Médecins de la Grande Guerre

Une incroyable Journaliste de guerre: la surprenante Baronne Horta

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La guerre et son cortège de misères fit certainement sortir la femme du carcan dans lequel la société la maintenait alors. Il en fut ainsi dans tous les milieux sociaux. Dans  la haute bourgeoisie, Madame Horta constitue l'exemple type de la femme qui,  par les circonstances de la guerre,  put  développer  de grands talents dans  des occupations qui étaient jusqu'à cette époque réservées aux hommes.

Madame Horta, Suédoise d'origine, se met au service de la Croix-Rouge début août 14  et commence à assurer des gardes, une nuit sur trois, à l'hôpital des Français. Ce travail ne dure que quelques jours, car les Allemands font leur entrée à Bruxelles le 22 août et  ferment l'hôpital. Dès lors, accompagnée de son mari, la baronne va visiter les  villes saccagées par l'envahisseur. Peu après ces visites qui la bouleverse profondément, elle parvient à obtenir de  l'occupant un passeport valable dix jours devant lui permettre de visiter sa famille en Suède. En réalité, le couple profite de ce passeport pour se rendre à Londres auprès du Gouvernement Belge en exil  afin de témoigner des destructions constatées. Lors de ce séjour, assistant à un meeting, Horta prend la parole et termine par cette phrase terrible: "J'ai été à Louvain et on ne peut pas croire que ces destructions ont été faites par des hommes, mais par des bêtes féroces". On avait évidemment demandé à la presse de ne pas parler de la présence de l'architecte Horta et de son épouse à ce meeting puisque le couple devait rentrer en Belgique mais un journaliste n'observa pas la consigne. Horta, dorénavant considéré comme un ennemi par les Allemands, ne pouvait plus  rentrer au pays sans risquer d'être arrêté. Son épouse  retourna  seule en Belgique pour prendre les dispositions nécessaires à leur nouvelle situation. A Bruxelles, elle chargea un collaborateur de son mari, M. Dautzenberg, d'occuper leur maison durant la durée de la guerre puis, munie de fausses pièces d'identité et  d'un chèque de la Société générale devant lui permettre de toucher de l'argent à Londres, elle entreprit  de rejoindre son mari en exil.

En juillet 1915, Madame Horta quitte l'Angleterre pour la Suède. Elle vient en effet de décider d'entreprendre une grande campagne d'information dans son pays natal afin de collecter de l'argent au profil des Belges sinistrés par la guerre. Son mari est loin de se douter qu'en accordant à sa femme l'autorisation de partir durant  un mois ou deux, il va au-devant de neuf mois de célibat 

Madame Horta a en effet  fort à faire en Suède où la propagande allemande avait fait son oeuvre en convainquant ses habitants à la justesse de la cause germanique. Surmontant sa timidité, elle va devenir une excellente oratrice et  donner 105 conférences  illustrées de clichés des villes et villages belges dévastés par l'occupant. Son talent de persuasion va même lui permettre d' obtenir un don tout à fait inattendu... celui  du Consul d' Allemagne à Luleo qui lui envoie 100 couronnes au bénéfice des sinistrés belges ! !

Les échos de ces conférences parviennent bientôt  au Danemark et en Norvège où on la réclame. Madame Horta accepte  de prolonger son voyage et donne 25 conférences en Norvège dont une devant plus de trois mille personnes au Carl Meyer Garten d' Oslo. Tout au long de ses déplacements, elle abandonne brochures, tracts, photos sur les banquettes de chemin de fer, dans les salons des hôtels, partout où du monde passe. En février 1916, Madame Horta décide de rejoindre un mari dont la patience a des limites et qui entre-temps a été envoyé par le Gouvernement belge aux États-Unis. Mais auparavant, s'étant découvert une âme de journaliste, elle ne résiste pas à l'envie d' effectuer un dernier détour pour visiter le front.

Avant de prendre le bateau à destination de l'Angleterre, Madame Horta est prévenue par le Ministre Allart qu'elle est mise sur la liste noire de Berlin et que les sous-marins allemands avaient reçu l'ordre d'arraisonner les bateaux pour la capturer. Suite à cet avertissement elle redouble  de prudence et, alors  que les journalistes la signalent partante sur le "Jupiter", elle prend la précaution de voyager incognito sur un autre cargo. La frayeur est cependant au rendez-vous pendant ce voyage comme nous le  raconte notre reporter :

A peine avions-nous couvert quelques nœuds, qu'un sous-marin jaillit des flots. Cette fois, je n'en menais plus large; déjà, je me voyais capturée par les Allemands, emmenée à Berlin, jugée. Dans le réduit où le capitaine m'avait cachée, je ruminais d'assez sombres pensées tandis que l'entendais le va-et-vient des marins allemands et le son guttural de leurs commandements. Mon cœur battit follement et j'aurais donné gros pour me trouver ailleurs. Là-haut, le va-et-vient continuait; le temps passait. Faisait-on des recherches si minutieuses? Enfin un homme d'équipage vint me rassurer: les visiteurs intempestifs ignoraient ma présence à bord; ils n'en voulaient qu'à la cargaison de bois destinée à l'Angleterre et que le cargo portait dans ses flancs; ils exigèrent qu'elle fût jetée à la mer. Cela prit pas mal d'heures, au cours desquelles j'eus des alternatives de crainte et d'espoir. Enfin, les marins ennemis retournèrent à leur bord et le cargo reprit sa route: j'étais sauvée. Le restant de la traversée s'accomplit sans incidents et j'en arrivai à me demander si M. Allart n'avait pas en sa jeunesse lu trop de romans d'aventure. Une rencontre fortuite devait me prouver que ses craintes étaient fondées .En effet, à quelques semaines de là , à Southampton où je m'apprêtais à naviguer vers le continent, je rencontrai le capitaine Arhenius ( sujet Suédois au service de l'armée belge au Congo). Cet officier avait voyagé à bord du Jupiter que j'aurais dû prendre; il avait vécu des heures d'angoisse, tandis que le bateau, stoppé par un sous-marin allemand, avait subi une visite minutieuse "pour rechercher une dame belge, conférencière propagandiste anti-allemande, qui était sur la liste des passagers". Les recherches furent vaines , et pour cause.

Arrivée en Angleterre, c'est un autre bateau qui l'attend et doit la mener de Southampton vers Le Havre. Le voyage se passe dans des conditions difficiles:

En arrivant dans ma cabine, l' impression pénible redoubla: à la lueur d'une petite lampe de poche, je découvris deux gilets de sauvetage posés sur ma couchette et cette indication peu rassurante: "Prière de ne pas se déshabiller, défense de faire de la lumière". J'étais harassée de fatigue et assez fataliste: je me déshabillai et m'endormis profondément .Un arrêt brusque, un choc violent me réveillèrent en sursaut. Après tant d'année, je me rappelle que je criai: "Ca y est", persuadée que nous avions touché une mine et que, d'un instant à l'autre, j'allais sauter avec les débris du navire. J'entendais du remue-ménage sur le pont, dans les autres cabines, des courses affolées, des cris étouffés et, pour mettre le comble à cette atmosphère d'angoisse, les sirènes hurlèrent la nuit. Jetant un peignoir sur mes épaules, je me précipitai aux nouvelles: l'hélice du bateau était prise dans un filet d'acier, posé là par les alliés pour capturer les sous-marins allemands. Tandis que je dormais nous avions fait du chemin et c'est pour attirer l'attention des vigies du Havre que les sirènes hurlaient sans arrêt .La Providence fut avec nous : elle nous envoya le secours du Havre et non des sous-marins allemands qui auraient fort bien pu être alertés par nos appels. Après trois heures d'angoisse, nous pûmes poursuivre la route et débarquer enfin, sans encombre, dans le port français.

A peine arrivée en France, Madame Horta, demande aux autorités françaises la permission de se rendre à Verdun car "l'on ne décrit bien que ce que l'on connaît parfaitement". Sa demande est acceptée et la voici devenue journaliste de guerre..

Une auto militaire nous conduisit vers Verdun. A l'approche du front, nous roulâmes entre des murs de toile tendus sur une hauteur de 2 à 3 mètres pour que les ennemis au périscope, ne puissent discerner les camions. A quelques km de Verdun, la route s'engouffrait dans un long tunnel. Au moment où nous atteignîmes le Quartier Général, les officiers français nous accueillirent avec cette exclamation:

-Quel est le diable qui a inventé de nous envoyer une femme dans cet enfer? (C'était au mois de juin 1916, le moment où l'on se battait très fort près de Verdun).

Après Verdun, Madame Horta  visite Reims où on la convie à visiter une classe improvisée dans une cave à vin. Elle est accueillie par une émouvante "Brabançonne" chantée par les petits enfants de France. Plus loin elle visite des tranchées et aperçoit  parfaitement les soldats Allemands au périscope. Les officiers français l'invitent à dîner mais le repas est interrompu par un  obus qui  tombé sur la maison voisine, tue deux hommes.

Remontant vers le nord, notre aventurière atteint  le front belge en même temps qu'un lugubre convoi::

A l'avant, en fait de cortège, on ne croise que des convois de blessés ou, pis encore, ainsi qu'il m'advint, la lente procession de 550 morts que l'on ramenait pour les enterrer. Des prêtres-brancardiers étaient allés les reprendre à des endroits où plus personne ne voulait s'aventurer; pieusement, ils les avaient transportés pour que leurs pauvres corps déchirés puissent reposer en paix. Jamais, je n'oublierai ce défilé macabre, dans l'obscurité; c'était hallucinant.

Après avoir été reçue par la reine Élisabeth, Madame Horta rejoint Le Havre en auto. Le soldat belge qui est son chauffeur a fort à faire car deux fois sur le trajet, il doit changer un pneu à la lueur de la clarté d'allumettes. Arrivée au Havre notre journaliste insatiable, continue à travailler puisqu'elle de visiter de nombreuses colonies d'enfants belges.

Enfin, Madame Horta rejoint l'Angleterre pour embarquer sur  le bateau qui doit enfin  la conduire aux États-Unis. Elle retrouve un mari qui  d'après ses propres dires  "boudait légèrement cette épouse, qui, brusquement, avait pris des libertés et avait tardé à le rejoindre". On comprend aisément le pauvre architecte !

Aux États-Unis, Madame Horta recommence une activité soutenue  en faveur des Belges. Les conférences se suivent et ne se ressemblent pas.

Lors de sa première conférence au Carnegie Hall, elle doit faire taire des murmures: ce sont des immigrés de souche allemande. Cinq à six personnes sont forcées de quitter la salle.

A Chicago, le bourgmestre exige de voir les clichés qui seront présentés au public pendant la soirée. La conférencière est obligée d'obtempérer mais qu'elle ne fut pas sa surprise de voir qu'en fait les clichés qui furent confisqués concernaient deux "nus"; une peinture de Delville et une sculpture de Rousseau qui devaient servir à monter aux Américains le niveau culturel de la Belgique!  Au moment où ces deux clichés devaient être montrés, Madame Horta annonça au public: Mesdames, Messieurs, ici, j'avais l'intention de vous montrer deux oeuvres d'art de chez nous; l'une de Delville, se trouve au musée Luxembourg, à Paris, l'autre de Rousseau se trouve au Musée de Bruxelles . Sans doute votre bourgmestre a-t-il une aversion insurmontable de l'art, car il m'a confisqué ces clichés. Je le regrette pour vous et pour moi. Cette sortie fut reçue par des applaudissements et des rires. La presse, le lendemain, s'en fit écho et l'aventure ne servit qu'à ridiculiser un homme aux idées étroites. 

Toujours à  Chicago, la voici aux prises avec deux clubs féminins: Mon auditoire se composait d'environ 800 dames, qui avaient presque toutes apporté leur tricot. Sans doute la guerre d' Europe les incitait-elles à ce travail, qu'elles jugeaient hautement charitable, mais pour moi, il était très pénible- surtout que je n'y étais vraiment pas habituée- de m'adresser à toutes ces têtes penchées dont je ne pouvais  capter le regard.

A St Louis, sa conférence fut assez sabotée: En effet, il y avait pas mal de germanophiles à Saint-Louis. Aussi, au moment où je voulus passer les clichés qui prouvaient d'une manière irréfutable, les horreurs commises en Belgique, il y eut, comme par hasard, une panne d'électricité. J'ai dû continuer à parler dans une salle éclairée par quelques bougies ou par des briquets que des messieurs allumaient par-ci par-là. Je tins bon jusqu'au bout, stigmatisant les abus perpétrés chez nous par l'envahisseur, stigmatisant aussi le manque de fair-play des pro-Allemands, qui avaient, ce soir-là, empêché le passage de mes clichés.

Lors d'une autre conférence donnée à Chicago, l'Archevêque bénit l'assistance (quelque 6.000 personnes), réunie au Théâtre de l'Auditorium; la plus grande salle d'Amérique, qui, outre le parterre, contenait six balcons. Les hauts-parleurs n'étaient pas encore inventés et il me fallait hausser la voix pour être entendue de tous. Je réalisai très vite que l'on me comprenait et cela me rassura; j'avais, il est vrai, deux années d'entraînement.

En Californie, harassée par mes cinq heures de voiture, dans une atmosphère surchauffée, je prenais pied dans un désert où je présumais devoir parler devant une poignée d'auditeurs. Je fus reçue par Mme Richard, présidente du Comité pour la Belgique et le Nord de la France; son mari était ingénieur. Il n'y avait là que des tentes et des maisonnettes en planches, contenant une ou au maximum deux pièces. Personne en dehors des ingénieurs et des ouvriers. Mme Richard, à qui j'avais fait part de mes appréhensions, m'assura que pour huit heures, je me trouverais devant 2.000 personnes. Son optimisme ne parvint pas à me convaincre. Malgré le déploiement des préparatifs, je restais sceptique! On avait en effet monté en plein air une vaste plate-forme en bois. Une lampe à projection était en place et l'écran tendu bien net; tout était paré... mais je n'arrivais pas à imaginer qu'il pût venir des auditeurs. Quelle ne fut pas ma surprise, dès 7 heures du soir, de voir apparaître quelques personnes venues, Dieu sait d'où. Bientôt les groupes grossirent, il en venait de l'est et de l'ouest, du nord et du sud; il en venait en carriole, à cheval, en voiture, en break; il en venait à pied; il en venait par tous les chemins et tous les sentiers. A 8 heures, comme l'avait prévu Mme Richard, deux mille personnes au moins attendaient le message belge!

Madame Horta ne se contentait pas de donner des conférences. On la chargeait parfois de missions pour le moins originales. Ainsi, un jour, elle fut appelée à faire paraître dans la presse un appel dont voici le texte:

Mme Victor Horta, épouse du directeur de l' Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles, qui travaille à New-York pour les enfants réfugiés de Belgique (sous les auspices du gouvernement belge), a appris que les enfants belges réfugiés en France avaient grand besoin de bas. Les pauvres petits manquent de vêtements chauds, et Mme Horta demande aux enfants de ce pays s'ils ne veulent pas venir à leur secours. Il faudrait 100.000 paires de bas et Mme horta demande si le même nombre d'enfants ne voudraient pas envoyer chacun une paire ou 25 cents, par ses soins, à la Britishh War Relief Association. Les bas peuvent être de toutes tailles, depuis ceux destinés à des petits de deux à trois ans jusqu'à ceux pour les enfants de 14 à 15 ans. 

Au bout de très peu de temps Madame Horta  fut en possession des cent mille paires de bas! Ce n'était rien par rapport à l'argent qu'elle récolta pendant son séjour  aux États-Unis: plus de quatre millions de francs-or. Cet manne inespérée, due à la générosités des Américains, alimenta les oeuvres belges dans le nord de la France et en Hollande, où notamment se trouvait à Amersfoort une colonie de dix mille enfants belges. Dans cette ville  hollandaise, les réfugiés belges prouvèrent leur grande reconnaissance à leur bienfaitrice en baptisant  leur camp composé de baraquements construits grâce à son aide du nom d'Horta. Après la guerre, ces baraquements connurent curieusement  une deuxième vie. A la demande de Madame Horta, ils  furent démontés et reconstruits à Bruxelles sur des terrains vagues (à l'emplacement de la future place Brugmann) pour héberger des sans-foyers!

Lorsque la guerre se termina, il restait 100.000 francs bloqué à l'Ambassade belge à Washington. Madame Horta, en accord avec l'ambassadeur attribua 35.000 francs aux   "Petites Abeilles" pour permettre à cette oeuvre s'occupant de la petite enfance d'acheter le Préventorium de Piètrebais. Le restant allant à plusieurs orphelinats ainsi qu'aux oeuvres de la Reine Élisabeth et de la Comtesse d'Oultremont. 

Les Horta quittèrent les États-Unis le 10 décembre 1918. L'accueil de leurs compatriotes fut assez froid. Bien des personnes "enviaient" le beau voyage de ce couple célèbre tout en ignorant le travail intense de propagande qu'avait accompli  Madame Horta avec  375 conférences données aux Américains. 

Notons, pour terminer, l'esprit "féministe" avant gardiste  que fit preuve le célèbre Horta en permettant à sa femme de mener  ses incessantes occupations de propagande ...Un jour, il ne put  cependant s'empêcher de dire:

I had a wife, now I have a speaker.

Source: Baronne J. Horta, Pour la Belgique, souvenirs vécus, 1914-1918, La Renaissance du Livre, Bruxelles, 1957



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