Médecins de la Grande Guerre

Quand un curé célébra le mariage de son fils soldat.

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Quand un curé célébra le mariage de son fils soldat

       Il y a quelques jours, un certain nombre de Parisiens recevaient une invitation peu banale, certes, car elle disait :

       M. l'abbé Courbe, curé de Saint-Jacques-du-Haut-Pas[1], a l'honneur de vous faire part du mariage de M. François Courbe, son fils, licencié en droit, maréchal des logis au 81e d’artillerie lourde, décoré de la croix de guerre, avec Mlle Henriette Rivière, fille de M. Charles Rivière, professeur au lycée Saint-Louis, chevalier de la Légion d'honneur, qui sera célébré le vendredi 3 novembre à midi, en l’église Saint-Jacques du Haut-Pas.


       M. l'abbé Courbe, en effet, qui est un Parisien de Paris et est âgé de Soixante-huit ans, n'a débuté que tardivement dans, la carrière sacerdotale. Auparavant, il appartenait au monde de l'enseignement. Il venait à peine de franchir la quarantaine, lorsqu'il eut 1a douleur de perdre sa femme, qu’il aimait tendrement et qui lui avait donné treize enfants. Huit d'entre eux, six garçons et deux filles, vivaient encore. Mais le coup avait été trop rude, et M. Courbe entra dans les Ordres, Il continua d’abord à enseigner, professa les mathématiques au collège de la rue de Madrid, dont il devint plus tard directeur. On le retrouve ensuite curé de Nogent-sur-Marne, où il resta pendant trois ans et où il a laissé les plus vives sympathies. Il fut enfin nommé à la cure de Saint-Jacques du Haut-Pas, poste qu’il occupe depuis six ans et dans lequel il a maintes fois l’occasion de déployer les dons les plus rares de l’orateur sacré.

Survint la guerre. Ses six fils partirent pour le front. L’un trouva, le 28 février 1915, à Vauquois, une mort glorieuse ; trois autres sont aumôniers militaires, et c'est l'un d'eux qui a dit hier, la Messe nuptiale ; un cinquième a dû être réformé à la suite d’une grave blessure. Le sixième est le maréchal des logis d'artillerie lourde blessé en Champagne, cité à l'ordre du jour, décoré de la croix de guerre, que sa fiancée, pour cette raison, voulut épouser sans attendre la fin de la guerre et à qui son père donna hier la bénédiction nuptiale.

       Ce fut une cérémonie simple et touchante, et qui émut profondément les cœurs les moins pieux, car si plus d'un curieux s'était glissé dans les bas-côtés de la viei1le èg1ise, et s’il n'avait pas été possible de s'opposer à l'intrépidité coutumière des photographes, du moins un silence religieux, lui, ne cessa-t-il d'attester le respect de chacun pour un spectacle empreint ..... d'une véritable grandeur.

       A midi précis, lorsque, aux accents d'une marche nuptiale, les jeunes mariés pénètrent sous la voûte de l'église pour aller occuper leurs places devant le maître-autel, l'assistance les suit d'un regard sympathique : elle, mince, grande, très distinguée ; lui, également de haute stature, robuste et la mine énergique. L'orgue se tait. Tous les yeux se fixent sur l'abbé Courbe, sur sa belle taille et sa tête fine couronnée de cheveux gris. A-t-il craint, lui pourtant habitué à parler aux foules, maître de sa parole et de son geste, a-t-il craint que le flot des souvenirs anciens ne vînt déborder de son cœur et nuire, par la faute d'une émotion mal contenue, à la sérénité requise en un tel lieu, en un tel jour ? Il me semble que, derrière les vitres de son lorgnon, il lit son allocution, si fort attendue par les assistants. D'une voix claire et ferme, avec parfois sur les lèvres un sourire de tendresse, il définit l'idée du mariage selon la foi, affirme que la vocation à ce genre de vie vient de Dieu. Mais un mariage en temps de guerre, cela n'est-il point de la témérité ! Non, c'est un acte de courage et de confiance. S'unir avec son fiancé au lendemain du jour où on le rapporta blessé, c'est faire preuve de grandeur patriotique et d'espoir dans la protection divine.

       La guerre, voilà vingt-sept mois qu'elle nous retient. C'est là, dit M. l’abbé Courbe, en s'adressant à son fils, c'est là que vous avez pu développer toutes vos qualités, là que vous avez gagné vos grades modestes et votre récompense glorieuse. Vous méritez les félicitations publiques de votre père, et je suis heureux de pouvoir vous les adresser du fond du cœur.

       Et puis c'est un tableau sobre et charmant des vertus qui sont le patrimoine des deux familles des fiancés, le souvenir évoqué de la sainte qui donna le jour à l'époux-soldat, et enfin la lecture d’une lettre de l'archevêque de Paris envoyant sa bénédiction aux nouveaux mariés.

       L'abbé Courbe unit ensuite ses enfants selon les rites de l’Eglise. Puis l'orgue retentit de nouveau ; le frère du marié, l’aumônier, commence à murmurer les prières de la Messe, et puis on n’entend bientôt plus que les chœurs de la maîtrise qui viennent d'entonner le Kyrie eleison.

René Barjean.      

[Journal, 14 novembre 1916.]



[1]  [Dans l'église Saint-Jacques-du-Haut-Pas, à Paris, le curé de la paroisse, l'abbé Courbe, marie son fils, le 3 novembre 1916] : [photographie de presse] Rol, 48193 / [Agence Rol]



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