Aimeries se réunirent à 4h30 du matin à l'église pour
les confessions et la messe. A six heures, ils se mettent en route
silencieusement pour rejoindre à Victor Thys était un bon enfant,
un jeune homme doux et sensible! Il naquit le 25 juillet 1898 et
perdit son père alors qu'il était âgé de 7 ans. Sa mère put élever ses eux
enfants Victor et Marie parce qu'elle possédait un petit commerce. Après quatre
ans de veuvage, elle se remaria mais les relations entre son nouveau mari
et les enfants furent loin d'être chaleureuses! Au début de la guerre,
Marie était femme de chambre à Mons, chez le comte Clerfayt tandis que
Victor travaillait chez Nicaise-Delcuve tout en poursuivant des
cours de comptabilité à l'école industrielle de Hougeng-Aimeries. Fierté de
sa mère et sa grande sœur, il avait pu brillamment combiner
travail et études à telle point qu'en août 1916, c'est avec grande distinction
qu'il termina sa deuxième année de comptabilité et sa première année
d'anglais ! La "prise d'hommes" de Chers parents, nous sommes à
Namur, en compagnie de Georges, Maurice (4). Nous sommes bien. J'espère aller
bientôt vous voir. C'est la première missive d'une longue
série qu'il enverra à sa famille mais déjà sur celle-ci transparaît son souci
principal, celui qui reflète un cœur très bon et sensible: rassurer avant
tout sa famille même si cela exige de lui qu'il mente au sujet de
sa santé et de son moral ! Le camp de Meschelde Les déportés belges arriveront le soir
à 23h00 à Meschelde, une jolie petite cité de La prison à Aix-La-Chapelle Il est transféré le 30 janvier
17 à Aix-La-Chapelle où, dans une sinistre prison il attendra cinq
semaines son jugement ! Il écrit à sa sœur le 4 février: Sœur chérie, je suis désolé
de vous faire savoir que je suis dans la prison d'Aix-la-chapelle. Ne craignez
rien, je n'ai fait aucun mal; j'ai été arrêté à Herbestal parce que je n'avais
pas de passeport. Je ne sais pas combien de temps je dois y rester (…).
Je ne pourrai pas souvent vous faire savoir de mes nouvelles car je crois qu'on
ne peut écrire qu'une fois par mois. Mais je suis bien portant et je crois que
vous vous portez à merveille. (…) Le camp d'Holzminden Après cinq semaines dans la
prison d'Aix, Victor est transféré au camp d'Holzminden à Holzminden le 19 mars 1917, Très chère Mère Je suis très heureux de
pouvoir causer un instant avec vous. Je suis toujours bien portant comme
lorsque je vous ai quittée; et vous donc, comment vous portez-vous? (…). Début juin, Victor est
transféré au Lazarett du camp. Il y restera trois mois ! Le diagnostique de sa maladie n’est sans
doute pas encore posé à cette époque. Mais
la tuberculose rénale qui l’emportera apparaît sans doute à cette époque
et entraîne amaigrissement, fatigue,
fièvre, infections urinaires. Voici deux extraits de lettre où Victor tait
complètement ses problèmes de santé pour ne pas tracasser ses
proches : Holzminden, le 30 juin1917 Chère sœur, (…) Comment allez-vous? Etes-vous
toujours bien portante? J'espère que oui. Quant à moi, je suis toujours en
bonne santé. J'ai reçu un colis avec un pot de miel et des biscuits, un autre
avec un pot de confiture, du café, du riz. Les biscuits étaient très bons, je
vous en remercie. Je vous prie d'accepter cet humble trèfle à six feuilles; je
vous souhaite qu'il vous porte bonheur. Holzminden, le 20 juillet 1917 Chère Mère, J'ai bien reçu ta lettre du 8
juillet m'annonçant que vous êtes toujours en bonne santé; j'en suis toujours
de même. Si vous m'écriviez un peu plus souvent, cela me ferait plaisir. Je
suis maintenant au Lazarett, comme vous avez du voir à mes cartes précédentes.
Dans l'espoir d'être bientôt près de vous, je termine ma lettre en vous
embrassant de tout mon cœur. Votre petit garçon Thys Victor Après trois mois d'hospitalisation au
Lazarett, les autorités du camp effarées des progrès de la maladie de Victor
font appel à Meiringen, le 1er octobre 1917 Ma chère maman et Marraine, Je suis très heureux de vous
apprendre que je suis toujours en excellente santé; j'espère que vous en êtes
tous de même. Comme par ma carte précédente, je vous fais savoir que je suis
interné en Suisse. Je m'y plais parfaitement car je suis dans un hôtel, bien
nourri et bien couché; vous n'avez donc pas à vous inquiéter sur mon sort. Je
viens de me faire photographier avec un camarade qui habite une chambre à côté,
Alphonse Van Laar de Houdeng-Goegnies, près de l'ascenseur; j'ai l'air un peu
mal tourné mais j'avais justement un violent mal de dent. (…) Les médecins suisses n'ont plus
beaucoup d'espoirs. La tuberculose rénale dont est atteint Victor évolue
rapidement ! On ne connaît encore aucun traitement antibiotique et
seul le repos et le soleil peuvent dans
de rares cas créer une rémission! Victor est alors envoyé à Leysin pour
une cure de soleil en haute montagne. Il est hébergé à " Malgré sa souffrance, il écrit à
sa famille qu'il est toujours en bonne santé ! Plus loin dans la lettre,
il avoue cependant que les médecins envisagent de l'opérer. Leysin, le 1er décembre
1917 Chers parents J'espère que vous êtes
toujours en bonne santé, moi j'en suis de même. (…) Je suis à Leysin où je fais
des cures de soleil; le soleil chauffe fort ici car nous sommes très haut dans
les montagnes(…) Je dois aller à Berne à l'hôpital où l'on doit me faire une
opération, espérons que cela réussira. (...) Victor ne sera finalement
pas opéré car les deux reins sont atteints par la tuberculose. Les
médecins et Victor doivent renoncer à l'amélioration par la chirurgie !
Au lendemain de Noël 1917, Victor quitte Leysin pour Clarens-Montreux en
bordure du lac Léman. Rentrant doucement en insuffisance rénale, Victor y
survivra cinq mois et quelques jours, passant fréquemment de la clinique de Clarens, le 15 avril 18 Ma Chère Sœur C'est avec une immense joie
que j'ai reçu votre lettre du 12 janvier. J'espère que vous vous portez bien,
moi j'en suis toujours de même. Je suis bien content d'avoir eu des nouvelles,
mais je voudrais bien que vous veniez ici, car moi je suis très bien! (…) C'est seulement le 15 mai 1918
qu'il exprimera clairement à sa famille qu'il ne va pas bien: Clarens le 15 mai 1918 Bien chers parents, J'espère que vous êtes en très
bonne santé, quant à moi, je ne suis pas de même. Voilà près de 4 semaines que
je suis au lit, et on a dû me faire retourner à la clinique. J'ai eu beaucoup
de fièvre et mal aux reins; on a essayé trois fois de me faire la cystoscopie
et on n'a pas pu ; je suis pourtant chez un habile docteur; enfin, je prendrai
patience. (…) Voici la dernière lettre à sa famille Clarens, 1er juin 1918 Biens chers parents C'est avec un grand plaisir
que j'ai reçu votre lettre du 29 avril. J'espère que vous êtes toujours
en très bonne santé; mais moi, je suis toujours au lit, impossible de me lever;
vous voyez que j'écris mal parce que j'écris dans le lit. J'ai été très triste
en apprenant que vous avez dû payer 50 francs de frais. J'ai reçu les 50 frs.
Merci bien, mais je vous prierai de ne plus m'envoyer de mandats; je m’en
passerai s'il le faut; d'ailleurs, si j'avais le bonheur d'être guéri, je
chercherais à m'occuper un peu car, vous savez, depuis que je vous ai quittés,
j'ai toujours été à l'hôpital, il y a eu seulement des passages où j'étais un
peu mieux, d'un mois, pas beaucoup plus. Comment Marraine se porte-t-elle,
ainsi que la famille? Je crois qu'elle est tout à fait guérie et qu'elle va se
promener, par ce beau temps, au bois ou ailleurs. Et vous maman,
travaillez-vous encore tant? Est-ce qu'on a récolté assez bien au jardin?
J'espère que oui. Si j'étais à votre place, je ne vendrais rien du tout, je
garderais pour manger; la nourriture est plus précieuse que l'argent; et Paul,
travaille-t-il toujours avec papa? (…). Je vous envois ci-joint mon
portrait, vous me trouverez joli. Des compliments à toute la famille !
Recevez, chers parents, les meilleurs baisers de votre fils. Victor Le 12 juillet 1918, un
policier se présenta chez la maman de Victor pour lui remettre une convocation
chez le bourgmestre pour le lendemain 9 heures. Le bourgmestre Paerdens
annonça la triste nouvelle. Le 22 juillet, l'abbé Comptdaer célébra la messe de
requiem avec un grand nombre de paroissiens.. Le 26 octobre 1919, au cimetière de
Clarens on inaugura un monument élevé à la mémoire des internés alliés décédés
dans la région de Montreux. Parmi le public imposant, se trouvait la soeur de
Victor, Marie Thys accompagnée de son époux Cyrille Lepot. Les époux Lepot
viendront à plusieurs reprises jusqu'en 1950 fleurir la tombe de Victor
dans le "carré 18" au fond du cimetière. Aujourd'hui la tombe
de Victor n'existe plus. Sur le mémorial sont gravés les noms de 20 Français et
de sept Belges décédés dans la région. Voici les noms de nos compatriotes décédés: F.Daussaint, F.De Wit, H.Delen, C.De Crees, L. Luthist, M. Peetermans, V.Thys Conclusion Après
avoir lu le récit de la déportation de Victor, on reste confondu
d'admiration pour ce jeune homme qui vibrait d'amour pour les siens au
point de vouloir les épargner de ses graves soucis de santé! Rien ne peut
mieux caractériser Victor que ces mots écrits par le Dr Perret (5)
qui fut son médecin à Clarens: "
Votre fils a été admirable de patience et de bonté. Il ne s'était jamais
plaint et chacun l'aimait pour sa douceur et son caractère agréable."
Nous
sommes heureux de garder sur ce site le souvenir de sa bonté qui honore le genre
humain! (1) Robert
Pourbaix (1934-2005) Robert Pourbaix était une sommité dans ce quartier
d'Houdeng pour lequel il se battit avec passion pendant sa vie entière. Il
passa une grande partie de sa jeunesse au Patro à Houdeng-Goegnies et en devint responsable. Plus tard, enseignant, l'abbé Pourbaix passa toute sa carrière à l'Institut Saint-Joseph
de Entré au séminaire, Robert Pourbaix fut affecté à la
paroisse de Bois-du-Luc. C'est là qu'il commença à oeuvrer dans les années
septante. Très présent et actif, il sera à l'origine du premier comité de quartier
de la région du Centre, constitué à la fermeture du dernier charbonnage de
Bois-du-Luc, le puits du Quesnoy, en 1973. Il contribua à sauver les maisons et
les Carrés de Bois-du-Luc. Il créera ensuite le groupe d'animation culturel de
Bois-du-Luc, le GABOS et mettra sur pied le Musée de la mine, dans l'enceinte
de l'écomusée.On lui doit une recherche historique publiée en 1983 « Les
charbonniers de Bois-du-Luc.Très actif au niveau des écoles libres, de Vie
Féminine, de l'ONE, de tout ce qui était associatif, l'abbé Pourbaix a
considérablement marqué Bois-du-Luc. Il était un peu l'âme du quartier. Connu
de tout le monde, c'était un homme foncièrement bon, il donnait sans compter tout
en restant très discret (2)
Meldeamt: bureau de recrutement (3) Sur la centaine de déportés
d'Houdeng-Aimeries, 15 mourront en Allemagne, dans une clinique de Suisse, ou
peu de temps après leur retour: Bernard Azorne, Georges Delrivière, Ernest Detimmermans,
Georges Dubrulle, Auguste Dumont, Fernand Govaerts, Camille Mainil, Léon
Paradis, Georges Pourtoy, Henru Roland, Eugène Sauvage, Alexandre Thyberghien, Victor
Thys, Georges Tricoux, Poklydore Van Hoygem. (4) Georges Delrivière et
Maurice Decoux; le premier, voisin de Victor, était un jeune employé de17 ans;
il revint à Houdeng le 29 décembre 1916, et y mourut quelques mois plus tard.
(5) Lettre du Dr Perret à la maman de
Victor Montreux, le 27 juillet 1918 Madame, Permettez-moi comme ayant
soigné votre cher fils interné à Clarens jusqu'à sa mort de vous donner
quelques renseignements sur sa maladie. En arrivant en Suisse, il souffrait de
la vessie et l'on ne tarda pas à s'apercevoir qu'il était atteint de
tuberculose des reins et de la vessie. Son cas état malheureusement compliqué
du fait que, chez lui, les deux reins étaient malades. Le rein gauche était
complètement détruit, le rein droit à moitié. Dans ces conditions une opération
n'était pas possible et une guérison malheureusement non plus. Quelques jours
avant la fin, survint une crise d'urémie, il eut des vomissements, des maux de
tête, puis perdit complètement connaissance et expira doucement, sans agonie,
entouré des bonnes sœurs de la clinique. Peu de temps avant l'aggravation de
son mal, il travaillait encore journellement, avec plaisir, à la fabrique de
jouets. Je tenais à vous donner ces
détails, Madame pour pouvoir ajouter que votre fils a été un malade admirable
de patience et de bonté. Il ne s'est jamais plaint et chacun l'aimait pour sa
douceur et son caractère agréable. Il doit être bien dur pour vous de ne pas
avoir eu la joie de le revoir. Hélas la tuberculose l'a emporté comme tant
d'autres. Il est en paix maintenant, et nous gardons de lui un pieux
souvenir. Veuillez croire, Madame, à l'assurance de nos sentiments de
respectueuse et profonde sympathie. Dr Ch. A. Perret |